Troubles spécifiques des apprentissages
2007
ANALYSE |
13-
Troubles comportementaux ou émotionnels associés à la dislexie
Plusieurs travaux de la littérature apportent des preuves significatives de la fréquence d'une association entre les difficultés d'apprentissages et les troubles comportementaux ou émotionnels. Ces troubles associés peuvent alors être secondaires à la situation d'échec scolaire et/ou aux conditions environnementales sociales, familiales ou psychoaffectives aggravant le trouble cognitif ou bien s'inscrire, au contraire, dans une réelle comorbidité, avec un lien d'ordre génétique, entre les deux affections.
Même si la question du mécanisme sous-jacent à l'association « troubles des apprentissages et troubles comportementaux et émotionnels » est loin d'être résolue, il apparaît indispensable de reconnaître chez les enfants, les caractéristiques des troubles cognitifs « spécifiques » pour leur accorder la prise en charge pédagogique et de soins adaptée.
Revue de la littérature
Prior et coll. (1999
) ont étudié l'association entre les troubles comportementaux et émotionnels et les apprentissages scolaires à partir d'un échantillon initial de 2 443 enfants australiens suivis longitudinalement depuis l'âge de 7-8 ans et examinés à 11-12 ans sur le plan de leurs comportements et de leurs apprentissages. Parmi les 2 443 préadolescents, 183 ont été considérés comme le groupe « clinique », présentant un trouble psychopathologique, en ce sens que le CBQ (Child Behavior Questionnaire) révélait pour deux ou plus informateurs (parents, enfant et enseignant) un score d'au moins une déviation standard au-dessous de la norme à au moins une des échelles de troubles psychologiques externalisés (hostile-agressif, hyperactif-distractible) ou internalisé (anxieux-apeuré). Une interview individuelle complémentaire a cherché à effectuer un diagnostic de troubles du comportement ou troubles émotionnels selon les critères du DSM : chez 47,3 % des enfants du groupe « clinique », le diagnostic d'un, deux ou plus de troubles a été retenu. Un groupe témoin a été constitué de 96 enfants, sans trouble au CBQ, appariés au groupe « clinique » selon l'âge et les facteurs socio-culturels. Parmi les enfants de ce groupe témoin, 9,3 % seulement ont reçu un diagnostic selon les critères du DSM. Le score du QI évalué par la forme brève du WISC est plus faible chez les enfants du groupe clinique (105,95 versus 112,44) mais néanmoins dans les normes. Les compétences en lecture (test ACER), orthographe (WRAT-R) et mathématiques (WRAT-R) du groupe « clinique » sont significativement plus faibles (en moyenne respectivement 36e centile, 43e et 51e) que dans le groupe témoin (52e, 61e et 74e centile). Cette étude très complète confirme la comorbidité entre troubles des apprentissages et troubles comportementaux et émotionnels. Si la cormorbidité avec les troubles externalisés est très largement décrite dans la littérature (Hinshaw, 1992
), cette étude indique également l'existence d'une comorbidité avec les troubles internalisés tels que l'anxiété détectée par l'interview de l'enfant. Le suivi longitudinal de cette cohorte montre que les troubles des apprentissages détectés à 78 ans persistent très largement à 11-12 ans (80 % de persistance pour les difficultés en langage écrit et 57 % pour les difficultés en mathématiques). Les troubles des apprentissages touchent aussi fréquemment les filles que les garçons. En cohérence avec l'expérience clinique, l'association entre difficultés d'apprentissages et troubles internalisés apparaît fréquente, principalement chez les filles.


Néanmoins, cette étude ne détaille pas les caractéristiques des troubles des apprentissages observés chez les enfants du groupe « clinique » avec troubles comportementaux et/ou émotionnels, ni en terme de sévérité ni en terme de profil.
Dans le même ordre d'idée, Maugham et coll. (2003
) ont étudié l'association entre troubles de la lecture et humeur dépressive à partir d'un échantillon de 1 416 garçons âgés de 7 à 10 ans. Dans cet échantillon, 9,1 % des enfants (soit 134) ont été détectés comme pauvres lecteurs du fait d'un score au CAT (California Achievement Test) inférieur au 6e centile lors de l'évaluation initiale et dont les difficultés persistaient lors du suivi longitudinal. Une humeur dépressive a été recherchée sur l'ensemble de la cohorte par le SMFQ (Short Version of the Mood and Feelings Questionnaire) et un trouble psychopathologique externalisé ou internalisé par le questionnaire CBCL (Child Behavior Check List). Les données ont été recueillies de façon longitudinale sur plusieurs années. Une analyse multivariée a permis d'apprécier le rôle des différents facteurs. Une humeur dépressive est associée de manière indépendante à deux facteurs démographiques et familiaux : l'existence de punitions physiques administrées par les parents (p=0,002) et un déficit de supervision parentale (p=0,03), alors que le niveau socioéconomique apparaît moins corrélé (p=0,098). Par ailleurs, une humeur dépressive est associée à un trouble des conduites (p=0,02) et à la délinquance (p=0,038), ainsi qu'à un trouble de l'attention indépendamment des troubles de conduite ou délinquance. Dans l'analyse multivariée des corrélations démographiques, familiales et comportementales, les troubles de lecture sont liés aux facteurs ethniques (fréquence plus élevée chez les africains américains, p<0,001) et au niveau socioéconomique (p=0,001). La comorbidité des troubles de lecture est élevée avec les troubles de conduite (p=0,078), le trouble déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH) (p=0,04) et l'inattention (p=0,009).

Les enfants en difficultés de lecture sont significativement plus déprimés (9,6 % chez les bons lecteurs versus 23 % chez les mauvais lecteurs, p<0,01) et l'association reste très élevée lorsque l'analyse multivariée inclut tous les facteurs confondants (p=0,007). Si l'association entre troubles de la lecture et humeur déprimée persiste lors des trois points du suivi longitudinal, il n'est pas montré d'exacerbation du risque de dépression. Les garçons en difficultés de lecture les plus jeunes ont trois fois plus de risques que leurs pairs d'être déprimés lors de la première évaluation. Le niveau socio économique plus faible chez les lecteurs en difficulté, ou les punitions physiques infligées par les parents et le déficit de supervision parentale, plus fréquents chez les enfants déprimés, affectent peu la corrélation entre trouble de lecture et dépression. De même, l'association entre troubles de la lecture et humeur dépressive reste significative et forte après exclusion des troubles psychiatriques externalisés. Enfin, le suivi longitudinal suggère que les effets d'une dépression précoce sur les scores de lecture sont faibles. Il est plus vraisemblable que les difficultés de lecture sont d'emblée associées à la dépression dans une réelle comorbidité.
Les résultats de ces deux études sont en accord avec le travail de Pennington (1992
) qui montre également un taux accru de troubles internalisés chez les mauvais lecteurs.

Enfin, les caractéristiques comportementales d'une population de 130 en-fants souffrant d'une dyscalculie développementale (62 garçons et 68 filles) ont été étudiées par le questionnaire CBCL en comparaison à une population témoin appariée non dyscalculique (Shalev et coll., 1995
). Globalement, le pourcentage de problèmes comportementaux, aussi bien externalisés qu'internalisés est significativement plus élevé dans la population dyscalculique que dans la population normale mais moins élevé que dans une population d'enfants référés en psychiatrie. Ceci est aussi vrai chez les filles que les garçons. Parmi ces enfants, 37 % des garçons et 25 % des filles avec dyscalculie avaient un score pathologique au CBCL.

Avec une population plus restreinte (25 enfants dyslexiques) comparée à un groupe témoin et dont le comportement a été évalué à 10-12 ans par le CBCL rempli par les parents, le TRF (Teacher Self report) rempli par l'enseignant et le YSR (Youth Self Report) rempli par le pré-adolescent, Heiervang et coll. (2001
) aboutissent aux mêmes conclusions. Dans le groupe dyslexique, les troubles psychopathologiques sont plus fréquents d'après le CBCL et le TRF. La différence pour le YSR n'atteint pas le seuil de significativité. Les groupes diffèrent également sur le plan social, les risques périnatals, le poids de naissance, le QI et les difficultés à l'âge préscolaire, mais ces facteurs ne rendent pas compte du niveau de trouble comportemental dans la population dyslexique.

Dans un échantillon français, Billard et coll. (2006
) retrouvaient, lors de l'examen médical, psychologique et orthophonique, des difficultés psychoaffectives chez 48 des 173 enfants de 4 à 9 ans porteurs d'un trouble des apprentissages.

Néanmoins, aucune de ces études ne compare précisément le profil cognitif de la population avec troubles des apprentissages et troubles psychoaffectifs associés à celui de la population sans trouble psychoaffectif (en référence aux neurosciences cognitives). La reconnaissance de cette fréquente association doit amener à des études plus fines sur les caractéristiques cognitives et psychopathologiques, sur leur évolution et les effets des prises en charge respectives.
Une synthèse de l'American Academy of Child and Adolescent Psychiatry (AACAP, 1998
) sur l'évaluation et le traitement des troubles du langage et des apprentissages de l'enfant décrit également cette comorbidité avec les troubles psychopathologiques de l'axe I du DSM-IV chez 50 % des enfants (Cantwell et Baker, 1991
; Standford et Hynd, 1994
; Beitchman et coll., 1996
). Ces données sont issues aussi bien d'évaluations d'enfants référés à un système spécialisé d'éducation en raison, à la fois, d'un trouble psychiatrique et d'un trouble du développement, que d'évaluations psychiatriques d'enfants référés uniquement pour un trouble des apprentissages. L'anxiété de performance, les difficultés de relations avec les pairs, les relations familiales conflictuelles et la faible estime de soi sont également fréquemment rencontrées dans cette population même si les critères pour un trouble psychiatrique de l'axe I du DSM-IV ne sont pas remplis (Falik, 1995
). L'association avec le TDAH est fréquente (Hinshaw, 1992
). Un trouble de parole ou de langage est fréquemment associé à une anxiété, principalement chez les filles (Beitchman, 1996
). Un trouble des apprentissages et/ou du langage prédispose souvent à un trouble psychiatrique ultérieur de l'axe I (Cantwel et Baker, 1991
), même si celui-ci n'existait pas lors de la première évaluation. Les troubles émotionnels et/ou comportementaux peuvent masquer les difficultés d'apprentissages. Ceci souligne la nécessité pour le clinicien d'être vigilant dans l'évaluation et la prise en charge des troubles d'apprentissage : aspect cognitif, émotionnels et comportementaux. Une thérapie individuelle ou de groupe peut être envisagée en fonction de la symptomatologie et en association à la prise en charge pédagogique et rééducative.








Dyslexie et trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité
La littérature la plus abondante concerne l'association troubles des apprentissages, en général ou dyslexie en particulier, et trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Si un enfant présente soit une dyslexie, soit un TDAH, le risque qu'il manifeste l'autre trouble est évalué autour de 25 à 40 % (Semrud-Clikeman et coll., 1992
; Willcutt et Pennington, 2000
), voire une fourchette de fréquence encore plus large dans certaines études (10 à 92 %, Biederman et coll., 1991
). Le choix des critères de définition pour le TDAH et les troubles des apprentissages, les instruments de mesure, l'âge de l'enfant et le lieu de recrutement sont autant de facteurs pouvant expliquer la disparité de la fréquence de cette comorbidité selon les études. Ce type d'association est également fréquemment retrouvé dans une population d'enfants français (Touzin et Mouren-Simeoni, 2000
).




Plusieurs hypothèses de causalité peuvent être soulevées. La première hypothèse est que le TDAH peut conduire à l'échec scolaire, que l'on invoque un facteur psychopathologique ou un facteur cognitif (déficit des fonctions exécutives) à l'origine du trouble comportemental. La seconde hypothèse est que l'échec scolaire engendre une hyperactivité, qu'il s'agisse d'un vrai syndrome TDAH ou plutôt d'une phénocopie (Pennington et coll., 1993
). La troisième hypothèse suggère une origine commune sous-tendant les deux troubles.

Cette dernière hypothèse semble être privilégiée dans l'étude du Colorado Learning Disabilities Research Center qui recherche l'étiologie de la dyslexie et des troubles comorbides dans un échantillon de 394 jumeaux (Willcutt et Pennington, 2000
). L'existence d'une ou des deux trobles (TDAH et dyslexie) est explorée à partir de questionnaires rétrospectifs (sur l'existence d'un TDAH ou d'une dyslexie dans l'enfance des parents et chez les enfants), de l'échelle du DSM-IV du TDAH, ainsi que d'une évaluation des compétences en lecture et orthographe (Peabody Individual Achievement Test) réalisée chez les enfants. Les auteurs trouvent que les enfants dyslexiques ont significativement plus de troubles d'allure psychiatrique que les non-dyslexiques. Parmi ces troubles, ils distinguent deux groupes : les troubles dits « externalisés » (agression, délinquance, trouble oppositionnel avec provocation, trouble des conduites) et les troubles « internalisés » (anxiété, dépression). Si les dyslexiques présentent plus fréquemment des troubles des deux types, une analyse par régression logistique montre que seuls ceux du deuxième groupe entretiennent un lien direct avec la dyslexie, lorsque le facteur hyperactivité est contrôlé. En d'autres termes, la fréquence plus élevée de troubles comportementaux de type externalisé chez les dyslexiques semble directement liée à la comorbidité entre dyslexie et hyperactivité. L'association entre anxiété et dépression, d'une part, et dyslexie d'autre part est indépendante de l'hyperactivité, qu'il s'agisse d'une comorbidité ou de la conséquence d'un vécu négatif par l'enfant de ses difficultés d'apprentissage. En outre, fait remarquable, le lien entre dyslexie et troubles externalisés est spécifique du sexe masculin, alors que celui entre troubles internalisés et dyslexie est plus fort chez les dyslexiques de sexe féminin. Quant au facteur génétique, il apparaît dans cette étude qu'au sein d'une paire de jumeaux où seul l'un des enfants est dyslexique, la présence de troubles externalisés est commune aux deux jumeaux alors que les troubles internalisés sont spécifiques aux individus dyslexiques, suggérant ici encore un facteur génétique commun pour les troubles externalisés (incluant donc au premier chef l'hyperactivité) et non pour les troubles internalisés.

Des travaux récents en génétique moléculaire semblent confirmer cette hypothèse en montrant un lien entre l'association TDAH + dyslexie et certains sites sur le chromosome 14 (Gayan et coll., 2005
) ou encore les chromosomes 16p et 17q (Loo et coll., 2004
), de même qu'entre le polymorphisme d'un gène codant pour un récepteur adrénergique (ADRA2A) et l'association comorbide dyslexie-hyperactivité (Stevenson et coll., 2005
). Citons enfin la possibilité d'intervention d'un phénomène dit de « non-random mating » . Telle que proposée initialement par Faraone et coll. (1993
), cette hypothèse est basée sur l'observation que les épouses d'hommes souffrant de TDAH seraient plus souvent elles-mêmes dyslexiques, de sorte que, de par la transmission génétique indépendante des deux affections, leurs enfants auraient plus de risque d'être porteurs des deux troubles, une constatation qui n'a pas été confirmée dans une étude plus récente (Friedman et coll., 2003
).





Finalement, cette tendance actuelle à considérer la comorbidité entre les deux affections comme essentiellement constitutionnelle ne doit pas occulter le fait que les troubles d'attention, symptôme cognitif majeur du tableau de TDAH, ont nécessairement une influence négative sur les apprentissages en général. Plusieurs études ont ainsi montré que les formes inattentives de TDAH sont les plus à même de retentir négativement sur les apprentissages et sur les performances scolaires (Aro et coll., 2005
). Enfin, comme le font remarquer ces derniers auteurs, le trouble d'attention est source d'importantes frustrations et de possible démotivation dans les apprentissages en général, et les apprentissages fondamentaux (lecture, écriture, calcul) en particulier. Le trouble de l'attention peut aussi être « défensif », élaboré par l'enfant dans une tentative désespérée de rehausser son estime de soi, devenant ainsi une composante plausible de ses difficultés et participant au « cercle vicieux » de l'échec scolaire. Pour éviter ces effets confondants lors des études scientifiques, la priorité semble devoir être donnée aux études longitudinales multidimensionnelles, les plus à même d'affirmer le sens de la causalité suspectée entre deux types de symptômes. Ici, comme dans beaucoup d'autres domaines en matière de troubles des apprentissages, il convient de garder à l'esprit le caractère complexe et multifactoriel des effets observés en clinique, même si les observations des chercheurs semblent relativement univoques.

En résumé, la comorbidité entre trouble déficit de l'attention/hyperactivité et troubles des apprentissages est une réalité. Même s'il n'est pas possible d'affirmer le lien de causalité, la part des facteurs génétiques ou des conséquences psychopathologiques à l'origine de cette association, il est une fois de plus indispensable d'évaluer chez les enfants porteurs d'un trouble des apprentissages les compétences attentionnelles et le degré d'hyperactivité, ainsi que les autres symptômes psychopathologiques associés, afin d'en déduire les conséquences thérapeutiques.
Troubles des apprentissages et psychanalyse
Plusieurs équipes ont largement décrit leur expérience de pédopsychiatre ou psychologue de formation ou d'orientation psychanalytique avec les enfants porteurs de troubles des apprentissages. Dès les années 1950, à la suite de l'émergence de la littérature anglo-saxonne et scandinave sur la dyslexie, les équipes d'Ajuriaguerra, Diatkine, en lien avec Borel-Maisonny se sont intéressées aux troubles du langage. Diatkine, dans son chapitre sur les troubles de la parole et du langage du « Nouveau Traité de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent » (1985
), décrit les troubles d'acquisitions de lecture des enfants dysphasiques ainsi que le concept de dyslexie-dysorthographie. Plus récemment, Birraux (2001
), Berger (2003
), Flagey (1996
) reprennent, comme Diatkine, les critères actuels de définition des troubles spécifiques des apprentissages, ainsi que la nécessité d'un repérage précoce de ces troubles et d'une évaluation rigoureuse des compétences cognitives de l'enfant. La diversité des présentations cliniques des déficits instrumentaux présentés par les enfants est reconnue dans cette littérature (Flagey, 1996
; Berger, 2003
) : troubles du schéma corporel, des repères temporels, spatiaux, des discriminations perceptives (auditives, visuelles...), troubles du langage oral et écrit, des acquisitions en mathématiques, ainsi que leur point commun de s'inscrire tous dans des compétences intellectuelles globalement préservées. Il est également important de considérer comment ces déficits préexistants s'inscrivent dans le fonctionnement psychique de l'enfant. Les développements cognitif et affectif se trouvent, en effet, très tôt entremêlés.






Sollicités par les rééducateurs et les pédagogues, particulièrement lorsque l'évolution n'était pas optimale, les psychiatres et psychanalystes se sont intéressés à l'environnement et surtout au fonctionnement psychique dans lequel survenaient les difficultés d'apprentissage de l'enfant afin de mieux cerner les approches thérapeutiques à proposer. Berger (2003
) décrit des tableaux cliniques très divers, à première vue disparates, dans lesquels s'inscrivent les difficultés d'apprentissage. Certaines difficultés d'apprentissage peuvent être associées à un trouble envahissant du développement tel que défini par le DSM-IV, ou à une dysharmonie évolutive telle que décrite dans la Classification française des troubles mentaux de l'enfant et l'adolescent (Mises et coll., 2000
), cette pathologie primitive mentale excluant donc le diagnostic de troubles spécifiques des apprentissages (donc de dyslexie). Pour d'autres enfants, les difficultés d'apprentissages peuvent s'inscrire dans des interactions précoces difficiles, ou dans une insuffisance de stimulation environnementale. Mais tous les auteurs s'accordent à dire que les dyslexies, comme les dyspraxies, peuvent survenir dans des familles « suffisamment bonnes » pour reprendre les termes de Winnicott (Diatkine 1999
; Mises, 2001
; Flagey, 2002
). Ces troubles spécifiques d'origine neurodéveloppementale peuvent alors entraîner de façon secondaire une souffrance liée à la situation d'échec. La grande diversité de ces situations est à rapprocher de façon générale de celle d'un handicap qui peut contraindre enfant et parents à une organisation psychique particulière (Lapalus-Netter, 1987
).






Lorsque l'enfant et sa famille sont en souffrance, et/ou lorsque la rééducation appropriée ne donne pas les résultats escomptés, l'analyse du développement psychique de l'enfant et de ses interactions avec son environnement, utilisant les modèles psychanalytiques, peut s'articuler avec les données cognitives. Dans une étude comparant les résultats du test projectif de Rorschach chez 40 enfants non-lecteurs (Joubert et coll., 1994
), à ceux d'un groupe témoin d'enfants tout-venant de 9 à 11 ans (Beizman, 1982
), les auteurs concluent que l'impossibilité de lire ne s'appuie pas sur une organisation de personnalité univoque mais sur une grande diversité individuelle. Claudon et De Tychey (1998), comparant les résultats des données projectives de 18 enfants dyslexiques, en échec de rééducation orthophonique, à leurs homologues non dyslexiques décrivent des problèmes de résolution de l'Œdipe. Pour certains auteurs, les troubles des apprentissages peuvent s'associer à un trouble du registre narcissique (Flagey, 1996
). Pour d'autres, les difficultés en lecture associées à des difficultés en mathématiques, sans déficience intellectuelle, peuvent évoquer un tableau d'inhibition psychique (Helman, 1954
; Flagey 1977
), que les auteurs replacent dans le développement de la pensée et de l'intelligence et dans les conflits inconscients (Freud, 1926
). La difficulté d'accéder au code alphabétique serait parfois à éclairer par l'histoire personnelle et familiale (Bergès, 2003
; Rose, 2003).







L'objet même de la psychanalyse de l'enfant est l'étude du contexte psychoaffectif dans lequel se situe son développement. Certains psychanalystes insistent néanmoins sur la nécessité de connaître, reconnaître, et prendre en compte également les aspects cognitifs. Birraux (2001
), dans son chapitre sur les troubles des fonctions cognitives du traité de psychopathologie de l'enfant, écrit : « La réalité des facteurs instrumentaux et cognitifs qui participent aussi au bon développement de l'enfant... est trop souvent négligée dans la clinique psychanalytique. » Quelle que soit la conception retenue du développement du langage, Diatkine, comme Berger et Flagey insistent sur le rôle fondamental d'une rééducation appropriée et Diatkine rend hommage à l'expérience de Borel-Maisonny. On peut s'étonner avec Flagey (1996
) « de la difficulté qu'ont beaucoup de professionnels de la santé mentale à prendre en compte la complexité de ces cas qui nous invite à articuler des points de vue différents : les facteurs biologiques, le fonctionnement cognitif, la structuration du psychisme et l'organisation fantasmatique, les systèmes familiaux et sociaux... Ces enfants au carrefour de toutes nos théories, nous lancent un défi passionnant, et nous invitent à mieux comprendre, en nous aussi, les rapports de la vie affective et de la connaissance ». L'approche psychanalytique vient donc apporter un éclairage complémentaire.


En conclusion,
même si ceci semble paradoxal avec le caractère spécifique des troubles des apprentissages, la littérature comme la réalité clinique nous montrent que les enfants en souffrant ont aussi fréquemment des troubles comportementaux ou émotionnels. Il peut s'agir de troubles externalisés, dont le plus fréquemment étudié est l'hyperactivité et le déficit d'attention. Il peut s'agir aussi de troubles internalisés, moins visibles, qu'il convient de rechercher. Nous ne sommes pas aujourd'hui en mesure de définir précisément la relation de causalité. Néanmoins, la possibilité de cette association doit être reconnue pour une prise en compte des deux types de troubles sans exclusion. Les approches abordant différemment le développement de l'enfant, l'un cognitif basé sur les neurosciences, l'autre psychique basé sur les modèles psychanalytiques, sont loin d'être incompatibles. Elles peuvent même, à condition que l'une n'exclue pas l'autre, permettre une prise en charge de l'enfant dans sa globalité et sa diversité tant au plan cognitif, qu'au plan de sa relation à son environnement.
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