Théories explicatives de la dyslexie

2007


ANALYSE

17-

Théorie du trouble du traitement temporel

L'enfant dyslexique, et plus généralement l'enfant souffrant de trouble spécifique d'apprentissage, a très souvent des problèmes avec le temps en général, qu'il s'agisse de la gestion des aspects temporels liés à la réalisation des actes quotidiens, de la conscience et/ou la perception de la durée d'événements, ou encore de la discrimination d'événements brefs, tels que ceux constitutifs de la parole humaine. De très nombreuses études, utilisant des approches diverses, se sont penchées sur cette étrange caractéristique, dans le but de trouver un point commun entre cette dernière et les difficultés d'apprentissage elles-mêmes (Habib, 2000renvoi vers ; Tallal, 2004renvoi vers).
Dans le présent chapitre, nous envisagerons en suivant un ordre grossièrement chronologique, l'évolution des idées ayant mené à la proposition de cette hypothèse, l'une des plus fameuses, mais aussi des plus décriées, tant pour ses bases théoriques que pour ses éventuelles applications thérapeutiques.

Paradigme de référence : le jugement d'ordre temporel

Le test le plus couramment utilisé dans la littérature pour évaluer un éventuel déficit de traitement temporel a certainement été le test de jugement d'ordre temporel (JOT ou TOJ, Temporal order judgment), rendu célèbre par les travaux de Tallal et Piercy (1973renvoi vers). Ces auteurs ont dans un premier temps comparé la performance d'enfants souffrant de trouble d'apprentissage du langage (se rapportant au concept de Specific language impairment ou SLI) à des sujets témoins indemnes sur une tâche de reproduction de deux tons dont l'intervalle inter-stimulus (ISI) variait entre 8 ms et 4 s. Pour les intervalles les plus longs, les performances ne différaient pas entre les deux groupes, mais à partir de 150 ms et en deçà, les témoins étaient nettement supérieurs. Les mêmes auteurs ont réalisé une tâche similaire avec des syllabes (ba/da : Tallal et Piercy, 1974renvoi vers), retrouvant la même tendance, puis ont démontré que la performance des patients se normalisait en augmentant la durée des transitions consonantiques de 40 à 80 ms (Tallal et Piercy, 1975renvoi vers). Ainsi, l'idée sous-jacente était de démontrer qu'un déficit unique, de nature perceptive mais supramodale, était capable d'expliquer un développement atypique du langage, postulant plus précisément une incapacité de ces enfants à traiter convenablement les stimuli brefs et en succession rapide comme cela est le cas à la fois des stimuli de l'épreuve de TOJ et des éléments de la parole humaine. Toutefois, toutes ces études portaient sur des patients ayant en commun des difficultés d'intensité variable dans divers aspects du langage, mais ne s'étaient pas encore penchées spécifiquement sur les troubles du langage écrit.

Jugement d'ordre temporel chez le dyslexique

En 1980, Tallal propose pour la première fois d'étendre sa théorie explicative à la dyslexie, marquant le début d'une vaste et longue polémique, qui dure encore aujourd'hui, autour de la notion d'une origine perceptive aux troubles d'apprentissage de la lecture. Par analogie avec ses études chez les dysphasiques, Tallal (1980renvoi vers) compara 20 sujets en difficulté de lecture, âgés de 8 à 12 ans (moyenne 9,7 ans), à 12 normolecteurs de moyenne d'âge 8,5 ans, sur une tâche depuis lors dénommée Tallal's repetition test, tâche qui repose sur des jugements de similitude ou d'ordre temporel entre deux stimuli non verbaux (sons complexes) de 75 ms de durée, différant seulement par leur fréquence fondamentale. Dans une première partie du test, les sujets étaient d'abord entraînés à appuyer sur l'un des deux boutons d'une boîte de réponse, en entendant le stimulus « haut » (H) et le stimulus « bas » (B), jusqu'à ce qu'ils aient atteint un critère de 20 bonnes réponses sur 24. Puis, ils étaient entraînés à répondre à des paires de stimuli (H-H, B-B, H-B, B-H) séparés d'un ISI de 428 ms. Enfin, les mêmes paires étaient présentées à des ISI plus courts s'étendant de 8 à 305 ms.
L'auteur ne retrouva aucune différence entre les deux groupes dans la phase d'apprentissage, ni dans la phase de test avec des paires séparées par des intervalles de 429 ms. En revanche, des différences très significatives apparurent pour les ISI plus courts, 45 % des dyslexiques se situant en dessous de la performance du plus faible contrôle, suggérant que, comme pour les dysphasiques, le cerveau de ces enfants était en déficit pour traiter les événements brefs et en succession rapide, et non les mêmes éléments séparés par de plus larges intervalles. Le point fondamental de ces résultats, et de l'interprétation qui en a été faite, est l'analogie proposée entre la valeur de l'intervalle inter-stimulus où ces enfants se trouvent en difficulté, et la durée de certaines composantes du langage articulé, et tout particulièrement les consonnes occlusives dont la durée normale avoisine 40 ms, expliquant alors les difficultés que rencontrent certains dyslexiques dans la discrimination des consonnes. La plupart du temps, les voyelles ne posent pas ce type de problème, puisqu'elles sont de longue durée et que leur discrimination ne repose pas sur la perception de changements acoustiques brefs, comme pour les consonnes.
Dans cette même étude, Tallal rapporte également une forte corrélation (r=0,81) entre la performance des dyslexiques au subtest avec brefs ISI et une épreuve de lecture de pseudo-mots, suggérant un lien très fort entre le déficit de traitement temporel et les mécanismes sous-jacents au déficit de conversion grapho-phonémique nécessaire à la réalisation de cette tâche de lecture. Cette étude a donné lieu à de nombreuses critiques, principalement liées au fait que le déficit est loin d'être constant (seulement la moitié des enfants de l'étude) et que, seuls les sons non verbaux ayant été testés, on ne peut trancher sur le caractère linguistique ou plus général du problème.
Suite à cette étude, de très nombreux auteurs se sont penchés sur le paradigme du TOJ, en questionnant les mécanismes exacts de son déficit chez le dyslexique, et les possibles biais pouvant expliquer les résultats de Tallal. Si la première revue de littérature sur le sujet (Farmer et Klein, 1995) était dans l'ensemble assez favorable à l'hypothèse temporelle, il n'en fut pas toujours ainsi.
Les principales objections sont venues de l'équipe de Studdert-Kennedy (Studdert-Kennedy et Mody, 1995), qui ont apporté deux arguments susceptibles de contrer la démonstration de Tallal : dans un premier temps, ils ont montré que le déficit de JOT sur des paires de syllabes chez les enfants dyslexiques disparaît si, en lieu et place des syllabes naturelles, on utilise de la « non-parole », c'est-à-dire un équivalent synthétique des syllabes : pour la non-parole, les mauvais lecteurs ne sont pas significativement différents des témoins (Mody et coll., 1997renvoi vers). Par ailleurs, si au lieu de ba/da on teste sa/sha, la différence témoins/dyslexiques disparaît, ce qui suggère que le déficit observé dépend de caractéristiques intrinsèques aux stimuli, et non de facteurs généraux tels que leur durée. Une analyse critique de ce travail (Dennenberg, 1999renvoi vers) a cependant relevé beaucoup de faiblesses dans l'approche de ces auteurs, soulignant en particulier qu'une argumentation destinée à prouver qu'une théorie est fausse doit faire appel à des outils statistiques très précis et en particulier nécessite une bien plus forte significativité pour être convaincante. En outre, l'étude de Mody et coll. (1997renvoi vers) comparait des sujets non dyslexiques, bons et moins bons lecteurs, ce qui peut évidemment expliquer beaucoup des contradictions observées. D'autres arguments négatifs ont été apportés par des études anglaises (Bishop et coll., 1999arenvoi vers et brenvoi vers ; pour une discussion détaillée voir Bailey et Snowling, 2002renvoi vers). Ces auteurs ont en effet montré que lorsqu'on compare les niveaux, au sein de couples de jumeaux dyslexiques ou non, de leurs capacités phonologiques, il existe une certaine similitude entre jumeaux monozygotes qui permet d'affirmer l'héritabilité du trait. Or, si on effectue un test de JOT chez les mêmes sujets, on s'aperçoit que certes les sujets dyslexiques ont une performance inférieure au JOT, mais sans aucune héritabilité, ce qui signifie que le trouble du traitement auditif, s'il existe, ne possède pas le même caractère génétique que le trouble phonologique lui-même, ce qui est évidemment problématique si on veut établir un lien entre les deux, comme le fait Tallal. D'autre part, divers auteurs (Wright et coll., 1997renvoi vers ; Rosen et Manganari, 2001renvoi vers) ont exploré le lien entre trouble auditif et trouble phonologique en testant l'hypothèse que les sujets dyslexiques auraient un phénomène de masquage rétrograde insuffisant (la persistance anormale de l'information auditive par défaut de masquage entraînerait un brouillage de l'information et, par là, un déficit de perception). Cette différence aux dépens des dyslexiques fut effectivement retrouvée, mais un pourcentage de sujets non dyslexiques possédaient le même déficit sans aucune incidence sur leurs capacités d'apprentissage, ce qui est évidemment un argument contre l'idée que le trouble auditif soit une condition nécessaire et suffisante au trouble phonologique et donc au trouble de la lecture. Dans le même esprit, Share et coll. (2002renvoi vers) font remarquer, après avoir testé plus de 500 enfants à l'aide du test de répétition de Tallal, que les déficits observés chez les dyslexiques :
• peuvent être retrouvés même pour des intervalles inter-stimuli longs (et pas seulement pour les brefs) ;
• ne sont pas présents par comparaison à des témoins appariés en âge de lecture ;
• un déficit temporel ne prédit pas systématiquement un déficit ultérieur sur des mesures phonologiques ou de lecture.
Ils en concluent que le déficit de conscience phonologique caractéristique de la dyslexie n'est pas nécessairement une conséquence d'un trouble du traitement temporel, mais que le déficit temporel est plus vraisemblablement associé au trouble du langage oral définissant la dysphasie qu'au trouble phonologique caractéristique de la dyslexie.
À l'inverse, un certain nombre de travaux récents utilisant le JOT chez le dyslexique vont plutôt dans le sens de l'hypothèse de Tallal. Rey et coll. (2002renvoi vers) ont démontré que le déficit de jugement d'ordre temporel existait aussi si les deux stimuli étaient non plus des sons mais des phonèmes au sein d'un pseudo-mot (/apsa/versus/aspa/). En outre, ce déficit s'amenuisait si l'on présentait aux sujets les mêmes pseudo-mots dans lesquels les deux consonnes étaient ralenties.
La même année, Heiervang et coll. (2002renvoi vers) ont repris le protocole du test de répétition de tons de Tallal, en évaluant des degrés croissants d'intervalles inter-stimuli, en y rajoutant une composante supplémentaire, la durée des sons, soit de 75 ms, soit de 250 ms. Pour les sons de 250 ms, les dyslexiques ne différaient pas des témoins, alors que pour les sons de 75 ms, les dyslexiques se distinguaient d'autant plus franchement des témoins que l'ISI s'amenuisait (figure 17.1Renvoi vers), confirmant la nécessité des deux composantes, la brièveté des stimuli et la rapidité de leur succession, pour voir apparaître le déficit. Toutefois, ces déficits n'étaient pas corrélés aux épreuves de lecture.
Figure 17.1 Performances de sujets dyslexiques et normolecteurs dans une tâche de jugement d'ordre temporel utilisant des sons complexes de deux durées différentes (Heiervang et coll., 2002renvoi vers).
Ce résultat n'en reste pas moins une confirmation de la thèse de Tallal, pour qui même si la majorité des dyslexiques ne présente pas de déficit temporel, cela ne remet pas en question la théorie du déficit temporel (par exemple en imaginant un déficit précoce, suffisant pour compromettre la mise en place des représentations phonologiques, mais qui sous l'effet de divers facteurs d'environnement, ou de la simple expérience de la langue maternelle, va ultérieurement disparaître, tout en laissant un déficit, éventuellement sévère, des processus phonologiques). D'autres vont également dans ce sens, tel le travail récent de Ben-Artzi et coll. (2005renvoi vers), utilisant une présentation di-otique du même son (pour éviter le biais lié à un éventuel traitement holistique du pattern que constitue le doublet de sons). Mais d'autres encore restent très opposés à la théorie (Rosen, 2003renvoi vers ; Ramus, 2003arenvoi vers et brenvoi vers), avançant essentiellement trois arguments :
• un déficit temporel n'est présent que chez une minorité d'enfants dys-lexiques ;
• les déficits observés ne sont pas toujours limités aux stimuli brefs ou rapides ;
• les difficultés perceptives sont souvent non corrélées aux problèmes phonologiques (Bretherton et Holmes, 2003renvoi vers).

Déficit temporel au-delà du jugement d'ordre temporel

Une autre considération importante a trait à l'éventuelle hétérogénéité des concepts sous-tendus par le terme « déficit temporel ». En effet, si le JOT a été le plus étudié, et en général retrouvé déficitaire chez le dyslexique, il a été rarement mis en relation avec d'autres aspects du traitement temporel, comme par exemple le jugement de durée relative d'un stimulus. Par exemple, Walker et coll. (2002renvoi vers) ont proposé à de jeunes adultes dyslexiques des triplets de tons dont les éléments différaient soit en fréquence soit en durée. Par rapport à un groupe de témoins normolecteurs, les dyslexiques présentaient un déficit significatif de discrimination de la durée et non de la hauteur fréquentielle. En outre, ce déficit était significativement corrélé aux performances en lecture. Enfin, certaines études ont été consacrées à une comparaison de dyslexiques et d'enfants hyperactifs sur des tâches de jugement de durée. Ainsi, Toplak et coll. (2003renvoi vers) ont étudié 50 enfants et 58 adolescents présentant soit un trouble déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH) isolé, soit associé à des troubles de lecture. Dans les deux populations d'hyperactifs, enfants et adolescents, des déficits de discrimination de durée et de reproduction d'un court intervalle ont été observés, surtout chez les sujets présentant l'association TDAH + trouble de lecture. Dans une autre étude (McGee et coll., 2004renvoi vers), il s'agissait pour les sujets d'évaluer la perception du temps passé durant une période de 30 s et le temps passé durant la passation de l'échelle de Conners. Les hyperactifs et non les dyslexiques se sont avérés modérément déficitaires dans ces tâches.
Une question qui se pose alors est celle du lien entre perception de la durée, jugement d'ordre temporel et conscience phonologique. Dans le travail précédemment cité, Daffaure et coll. (2001renvoi vers) ont recherché ce lien chez 23 dyslexiques et 20 témoins appariés en âge de lecture. De manière intéressante, les deux marqueurs de déficit temporel sont chacun corrélés très significativement avec la performance en conscience phonologique, mais non corrélés entre eux (figure 17.2Renvoi vers), laissant penser qu'ils interviennent de façon séparée sur la performance en conscience phonologique.
Figure 17.2 Corrélations entre les différents indicateurs de déficit temporel et la performance globale en conscience phonologique chez 23 enfants dyslexiques et 20 témoins appariés en âge de lecture (d'après Daffaure et coll., 2001renvoi vers)
Ce dernier résultat possède trois implications importantes. La première est qu'il permet de répondre à une des principales objections à l'hypothèse du déficit temporel dans la dyslexie, l'absence de lien avec le déficit phonologique, puisque, au moins dans cette étude, JOT et phonologie sont fortement corrélés, cette corrélation restant significative si l'on exclut les sujets témoins. Parmi les nombreuses raisons méthodologiques qui peuvent expliquer les discordances entre les différents travaux à ce sujet, le recrutement des dyslexiques et la nature des tests utilisés doivent être pris en considération.
Le deuxième point est que, d'après ces résultats, il convient de distinguer différents niveaux de déficit temporel, au moins deux d'entre eux semblant partiellement indépendants : la reproduction d'une succession de stimuli auditifs, et la perception de la durée relative de deux stimuli. Les données de la littérature récente en neuro-imagerie laissent penser que le traitement temporel est sous-tendu par de vastes réseaux bi-hémisphériques, comprenant des structures corticales, sous-corticales et cérébelleuses, et que ces structures sont mises en jeu de manière variable selon la nature de la tâche (Jantzen et coll., 2005renvoi vers).
Le dernier point nous ramène au concept de dyschronie : ces résultats suggèrent que des aspects du traitement temporel aussi différents que la génération d'un rythme, la perception d'une durée, ou encore la reproduction de l'ordre d'une succession, de même que, chose étonnante, l'utilisation des notions temporelles dans un contexte social, sont probablement sous-tendus par des mécanismes au moins en partie communs (Rubia et Smith, 2004renvoi vers), et dont l'efficience est susceptible d'être altérée chez le dyslexique.

Traitement temporel dans des modalités autres qu'auditive

Il est clair, d'après ce qui a été dit jusqu'ici, que l'aspect le plus commenté (et le plus contesté) de la théorie du trouble du traitement temporel, est le niveau perceptif et non linguistique du déficit postulé. Or un autre postulat, non moins important, de la théorie est le caractère supra-modal du déficit, ce qui implique qu'il devrait pouvoir être mis en évidence dans les autres modalités que la modalité auditive.
Tallal et son équipe (Johnston et coll., 1981renvoi vers; Tallal et coll., 1985renvoi vers) avaient déjà observé que les enfants SLI avaient des difficultés à identifier lequel de deux doigts d'une même main étaient touchés simultanément. Stoodley et coll. (2000renvoi vers) ont retrouvé que des adultes dyslexiques étaient également déficitaires sur une tâche de détection d'un stimulus vibratoire, lorsque la vibration était de 3 Hz mais non lorsqu'elle était de 30 ou 300 Hz. Enfin, Grant et coll. (1999renvoi vers) ont retrouvé une élévation des seuils de discrimination tactile de l'orientation et de la largeur de grilles de stimuli palpés à l'aveugle par la pulpe des doigts. Ces auteurs signalent marginalement que leur sujets avaient également des déficits dans la modalité visuelle (épreuve de masquage), ce qui suggère, pour eux, que le déficit se situe au-delà des modalités sensorielles et proposent l'hypothèse qu'ici aussi, comme dans la modalité auditive, le déficit porterait sur le traitement d'une succession rapide d'informations.
On conçoit le caractère crucial de la démonstration d'un déficit de nature temporelle dans une modalité autre qu'auditive, mais encore faut-il démontrer que le déficit existe dans les deux modalités chez un même individu.
C'est ce qu'ont tenté de faire Witton et coll. (1998renvoi vers) en examinant 21 adultes dyslexiques et 23 témoins appariés à l'aide d'une tâche auditive de détection de modulation de fréquence et d'une tâche visuelle dynamique mesurant le seuil de détection d'un ensemble de points se déplaçant de manière cohérente. Les résultats montrèrent que les dyslexiques sont moins sensibles à la fois à la modulation de fréquence et au mouvement des stimuli visuels. En moyenne, les données individuelles montraient que la moitié des dyslexiques avaient un déficit auditif, et un quart un déficit visuel. En outre, il existait une corrélation très significative, chez les témoins et chez les dyslexiques, entre les deux mesures, de même qu'entre chacune des deux mesures et le trouble phonologique des dyslexiques.
Utilisant deux tâches, l'une visuelle (test de Ternus) l'autre auditive (test de répétition de Tallal) chez des enfants mauvais lecteurs, Cestnick et Coltheart (1999renvoi vers), puis Cestnick et Jerger (2000renvoi vers) et enfin Cestnick (2001renvoi vers) ont retrouvé un déficit de traitement temporel dans les deux modalités, avec une corrélation significative entre les deux, spécialement pour un sous-groupe de dyslexiques classés comme phonologiques à l'aide d'une épreuve de lecture de mots et de pseudo-mots. Ces auteurs interprètent leurs résultats comme témoignant d'une atteinte combinée des corps genouillés latéraux (visuels) et médians (auditifs) spécifiquement chez les dyslexiques de type phonologique.
De manière certainement plus complète, Laasonen et coll. (2001renvoi vers) ont étudié de jeunes adultes, dyslexiques ou non, dans des tâches de jugement d'ordre temporel sur des stimuli soit auditifs (tons de hauteur différente), soit visuels (flashs lumineux), soit tactiles (indentations palpées par la pulpe du doigt). En outre, les mêmes stimuli étaient utilisés dans une tâche dite « d'acuité de traitement temporel » où, sans avoir à faire de jugement d'ordre, les sujets devaient juger de la simultanéité ou non de deux séries de 3 stimuli. Dans toutes ces tâches, les adultes dyslexiques étaient significativement plus faibles que les témoins.
Des résultats sensiblement différents ont été obtenus plus récemment par Edwards et coll. (2004renvoi vers) chez des enfants dyslexiques. Ces auteurs ont utilisé une batterie de 12 tâches incluant deux tâches auditives (localisation dichotique de la hauteur dans une mélodie de 4 tons et discrimination de modulation de fréquence) et deux visuelles (perception du mouvement global d'un ensemble de points permettant de discriminer la forme d'une flèche masquée parmi les points et une tâche de sensibilité au contraste). La batterie au complet permit de classer avec succès près de 80 % des enfants entre dyslexiques et témoins, la présence d'un déficit de nature temporelle pouvant donc être considérée comme très spécifique des dyslexiques, mais la plupart des enfants déficitaires l'étaient dans une des deux modalités seulement, et le nombre d'enfants déficitaires en modalité auditive et en modalité visuelle était équivalent. Les deux tâches qui se sont avérées les plus déficitaires chez les dyslexiques étaient la tâche de localisation dichotique de mélodie, et la tâche de perception visuelle du mouvement. Ces deux tâches ayant en commun de nécessiter l'analyse puis la reconstruction du stimulus pour pouvoir distinguer le signal du fond, les auteurs en déduisent que plutôt que d'un déficit temporel général, leurs données sont en faveur d'une difficulté à extraire d'un bruit de fond le signal d'un stimulus modulé temporellement.
Pour revenir brièvement à la modalité tactilo-kinesthésique, il est intéressant de rapporter ici le travail récent de Renvall et coll. (2005renvoi vers) qui ont utilisé la technique des champs évoqués somato-sensoriels (potentiels évoqués somesthésiques) chez 8 adultes dyslexiques et 8 normolecteurs. Trois stimuli successifs produits par des diaphragmes mobilisés par de l'air comprimé étaient délivrés selon une séquence pouce-index-pouce, avec une asynchronie du début du stimulus de 100 ou 200 ms selon les essais. Alors que le cortex somato-sensoriel primaire répondit de façon identique à la première stimulation chez les dyslexiques et les témoins, la deuxième stimulation provoqua une réponse bien moindre chez les dyslexiques, surtout pour la condition la plus rapide, résultat que les auteurs considèrent comme compatible avec la nature pansensorielle du déficit temporel dans la dyslexie. Ce résultat est également compatible, comme nous le reverrons, avec l'idée que le déficit perceptif est d'autant plus net que les stimuli à percevoir sont intégrés dans une série ou une succession d'événements distincts (Kujala et coll., 2000renvoi vers).

Traitement temporel intermodalitaire chez le dyslexique

Les résultats les plus pertinents dans ce contexte sont indubitablement ceux obtenus à partir d'études non plus seulement de plusieurs systèmes perceptifs chez un même sujet, mais de la confrontation de plusieurs modalités dans une même tâche, réalisant une condition de transfert intermodalitaire. Parmi les premiers à s'être penchés sur ce type d'approche figurent Rose et coll. (1999renvoi vers) qui ont examiné un nombre important d'enfants bons et mauvais lecteurs sur une épreuve comportant la comparaison de deux patterns de stimuli brefs soit visuels, soit auditifs, soit l'un visuel l'autre auditif (condition intermodalitaire). Dans toutes les conditions, les mauvais lecteurs se sont montrés déficitaires. En outre, les performances déficitaires étaient corrélées à un score composite d'efficience en lecture, les sujets les plus en difficulté dans les tâches de traitement temporel étant également les plus déficitaires dans les épreuves de lecture.
Certainement plus convaincants sont les résultats de l'équipe finlandaise déjà citée (Laasonen et coll., 2000renvoi vers et 2002renvoi vers), qui ont utilisé un paradigme de jugement de simultanéité ou non de triplets de brefs stimuli dans des tâches impliquant trois modalités sensorielles différentes (audio-visuelle, audio-tactile et visuo-tactile). Deux protocoles différents ont été utilisés : un protocole de jugement d'ordre temporel (JOT) et un protocole de jugement de simultanéité, dit « d'acuité temporelle ». Tant chez des enfants que des adultes dyslexiques, ces protocoles ont mis en évidence des différences très nettes dans la majorité des combinaisons étudiées. En particulier dans la condition audiovisuelle chez l'enfant et dans la condition audio-tactile chez l'adulte, les performances sont significativement déficitaires chez les dyslexiques, dans les deux types de protocoles. Pour les auteurs, ces résultats permettent d'affirmer qu'au-delà de l'altération multimodalitaire suspectée par Tallal dès les premières formulations de sa théorie, il existe chez le dyslexique un déficit du traitement temporel nécessitant la mise en commun d'informations provenant au cerveau par divers canaux sensoriels. En outre, observant que les tâches « d'acuité temporelle » sont les mieux corrélées aux tâches phonologiques, ces auteurs présument que le mécanisme commun entre le déficit temporel et le trouble de la lecture, même s'il n'est pas causal, est plus probablement lié à la notion de simultanéité qu'à celle du jugement d'ordre temporal de deux stimuli.
Plus récemment, un travail original est venu apporter un éclairage nouveau à cette problématique. Hairston et coll. (2005renvoi vers) ont ainsi proposé à 36 adultes dyslexiques et 29 témoins appariés une tâche originale comportant deux composantes en parallèle : une tâche classique de TOJ visuel, où les sujets devaient décider le plus rapidement possible lequel de deux cercles présentés successivement sur deux positions d'un écran est apparu le premier. En outre, deux stimuli auditifs étaient adressés au sujet, le premier contemporain du premier stimulus visuel, le second survenant après un intervalle variable suivant le deuxième stimulus visuel, de 0 à 350 ms. Assez paradoxalement, l'insertion d'un délai entre le second stimulus visuel et le second stimulus auditif a un effet facilitateur, dans le sens qu'il améliore la performance de sujets témoins dans la tâche de TOJ visuel. À l'inverse, les dyslexiques améliorent leur performance même lorsque le délai est nul (0 milliseconde) et ce jusqu'à des délais allant jusqu'à 350 ms. L'interprétation des auteurs est que l'observation d'une facilitation après un indice temporellement décalé reflète les dimensions d'une fenêtre temporelle pendant laquelle le système effectue l'intégration des deux stimuli. La performance des dyslexiques traduirait alors une fenêtre d'intégration plus étendue, de sorte que même des indices auditifs apparaissant très tardivement seront susceptibles de jouer leur effet facilitateur sur la performance au TOJ (figure 17.3Renvoi vers). L'extension anormale de cette fenêtre temporelle chez le dyslexique aurait alors pour effet d'altérer les processus dépendant du couplage rapide et précis de deux informations provenant de modalités différentes, comme par exemple ceux mis en jeu lors de la conversion grapho-phonémique. L'élargissement de la fenêtre induirait des erreurs de transcodage, résultant en un affaiblissement de la performance en lecture, tant en termes d'erreurs que de rapidité de lecture.
Figure 17.3 Proposition d'un modèle faisant appel à un élargissement de la fenêtre d'intégration chez les dyslexiques (Hairston et coll., 2005renvoi vers).
Citons pour terminer un paradigme potentiellement très intéressant pour tester le traitement temporel en condition intermodalitaire : l'effet McGurk (McGurk et MacDonald, 1976renvoi vers), qui survient lorsqu'un sujet voit et entend un locuteur produire des segments de parole incongruents entre ce qui est perçu auditivement et visuellement. Par exemple, un effet McGurk classique consiste à entendre la syllabe /ta/ alors que le locuteur a prononcé /ga/ mais que l'auditeur le voit en train de prononcer /pa/. Cet effet, très robuste chez le sujet normal a été retrouvé altéré chez le sujet dyslexique, suggérant un déficit de l'intégration multisensorielle. En effet, les dyslexiques, au lieu de l'illusion perceptive normale, ont tendance à prononcer le son perçu visuellement sur le visage du locuteur (Hayes et coll., 2003renvoi vers). De manière frappante, les régions cérébrales impliquées dans l'effet McGurk, comme l'ont montré quelques travaux en imagerie fonctionnelle, sont principalement l'aire de Broca et une zone temporale inférieure proche de l'aire de reconnaissance visuelle des mots (Jones et Callan, 2003renvoi vers).
Au terme de ce panorama des études sur le déficit du traitement temporel dans la dyslexie, il est clair qu'il s'agit là, au-delà d'une intuition séduisante, d'un fait expérimental largement prouvé même si les avis divergent encore tant sur l'acception de l'expression « déficit temporel » que sur ses liens exacts avec le trouble de la lecture lui-même. Finalement, la question n'est pas tant de savoir si ce déficit temporel explique ou non le trouble de la lecture que de constater la co-occurrence, au moins dans une importante proportion des cas, des deux conditions. Il pourrait en effet s'avérer bien plus fructueux de raisonner en termes de co-occurrence que de causalité, avec comme toile de fond l'idée que si deux états coexistent plus souvent que ne le voudrait le hasard, alors il existe nécessairement un lien entre les deux, lien dont la nature pourrait apporter des indications majeures et mérite donc une investigation approfondie. Le dernier paragraphe de ce chapitre propose quelques pistes à cet effet.

Vers un nouveau modèle intégratif

Les données envisagées dans les paragraphes précédents nous ont apporté plusieurs informations dignes d'intérêt. Si l'on considère la dyslexie non plus seulement comme un trouble de la lecture, mais comme un regroupement syndromique de divers symptômes ayant en commun leur co-occurrence possible chez un même individu, cela suscite des questionnements en termes non plus de causalité mais de mécanismes communs entre ces divers symptômes. Ces différents symptômes sont, du point de vue neuropsychologique, de nature fondamentalement différente, les uns étant d'ordre purement sensori-moteur, impliquant à un niveau relativement élémentaire les différents systèmes perceptifs et moteurs, les autres franchement cognitifs, impliquant des fonctions plus sophistiquées telles que la mémoire de travail, les fonctions exécutives ou encore l'intégration à haut niveau d'informations provenant de divers systèmes. Les deux approches théoriques les plus aptes à faire le lien entre les différents symptômes observés, la théorie du déficit cérébelleux et celle du déficit de traitement temporel ont en commun de pouvoir rendre compte de déficits à ces différents niveaux, à la différence de tous les autres modèles explicatifs, qui restent soit au niveau sensoriel (théorie magnocellulaire), soit au niveau cognitif (théorie phonologique, ou encore théorie du double déficit). Enfin, ces deux théories ont également en commun de prendre en considération de façon centrale deux aspects souvent négligés par les autres théories : la dimension temporelle et la dynamique d'apprentissage.
Or, il existe en neurosciences un modèle classique d'apprentissage qui donne précisément un rôle crucial à la dimension temporelle : le fameux modèle de la « synapse de Hebb ».

Modèle classique revisité : la synapse de Hebb

Selon la formulation initiale de Hebb (1949renvoi vers), lorsque deux neurones A et B sont en situation de proximité et que le neurone A décharge alors que B est activé, alors les liens réciproques entre A et B seront renforcés. À l'inverse, si A décharge alors que B est inactif, les liens entre les deux neurones sont inhibés. Transposé à la notion de synapse, ce phénomène, que Hebb appelait « apprentissage temporellement asymétrique », constitue un mécanisme puissant pour la prédiction liée à l'apprentissage, véritable instrument de détection de la différence temporelle entre les potentiels d'entrée et de sortie d'un neurone. Hebb faisait référence à l'existence de périodes réfractaires absolue et relative, suivant l'activation d'un neurone. Par la suite, il a été démontré que si la synapse d'entrée d'un neurone est activée légèrement avant que le neurone ne décharge, cette synapse est renforcée, si elle est activée légèrement après, elle s'en trouvera affaiblie (Sejnowski, 1999renvoi vers). On peut ainsi imaginer qu'un minime décalage temporel entre la mise en activité de neurones appartenant à un même groupement fonctionnel altère durablement la fonctionnalité de ce groupe de neurones, par exemple au niveau de la représentation articulatoire des phonèmes ou encore de leur représentation auditive (Tallal, 2004renvoi vers).
Ainsi, dans une étude de la représentation du phonème voisé [B] sur le cortex auditif gauche d'adultes dyslexiques encore sévèrement déficitaires, Giraud et coll. (2005renvoi vers) ont récemment montré que le potentiel évoqué auditif caractéristique de ce phonème était systématiquement altéré dans le sens d'une dégradation des relations temporelles entre les divers événements électrophysiologiques qui caractérisent au niveau cortical la perception du stimulus acoustique. Cette dégradation peut prendre plusieurs formes, soit une perte du signal de fin du stimulus, ce dernier se traduisant parfois de façon anarchique par le prolongement anormal de l'activité signalant la fin du stimulus, soit une abolition pure et simple de la portion de l'activité électrique spécifique au voisement, réalisant un aspect électrophysiologique ne permettant plus de distinguer le phonème voisé du non voisé (en l'occurrence le phonème /P/). Du point de vue anatomique, il a été démontré que les neurones spécifiques au voisement se situent chez le singe, et probablement chez l'homme, dans une portion spécifique du cortex auditif primaire, plus particulièrement dans la région antérieure et médiale du gyrus de Heschl (Steinschneider et coll., 2005renvoi vers), ce qui laisse penser que c'est probablement ces groupes de neurones qui dysfonctionnent lors de la perception du voisement chez le dyslexique. En définitive, tout se passe comme si le processus, probablement très précoce, qui mène à la ségrégation de groupes de neurones pour la fonction spécifique de perception du voisement, ne s'était pas déroulé de manière correcte sous l'influence du contact répété avec la langue maternelle, et que les différentes étapes constitutives du décodage du son, normalement sans doute génétiquement programmées, s'en trouvaient perturbées dans leur succession temporelle.
Si l'on se réfère à présent au modèle de la synapse de Hebb, on peut concevoir que lors de la mise en place des neurones spécifiques au voisement, un décalage temporel entre l'entrée et la sortie du système aurait perturbé la ségrégation des neurones « voisement-spécifiques » dans le sens soit d'une moindre spécificité (un plus grand nombre de neurones se mettent en activité lors de la perception d'une consonne voisée, et ce dans une fenêtre temporelle anormalement large), soit d'une moindre sensibilité aux caractéristiques temporelles du stimulus (les neurones en question ne se mettent pas plus en jeu lors de la perception du phonème voisé que non voisé).
En d'autres termes, une perturbation minime de la simultanéité d'activation des différents éléments cellulaires du système, en réduisant la force de leurs connexions réciproques, serait suffisante pour l'empêcher d'acquérir sa fonction de perception spécifique du voisement, simplement parce que cette dernière est, parmi les caractéristiques de la parole humaine, la plus dépendante de l'organisation temporelle du stimulus.
En appliquant un raisonnement similaire à la notion de transcodage grapho-phonémique, on peut imaginer que l'apprentissage si particulier de la mise en relation d'un nombre discret de graphèmes avec des éléments ou des groupes d'éléments sonores constitutifs de la langue orale, puisse être mis en péril si, lors de l'apprentissage, chacun des éléments est perçu de manière intacte, mais temporellement asynchrone. C'est du reste le raisonnement qu'ont tenu récemment Breznitz et Meyler (2003renvoi vers) dans une étude électrophysiologique très élégante dans laquelle ils comparent des enfants dyslexiques et normolecteurs sur des tâches de perception auditive (bips ou phonèmes), visuelle (flashs ou lettres) et intermodale (bips et flashs). Les tâches perceptives unimodales étaient construites selon le paradigme « odd-ball », avec une réponse par appui sur une touche pour le stimulus fréquent et sur une autre touche pour le stimulus rare. Pour les tâches intermodales, ils devaient appuyer sur une touche lorsque les deux stimuli survenaient simultanément, et sur une autre lorsqu'ils survenaient de façon séparée. Les résultats montrèrent d'une part une augmentation significative des latences des ondes P2 et P3 chez les dyslexiques dans les conditions unimodalitaires, mais d'autre part et surtout un allongement des latences P3 chez les dyslexiques pour la condition intermodale par rapport aux autres conditions. Bien que ces constatations méritent confirmation et que leur interprétation reste sujette à caution, elles n'en constituent pas moins une avancée significative dans la compréhension des mécanismes de transcodage visuo-phonologique chez le dyslexique.
L'acquisition des aptitudes mathématiques est également un domaine où la simultanéité de l'arrivée de deux informations différentes pourrait être indispensable à un apprentissage normal. Les travaux de neuro-imagerie consacrés à l'anatomie du calcul ont nettement montré l'implication séparée de deux modules bien distincts ; l'un fronto-temporal gauche, impliqué dans les aspects lexicaux, syntaxiques et sémantiques du code numérique, incluant la signification des principales opérations ; l'autre bi-pariétal, abritant des mécanismes spécifiques permettant d'aboutir à une représentation mentale des nombres sous forme de magnitude relative plutôt que d'une grandeur absolue. Une dernière représentation du nombre, sous forme écrite cette fois, fait appel aux modules inféro-temporaux impliqués dans la reconnaissance visuelle des mots. Selon ce « modèle du triple code » (Dehaene, 2001), après un apprentissage adéquat, le nombre va se trouver représenté sous trois formats différents : un verbal sous forme de mots et de stratégies opératoires ; un écrit, sous forme de chiffres arabes ; le dernier plus abstrait, sous forme de quantité, indispensable à l'acquisition de la notion de cardinalité, sans laquelle aucun réel accès au raisonnement mathématique n'est possible. Or, c'est précisément le problème de la majorité des dyscalculiques que de ne pouvoir établir de liens entre le nombre et la grandeur qu'il représente. Tout se passe comme si les nombres pouvaient être manipulés de façon plus ou moins efficiente dans leur abstraction, mais se trouvaient totalement déconnectés de leur représentation dans le réel.
Finalement, le modèle hebbien d'apprentissage permet d'effectuer la jonction entre les deux hypothèses détaillées dans ce chapitre et dans le chapitre sur la théorie cérebelleuse : en fournissant à la seconde une dimension temporelle et à la première une dynamique développementale. Les troubles de perception auditive ou visuelle, la dyschronie, voire le trouble phonologique ne seraient alors que des témoins d'un processus général dont une partie seulement des conséquences influe sur les apprentissages, et par là participe à l'incapacité.

En conclusion,

les changements que pourrait induire un tel renouveau dans les concepts pourraient être considérables, tant dans les orientations de la recherche fondamentale que dans les tendances thérapeutiques encore aujourd'hui trop empreintes d'empirisme voire de fatalisme. Comprendre, par exemple, comment et pourquoi une rééducation psychomotrice peut aider un enfant à mieux apprendre à lire, ce qui est loin d'être prouvé, n'admet probablement pas une réponse univoque, mais nécessite un effort collaboratif entre chercheurs, thérapeutes et pédagogues, autour de programmes de recherche concertés basés sur des hypothèses fortes et unificatrices.

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