Théories explicatives de la dyslexie

2007


ANALYSE

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Analyse critique des théories explicatives de la dyslexie

Quelle que soit la théorie envisagée, il découle très clairement de l'ensemble des études scientifiques que, une fois écartés tous les cas de « mauvais lecteurs » de diverses origines, la dyslexie a pour explication un déficit cognitif, qui a lui-même (nécessairement) une base cérébrale. Ce déficit est probablement congénital, d'origine largement génétique, avec toutefois des facteurs pré- et périnatals potentiellement impliqués dans un certain nombre de cas, et une large part d'interaction gènes-environnement. Toute théorie complète de la dyslexie se doit donc de décrire un enchaînement causal entre des facteurs génétiques et/ou pré-/périnatals, affectant certains aspects du développement cérébral, qui à leur tour peuvent expliquer l'apparition d'un déficit cognitif (en interaction avec des facteurs environnementaux), qui peut lui-même expliquer in fine le symptôme principal, à savoir une difficulté d'acquisition du langage écrit (figure 20.1Renvoi vers).
Figure 20.1 Cadre général pour décrire les théories de la dyslexie
Pour évaluer correctement les différentes théories de la dyslexie, il est tout d'abord utile de distinguer les facteurs proximaux des facteurs distaux. Les facteurs proximaux sont les déficits cognitifs qui peuvent être la cause immédiate du trouble d'apprentissage de la lecture. Les facteurs distaux sont des facteurs sous-jacents aux facteurs proximaux. Cette distinction est utile car certaines théories peuvent être correctes au niveau proximal, mais pas au niveau distal, et vice-versa.

Facteurs proximaux

Il n'existe que deux grandes catégories de facteurs (déficits) proximaux proposées pour expliquer la dyslexie : il s'agit des déficits de type phonologique et des déficits d'ordre visuel. Pour chacun de ces deux types de déficit cognitif, il existe plusieurs théories concernant les facteurs distaux.

Théorie phonologique

Comme nous l'avons vu dans le chapitre sur la théorie phonologique, l'hypothèse selon laquelle un déficit phonologique est à l'origine de la dyslexie est soutenue par de nombreuses données montrant que les enfants et adultes dyslexiques ont des difficultés dans de nombreuses tâches impliquant les représentations ou le traitement phonologique : conscience phonologique, mémoire verbale à court-terme, dénomination rapide (figure 20.2Renvoi vers).
Figure 20.2 Théorie phonologique
La principale critique adressée à la théorie phonologique est d'être circulaire dans le sens où la conscience phonologique est elle-même influencée par l'acquisition de la lecture. En effet, l'enseignement de la lecture attire l'attention de l'enfant sur les unités phonologiques, accroissant ainsi sa capacité à y accéder et à les utiliser consciemment. Par ailleurs, une fois que l'enfant a acquis des représentations alphabétiques et/ou orthographiques, il peut également s'en servir pour les tâches de conscience phonologique. Il n'est donc pas étonnant que des enfants mauvais lecteurs aient de moindres scores dans les épreuves de conscience phonologique, car cela peut aussi bien être la conséquence que la cause de leur retard d'acquisition de la lecture (Castles et Coltheart, 2004renvoi vers).
Cette critique a été prise très tôt au sérieux par de nombreuses équipes. Il est devenu tout à fait standard de comparer la performance des enfants dyslexiques non seulement à un groupe d'enfants de même âge, mais également à un groupe d'enfants de même niveau de lecture (et donc plus jeunes). Ainsi, si les déficits phonologiques des dyslexiques s'expliquaient uniquement par leur niveau de lecture, leurs scores dans des épreuves testant leurs capacités phonologiques devraient être similaires à ceux de normolecteurs plus jeunes qu'eux mais de même niveau de lecture. Or, il a maintenant été démontré à maintes reprises que les capacités phonologiques des enfants dyslexiques sont bien en deçà de celles des enfants de même niveau de lecture (Snowling, 2000renvoi vers). Leur déficit phonologique n'est donc pas seulement une conséquence de leur retard d'acquisition de la lecture, ce qui les distingue des mauvais lecteurs au sens large. Par ailleurs, les études longitudinales démarrant avant l'apprentissage de la lecture montrent que les enfants dyslexiques (tels que diagnostiqués quelques années plus tard) ont dès le départ des capacités phonologiques plus faibles que les enfants témoins, et que globalement les capacités phonologiques mesurées avant l'apprentissage de la lecture prédisent les performances ultérieures en lecture (Lundberg et coll., 1980renvoi vers ; Scarborough, 1990renvoi vers ; Snowling et coll., 2003renvoi vers ; Lyytinen et coll., 2004renvoi vers). Il y a donc des données empiriques solides à l'appui de l'existence d'un lien de cause à effet entre capacités phonologiques et acquisition de la lecture chez tous les enfants, et entre déficit phonologique et difficultés d'apprentissage de la lecture chez les enfants dyslexiques.
Une autre critique adressée à la théorie phonologique repose sur le fait que des enfants dyslexiques semblent ne pas avoir de déficit phonologique, et ne répondent pas à une rééducation orthophonique standard. Il paraît donc probable que la théorie phonologique ne peut prétendre à expliquer 100 % des cas de dyslexie.
Enfin, il est reproché à la théorie phonologique de ne pas pouvoir expliquer les autres symptômes fréquemment observés chez les dyslexiques (sensoriels, moteurs...). Ce point est abordé dans la partie « Théorie du déficit phonologique spécifique » de ce chapitre.
En résumé, il existe au sein de la communauté scientifique un très large consensus sur l'idée qu'un déficit cognitif de type phonologique est la cause directe de la plupart des cas de dyslexie. Les débats actuels portent essentiellement sur deux points :
• comment expliquer qu'il semble exister des cas de dyslexie non phonologique ? Cette question nous renvoie aux autres théories proximales de la dyslexie ;
• quelle est l'origine sous-jacente du déficit phonologique ? Cette question nous renvoie aux théories distales.

Théories visuelles

L'idée selon laquelle un déficit visuel subtil1 pourrait entraver l'apprentissage de la lecture est une idée très ancienne (Morgan, 1896renvoi vers ; Orton, 1937renvoi vers) et parfaitement plausible puisque la lecture repose entre autres sur la vision. Néanmoins, les données empiriques divergent. Plusieurs types d'hypothèses ont été proposés.

Instabilité binoculaire

John Stein a formulé l'hypothèse selon laquelle les dyslexiques souffriraient d'une instabilité binoculaire (mesurée par le test de Dunlop, 1972renvoi vers), de problèmes de convergence et de planification des saccades oculaires, qui induiraient des distorsions de la perception des mots, des mouvements apparents, une difficulté à se déplacer au sein du texte et une fatigue visuelle (Stein et Fowler, 1993renvoi vers ; Eden et coll., 1994renvoi vers) (voir figure 20.4Renvoi vers). Néanmoins, des études indépendantes n'ont pas confirmé la présence d'instabilité binoculaire chez les dyslexiques (De Luca et coll., 1999renvoi vers ; Hutzler et coll., 2006renvoi vers). Dans une étude qui a rapporté des différences de fixation entre dyslexiques et témoins, ces différences n'étaient pas présentes à l'âge de 7 ans mais se creusaient au cours des années (Fischer et Hartnegg, 2000renvoi vers). Il semble donc probable qu'elles provenaient plus de l'amélioration des capacités visuelles des témoins dûe à l'entraînement procuré par la lecture, qu'à un réel déficit des dyslexiques présent avant l'apprentissage de la lecture.
Un essai clinique contrôlé randomisé en double aveugle a néanmoins montré que l'instabilité binoculaire peut être partiellement corrigée par l'occlusion d'un œil pendant plusieurs mois (Stein et coll., 2000renvoi vers) ; cette occlusion peut améliorer significativement la lecture d'enfants à la fois dyslexiques et présentant une instabilité binoculaire. Aucune donnée ne permet de préciser la proportion d'enfants dyslexiques qui pourrait être concernée. La question de savoir si cette instabilité binoculaire est une cause de dyslexie ou un épiphénomène reste ouverte.

Troubles visuo-attentionnels

Il existe deux hypothèses concernant des troubles visuo-attentionnels : la mini héminégligence gauche et la réduction de l'empan visuo-attentionnel.
L'hypothèse de la « mini héminégligence gauche »2 repose sur les travaux de Ritta Hari (Hari et Renvall, 2001renvoi vers ; Hari et coll., 2001renvoi vers) en Finlande. Ces résultats ont été répliqués principalement en Italie par Facoetti (Facoetti et coll., 2000renvoi vers et 2001renvoi vers). D'autres résultats obtenus par des équipes indépendantes sont compatibles avec cette hypothèse (Eden et coll., 2003renvoi vers ; Becker et coll., 2005renvoi vers).
Comme pour tous les troubles sensorimoteurs, seule une partie de la population dyslexique semble affectée. Cette proportion semble particulièrement forte en Finlande et en Italie, ce qui pourrait s'expliquer par le fait que ces deux langues ont une orthographe extrêmement transparente. Or, on sait qu'une orthographe régulière rend le déficit phonologique moins handicapant, la plupart des dyslexiques dans ces pays réussissant à apprendre à lire sans aide particulière, et présentant comme symptôme principal une relative lenteur dans les tâches de lecture. En conséquence, dans les langues à orthographe régulière, le recrutement de personnes dyslexiques dans des écoles spécialisées et des services hospitaliers peut sérieusement biaiser le recrutement en faveur des cas les plus sévères, les plus comorbides avec d'autres troubles, et présentant peut-être des troubles autres que phonologiques.
Dans les études citées plus haut, les enfants qui présentent le trouble visuo-attentionnel ont typiquement aussi un déficit phonologique. On ne peut donc pas être certain que le trouble visuo-attentionnel contribue réellement au trouble d'apprentissage de la lecture, au-delà de la contribution du déficit phonologique. Une critique plus radicale encore est que le trouble visuo-attentionnel pourrait très bien être non pas la cause, mais la conséquence du trouble d'apprentissage de la lecture causé par un déficit phonologique. En effet, l'apprentissage de la lecture implique un entraînement intensif de certains aspects de l'attention visuelle : il n'est donc pas étonnant que des enfants qui ont moins lu ne présentent pas les mêmes performances d'attention visuelle. Il s'agit là d'une critique de « circularité » similaire à celle émise à l'encontre de la théorie phonologique. Mais dans le cas de la mini héminégligence gauche, d'une part, aucune étude longitudinale démarrant avant l'apprentissage de la lecture n'a pour l'instant établi que le trouble était présent chez les dyslexiques avant l'apprentissage, et était prédictif des problèmes de lecture. D'autre part, ces études sont pratiquement toutes basées sur des comparaisons avec des enfants de même âge, plutôt qu'appariés en âge de lecture (à l'exception de l'étude de Facoetti et coll., 2005renvoi vers). Les données à l'appui de cette théorie demandent donc à être complétées.
Des auteurs (Ans et coll., 1998renvoi vers ; Valdois et coll., 2003renvoi vers et 2004renvoi vers) ont proposé un autre type de déficit visuo-attentionnel pouvant être une cause de dyslexie : il s'agirait d'une taille réduite de l'empan visuo-attentionnel, mesuré par une tâche d'empan visuel de chaînes de lettres. Ils ont montré qu'une partie des enfants dyslexiques avaient de faibles performances dans cette tâche, et particulièrement des enfants ne présentant pas les signes habituels du déficit phonologique. Il est à noter que par ailleurs ces enfants ne semblent pas présenter de mini héminégligence gauche, ni de trouble de type magnocellulaire (Hawelka et Wimmer, 2005renvoi vers). En revanche, la question de savoir si ce trouble est la cause ou la conséquence du retard d'acquisition de la lecture se pose avec tout autant d'acuité que pour la mini héminégligence. Et ce d'autant plus que les tâches utilisées pour mesurer l'empan visuo-attentionnel nécessitent la reconnaissance de lettres (ou de chiffres ; Hawelka et coll., 2006renvoi vers), et sont donc potentiellement contaminées par l'acquisition de la lecture. De plus, ces tâches peuvent difficilement être utilisées avant l'apprentissage de la lecture, ce qui entrave la démonstration d'un lien causal prédictif. Des recherches sont en cours pour élaborer des tâches permettant de mesurer l'empan visuo-attentionnel sans recourir à des symboles dépendant des acquisitions scolaires. Des données supplémentaires sont donc nécessaires pour correctement évaluer cette théorie.
Pour conclure sur les troubles visuo-attentionnels, il est parfaitement plausible que ceux-ci expliquent les troubles de lecture d'une fraction (à déterminer) des enfants dyslexiques. Mais dans l'état actuel des connaissances, leur nature reste mal comprise et leur pouvoir explicatif n'est pas clairement établi.

Stress visuel

La théorie du stress visuel (Wilkins, 1995renvoi vers ; Wilkins et coll., 2004renvoi vers) n'est pas à proprement parler une théorie de la dyslexie. C'est une théorie de certains symptômes visuels qui touchent une partie de la population, pas nécessairement dyslexique, et qui peuvent créer une gêne notamment dans la lecture. Ces symptômes sont souvent appelés « syndrome de Meares-Irlen ». On peut considérer que la théorie du stress visuel est le pendant scientifique de la théorie non scientifique développée par Irlen (1991renvoi vers). D'après Wilkins, le stress visuel est dû à une excitabilité excessive de certaines parties du cortex visuel, qui réagissent à l'alternance de zones de faibles et de fortes luminances à une fréquence spatiale donnée. Le stress visuel n'est pas lié à des troubles magnocellulaires (Simmers et coll., 2001renvoi vers). Les symptômes vont de la simple gêne à la forte migraine, avec des aberrations visuelles (imprécision des contours, mouvement apparent). Un texte écrit, dont les lignes forment une alternance de bandes noires et blanches, peut ainsi déclencher le stress visuel chez certaines personnes, et donc entraver (en l'occurrence ralentir) la lecture.
Ainsi, le trouble de lecture engendré par le stress visuel diffère fondamentalement de la dyslexie par le fait qu'il se manifeste uniquement en présence de plusieurs lignes de texte, et par une difficulté à lire de manière fluide, plutôt qu'à décoder des mots isolés. Pour cette raison, Wilkins se garde bien de faire du stress visuel une théorie de la dyslexie, et indique seulement que dans certains cas les diagnostics peuvent être confondus. En particulier, lorsqu'on utilise une mesure de lecture sur l'ensemble d'un texte (comme le test de l'Alouette de Lefavrais, 1967renvoi vers), il peut arriver qu'une personne souffrant uniquement de stress visuel remplisse les critères diagnostiques de la dyslexie. De fait, White et coll. (2006arenvoi vers) ont trouvé qu'au sein d'un groupe de 23 enfants dyslexiques, 8 présentaient un stress visuel, dont 5 sans déficit phonologique apparent. Il se peut également qu'il y ait comorbidité entre dyslexie et stress visuel, ou que l'un soit un facteur aggravant de l'autre. C'est ce que suggère une étude montrant que les personnes souffrant de stress visuel ont des symptômes (spécifiquement de stress visuel) plus sévères s'ils sont également dyslexiques que dans le cas contraire (Singleton et Trotter, 2005renvoi vers).
Ainsi, dans l'état actuel des connaissances, le stress visuel peut être une cause de diagnostic de dyslexie, mais pas de la dyslexie elle-même. Au-delà des querelles de définition, un enfant souffrant d'un trouble de lecture a toujours besoin d'aide, que la cause soit un déficit phonologique ou un stress visuel. En revanche, la nature de l'aide à apporter peut être très différente, ce qui implique de bien distinguer les deux étiologies.

Facteurs distaux

Toutes les théories de la dyslexie tentent d'expliquer le trouble de lecture soit via le déficit phonologique, soit via un déficit visuel (soit les deux). En revanche, les facteurs sous-jacents à ces déficits proximaux ont donné lieu à une grande variété d'hypothèses distales.

Théorie du traitement auditif temporel

Comme expliqué dans le chapitre sur la théorie du traitement auditif temporel, la théorie de Paula Tallal postule que le déficit phonologique est secondaire à un trouble auditif plus fondamental, qui concernerait la perception des sons brefs et des transitions rapides, particulièrement importantes pour la perception de la parole (figure 20.3Renvoi vers). À l'appui de cette théorie, existe le fait qu'une certaine proportion de dyslexiques (peut-être 40 %) semblent présenter de légers problèmes auditifs. À l'encontre de la théorie, existe le fait que cette proportion est très insuffisante pour expliquer le trouble de l'ensemble des enfants avec un déficit phonologique. Par ailleurs, les troubles auditifs trouvés chez les enfants dyslexiques ne prédisent que très faiblement le déficit phonologique et les troubles de lecture (Ramus, 2003renvoi vers ; Rosen, 2003renvoi vers). Et leur nature est très débattue : si certains dyslexiques semblent vraiment avoir un problème dans la perception des sons brefs et des transitions rapides, la plupart des troubles auditifs observés chez les dyslexiques sont de nature différente et très variable (Rosen, 2003renvoi vers), ce qui atténue encore le lien causal présumé. Enfin, une étude de génétique comportementale sur des jumeaux dysphasiques et témoins indique que les troubles du traitement auditif temporel ne sont pas significativement héritables (Bishop et coll., 1999renvoi vers), ce qui est incompatible avec l'idée qu'ils pourraient être la cause du déficit phonologique qui, lui, est fortement héritable.
Néanmoins, le débat est encore loin d'être clos. À l'avenir, cette théorie pourrait être reconsidérée favorablement si des données nouvelles apparaissaient, notamment :
• des mesures plus sensibles du traitement auditif, qui démontreraient que les troubles auditifs sont beaucoup plus fréquents chez les dyslexiques que ce que l'on a pu l'observer jusqu'à présent ;
• des études longitudinales démarrant dès la naissance, qui pourraient révéler l'existence de troubles auditifs chez une grande proportion de futurs dyslexiques au cours de la première année de vie (au moment de l'acquisition phonologique).
Figure 20.3 Théorie du traitement auditif temporel
Pour l'instant, de telles données n'existent pas et il s'agit là de spéculations. Dans l'état actuel des connaissances, la théorie auditive temporelle ne peut donc pas être validée.

Théorie visuelle magnocellulaire

D'après John Stein, la cause sous-jacente des troubles d'instabilité binoculaire qu'il a observés serait un dysfonctionnement de la voie magnocellulaire du système visuel (Stein et Walsh, 1997renvoi vers) (figure 20.4Renvoi vers). L'hypothèse d'un dysfonctionnement magnocellulaire se base sur le fait que les dyslexiques ont, en moyenne, des performances moins bonnes sur un ensemble de tests visuels censés recruter spécifiquement la voie magnocellulaire (Lovegrove et coll., 1980renvoi vers), et sur l'observation d'anomalies cyto-architectoniques dans les couches magnocellulaires du corps genouillé latéral dans certains cerveaux de personnes dyslexiques (Livingstone et coll., 1991renvoi vers).
Les problèmes sont les suivants :
• seule une fraction (pas plus de 30 %) de dyslexiques semblent avoir des difficultés sur ces tests magnocellulaires (Ramus, 2003renvoi vers) ;
• le recrutement sélectif du système magnocellulaire par ces tests, ainsi que l'atteinte sélective de ce système chez les dyslexiques sont très contestés (Skottun, 2000renvoi vers). En effet, sur les 22 études passées en revue dans cette synthèse, quatre études mettent en évidence des déficits conformes aux prédictions de la théorie, onze mettent en évidence des déficits incompatibles avec la théorie, et les sept dernières ne trouvent aucune perte de sensibilité, quelle que soit la gamme de fréquence évaluée ;
• une étude de génétique comportementale n'a pas établi d'héritabilité significative pour une mesure de vision magnocellulaire, au sein de jumeaux atteints ou non de dyslexie (Olson et Datta, 2002renvoi vers). Dans la mesure où la dyslexie est, elle, fortement héritable, cela laisse peu de place à une explication magnocellulaire, sauf éventuellement à titre de facteur de risque additionnel d'origine environnementale expliquant une toute petite partie de la variance au-delà des facteurs génétiques ;
• aucun lien n'a été démontré entre l'atteinte magnocellulaire et les troubles visuels proximaux de type instabilité binoculaire. Notamment, on ne sait même pas si les dyslexiques qui échouent dans les tests magnocellulaires sont les mêmes que ceux qui ont une instabilité binoculaire, ces deux aspects ayant été testés dans des études différentes sur des populations différentes. Dans l'état actuel des connaissances, cette hypothèse doit donc être considérée comme spéculative.
Figure 20.4 Théorie visuelle magnocellulaire

Théorie cérebelleuse

D'après Nicolson et coll. (2001renvoi vers), un dysfonctionnement d'une partie du cervelet serait à l'origine des différents symptômes de la dyslexie. Ils envisagent deux liens de causalité entre le cervelet et les troubles de lecture (figure 20.5Renvoi vers) :
• le dysfonctionnement du cervelet serait responsable d'un trouble d'automatisation des tâches, qui affecterait en particulier l'automatisation de l'apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes et des autres processus cognitifs impliqués dans la lecture ;
• le dysfonctionnement du cervelet serait également responsable de troubles de motricité, affectant entre autres l'articulation des sons de la parole, et donc l'acquisition de la phonologie, d'où une explication possible du déficit phonologique. Les données à l'appui de cette théorie sont essentiellement le fait que les dyslexiques ont, en moyenne, des difficultés dans un certain nombre de tâches supposées impliquer le cervelet ; ce sont avant tout des tâches motrices.
Figure 20.5 Théorie cérébelleuse
Là encore, seule une partie (environ la moitié) des dyslexiques semblent présenter ces troubles moteurs. Les preuves de l'implication du cervelet dans ces troubles moteurs et dans la dyslexie en général restent très ténues (Nicolson et coll., 1999renvoi vers). Par ailleurs, beaucoup d'études n'ont pas trouvé de lien prédictif convaincant entre les performances dans les tâches dites cérébelleuses et le déficit phonologique ou la lecture (Wimmer et coll., 1999renvoi vers ; Raberger et Wimmer, 2003renvoi vers ; Ramus et coll., 2003arenvoi vers et brenvoi vers ; Stoodley et coll., 2005renvoi vers ; White et coll., 2006arenvoi vers). La seule chose que l'on puisse affirmer à l'heure actuelle est que certains dyslexiques ont des troubles moteurs, et certains ont peut-être aussi des troubles cérébelleux. Mais cette théorie, qui correspond à l'explication de la dyslexie, n'est pour l'instant pas suffisamment supportée par les données.

Théorie magnocellulaire générale

S'il est un résultat qui émerge clairement des nombreuses études expérimentales sur la dyslexie, c'est que les dyslexiques ont en moyenne de moins bonnes performances dans une large variété de tâches auditives, visuelles et motrices. Chacune des théories exposées ci-dessus semble insuffisante pour expliquer la dyslexie, mais peut-être une véritable explication de la dyslexie découlerait de la prise en compte de l'ensemble des symptômes, à la fois sensoriels et moteurs. C'est ce qu'a tenté John Stein avec la théorie magnocellulaire générale. Il s'agit d'une extrapolation de la théorie magnocellulaire visuelle aux autres voies sensorielles. Ainsi, Stein postule qu'un dysfonctionnement généralisé des magnocellules thalamiques engendre en particulier des troubles visuels et des troubles auditifs, et donc secondairement une instabilité binoculaire et un déficit phonologique. Stein postule de plus que le dysfonctionnement magnocellulaire se prolonge dans le cortex pariétal postérieur puis le cervelet, expliquant ainsi potentiellement les troubles visuo-attentionnels et moteurs. La théorie magnocellulaire générale est donc un amalgame particulièrement audacieux de toutes les autres théories, pouvant potentiellement expliquer tous les symptômes connus de la dyslexie à partir d'un unique dysfonctionnement biologique (Stein et Walsh, 1997renvoi vers ; Stein, 2001renvoi vers). Là où chaque théorie sensorielle ou motrice, prise séparément, échoue, la théorie magnocellulaire générale, en considérant simultanément plusieurs explications sensorimotrices distinctes de la dyslexie, pourrait effectivement parvenir à expliquer tous les cas de dyslexie (figure 20.6Renvoi vers).
Figure 20.6 Théorie magnocellulaire générale
Pourtant, cette prédiction n'est pas confirmée par les données empiriques. Même dans les quelques études qui ont évalué au sein des mêmes individus l'ensemble des déficits auditifs, visuels et moteurs/cérébelleux possibles, la prévalence de ces troubles sensorimoteurs est insuffisante pour expliquer la plupart des cas de dyslexie (Kronbichler et coll., 2002renvoi vers ; Ramus et coll., 2003brenvoi vers ; Stoodley et Stein, 2004renvoi vers ; White et coll., 2006arenvoi vers). Plus généralement, les critiques qui s'appliquent aux théories individuelles s'appliquent a fortiori à la théorie magnocellulaire générale : notamment, le fait que les troubles sensoriels et moteurs ne prédisent que très peu ou pas le déficit phonologique et le trouble de lecture, en particulier une fois soustraites les corrélations partielles dues au QI (Ramus, 2003renvoi vers ; Rosen, 2003renvoi vers ; Hulslander et coll., 2004renvoi vers ; White et coll., 2006arenvoi vers).
Compte tenu qu'il existe un grand nombre d'enfants dyslexiques qui présentent un déficit phonologique sans aucun trouble sensoriel ou moteur observable, les troubles sensorimoteurs (de type magnocellulaire ou non) ne semblent pas nécessaires pour expliquer leur trouble de lecture. Ils ne semblent également pas être suffisants, comme le suggère une étude récente montrant que certains enfants ayant des troubles sensorimoteurs, sur le spectre autistique, similaires aux dyslexiques peuvent néanmoins lire parfaitement (White et coll., 2006brenvoi vers). Il y a donc double dissociation entre troubles sensorimoteurs/magnocellulaires et dyslexie.

Théorie du déficit phonologique spécifique

Contrairement à toutes les théories précédemment évoquées, la théorie du déficit phonologique spécifique ne postule aucun facteur distal au niveau cognitif ou sensoriel : le déficit phonologique serait la seule cause de la dyslexie au niveau cognitif (Snowling, 2000renvoi vers ; Ramus, 2003renvoi vers ; Vellutino et coll., 2004renvoi vers ; Shaywitz et Shaywitz, 2005renvoi vers). Bien entendu, cela n'implique pas que le déficit phonologique n'a pas de facteur distal sous-jacent. Comme tout déficit cognitif, le déficit phonologique doit avoir une base cérébrale. En l'occurrence, il s'agirait d'un ensemble de malformations corticales au niveau des aires périsylviennes gauches, qui sont justement impliquées dans le traitement phonologique et la lecture. L'hypothèse d'un dysfonctionnement de ces aires est supportée par de nombreuses données d'imagerie cérébrale fonctionnelle (Shaywitz et Shaywitz, 2005renvoi vers), d'imagerie cérébrale structurale (Eckert, 2004renvoi vers), ainsi que par quelques études de dissection post-mortem (Galaburda et coll., 1985renvoi vers).
La difficulté pour cette théorie est que par elle-même elle n'explique pas la présence incontestable chez une partie des dyslexiques d'un « syndrome sensorimoteur » composé de divers troubles auditifs, visuels et/ou moteurs. Pour la théorie du déficit phonologique spécifique, ce syndrome sensorimoteur est une simple comorbidité, associée à la dyslexie mais sans lien causal réel avec les troubles de lecture. L'existence même de cette comorbidité reste à expliquer. Cependant, un modèle neurobiologique a récemment été proposé pour combler ce vide (Ramus, 2004renvoi vers) (figure 20.7Renvoi vers). Une revue complète de la neurobiologie de la dyslexie montre que l'ensemble des données existantes sont compatibles (sans exclusivité) avec l'hypothèse d'un déficit phonologique spécifique, causé par des anomalies de la migration neuronale localisées dans les aires périsylviennes gauches. Les données génétiques récentes, montrant que des gènes associés à la dyslexie sont justement impliqués dans la migration neuronale, renforcent cette hypothèse. Par ailleurs, ce modèle explique la présence d'un syndrome sensorimoteur associé par le jeu additionnel de facteurs hormonaux fœtaux, présents au cours du développement de certains dyslexiques seulement. Bien que de nombreuses données soient manquantes pour valider ce modèle, il permet néanmoins de montrer que l'hypothèse d'un déficit phonologique est biologiquement plausible. Malgré tout, il est peu probable que cette hypothèse puisse expliquer la totalité des cas de dyslexie.
Figure 20.7 Théorie intégrative

Apport théorique des différents traitements

Une théorie de la dyslexie qui explique ce déficit par un trouble sous-jacent permet d'avancer l'hypothèse qu'une intervention sur ce trouble (plutôt que sur les symptômes les plus superficiels) pourrait entraîner une amélioration des symptômes. Si c'est le cas, cela suggère un lien de cause à effet entre le trouble en question et les performances en lecture, et renforce la plausibilité de la théorie. Pour cette raison, les essais cliniques sont considérés comme des tests importants des théories de la dyslexie, et en effet toutes les théories analysées ci-dessus ont fait l'objet d'essais cliniques intervenant sur les troubles présumés sous-jacents. Les résultats de ces expériences sont détaillés dans le chapitre sur les traitements.
Ceci étant, les résultats des essais cliniques ne sont pas nécessairement simples à interpréter d'un point de vue théorique. Dans le cas d'un résultat négatif (absence d'effet du traitement testé), on ne peut pas toujours conclure à l'absence de lien entre le trouble sous-jacent et la dyslexie. Même lorsqu'un lien réel existe, un essai clinique pourrait donner un résultat négatif pour diverses raisons :
• les modalités pratiques du traitement ou sa mise en œuvre spécifiquement dans telle étude ou sur telles personnes peuvent être inefficaces ;
• dans le cas où le trouble sous-jacent n'expliquerait qu'une partie des cas de dyslexie, la sous-population qui pourrait potentiellement bénéficier du traitement aurait pu être mal (ou pas) sélectionnée, diluant ainsi l'effet statistique du traitement ;
• plus fondamentalement, il pourrait arriver (pour des raisons neurophysiologiques) que le trouble sous-jacent n'est simplement pas remédiable. Même s'il est remédiable, il se pourrait que, passée la période critique d'acquisition du langage, l'amélioration du trouble sous-jacent ne se transfère pas aux symptômes de la dyslexie.
On voit donc comment un essai clinique négatif pourrait être interprété à tort comme invalidant une théorie.
Par ailleurs, l'observation d'un résultat positif (effet significatif du traitement testé) doit aussi souvent être prise avec de grandes précautions. En effet, de nombreux biais expérimentaux peuvent produire des résultats positifs qui ne reflètent pas pour autant des liens de causalité directe.
En premier lieu bien sûr, l'effet placebo peut produire des effets positifs sans aucun lien avec le trouble visé. Ceci impose de comparer les performances d'un groupe expérimental à celles d'un groupe témoin soumis à un entraînement placebo. De plus, il est recommandé que la répartition dans les deux groupes soit aléatoire, et que les sujets et les expérimentateurs ne soient pas informés de leur groupe d'appartenance. C'est la procédure classique de l'essai clinique contrôlé randomisé en double aveugle. Malheureusement, beaucoup d'essais cliniques de traitements présumés de la dyslexie ne respectent pas totalement ce standard incontournable de la recherche médicale.
Deuxièmement, il existe des cas pour lesquels un traitement peut avoir un effet positif, mais non spécifique, et par conséquent ne démontrant rien sur la théorie causale sous-jacente. Par exemple, on pourrait imaginer qu'un traitement de la dyslexie par la pratique du sport puisse avoir un effet positif. Le sport est bon pour tous les enfants ; si la pratique d'un sport permet à certains enfants dyslexiques de se sentir mieux dans leur peau, cela pourrait éventuellement avoir un effet indirect sur leurs résultats scolaires, et pourrait conduire à l'observation d'un effet positif dans un essai clinique comparant un groupe pratiquant un sport à un groupe n'en pratiquant pas. Mais il n'y aurait pas lieu d'en déduire la validité d'une « théorie sportive de la dyslexie », selon laquelle la cause de la dyslexie serait un manque d'activité physique.
Troisièmement, un traitement peut avoir un effet positif sur la lecture sans pour autant agir sur une cause de la dyslexie. Cela peut être le cas si une conséquence du trouble de lecture (par exemple, un trouble d'oculo-motricité, trouble anxieux ou dépressif) a pour effet d'accentuer le trouble de la lecture. Agir sur ces troubles secondaires pourrait diminuer leurs effets sur la lecture, sans pour autant que l'on puisse en conclure qu'ils étaient la cause initiale du trouble de lecture.
Enfin, la probabilité d'observer de tels effets indirects est accentuée par la présence de troubles associés à la dyslexie au sein de la population testée. Par exemple, si l'on teste la théorie cérébelleuse de la dyslexie en évaluant l'effet d'une rééducation de la motricité, et que les enfants dyslexiques participant à l'essai clinique sont sélectionnés de telle manière à ce qu'ils présentent tous un trouble moteur. Dans la mesure où le traitement proposé améliore réellement la motricité, cela peut effectivement considérablement améliorer la vie des enfants, avec des effets indirects possibles sur la confiance en soi, la motivation et les résultats scolaires. Mais cela ne permet pas d'affirmer que l'entraînement moteur a eu un effet réel sur la cause de leur dyslexie. De même, si l'on teste l'efficacité d'un traitement visant à renforcer la concentration et les capacités attentionnelles sur une population d'enfants dyslexiques qui présentent une comorbidité avec le trouble déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH), on peut observer un effet positif du traitement, mais qui ne permet pas de valider une « théorie attentionnelle » de la dyslexie.
On voit donc que les effets positifs obtenus dans les essais cliniques sont d'interprétation très délicate, et que de nombreuses conditions méthodologiques doivent être réunies pour pouvoir en tirer des conclusions théoriques.
Concrètement, les essais cliniques menés sur la dyslexie conduisent à certaines conclusions. Les seuls traitements pour la dyslexie dont l'efficacité (en moyenne) a été scientifiquement prouvée sont :
• un certain nombre de rééducations de la lecture et des capacités phonologiques (par exemple, Torgesen et coll., 2001renvoi vers ; Habib et coll., 2002renvoi vers) ;
• certaines rééducations visuelles, notamment l'utilisation de transparents de couleur pour le stress visuel (Bouldoukian et coll., 2002renvoi vers), l'occlusion d'un œil pour l'instabilité binoculaire (Stein et coll., 2000renvoi vers), et une rééducation visuo-attentionnelle pour la mini héminégligence gauche (Facoetti et coll., 2003renvoi vers). Néanmoins, aucun de ces résultats n'a pour l'instant été répliqué.
Il va de soi que chacun de ces traitements a été testé chez des enfants qui souffrent effectivement du déficit correspondant (évalué avant traitement), et ne peut être préconisé que pour ceux-ci, en aucun cas aveuglément pour tous les enfants dyslexiques. D'un point de vue théorique, les résultats de ces essais cliniques renforcent la validité de la théorie phonologique pour une majorité d'enfants dyslexiques, et la validité de certaines théories visuelles pour un petit nombre d'enfants dyslexiques. Plus précisément, la validité de l'hypothèse d'un trouble d'instabilité binoculaire chez certains enfants dyslexiques est renforcée par l'essai clinique (mais la prévalence de ce trouble reste à établir). En revanche, la validité de la théorie magnocellulaire visuelle ne l'est pas, car aucun lien n'a été montré entre l'occlusion d'un œil et le système magnocellulaire. Par ailleurs, les essais cliniques portant sur des rééducations auditives ou motrices/cérébelleuses n'ont pas donné de résultats convaincants, la plupart du temps en raison de failles méthodologiques évoquées ci-dessus. On ne peut donc pas tirer de conclusions de ces essais sur la validité des théories auditive, cérébelleuse et magnocellulaire.
Enfin, il est important de préciser qu'aucune méthode de rééducation n'est efficace chez tous les enfants dyslexiques, ce qui souligne encore une fois la probable diversité des facteurs et donc le fait qu'il y a de la place pour plus d'une théorie.

En conclusion,

il existe une grande diversité de théories explicatives de la dyslexie. Cette diversité est due à plusieurs facteurs.
Il existe sans doute plusieurs causes distinctes de la dyslexie, et donc plus d'une théorie pourrait être correcte, chacune pour un sous-ensemble de la population dyslexique.
La dyslexie est complexe, incluant de nombreux symptômes autres que la lecture, notamment phonologiques, auditifs, visuels, spatiaux, moteurs et autres. Chacun de ces symptômes a donné lieu à des spéculations théoriques.
La dyslexie est fréquemment comorbide avec d'autres troubles développementaux (dysphasie, dyspraxie, troubles d'attention...). Dans les études de groupes, des symptômes d'autres troubles développementaux peuvent ainsi sembler liés à la dyslexie, engendrant de nouvelles hypothèses théoriques.
Cette grande diversité de symptômes associés à la dyslexie ne facilite pas l'identification des causes réelles par rapport aux simples comorbidités. Néanmoins, à l'issue d'un très grand nombre d'études, il ressort clairement que :
• une majorité d'enfants dyslexiques souffrent d'un déficit cognitif spécifique à la représentation et au traitement des sons de la parole : c'est ce que l'on appelle le déficit phonologique. Ce déficit entrave l'apprentissage, la maîtrise, et l'automatisation de l'usage des relations graphèmes-phonèmes, et par suite l'ensemble de l'apprentissage de la lecture (y compris la voie orthographique, ce qui explique que la plupart des dyslexiques ne se classent pas aisément entre « dyslexie phonologique » et « dyslexie de surface ») ;
• un certain nombre d'enfants dyslexiques semblent présenter des troubles de nature visuelle, à l'exclusion de tout déficit phonologique. Il pourrait même exister plusieurs sous-types de dyslexies visuelles. Cependant, les recherches empiriques dans ce domaine sont pour l'instant insuffisantes et n'ont pas conduit à des théories suffisamment abouties et validées.
Au niveau des facteurs neurobiologiques de ces déficits cognitifs, les hypothèses de trouble du traitement temporel, de dysfonctionnements magnocellulaire et cérébelleux n'ont pas apporté suffisamment de preuves de leur validité. Néanmoins, les données neurobiologiques restent suffisamment éparses pour que la question reste largement ouverte. L'hypothèse qui semble la plus prometteuse actuellement est celle de dysfonctionnements de la migration neuronale affectant précocement la formation de certaines aires du cortex, notamment les aires périsylviennes gauches (dans le cas de la dyslexie avec déficit phonologique). Cette hypothèse, quoiqu'ancienne et basée sur des données limitées, a en effet été très récemment confortée par les nouvelles données issues de la génétique.
Pour conclure, on peut proposer un scénario de l'étiologie de la dyslexie (phonologique), non définitif mais compatible avec l'ensemble des données passées en revue dans la littérature scientifique : l'origine ultime de la dyslexie réside dans un certain nombre d'allèles de susceptibilité sur de multiples gènes. Ces allèles, agissant seuls ou en combinaison, augmentent le risque de perturbation de la migration neuronale dans les aires périsylviennes gauches, lors du développement fœtal du cerveau. Ces anomalies de la migration neuronale perturbent subtilement le fonctionnement du cortex avoisinant, et la connectivité avec d'autres aires corticales. Lorsqu'elles sont situées spécifiquement dans les aires périsylviennes gauches normalement impliquées dans la représentation et le traitement des sons de la parole (la « phonologie »), elles entraînent un déficit cognitif dont les principales manifestations sont une faible conscience phonologique, une faible mémoire verbale à court terme, et une lenteur dans la récupération des représentations phonologiques. Ce déficit cognitif n'a en général aucune influence notable sur l'acquisition du langage oral (sauf en cas de très grande sévérité ou de troubles de langage additionnels). En revanche, il se révèle pleinement lors de l'acquisition du langage écrit, qui recrute de manière particulièrement intense ces capacités phonologiques. Enfin, les symptômes observés en lecture sont le produit à la fois de ces facteurs cérébraux et cognitifs, et de nombreux facteurs environnementaux parmi lesquels la richesse de l'environnement linguistique (qui influence notamment le vocabulaire), la régularité du système orthographique, la méthode d'enseignement de la lecture, et bien d'autres facteurs.

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