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Med Sci (Paris). 36(11): 980–983.
doi: 10.1051/medsci/2020178.

La protéine neuronale Arc : une capside de rétrotransposon recyclée pour des fonctions clés dans les synapses

Olivier Albagli1* and Hélène Pelczar1

1Inserm U1016, CNRS UMR8104, Institut Cochin, Groupe hospitalier Cochin-Port-Royal, bâtiment Cassini , 123 boulevard de Port-Royal , 75014Paris , France .
2UFR927 Sciences de la vie, Sorbonne Université , 4 Place Jussieu , 75005Paris , France .
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Protéines de capside, Protéines du cytosquelette, Humains, Protéines de tissu nerveux, Plasticité neuronale, Neurones, Rétroéléments, Synapses, physiologie, génétique, métabolisme

 

Les génomes des vertébrés contiennent un grand nombre de rétrovirus endogènes, vestiges d’infections de cellules germinales d’un ancêtre de l’hôte par des rétrovirus. Au cours de l’évolution, les rétrovirus endogènes ont très souvent (mais pas toujours) perdu leur capacité infectieuse et se transmettent donc surtout verticalement [ 1 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de F.J. Kim et al. , m/s n° 10, octobre 2004, page 876

Les génomes eucaryotes présentent aussi de nombreuses séquences dérivées de rétrotransposons à LTR ( long terminal repeat ), éléments mobiles étroitement apparentés aux rétrovirus. Les rétrotransposons à LTR possèdent des gènes gag et pol 1, comme les rétrovirus, mais sont généralement dépourvus de gène d’enveloppe env [1, 2]. Leur cycle est donc principalement intracellulaire. Néanmoins, la limite est parfois floue puisque certains rétrovirus endogènes ont perdu leur gène env , tandis que certains rétrotransposons à LTR en ont capturé un [ 1 ]. Pour ces deux rétro-éléments, nous utiliserons ici l’adjectif « rétroviral ». Comme les rétrovirus, les rétrotransposons à LTR forment des capsides permettant la protection et le trafic de leur génome pendant leur réplication. Parmi les rétrotransposons à LTR, ceux de la famille Ty3/ gypsy ( metaviridae 2 ) sont les plus proches des rétrovirus, et probablement leurs ancêtres [ 2 ].

Le gène Arc 3, est rapidement induit par l’activité neuronale, ce qui a permis son identification et lui a valu ses deux noms ( activity-regulated cytoskeleton-associated protein ou Arg3.1 , activation-regulated gene ). Chez les rongeurs, Arc joue un rôle clé dans différentes formes de plasticité synaptique 4 [ 3 - 6 ]. Arc est ainsi indispensable pour le remodelage du cortex visuel consécutif à une occlusion mono-oculaire, ou dans la consolidation de la mémoire. Dans des situations d’apprentissage, l’induction de Arc permet d’identifier les neurones de l’hippocampe et du néocortex impliqués dans le traitement de l’information et la mémorisation [ 3 , 7 ]. L’ARN messager (ARNm) Arc est transporté dans les dendrites, et la protéine s’accumule dans les synapses activées. Arc est nécessaire pour l’endocytose des récepteurs du glutamate de type AMPAR 5, ou la polymérisation de l’actine, deux processus impliqués dans différentes formes de plasticité synaptique [ 3 - 7 ]. Néanmoins, comme la séquence d’acides aminés de Arc ne présente pas de similitude claire avec celle d’autres protéines cellulaires, l’origine de Arc et les bases moléculaires de ses activités sont longtemps demeurées énigmatiques.

Les réponses à ces questions ont été apportées par des études montrant que des homologues de Arc existent bel et bien… parmi les protéines rétrovirales. Arc présente en effet, dans sa moitié C-terminale, une structure bilobée similaire à celle de la portion CA (capside) des protéines Gag rétrovirales, les plus proches étant celles des rétrotransposons Ty3/ gypsy ( Figure 1 ) [ 2 , 4 - 8 ]. Cette ressemblance révèle l’origine de Arc et suggère son mode de fonctionnement moléculaire. La portion CA fournit, après clivage du précurseur polypeptidique Gag, les protéines de la capside rétrovirale. De façon similaire, les protéines Arc de rat recombinantes purifiées ou surexprimées dans des cellules eucaryotes s’assemblent in vitro en structures multimériques d’environ 32 nm ressemblant à des capsides rétrovirales [ 9 ]. De plus, à la fois Arc endogène dans les neurones et Arc purifiée forment un complexe avec l’ARNm Arc , rappelant l’association entre Gag et l’ARN génomique rétroviral. Cette association protège l’ARNm Arc et facilite la formation des capsides, deux effets également observés dans l’assemblage des rétrovirus [ 9 ]. De façon encore plus remarquable, Arc peut convoyer « son » ARNm d’une cellule à l’autre. En effet, les dendrites de neurones dépourvus du gène Arc deviennent positives pour l’ARNm et la protéine Arc lorsque ces neurones sont exposés à des capsides Arc produites par des bactéries et purifiées. Ce résultat est aussi observé lorsque les neurones receveurs sont exposés à des vésicules extracellulaires de neurones primaires qui contiennent naturellement Arc [ 9 ]. Le transfert intercellulaire implique la formation de capsides chargées dans les neurones donneurs, leur relargage dans les vésicules extracellulaires, et leur endocytose dépendante de la clathrine dans les neurones receveurs ( Figure 2 ) [ 9 ]. L’activité neuronale stimule le relargage des capsides chargées par les neurones donneurs et la traduction de l’ARNm transféré dans les neurones receveurs [ 9 ]. Les capsides Arc chargées reproduisent donc deux propriétés (rétro)virales : la capacité à sortir d’une cellule et celle d’entrer dans une autre cellule. Comme dans le cas d’une infection (rétro)virale, ces deux étapes permettent le transfert intercellulaire d’une protéine et d’une information génétique codant cette protéine. Dans le cas des capsides Arc, les mécanismes de ce transfert restent cependant à éclaircir ( Figure 2 ) [ 5 , 9 ].

Des résultats proches ont été obtenus avec la protéine dArc1 de la mouche drosophile ( Drosophila melanogaster ) ( Figure 1 ) [ 10 ]. En effet, dArc1 dérive de la région Gag d’un rétrotransposon Ty3/ gypsy et forme des capsides capables de s’associer à l’ARNm darc1 et de sortir des cellules via des vésicules extracellulaires. In vivo , ces capsides chargées sont transférées des motoneurones vers le muscle à la jonction neuromusculaire. Ce transfert trans-synaptique unidirectionnel concentre dArc1 dans le compartiment post-synaptique de la fibre musculaire, et apparaît nécessaire à la plasticité de la synapse neuro-musculaire [ 10 ].

En résumé, Arc et dArc1 ont conservé de leur origine la propriété de former des particules capables de transférer leur ARNm d’une cellule à l’autre, propriété utilisée par l’hôte pour servir ses propres fonctions. Arc et dArc1 rejoignent donc la liste croissante des reliques rétrovirales « domestiquées 6, » au cours de l’évolution. Pour Arc/dArc1, comme pour les autres exemples, la domestication concerne un seul composant rétroviral, séquence régulatrice ou protéine [ 2 , 4 - 12 ] ( ).

(→) Voir les Synthèses de A. Dupressoir et T. Heidmann, m/s n° 2, février 2011, page 163, et de V. Adoue et O. Joffre, m/s n° 3, mars 2020, page 253

La particularité remarquable du cas de Arc/dArc1 est que la domestication d’un seul composant s’accompagne du recyclage d’une partie du cycle rétroviral ( Figure 2 ) .

Quelles autres propriétés de Gag ont-elles pu être recyclées dans Arc ? Arc régule l’endocytose des récepteurs AMPAR en interagissant avec leurs partenaires, la machinerie d’endocytose et le cytosquelette. Le domaine N-terminal de la région CA de Arc (CANt, Figure 1 ) s’associe avec des partenaires des AMPAR et des régulateurs du cytosquelette. Si l’interaction avec le cytosquelette est possiblement une propriété ancestrale de Gag, l’association avec les partenaires des AMPAR est spécifique de Arc [ 6 , 7 ]. Le domaine N-terminal de la région CA de Arc a donc été refaçonné par l’évolution pour servir les fonctions de l’hôte. Il constitue une cible potentielle pour des molécules destinées à traiter les désordres neurologiques peut-être liés à une suractivité de Arc [ 6 , 7 ]. La régulation des AMPAR dépend aussi de la moitié N-terminale de Arc qui présente quelques similitudes avec la portion MA (matrice) de Gag des rétrovirus [ 4 , 6 ] ( Figure 1 ) : cette région pourrait avoir conservé la fonction de ciblage membranaire de MA, et acquis une capacité à interagir avec la machinerie d’endocytose au cours de la domestication [ 6 ]. Toutefois l’origine de cette région, absente dans dArc1, reste incertaine [ 7 , 8 ].

L’histoire des gènes Arc est d’ailleurs intrigante puisque, malgré leurs ressemblances structurales et fonctionnelles, Arc et darc1 ne dérivent pas d’un ancêtre commun mais résultent, chez les tétrapodes et chez les mouches 7, , de deux domestications indépendantes de deux lignages distincts de rétrotransposons Ty3/ gypsy [ 5 , 7 - 10 ]. Une telle convergence évolutive a été rapportée pour la domestication d’autres protéines rétrovirales [ 5 , 11 ]. Ce scénario évolutif se traduit par l’absence de gène Arc identifiable chez de nombreuses espèces animales, poissons ou insectes distincts des mouches par exemple [ 7 , 9 , 10 ]. Comment ces espèces se passent-elles de Arc ? Ont-elles domestiqué d’autres protéines Gag pour réaliser des fonctions similaires ?

D’autres questions importantes demeurent, par exemple, la diversité exacte des ARN chargés par les capsides Arc et dArc1 [ 5 ]. Les capsides Arc produites en bactérie sont capables de charger n’importe quel ARN fortement exprimé. In vivo, il est donc probable qu’elles s’associent préférentiellement avec les ARN les plus représentés dans les dendrites, parmi lesquels l’ARNm Arc [ 9 ]. Les capsides dArc1 se montrent, quant à elles, plus sélectives puisque l’encapsidation in vivo dépend de la partie 3’ non traduite de l’ARNm darc1 [ 10 ]. Il serait intéressant de savoir si la séquence ou la longueur de cette partie 3’ non traduite est le paramètre déterminant, et si la sélectivité implique la région C-terminale de dArc1, absente dans Arc, et ressemblant à la région NC (nucléocapside) des protéines Gag rétrovirales ( Figure 1 ) [ 7 - 10 ]. Par ailleurs, si le transfert intercellulaire des particules dArc1 est clair, celui des particules Arc reste à établir formellement. L’existence d’un transfert intercellulaire de Arc est en effet déduite d’expériences utilisant des particules purifiées ou des vésicules extracellulaires, mais n’a pas encore été directement montrée entre deux neurones [ 9 ]. De plus, l’absence de Arc dans les terminaisons axonales suggère que Arc sert la communication entre dendrites, plutôt qu’entre neurones. Cette communication permettrait la propagation des modifications fonctionnelles contrôlées par Arc dans les dendrites [ 3 , 10 ]. Si le transfert intercellulaire de Arc était confirmé, il pourrait s’accompagner de la transmission d’états transcriptionnels entre neurones [ 13 ]. De tels phénomènes pourraient aider à comprendre le rôle de Arc dans la mémorisation [ 13 ], et pourraient même avoir une portée plus générale s’il s’avère que d’autres protéines Gag ont été domestiquées pour un usage similaire dans d’autres types cellulaires [ 5 , 8 - 10 ].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient le Dr Cédric Feschotte pour sa relecture du manuscrit et ses suggestions et corrections.

 
Footnotes
1 Qui, entre autres protéines, codent respectivement les protéines de la capside et la transcriptase inverse.
2 La famille des metaviridae Ty3/ gypsy comporte trois genres : les métavirus, tels que le rétrotransposon Ty3 de la levure Saccharomyces cerevisiae , qui ne possèdent pas de gène env ; les errantivirus, tels que le rétrotransposon gypsy de la mouche drosophile, qui possèdent un gène env ; et les chromovirus, présents chez de nombreux eucaryotes, qui possèdent un chromodomaine dans l’intégrase.
3 Arc désigne ici le gène unique et très conservé des tétrapodes, et darc1 désigne l’un des deux gènes présents chez la drosophile. L’ensemble des expériences décrites ici pour Arc ont été réalisées avec la protéine de rongeurs et des cellules de rongeurs ou des cellules humaines.
4 Modification persistante de l’efficacité d’une synapse en fonction de son activité.
5 Activés par le alpha-amino-3-hydroxy-5-méthylisoazol-4-propionate (AMPA).
6 On parle de domestication, d’exaptation ou de co-option.
7 Au sens de trois familles : Drosophilidae , Muscidae , et Tephritidae .
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