Un seul virus, le SARS-CoV-2, a plongé le monde entier dans un désastre sanitaire, socioéconomique et politique, dont les effets à moyen et long termes risquent d’être terribles, un virus respiratoire qui bénéficie pour sa dissémination d’une mortalité directe très faible (environ 0,3 à 0,8 % suivant les groupes, mais nettement plus élevée chez les personnes âgées et celles atteintes de maladies chroniques, en particulier le diabète) et d’une contagiosité très forte ; cette contagiosité semble s’être amplifiée depuis le début de l’épidémie à la faveur de certaines mutations [ 1 ], mais sans qu’un effet sur sa sévérité soit actuellement démontré. De plus, au-delà des chiffres décrivant la mortalité directe, l’impact sanitaire global (incluant les défauts de prise en charge des autres maladies) sera certainement très important ; enfin, on oublie souvent de prendre en compte la sévérité d’une infection qui conduit beaucoup de personnes, y compris jeunes, en réanimation et qui laisse des traces persistantes (environ 30-40 % des personnes infectées gardent, trois mois après la guérison, un épuisement, des troubles respiratoires ou la perte de l’odorat et du gout). De façon plus générale, la COVID-19 illustre malheureusement très bien le fait que les maladies infectieuses et en particulier virales restent et resteront une menace constante pour l’homme.
Les questions majeures concernant notre défaut de préparation, les enjeux de la coordination des grandes institutions internationales et en particulier la nécessité de replacer une Organisation mondiale de la Santé (OMS) réformée et soutenue par les états membres au centre de cette coordination ont été parfaitement analysés dans un éditorial récent de Michel Kazatchkine pour m édecine /sciences . Il faut en particulier souligner que l’absence de « scénario », au sens militaire du terme, anticipant l’ensemble de l’impact d’une pandémie virale avec ses conséquences psychologiques, sociales et économiques et politiques s’est fait cruellement sentir.
Dans ce contexte, je souhaiterais insister sur les points suivants :
- L’importance du diagnostic pour le contrôle des maladies infectieuses est globalement sous-estimée et nous devons définir des approches beaucoup plus rapides et efficaces pour faire bénéficier la population des progrès techniques en ce domaine.
Les tests diagnostiques jouent un rôle clef dans le contrôle de toute maladie infectieuse ; ce point est particulièrement important pour la COVID-19, car nous devrons vivre avec ce virus pendant de longs mois et complètement repenser, malgré de réels progrès sur les traitements et les vaccins, notre organisation, tant professionnelle que familiale et personnelle ; le diagnostic sera un élément essentiel pour le suivi de l’infection, dans les écoles, les lieux de travail, restaurants etc. et donc un appui majeur à une politique de santé publique visant à prendre en compte à la fois la santé et l’impact économique des mesures sanitaires. Or le progrès technique est remarquable dans ce domaine, mais on ne peut qu’être frappé par la dissociation entre ces progrès majeurs et la lenteur de leur mise en application à la population, et ce, en France, mais également aux États-Unis et, en fait, au niveau mondial. A titre d’exemple, un congrès récent du Global Virus Network 1 a permis de bien comprendre comment des tests rapides, antigéniques, mais également moléculaires, étaient déjà disponibles qui auront un impact considérable pour contenir l’infection ; de nouvelles approches fondées sur le séquençage rapide ou le « pooling » (tests initiaux effectués sur des prélèvements poolés) sont développées. De plus, les techniques de prélèvement doivent être mieux adaptées au besoin d’un criblage rapide ; comment peut-on encore uniquement travailler avec des prélèvements nasopharyngés, si désagréables et donc impossibles à répéter de façon fréquente (pas seulement chez les enfants) et qui engendrent parfois des résultats faussement négatifs, du fait de l’hétérogénéité des techniques de prélèvements [ 2 ] ? Et ce, alors que le prélèvement salivaire, effectué dans des conditions bien contrôlées nous en sommes d’accord, permet d’établir une vraie stratégie de dépistage rapide, massif, et répété (compensant des pertes éventuelles de sensibilité) ? Enfin, l’explosion du domaine des applications digitales autorise une approche complètement nouvelle du suivi de l’infection (au-delà du traçage lui-même), avec des applications véritablement ludiques et didactiques pour les enfants et adultes. Le contrôle des pandémies passera en grande partie par notre capacité de surveiller quasi en temps réel la contamination, d’informer et d’éduquer. Utopie ? Rêve ? Non, et c’est à nous de développer ces outils. Il faut valider les tests de façon soigneuse, nous le savons tous, mais cette validation ne peut rester purement nationale ; nous devons réfléchir à de nouvelles approches pour le développement rapide, la coopération entre institutions académiques et industriels, ainsi que l’homologation de nouveaux tests ; nous ne pouvons évidemment pas anticiper la réalisation d’un test si nous ne savons pas quel virus nous recherchons, mais nous pouvons anticiper les problèmes techniques et de développement auxquels nous allons être confrontés. Tirons parti des efforts actuels sur les vaccins : les États-Unis ont investi de façon massive dans le soutien au développement de nouveaux vaccins contre le SARS-CoV-2 ; l’agence BARDA 2, joue un rôle très important dans ce soutien, non seulement par le montant des sommes en jeu, mais également par les interactions entre académiques et industriels que cette agence favorise. Plusieurs états, dont la France, ont d’ores et déjà « sécurisé » par des engagements financiers auprès de plusieurs compagnies pharmaceutiques l’accès à des vaccins, alors que ceux-ci sont seulement encore en développement. Par ailleurs, la « Coalition for Epidemic Preparedness and Innovation » (CEPI) 3 , créée en 2015 à l’occasion de la crise due au virus Ebola, qui réunit les institutions académiques, les industriels, les gouvernements, l’OMS et des grandes fondations ( Bill and Melinda Gates Foundation , Wellcome Trust ), joue également un rôle très important dans l’accélération de la préparation de stocks de vaccins. Inspirons-nous de ces investissements et initiatives pour être beaucoup plus efficaces pour le diagnostic.
- Il est impératif de renforcer la formation et le recrutement des virologistes.
Il est vraiment frappant de constater, non seulement en France mais également aux États-Unis et, en fait, dans la plupart des pays, que l’importance de la formation et du recrutement d’une nouvelle génération de virologues a été sous-évaluée, reflétant de facto une sous-estimation de l’impact des maladies infectieuses. De fait, alors que de nombreux scientifiques ont des compétences remarquables en virologie moléculaire, nous manquons de virologues qui aient à la fois une réelle formation en virologie « classique », incluant bien entendu la culture de virus, et une approche inter- et transdisciplinaire de la recherche dans ce domaine. De nombreuses institutions ont mis en place des programmes de qualité ; il ne s’agit pas seulement de formation mais également de tutorat et du suivi des étudiants dans leur parcours, en partenariat avec les industriels. Nous devons renforcer les investissements dans ce domaine, en organisant des enseignements réellement adaptés, au-delà des mots « politiquement corrects », transdisciplinaires ; nous devons également nous donner les moyens de les recruter…
La COVID-19 souligne la nécessité d’une réelle collaboration scientifique internationale et indépendante, ce qui implique de nouvelles modalités d’organisation de la recherche.
Les organismes de recherche, agences, universités et hôpitaux jouent à l’évidence un rôle essentiel dans la recherche, en général et en particulier sur les maladies virales. Par ailleurs, comme souligné dans l’éditorial de Michel Kazatchkine, l’OMS peut et doit jouer un rôle central dans la coordination des efforts en matière de lutte contre les pandémies virales ; sa réorganisation est donc un élément essentiel d’amélioration. Reste que nous devons être réalistes et réfléchir à deux éléments qui doivent renforcer les activités de ces institutions ; tout d’abord, et c’est un point général en recherche, mais particulièrement sensible au cours d’une crise sanitaire, nous devons favoriser une prise de risque et une réactivité qui vont au-delà de ce que des modalités d’évaluation « classiques » peuvent réaliser ; force m’a été malheureusement donnée de constater au sein du Global Virus Network combien d’idées réellement innovantes, qui ont vu le jour sur la COVID-19, ont été véritablement « étouffées » par les institutions nationales. Des appels d’offres internationaux doivent cibler des projets à risque, évalués essentiellement en fonction de la qualité des proposants ; les « Grand Challenges » de la Bill and Melinda Gates Foundation et du Wellcome Trust vont dans cette direction, mais restent insuffisants. Par ailleurs, les réseaux de recherche sont des compléments essentiels au fonctionnement de ces institutions ; fonctionnant de façon souple, évitant de placer les scientifiques dans des positions « institutionnelles » lourdes, ne revendiquant aucun retour sur la propriété intellectuelle, réellement centrés sur les échanges et la collaboration, ils sont des appuis essentiels pour garantir une réactivité à des crises sanitaires et, au-delà, s’inscrivent dans les actuels changements profonds des modes de communication et d’interaction entre individus avec les réseaux sociaux. Plusieurs réseaux existent déjà ; le réseau GOARN 4 créé par l’OMS est également un réel progrès, mais son fonctionnement ne peut, pour des raisons évidentes liées à la taille et au fonctionnement de l’OMS, remplir la même mission. Le concept de réseau de recherche doit donc être mieux reconnu, en en garantissant un fonctionnement indépendant par un soutien associant les différents partenaires privés et publics ; remarquablement, la National Science Foundation (NSF) aux États-Unis a récemment lancé un appel d’offres pour des « networks of networks » (« méta-réseaux »), soulignant à la fois l’importance de ce mode d’organisation, ainsi que leur besoin de coordination.
Utopies ? Non. Il est clair que nous ne faisons pas seulement face à une grave crise sanitaire, il s’agit d’un changement d’époque ; l’annonce récente par les compagnies Pfizer et BioNTech de la capacité de protection contre la COVID-19 apportée par un vaccin « ARN » est une nouvelle remarquable ; il n’en reste pas moins que nous devons tirer les conséquences de cette crise et nous adapter, dans le cadre de collaborations internationales, à une pandémie qui va durer et au risque fort de nouvelles pandémies à venir.