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Med Sci (Paris). 37(3): 258–264.
doi: 10.1051/medsci/2021011.

Méthylation de l’ADN mitochondrial
Controverses, enjeux et perspectives

Émélie Leroux,1 Cindy Brosseau,1 Bernard Angers,1 Annie Angers,1 and Sophie Breton1*

1Département de sciences biologiques, Université de Montréal, Campus MIL, Faculté des Arts et des Sciences, CP 6128, Succursale Centre-Ville , Montréal QC , H3C 3J7 , Canada
Corresponding author.
 

Vignette (© Manuel Rojo)

Épigénétique, méthylation de l’ADN et expression des gènes

L’épigénétique réfère aux mécanismes permettant la modification de l’expression des gènes sans en altérer la séquence nucléotidique (ADN) [ 1 ]. Ces mécanismes peuvent ainsi produire tout un éventail de variations phénotypiques, même au sein d’organismes clonaux [ 1 , 2 ]. Ils incluent notamment la modification des histones par l’ajout d’un groupement méthyle ou acétyle à leur extrémité N-terminale, les ARN non codants (courtes séquences d’ARN complémentaires aux ARN messagers tels les microARN et les ARN interférents), ainsi que la méthylation de l’ADN, correspondant à l’ajout d’un groupement méthyle (-CH 3 ) sur certaines bases nucléiques (les cytosines et les adénines) par différentes ADN méthyltransférases [ 1 ].

La méthylation de l’ADN est le mécanisme épigénétique le plus étudié. Chez les mammifères, y compris l’homme, les études ont montré que la méthylation de l’ADN nucléaire (ADNn) concerne majoritairement une cytosine (au niveau de son cinquième carbone donnant une 5-méthylcytosine ou 5mC) qui précède une guanine. Une telle séquence dinucléotidique, nommée CpG, peut se retrouver en grande quantité dans certaines régions de l’ADN, formant alors des îlots CpG (ou CGI : CpG island ) [ 3 ]. La méthylation n’est pas uniforme sur tout le génome : elle est retrouvée surtout au niveau des promoteurs de gènes [ 3 ]. La méthylation du promoteur réprime l’expression du gène associé, par exemple en empêchant la liaison des facteurs de transcription. C’est donc un mécanisme d’une grande importance dans le maintien de l’intégrité et de la stabilité du génome dont la perturbation peut entraîner de graves conséquences [ 1 , 3 , 4 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de M. Weber, m/s n° 8-9, août-septembre 2008, page 731

Des changements dans le patron de méthylation du génome humain sont ainsi responsables d’un grand nombre de maladies résultant, par exemple, de la prolifération de cellules cancéreuses, d’altérations chromosomiques, et de problèmes développementaux [ 1 , 3 , 4 ].

L’épigénétique mitochondriale, un niveau supplémentaire de régulation

Deux compartiments cellulaires peuvent potentiellement être soumis à une régulation épigénétique chez les mammifères : le noyau, qui contient la majeure partie du génome, et les mitochondries, qui disposent quant à elles d’un petit ADN. La mitochondrie est un organite principalement impliqué dans le métabolisme énergétique en assurant l’approvisionnement d’ATP à la cellule par la phosphorylation oxydative [ 5 ]. Outre son rôle dans la production d’énergie, elle est également impliquée dans plusieurs processus cellulaires, incluant la signalisation, la sénescence et l’apoptose [ 5 ].

L’ADN mitochondrial (ADNmt) est un vestige bactérien : l’origine des mitochondries découle de l’endosymbiose d’une α-protéobactérie au sein d’une cellule hôte primitive [ 6 ]. Au cours d’une évolution de près de 2 milliards d’années, plusieurs gènes de la bactérie primitive ont été transférés au génome nucléaire de la cellule, et plusieurs autres ont été supprimés [ 6 ]. L’ADNmt est donc un génome circulaire, mais de taille réduite comparativement à celui de leurs ancêtres bactériens, qui peut compter plus d’un million de paires de bases (pb) [ 7 ]. L’ADNmt des humains, et des animaux en général, ne compte en effet qu’environ 16 000 pb et possède un répertoire fonctionnel limité à 37 gènes permettant la transcription de 22 ARN de transfert (ARNt), la traduction de 13 protéines et de 2 ARN ribosomaux (ARNr 12S et 16S) [ 8 ]. Mais cette vision est actuellement remise en question [ 9 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de A. Angers et al. , m/s n° 1, janvier 2019, page 46

Certaines autres caractéristiques de cet ADNmt sont notables, comme par exemple, une transmission strictement maternelle, à l’exception de certains bivalves [ 10 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de S. Breton et H. Doucet Beaupré, m/s n° 12, décembre 2007, page 1038

Les mécanismes épigénétiques régissant le génome mitochondrial sont encore peu connus. Chez les bactéries, au contraire, la méthylation de l’ADN comme mécanisme épigénétique est bien documentée. Elle a été initialement découverte en tant que mécanisme de défense, pour restreindre l’afflux d’ADN étranger provenant par exemple des bactériophages [ 11 ].

Aujourd’hui, on sait que chez la bactérie, la méthylation s’effectue principalement au niveau des adénines, mais aussi des cytosines dans un contexte non-CpG, et qu’elle joue un rôle dans l’expression de gènes dont certains peuvent affecter sa pathogénicité [ 11 ]. La méthyltransférase CcrM, commune chez les α-protéobactéries, marque ainsi l’adénine de la séquence G A nTC retrouvée à proximité des promoteurs [ 12 ]. La méthylation de cette séquence régule l’expression de gènes impliqués dans le métabolisme de l’ADN et la division cellulaire [ 11 , 12 ]. Les méthyltransférases sont également importantes dans la réplication du génome de la bactérie, et donc sa prolifération. Par exemple, une surproduction de CcrM chez Brucella abortus diminue sa prolifération dans le macrophage et, par conséquent, modifie son pouvoir pathogène [ 11 , 13 ].

Dans l’ADNn des eucaryotes, la méthylation des cytosines des CpG est la plus fréquente [ 14 ]. Chez l’homme, on retrouve au minimum un promoteur pour chaque gène, et 60 % de ces promoteurs sont constitués d’îlots CGI [ 4 , 15 ]. On classe d’ailleurs les promoteurs selon leur densité en CpG : ceux qui en sont pauvres (LCG : low CpG ) et ceux qui en sont riches (HCG : high CpG ) [ 16 , 17 ]. L’ADNmt, quant à lui, ne dispose que de trois régions promotrices dépourvues de CGI, chacune permettant la transcription simultanée de plusieurs gènes (transcrits polycistroniques). Deux de ces promoteurs, HSP1 et HSP2 ( heavy-strand promotor 1/2 ), se situent sur son brin lourd, alors que le troisième, LSP ( light-strand promotor ), se situe sur son brin léger 1 [ 18 ]. LSP permet la transcription de 8 ARNt et du gène codant la protéine ND6 ( NADH dehydrogenase subunit 6 ), alors que HSP1 permet la transcription des 2 ARNr, et HSP2, de 14 ARNt et des 12 autres gènes codant les protéines. Les trois promoteurs se retrouvent au sein ou à proximité de la région de contrôle D-loop ( displacement loop ) [ 19 ]. Ces agencements confèrent donc des patrons de méthylation très différents entre les génomes mitochondrial et nucléaire, le taux de méthylation étant beaucoup plus variable en fonction de la localisation dans l’ADNn [ 4 ]. De façon générale, la méthylation dans l’ADNn se fait plus rarement sur les CGI des régions promotrices des gènes les plus transcrits. Ainsi, les promoteurs de gènes de maintien sont généralement hypométhylés, tandis que ceux de gènes associés à des types cellulaires particuliers sont généralement hyperméthylés dans les tissus où leur expression est limitée [ 16 , 17 ]. Au niveau de l’ADNmt, la méthylation se retrouve répartie plus uniformément, mais son taux est généralement légèrement plus élevé dans la D-loop , suggérant qu’elle pourrait influencer le niveau de la transcription [ 20 - 22 ]. De plus, comme chez les bactéries, la méthylation dans l’ADNmt n’est pas restreinte aux séquences CpG [ 20 ]. Cette dernière particularité est une pièce importante du puzzle pour expliquer la controverse entourant l’existence et l’importance de la méthylation dans les mitochondries.

Un historique controversé

La méthylation de l’ADNmt est débattue depuis près de cinquante ans [ 18 , 23 - 25 ]. Elle a été proposée pour la première fois dans une étude portant sur les cellules embryonnaires d’un poisson, où une activité des méthyltransférases dans les mitochondries a été démontrée [ 26 ]. Peu après, Nass [ 27 ] a décelé la présence de 5mC au sein de l’ADNmt et l’activité d’ADN méthyltransférases dans les mitochondries de souris et de hamster. Par la suite, Vanyushin et Kirnos [ 28 ] ont détecté la présence de 5mC dans l’ADNmt de cellules cardiaques de bœuf. Cependant, Dawid [ 29 ] et Cummings et al. [ 30 ] n’ont trouvé aucune trace de méthylation dans l’ADNmt de grenouille et de paramécie. Toutes ces études précoces reposaient sur la chromatographie sur couche mince. En utilisant un traitement par des enzymes de restriction ciblant les sites de méthylation (MSRE : methylation-sensitive restriction enzymes ), Groot et Kroon [ 31 ] n’ont observé aucune méthylation dans un contexte CpG dans l’ADNmt du rat et du veau, tandis que Shmookler et Goldstein [ 32 ] ont rapporté des taux de méthylation variant entre 2 et 5 % dans l’ADNmt de fibroblastes humains.

Un défi méthodologique

La présence de méthylation dans l’ADNmt est donc toujours sujet à débat, même s’il a été clairement démontré que des ADN méthyltransférases, telles que DNMT1, DNMT3A et DNMT3B ( DNA methyltransferases 1, 3A et 3B), ainsi que les enzymes de déméthylation TET1 et TET2 ( ten-eleven Translocation 1 et 2 ) , sont présentes et fonctionnelles dans les mitochondries [ 20 , 33 - 35 ]. Il semble que cette controverse puisse en partie être attribuée à des considérations méthodologiques. En effet, bien que plusieurs méthodes permettent d’estimer le taux de méthylation dans l’ADN, seul le traitement au bisulfite de sodium, suivi du séquençage de l’ADN 2 , permettent de déterminer précisément la position des cytosines méthylées ( Tableau I ) . Au cours de ce traitement, les cytosines non méthylées subissent une désamination qui les transforme en uraciles. Ces dernières seront ensuite remplacées par des thymines à la suite de l’amplification par PCR ( polymerase chain reaction ). Les cytosines méthylées ne sont pas affectées par ce traitement ; elles demeurent donc des cytosines. Il est alors possible de relever la position de chacune de ces cytosines méthylées, en comparant la séquence résultant du traitement à celle d’origine [ 24 , 25 ].

Or, plusieurs difficultés se posent lorsque ce traitement est appliqué à l’ADNmt, et des résultats très variables ont été obtenus. Des taux appréciables de méthylation dans l’ADNmt (supérieurs à 10 %) ont d’abord été rapportés dans plusieurs études [ 20 , 22 ], puis, encore une fois, remis en question par d’autres études montrant des taux négligeables (moins de 1 %), équivalents au bruit de fond [ 21 , 36 - 38 ].

Il semble qu’un premier écueil technique soit l’incapacité de séparer correctement l’ADNmt de l’ADNn. L’ADN nucléaire contient en effet de nombreux segments d’origine mitochondriale pouvant être confondus avec ceux de l’ADNmt [ 37 , 39 ]. Ces segments, appelés NUMT ( nuclear mitochondrial DNA ), proviennent de l’intégration de segments d’ADNmt dans l’ADNn, un processus survenu plusieurs fois au cours de l’évolution. Par exemple, l’ADNn de l’homme contient plus de 755 NUMT, allant de 39 pb à la quasi-totalité de l’ADNmt [ 39 ]. Les séquences NUMT méthylées pourraient donc conduire à une surestimation du taux de méthylation de l’ADNmt si la séparation des deux génomes n’est pas adéquate [ 37 ].

Une surestimation des taux de méthylation de l’ADNmt pourrait également être causée par sa structure circulaire compacte [ 21 , 36 ]. Compte tenu de ses origines bactériennes, il n’est pas surprenant que l’organisation de l’ADNmt soit similaire à celle de l’ADN bactérien. Le génome bactérien est compacté 10 4 fois pour former le nucléoïde bactérien [ 40 ]. De la même manière, l’ADNmt est extrêmement compacté et organisé en complexes ADN-protéines [ 18 , 25 ]. Pour maintenir sa compaction, l’ADNmt forme des structures secondaires qui peuvent faire obstacle au traitement par le bisulfite de sodium. Les cytosines inaccessibles ne pourront alors être converties en uraciles, et seront interprétées comme des cytosines méthylées (5mC) à la lecture de la séquence du génome, entraînant une surestimation de la méthylation. Liu et al . [ 21 ] ont ainsi démontré une différence entre les taux de méthylation du génome circulaire séquencé par BS, dont les valeurs rapportées atteignaient 5 %, et celui du génome linéarisé à l’aide d’enzymes de restriction avant le traitement au bisulfite de sodium, qui correspond à moins de 2 %. Dans le même ordre d’idée, il a été suggéré qu’un traitement au phénol-chloroforme devrait être effectué avant d’initier le traitement au bisulfite de sodium afin d’éliminer toutes les protéines encore liées à l’ADNmt, comme les facteurs de transcription ou les enzymes de restriction, qui pourraient empêcher le traitement d’atteindre chaque cytosine [ 35 , 38 ].

Une méthodologie récemment optimisée

La méthylation de l’ADNmt est-elle un phénomène réel ? Selon une publication récente [ 34 ], la plupart des études WGBS se sont concentrées uniquement sur les CpG, et elles n’ont pas porté sur l’analyse de chacun des brins de l’ADNmt, car elles étaient fondées sur l’hypothèse que les positions méthylées le sont sur les deux brins à la fois. Or, plusieurs études ont rapporté une méthylation dans un contexte non-CpG prédominante dans l’ADNmt. De plus, il faut souligner qu’il existe une différence majeure dans les taux de méthylation selon le brin analysé, les taux moyens étant beaucoup plus élevés sur le brin léger que sur le brin lourd [ 20 , 22 , 34, 35 ]. Selon Dou et al. [ 34 ], les taux négligeables de méthylation qui ont été rapportés pourraient s’expliquer par l’absence de prise en considération des cytosines hors-CpG, et par le fait que la couverture de séquençage était généralement beaucoup plus élevée sur le brin lourd qui est faiblement méthylé. Chez l’homme, le nombre de cytosines sur le brin léger est plus du double que celui du brin lourd. Comme la plupart des gènes codant les protéines (12 sur 13) utilisent le brin léger comme matrice pour leur transcription, la régulation de ce brin par la méthylation pourrait être liée à la régulation de l’expression des gènes de l’ADNmt [ 34 ].

Ainsi, en ré-analysant les données WGBS d’études précédentes, Dou et al. [ 34 ] ont confirmé que l’ADNmt est fortement biaisé en faveur de la méthylation non-CpG du brin léger, avec des pics de méthylation conservés (supérieurs à 10 % de méthylation) aux frontières « gène-gène », ainsi que des patrons de méthylation conservés chez différentes espèces et à différentes étapes de développement au sein d’une espèce. Des résultats similaires, obtenus avec la même approche méthodologique et analytique, ont été présentés dans deux autres études récentes indépendantes [ 35 , 41 ]. Cette méthodologie optimisée est présentée dans la Figure 1 . Elle a permis de démontrer des taux appréciables de méthylation de l’ADNmt (plus de 10 %) dans un contexte non-CpG et CpG dans l’ADNmt d’oocytes et de blastocystes de bovin [ 41 ] et de cellules humaines [ 35 ], avec des patrons de méthylation conservés chez certains types cellulaires.

Méthylation de l’ADNmt, exposition environnementale, vieillissement et maladies

Plusieurs études récentes ont rapporté une corrélation significative entre la méthylation de l’ADNmt, le vieillissement, certaines maladies, telles que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, et l’exposition environnementale ( Figure 2 ) [ 18 , 23 -25, 42 ]. Par exemple, les polluants chimiques, les particules en suspension (ou PM pour particulate matter ), les métaux, la consommation de certaines drogues et médicaments, et la nutrition pourraient avoir des répercussions sur la méthylation de l’ADNmt [ 23 , 25 , 42 ]. Byun et al . [ 43 ] ont étudié les effets de polluants atmosphériques sur la méthylation de trois régions de l’ADNmt (ARNt phénylalanine, ARNr 12S et D-loop ) de cellules sanguines chez trois groupes de travailleurs exposés soit à des PM (d’un diamètre inférieur à 1 µm), soit au benzène, soit encore à des éléments de carbone, et les ont comparés à un groupe contrôle. Les résultats ont montré que les individus exposés aux PM présentaient un taux de méthylation plus élevé que le groupe contrôle, au niveau des régions ARNt phénylalanine et ARNr 12S, ce qui n’était pas le cas pour l’exposition au benzène ou au carbone. Aucune variation n’a toutefois été constatée dans tous les groupes au niveau de la D-loop . Ainsi, selon les auteurs, les types de polluants n’auraient pas tous les mêmes effets sur la méthylation de l’ADNmt [ 43 ].

D’autres études ont montré que le taux de méthylation était plus élevé dans les régions D-loop et ARNr 12S de cellules placentaires de femmes qui faisaient usage de tabac, comparativement à celles qui n’en consommaient pas [ 44 ]. En ce qui concerne la nutrition, une étude réalisée sur des truies a démontré qu’une supplémentation en bétaïne 3 durant la période de gestation engendrait non seulement un excès de bétaïne dans le plasma des porcelets, mais aussi une hypométhylation au niveau de la D-loop [ 45 ].

Bien que plusieurs études aient démontré une certaine association entre la méthylation de l’ADNmt, l’environnement, le vieillissement et certaines maladies, les auteurs arrivent tous à une même conclusion : un changement peut être constaté dans les niveaux et patrons de méthylation, mais le mécanisme demeure inconnu. Autrement dit, la question demeure de savoir pourquoi ces modifications ont lieu, et comment elles peuvent se produire [ 42 ].

Méthylation de l’ADNmt et expression génique

La méthylation de l’ADNmt a-t-elle, tout comme la méthylation de l’ADNn et de l’ADN bactérien, un effet sur l’expression des gènes ? En 2011, Shock et al. [ 33 ] ont suggéré cette possibilité après avoir observé que l’ADN méthyltransférase DNMT1 se liait à la D-loop , et que sa surexpression réprimait la transcription de gènes cibles. En 2017, van der Wijst et al. [ 46 ] ont poursuivi dans la même voie en induisant la méthylation de l’ADNmt par l’utilisation de deux types d’ADN méthyltransférases, l’une ciblant les CpG et l’autre les GpC. Les auteurs ont noté que la méthylation au niveau des CpG n’avait aucun impact sur l’expression des gènes cibles dans les cellules C33A (une lignée cellulaire de carcinome cervical) et HCT116 (une lignée de cellules de cancer colorectal), alors que celle au niveau des GpC était associée à une diminution de leur expression dans les deux types de cellules. Cependant, les conséquences exactes de cette diminution demeuraient nébuleuses puisque les activités mitochondriale et cellulaire ne semblaient pas affectées [ 46 ].

Plus récemment, deux études se sont également intéressées au lien entre la méthylation de l’ADNmt et l’expression des gènes. Dou et al. [ 34 ] ont regardé les effets de la délétion ( knockout ) du gène codant la DNMT3A ainsi que ceux de sa surexpression. La surexpression de la DNMT3A a causé une hausse de la méthylation de l’ADNmt, une diminution de l’abondance des transcrits (et une hausse du nombre de copies d’ADNmt) et, en raison de la baisse de l’expression de certains de ses gènes, le taux de consommation d’oxygène de la mitochondrie a aussi diminué. Des effets inverses ont été observés quand une délétion du gène codant la DNMT3A avait été effectuée, quoique les chercheurs aient constaté une perturbation des patrons de méthylation, sans effet sur le taux global de méthylation ( Figure 2 ) . Patil et al. [ 35 ] ont, de leur côté, remarqué que, dans les cellules où la DNMT3B avait été inactivée (par knock-down ), le taux de méthylation de la D-loop avait chuté, entraînant une hausse de l’expression des gènes correspondant à la région promotrice mise en jeu ( Figure 2 ) . Les mitochondries étant très réactives aux modifications de l’environnement cellulaire ou tissulaire, Patil et al. [ 35 ] ont suggéré également la possibilité d’une régulation transcriptionnelle fine, transitoire et spécifique de gènes, par la méthylation afin de répondre à la demande en énergie des cellules. Cette hypothèse a été confortée par l’observation que les gènes d’une certaine région promotrice de la D-loop ne sont pas tous affectés de la même manière en l’absence de DNMT3B [ 35 ] (voir aussi Figure 2 ), suggérant l’existence d’une régulation spécifique de gène. Cette observation est aussi appuyée par l’étude de Sirard [ 41 ], qui a rapporté une association entre un faible taux de méthylation au sein de certains gènes (COX1 [ cytochrome c oxydase 1 ], CYB [ cytochrome b ] et ND1 [ NADH dehydrogenase 1 ]) et leur expression plus élevée, et, qu’à l’inverse, un taux élevé de 5mC au sein d’autres gènes (ATP [ ATP synthase ] 6/8, ND2/3/5/6) était associé à leur faible expression.

Enfin, bien que les recherches sur la méthylation de l’ADNmt portent majoritairement sur les cytosines, il est plausible que celle des adénines soit autant, sinon plus importante. La présence de N6-méthyldésoxyadénosine (6mA) a récemment été rapportée par Koh et al . [ 47 ], qui ont démontré, chez l’homme, que le taux de méthylation des adénines dans l’ADNmt est beaucoup plus élevé qu’au sein de l’ADNn, et que la déméthylation des adénines est à l’origine d’une baisse de production d’ATP. Une autre étude [ 48 ] a montré qu’au sein d’une même cellule, le taux de 6mA est au moins 1 300 fois plus élevé dans l’ADNmt que dans l’ADNn, et que l’activité de la méthyltransférase associée, METTL4 ( methyltransferase-like 4 ), peut diminuer la transcription et le nombre de copies de l’ADNmt.

Conclusion

Malgré les résultats récents sur la méthylation de l’ADNmt, son rôle et ses effets demeurent toujours largement incompris. La mitochondrie ayant un rôle primordial dans la production de l’énergie cellulaire, la méthylation de son génome pourrait être un mécanisme supplémentaire et complémentaire permettant aux organismes de répondre rapidement à des changements environnementaux. Les connaissances sur la relation que peut avoir la méthylation de l’ADNmt avec l’environnement et l’expression des gènes pourraient bénéficier à plusieurs domaines, dont la santé humaine. Plusieurs études récentes ont montré qu’il y avait une association entre certains cancers ou certaines maladies et des taux de méthylation anormaux de l’ADNmt [ 24 ]. Un certain contrôle de ce processus pourrait potentiellement ouvrir des voies thérapeutiques pour le traitement de maladies liées aux dysfonctions des mitochondries.

Cela dit, les études sur la méthylation de l’ADNmt d’organismes autres que les mammifères sont encore peu nombreuses. Par exemple, Bartelli et al . [ 49 ] ont montré que la méthylation de l’ADNmt chez la levure Candida albicans pourrait jouer un rôle dans son adaptation et sa pathogénicité. Ayant maintenant défini une méthodologie optimale pour l’étude de la méthylation du génome mitochondrial, une meilleure compréhension du phénomène révélera encore davantage le lien entre la mitochondrie et l’environnement.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Financements

Ce travail a été soutenu par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) sous la forme d’une bourse attribuée à EL et à CB, et de subventions de découverte à SB, BA et AA. SB est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biologie mitochondriale évolutive.

 
Footnotes
1 Les brins lourd et léger sont distingués par leur composition nucléotidique et leur masse.
2 Ces techniques sont dénommées BS pour bisulfite sequencing et WGBS pour whole genome bisulfite sequencing .
3 Une substance végétale extraite de la betterave, indiquée dans le traitement des troubles dyspeptiques.
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