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Med Sci (Paris). 37(5): 433–440. doi: 10.1051/medsci/2021052.Histoire et organisation du programme français de dépistage néonatal systématique (1967-2020) Professeur de pédiatrie, génétique médicale, Faculté de médecine de Lille, Président de l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant (AFDPHE) (1996-2006)
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4 rue de la Chambre des Comptes
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59000Lille
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France Corresponding author. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Au début des années 1970, des pédiatres français, s’appuyant sur les résultats préliminaires obtenus par quelques équipes françaises (à Lille, Lyon et Paris) et internationales, ont proposé une action de prévention néonatale d’une maladie héréditaire gravement invalidante : l’oligophrénie phénylpyruvique (ou PCU, pour phénylcétonurie). Décrite par Ivar Asbjørn Folling en 1934 [ 1 ] chez des membres d’une même fratrie, elle se caractérise, entre autres, par une élévation du taux sanguin de phénylalanine, une excrétion urinaire d’acide phénylpyruvique et l’installation progressive d’une déficience mentale profonde. C’est en 1958 que Horst Bickel [ 2 ] montre que, chez des enfants atteints de PCU, une amélioration clinique modeste peut être obtenue grâce à un régime pauvre en phénylalanine. En 1963, Robert Guthrie [ 3 ] met au point une méthode de dosage simple de la phénylalanine sanguine sur le prélèvement d’une goutte de sang recueillie sur un papier buvard (appelée test de Guthrie) 1 . Sur la base de ces deux éléments, une méthode simple de dosage de la phénylalanine permettant un repérage des patients et l’espoir d’une amélioration grâce à un régime « carencé » en phénylalanine, ce groupe de pédiatres décide de lancer en France un programme de dépistage néonatal. Le défi lancé était très audacieux et fondé sur deux actions totalement nouvelles. Il fallait d’abord réaliser, dans les maternités et à tous les nouveau-nés, un prélèvement de sang dès les premiers jours après la naissance pour identifier, par le test de Guthrie, les sujets hyperphénylalaninémiques et donc potentiellement suspects d’être atteints de la maladie. Dans un deuxième temps, le diagnostic de la maladie serait confirmé par des procédés biochimiques plus classiques. Il fallait alors proposer aux malades repérés une alimentation particulière pendant plusieurs années de vie, ce régime étant assuré par les parents sous la surveillance d’un pédiatre connaissant cette maladie. Les chances de réussite de cette initiative étaient minimes, mais les équipes, pédiatres, obstétriciens, biochimistes, etc., ont persévéré et ont su convaincre leurs confrères du bien-fondé de leur protocole et obtenir l’assentiment des parents. En parfaite collaboration, ils ont relevé ce défi et le Tableau I décrit les différentes étapes de mise en route du dépistage néonatal dans notre pays. En 1972, au vu des premiers résultats, ils ont obtenu un soutien de la Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), qui a signé des conventions individuelles avec les groupes ayant mis en place ce programme de prévention dans leur région. Autre action originale, ces groupes se fédèrent en une association soumise à la loi de 1901, dite Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant (AFDPHE), permettant un dialogue administratif avec la CNAMTS. Il y eut aussi l’action décisive de mécénat de la Société des Eaux d’Évian, qui a proposé, dès 1972, à toutes les maternités, de réaliser le test de Guthrie de leurs nouveau-nés, et a utilisé la force de vente de ses visiteurs médicaux pour en faire la promotion locale ; le succès fut évident puisque, dans les années 1975, plus de 500 000 tests annuels seront réalisés dans le laboratoire d’Évian dédié au test de Guthrie ! Et en 1975, la quasi-totalité des nouveau-nés métropolitains (avec extension secondaire dans les départements et territoires d’Outre-mer [DOM-TOM] 2 ) ont bénéficié d’un test de Guthrie avec, pour conséquence, un diagnostic annuel de quelques 40 cas de PCU qui, pris en charge dès les premières semaines après la naissance, ont tous eu, avec un recul de quelques décennies, un développement normal, échappant ainsi à l’encéphalopathie qui était inscrite dans leurs gènes. Le pari a ainsi été gagné.
Ce succès a permis, dans les décennies suivantes (entre 1978 et 2012), d’étendre le programme de dépistage néonatal (DNN) à 5 autres maladies : l’hypothyroïdie congénitale (HC), l’hyperplasie congénitale des surrénales (HCS), la drépanocytose (HbS), la mucoviscidose (CF) et, plus récemment, aux déficits congénitaux de l’audition. D’autres maladies ont aussi été évaluées, mais n’ont pas été retenues pour un dépistage systématique (l’homocystinurie, l’histidinémie, la leucinose, l’hypercholestérolémie, le neuroblastome, la myopathie de Duchenne, etc.). | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Les expériences de ce type de prévention étaient encore rares dans les années 1970. Les investigateurs du programme national français ont donc dû, d’abord, définir le cadre de ce projet innovant. Leur réflexion a été grandement facilitée par les recommandations issues de la conférence de la Commission on Chronic Illness 3 en 1951 [ 4 ], qui en donnait la définition suivante : « le dépistage consiste à identifier présomptivement à l’aide de tests, d’examens ou d’autres techniques susceptibles d’une application rapide, des sujets suspects d’être atteints d’une maladie ou d’une anomalie passée jusque-là inaperçue ». Un autre évènement important a été la publication en 1968, sous l’égide et la validation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des « principes et pratiques du dépistage des maladies » par James Maxwell Glover Wilson et Gunnar Jungner [ 5 ]. Comme le montre le Tableau II , des « commandements » justifiant la mise en place d’un dépistage sont définis. Malgré leur diffusion internationale, il n’est pas inutile de les rappeler. L’essentiel réside dans l’énoncé suivant : ce n’est pas parce qu’une maladie peut être dépistée qu’il faut décider d’un dépistage. Encore faut-il qu’il existe un traitement et que la maladie soit suffisamment fréquente pour valider un tel programme. Il faut aussi qu’un traitement précoce, rendu possible par le dépistage, améliore le pronostic de la maladie. Ces critères restent d’actualité, même si quelques ajustements ont été apportés à propos des méthodes (spectrométrie de masse en tandem, étude du génome) et des techniques (automatisation, informatisation des chaînes analytiques, etc.). Des réflexions plus récentes en font surtout une rédaction plus moderne et introduisent le poids décisionnel des politiques d’État qui interviennent dans l’extension des programmes à des nouvelles maladies [ 6 , 7 ]. Dans la suite de cet article, nous insistons plus particulièrement sur les items qui apparaissent plus délicats et qu’il ne faut pas minimiser.
Accepter le dépistage
L’information des parents [
8
] et le recueil de leur autorisation sont un préalable indispensable à l’inclusion de tout nouveau-né dans un programme de dépistage néonatal. Une autre exigence est que, pour être efficace, la prévention doit viser à repérer le maximum de malades et donc atteindre le taux de couverture idéal de 100 % (ce qui correspond à quelque 800 000 nouveau-nés par an). L’information à fournir doit être claire et précise, mais brève, et ouvrir, si nécessaire, un dialogue avec les parents pour obtenir leur accord. De telles exigences sont totalement impossibles à respecter, étant donné le manque de temps disponible et d’un personnel qualifié pour présenter cette information ; cela oblige à recourir à un support écrit et à obtenir un simple « accord tacite » (sans signature), alors que nous savons très bien que les supports écrits sont peu productifs : une étude personnelle [
9
] réalisée sur 1 000 accouchées, a en effet montré que si le support papier est effectivement distribué à 100 % des parents, sa lecture est aléatoire (50 %) et sa compréhension est très parcellaire (moins de 20 %).
Dans le but d’une présentation idéale de l’information, l’AFDPHE a proposé en 1995 à ses partenaires, le développement d’un support audio-visuel sous forme de « spots » diffusés en boucle dans les salles d’attente des consultations préparatoires à l’accouchement et dans les chambres des parturientes. Les contraintes techniques et financières n’ont pas permis à l’époque de concrétiser ce projet, mais, aujourd’hui, quelques maternités ont mis en place cet outil. Cependant, il est encore loin d’être généralisé. Le test de dépistage n’a pas été rendu « obligatoire », ce qui rend possible un « refus » des parents, qui fera alors l’objet d’une attestation signée et enregistrée. Voilà une autre question fondamentale, si l’on veut respecter les règles éthiques qui s’imposent de façon de plus en plus stricte dans la pratique médicale. La question est double. D’abord, à qui appartient l’éventuelle goutte de sang résiduelle sur le prélèvement néonatal ? En droit français, la réponse est simple : le sang appartient à l’individu à qui il a été prélevé (ou à ses parents tuteurs légaux). Il doit être, soit remis à l’autorité parentale, soit détruit. La question d’une conservation prolongée n’est possible qu’après accord parental, avec la restriction essentielle qu’il ne peut alors être utilisé qu’après l’obtention d’une autorisation renouvelée des parents, précisant l’indication de l’éventuelle recherche prévue. Il faut aussi signaler (même si la démarche est rare) la possible réquisition des cartons de prélèvements par un organisme judiciaire assermenté à des fins médico-légales (telles qu’une recherche de paternité ou même l’identification d’un individu suspect de délit de droit commun). Le Comité d’éthique de l’AFDPHE a recommandé une conservation maximale de 1 an, suivie d’une destruction du carton. Cette position a été reprise par le législateur dans sa rédaction récente (en 2019) du Cahier des charges concernant les organismes habilités pour le DNN. Le dépôt éventuel des cartons dans une banque de données est également impossible sans une autorisation spécifique institutionnelle. Gestion du résultat et confidentialité La question peut paraître subsidiaire, et pourtant, une grande attention doit y être portée car le « dépisteur » peut, par le biais du résultat qu’il obtient, s’immiscer dans l’intimité d’une famille et violer le droit à la confidentialité.Il est évident qu’un résultat anormal confirmant une maladie chez un nouveau-né sera transmis exclusivement aux parents et qu’il ne peut être divulgué à un autre sujet, même apparenté. Il faut donc s’assurer que la transmission du résultat se réalise dans des règles absolues de sécurité, et dissocier totalement ces données médicales des données nominatives. À un moindre degré, un résultat « suspect », mais ultérieurement non confirmé, doit être présenté avec une grande clarté aux parents, ces derniers risquant de garder à vie l’idée que l’enfant a bien eu une « anomalie » en période néonatale, ce qui, même si elle n’a, ni été confirmée, ni nécessité de traitement, peut avoir des effets délétères tardifs. Le caractère le plus souvent héréditaire des affections recherchées par le dépistage soulève la question de sa reproduction lors d’une grossesse à venir, voire sa résurgence dans la descendance d’un membre de la fratrie. La connaissance de cette anomalie ne doit jamais être communiquée à un tiers, même apparenté, sans l’autorisation du propriétaire. Les méthodes de dépistage ou de diagnostic utilisées peuvent, par ailleurs, révéler fortuitement une « particularité » qui n’est pas un état « malade » ; le cas le plus connu est un état d’« hétérozygote porteur sain » découvert chez un nouveau-né dont le risque personnel est nul, sauf pour sa descendance en cas d’union avec un sujet également porteur de la même anomalie génomique. L’AFDPHE a demandé au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) de bien vouloir l’éclairer sur la position à tenir devant le cas de ces hétérozygotes sains : doit-on le dire aux parents, voire transmettre le résultat directement à l’individu en cause ? Pour cela, il avait été proposé au CCNE l’exemple de deux maladies à transmission héréditaire identique (récessive autosomique) : la drépanocytose (HbS), pour laquelle le malade présente des risques cliniques sévères, alors qu’un porteur hétérozygote est le plus souvent sain, bien qu’il puisse parfois devenir symptomatique, notamment en cas de privation d’oxygène, par exemple lors d’un voyage en avion ou d’une ascension en montagne ; et la mucoviscidose (CF), qui donne une représentation identique à celle de la drépanocytose, avec des malades homozygotes pour la mutation et des hétérozygotes sains (les parents ou apparentés). Si l’on applique strictement le code de déontologie médicale, selon lequel tout résultat anormal doit être transmis à l’individu, l’état d’hétérozygotie trouvé chez un sujet sain isolé (même sans membre familial atteint) doit lui être transmis, au risque de provoquer des troubles psychologiques à cause de cette révélation. Dans sa réponse [ 12 ], le CCNE propose de distinguer le cas de la drépanocytose où, eu égard à la fréquence du gène délétère dans certaines populations et au risque élevé d’une union avec un autre hétérozygote, il recommande la révélation de l’hétérozygotie. Pour la mucoviscidose, où le risque pour un hétérozygote lui-même est nul, et où la maladie ne peut survenir que dans sa descendance si le partenaire est lui-même hétérozygote, ce qui est une éventualité possible mais peu fréquente, le CCNE a proposé de « taire » l’hétérozygotie (sauf demande exprimée par l’individu). Certes, ce distinguo peut paraître logique, mais l’information à donner au sujet doit être claire, et demande l’intervention d’un spécialiste de génétique médicale.
L’organisation du dépistage (
Tableau III
)
La mise en pratique d’un organigramme national compatible avec les fondamentaux retenus n’a pas été trop difficile, car elle a été acceptée de façon consensuelle par les professionnels de santé et les familles. Nous nous devons de rappeler le rôle essentiel de notre maître, le Professeur Jean Frezal, aidé par le Professeur Robert Boschetti, qui a créé en 1975 l’AFDPHE et a défini une organisation sur une base régionale (ce qui a permis d’éviter d’éventuelles querelles d’égo et de préséance).Le schéma national [ 13 ] comprend trois structures d’exécution : L’exécution régionale : elle est sous la responsabilité totale d’une association de professionnels bénévoles. L’Association régionale (ou ARDPHE) est régie par les règles des associations soumises à la loi de 1901. Les maternités sont responsables de l’information donnée aux parents et participent toutes à la réalisation du prélèvement de sang de chaque nouveau-né. Elles assurent l’envoi quotidien des prélèvements au secrétariat gestionnaire du registre nominatif des enfants testés, qui le transmet chaque jour à un laboratoire « dédié » coopté par l’Assemblée générale de l’ARDPHE pour l’analyse. Le résultat, enregistré par le secrétariat, est adressé au pédiatre chargé de prendre en charge le bébé « identifié » afin de confirmer ou infirmer le diagnostic. Si le test est positif, les parents sont alors informés du protocole thérapeutique mis en place par et avec le pédiatre spécialisé. L’Association régionale accomplit également les tâches administratives et financières, qui sont définies dans une convention régionale associant les différents partenaires (métaboliciens, pédiatres, biologistes, etc.). Une centralisation nationale, au niveau d’une Fédération de toutes les Associations régionales, dénommée Association française (ou AFDPHE), et qui, de facto , est l’interlocuteur unique du décideur – payeur : la CNAMTS. Cette Fédération d’associations régionales est régie par la loi de 1901, par les membres des Associations régionales, et comprend un Conseil d’administration élu par l’Assemblée générale et représentatif de toutes les Associations régionales, ainsi que des spécialistes cooptés par le Conseil d’administration et son Bureau exécutif. La CNAMTS chapeaute les Associations régionales et l’Association française. Elle en assure le financement au prorata de leur activité (nombre de naissances). Elle décide des demandes et avis présentés par la Fédération (AFDPHE) pour décision exécutive. Elle peut également accorder des subventions financières pour des demandes spéciales (matériel technique et informatique, support des imprimés d’informations pour les parents, achat des « cartons » de prélèvement, coût du transfert postal des tests, etc.). Chaque test réalisé chez un nouveau-né est remboursé à l’Association régionale, à un taux fixé par la convention qui est établie entre la CNAMTS et l’AFDPHE [ 14 ]. Les états trimestriels des Associations régionales, validés par l’AFDPHE, font l’objet d’un versement unique à la Fédération qui le répartit ensuite à chaque Association régionale selon son activité. Cette organisation a été efficace, comme le prouvent les bilans annuels d’activité et de gestion établis par l’AFDPHE. Notons qu’initialement, la Direction centrale de la santé (DGS) n’a pas souhaité être représentée dans l’organigramme de l’association. En 2008, après avoir inscrit le dépistage néonatal dans le Code de la Santé Publique (Art R 1991 – 32 -2T, 22), le ministère de la Santé 4 a néanmoins décidé de décharger les structures originelles (CNAMTS et AFDPHE) de leurs responsabilités du programme de prévention et de le placer sous la responsabilité d’un Centre national de dépistage néonatal (CNDN), dont la gestion a été confiée aux directeurs des Agences régionales de santé (ARS). | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
L’introduction d’un logiciel national de gestion, mis à la disposition de chaque Association régionale, a permis d’établir un bilan fiable d’activité depuis 1975. Les données essentielles sont présentées dans le Tableau IV . On peut y voir que, en ce qui concerne la plus ancienne maladie dépistée, la PCU, le dépistage a concerné la moitié de la population française, avec plus de 33 millions de nouveau-nés testés, pour une population globale de 62 millions d’habitants (soit plus d’un individu sur deux). Plus de 100 millions de tests ont été réalisés. Le nombre total de patients dépistés (toutes maladies confondues) représente la population d’une ville de taille moyenne (comme Armentières, soit environ 25 000 sujets). Les données recueillies ont aussi permis de fournir des chiffres, en situation réelle, de la fréquence des maladies dans les populations de France métropolitaine et d’outre-mer.
Si l’organigramme de l’action est clair, il est évident qu’un programme de cette envergure a été bâti progressivement, sur plusieurs années, et que de nombreux ajustements ont été réalisés. De nombreuses situations ont dû être envisagées. Nous ne les détaillons pas ici : il faudrait en particulier entrer dans le détail des résultats cliniques obtenus grâce au dépistage précoce et au traitement des malades identifiés. Ces aspects seront par ailleurs évoqués, mais il nous semble nécessaire d’évoquer, même brièvement, trois points qui concernent la PCU et qui illustrent quelques-unes des difficultés de la mise en place d’un tel programme de dépistage. La prise en charge du régime donné aux enfants atteints de PCU
Le traitement de la PCU n’est pas fondé sur un médicament, mais sur un régime « pauvre » en phénylalanine. Au moment où débute la prise en charge des premiers malades dépistés, ce statut de traitement diététique ne permet pas une prise en charge financière par la CNAMTS. L’absurdité de la situation, dépister sans pouvoir traiter, était évidente, et les tutelles (ministère de la Santé, de l’Agriculture, etc.) ont fini par définir un statut d’« Aliments-médicaments » au régime, permettant d’obtenir un financement de ce traitement par l’Assurance maladie [
15
].
Des formes particulières dites « malignes »
Le dépistage de la PCU a révélé des formes particulières de la maladie dites «
malignes
» qui ne réagissent pas au traitement diététique prescrit habituellement. Ces formes relèvent en fait d’un trouble enzymatique qui est différent de celui de la PCU, heureusement très rare dans notre pays (51 cas repérés au total avec 3 clusters dans le Rhône, la Champagne et l’Île-de-France) [
16
]. Leur traitement est donc différent.
Une embryofœtopathie in utero
Les nouveau-nés nés de mères atteintes de PCU développent
in utero
une embryofœtopathie (microcéphalie, dysmorphie faciale, retard mental), que l’on a rattachée à un effet toxique de l’hyperphénylalaninémie maternelle sur le fœtus (comme c’est le cas de l’alcoolisme fœtal), et qui a constitué un problème complexe [
17
,
18
]. Comme on le sait, le régime pauvre en phénylalanine est le plus souvent arrêté chez l’adulte ; les patientes ont donc, à l’âge adulte, en âge de procréation, une hyperphénylalaninémie conséquente (± 15 mg/mL). Il a donc fallu négocier avec les femmes atteintes de PCU en âge de procréer afin de réintroduire le régime pauvre en phénylalanine qu’elles suivaient, et cela avant la conception et pendant toute la grossesse. Ces femmes ont accepté de reprendre leur régime alimentaire qu’elles avaient abandonné depuis l’enfance et elles ont supporté aisément cette contrainte, tant leur désir d’enfant était dominant. Nous savons maintenant que cette stratégie était la bonne (il faut savoir qu’à l’époque, certains ont proposé une stérilisation définitive des femmes atteintes de PCU !). Il était très important de réussir cette deuxième action de prévention de l’embryopathie liée à l’hyperphénylalaninémie maternelle. En effet, en se fondant sur une fécondité moyenne de deux enfants par couple, nous savions que les 20 filles qui naissent par an allaient engendrer 40 enfants qui avaient tous le risque majeur d’être atteints de l’embryofœtopathie. Et cela annulait l’efficacité du dépistage à la première génération.
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L’histoire de la phénylcétonurie, telle qu’elle s’inscrit dans notre vécu médical, a été exaltante. La réussite exemplaire de son dépistage a été confortée par les résultats cliniques obtenus par le dépistage des maladies qui ont été greffées sur ce même programme (HC, HCS, HbS) ; seule la mucoviscidose déroge encore à ce satisfecit, mais le vécu de cette maladie a déjà été bouleversé avec l’efficacité remarquable des thérapies actuelles et une durée moyenne de vie multipliée par 10, et on peut espérer la mise à disposition dans un proche avenir de produits bien plus performants. Notre association de bénévoles a donc pu, avec la collaboration attentive de toutes les personnes impliquées dans la santé de l’enfant et la participation confiante de toutes les familles concernées, mettre en place un programme de prévention, dont l’efficacité pouvait paraître au départ très aléatoire. Nous avons démontré que l’impossible n’est pas toujours hors de portée. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Tous les acteurs de cette aventure ont réussi leur pari et cette victoire peut être partagée par eux tous. Qu’ils sachent aussi que leur combat a été apprécié par les plus hautes autorités de notre pays ; lors d’une audience privée, le Président de la République Jacques Chirac a adressé ses félicitations aux membres du Bureau de l’AFDPHE et nos collègues de l’Académie nationale de médecine ont décerné à l’Association française sa médaille d’Or 2005 pour la mise en place du programme de prévention néonatale. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
1
Initialement, la mesure semi-quantitative du taux de phénylalanine dans le sang utilisait la croissance de colonies de bactéries en présence d’un échantillon du sang à tester et d’un inhibiteur de croissance bactérienne. La technique a été remplacée par d’autres méthodes de quantification, comme la spectrométrie de masse en tandem.
2
Remplacés en 2003 par les départements ou régions français d’Outre-Mer (DROM) et les collectivités d’Outre-Mer (COM).
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