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| Med Sci (Paris). 37(10): 939–941. doi: 10.1051/medsci/2021157.Mucoviscidose: Quand les bactéries coopèrent pour mieux régner La recherche en microbiologie vue par les étudiants de l’ENS de Lyon Romane Dorado Doncel,1a Philéas Larcher,1b Céline Schmitter,1c and Sarah Zouaghi1,2d 1École normale supérieure de Lyon, Département de biologie, Master Biosciences
,
Lyon
,
France 2ETH Zurich, Institute of Food, Nutrition and Health
,
Zurich
,
Suisse |
Contact Équipe pédagogique
Chloé Journo (maître de conférences, ENS de Lyon). Responsable de l’UE microbiologie moléculaire et structurale. Équipe oncogenèse rétrovirale, Centre international de recherche en infectiologie, Inserm U1111 - CNRS UMR5308, École normale supérieure de Lyon, Lyon, France Amélie Joly (doctorante monitrice ENS de Lyon). Équipe génomique fonctionnelle des interactions hôte/bactéries, Institut de génomique fonctionnelle de Lyon, Université de Lyon, École normale supérieure de Lyon, CNRS UMR 5242, Université Claude Bernard Lyon 1, Lyon, France
Contact :
chloe.journo@ens-lyon.fr
Série cordonnée par Sophie Sibéril (
sophie.siberil@upmc.fr
)
La mucoviscidose est une maladie génétique caractérisée par un épaississement des sécrétions de divers organes (dont le foie, le pancréas, ou les poumons) engendrant leur dysfonctionnement. Au niveau des voies aériennes, l’épaississement du mucus constitue une niche idéale pour la prolifération d’une multitude de micro-organismes. Cette colonisation microbienne entraîne une diminution drastique de la fonction respiratoire des patients. Les bactéries
Pseudomonas aeruginosa
et
Staphylococcus aureus
sont fréquemment portées de façon asymptomatique. Leur interaction avec l’homme est alors dite commensale car les bactéries trouvent un/des bénéfice(s) à cette interaction, comme l’accès à des nutriments, tandis que le porteur n’y trouve ni avantage ni inconvénient. En revanche, lors d’une dysbiose (déséquilibre de l’écosystème bactérien), elles peuvent devenir pathogènes et/ou aggraver certaines maladies. On sait notamment que ces deux espèces bactériennes sont les plus prévalentes chez les patients atteints de mucoviscidose. En général, l’infection par ces deux bactéries suit un certain enchaînement, commençant par une importante prédominance de
S. aureus
qui décroît avec l’âge du patient, au profit d’une infection à
P. aeruginosa.
Néanmoins, ces deux bactéries peuvent simultanément infecter le patient et entrer en phase de compétition [
1
]. Par la suite, d’autres souches de
P. aeruginosa
non compétitrices peuvent également coloniser les poumons du patient : les deux espèces bactériennes sont alors en phase de coexistence [
2
]. Dans cette étude [
3
], Briaud
et al.
ont cherché à identifier l’impact de
P. aeruginosa
sur
S. aureus
dans un contexte de coexistence. Ils se sont notamment concentrés sur les changements transcriptomiques chez
S. aureus
, et leurs conséquences sur l’antibiorésistance de
S. aureus
et son internalisation par les cellules de l’épithélium pulmonaire.
|
L’interaction spécifique avec
Pseudomonas aeruginosa
induit une dérégulation de l’expression de certains gènes de
Staphylococcus aureus
Les auteurs se sont d’abord intéressés aux variations d’expression des gènes chez
S. aureus
mis en présence de souches de
P. aeruginosa
qui sont soit coexistantes, soit compétitrices. Ils ont ainsi identifié 77 gènes dont l’expression est modulée en situation de compétition, 140 gènes dont l’expression est modulée en situation de coexistence et 16 gènes modulés dans les deux conditions. Ces résultats ont été confirmés par quantification de l’ARN transcrit à partir de chaque gène,
via
des RT-PCR quantitatives, isolés à partir de souches directement prélevées chez des patients. Parmi les gènes identifiés, le gène
tet38
est surexprimé chez
S. aureus
en présence de
P. aeruginosa
. Ce gène fait partie de la famille des gènes
nor
, qui comprend également
norA
,
norB
et
norC
, aussi surexprimés chez
S. aureus
. Ces gènes sont impliqués dans des mécanismes de résistance aux antibiotiques : la tétracycline pour
tet38
[
4
] et la ciprofloxacine pour
norA
et
norC
[
5
]. Leur rôle est donc particulièrement intéressant à examiner dans un contexte clinique.
L’étape suivante fut d’identifier les mécanismes à l’origine de la modulation de l’expression des gènes
nor
. L’équipe de chercheurs a d’abord supposé que le gène codant MgrA, un régulateur des gènes
nor
, pourrait voir son expression affectée par
P. aeruginosa
. Cette hypothèse a cependant été réfutée, l’expression de
mgrA
n’étant pas modifiée lors de la cohabitation. Comme MgrA régule les gènes par phosphorylation, les auteurs ont alors supposé que sa fonction, et non son expression, pourrait être affectée par
P. aeruginosa
. Pour vérifier cette hypothèse, le rôle de MgrA sur la surexpression des gènes
nor
a été étudié en contexte de coexistence et a révélé qu’une souche
S. aureus
, dont le gène
mgrA
a été inactivé, ne surexprime ni
tet38
ni
norC
, mais surexprime toujours
norA
et
norB
. Ainsi, MgrA est nécessaire à la régulation par
P. aeruginosa
de l’expression de
tet38
et
norC
chez
S. aureus
. On peut donc supposer que
P. aeruginosa
modifie l’activité régulatrice de MgrA chez
S. aureus
lors de leur coexistence. Par la suite, deux hypothèses ont été envisagées pour expliquer la modulation transcriptomique observée en présence de
P. aeruginosa
: soit les changements d’expression génique sont induits par le contact direct avec
P. aeruginosa
, soit ils sont induits par un facteur soluble, produit par
P. aeruginosa
dans le milieu, et capable d’agir sur
S. aureus
. Pour tester ces hypothèses,
P. aeruginosa
et
S. aureus
ont été cocultivés soit ensemble soit en étant séparées par un filtre (auquel cas, seules les molécules solubles peuvent passer d’un compartiment à l’autre). Ces expériences ont montré qu’un contact direct est nécessaire pour induire la surexpression de
tet38
,
norA
et
norC
. Il est donc possible que
P. aeruginosa
produise une protéine transmembranaire ou un lipide membranaire spécifique, dont un récepteur présent chez
S. aureus
engendrerait une cascade de signalisation conduisant aux changements transcriptomiques observés chez
S. aureus
.
Les auteurs ont alors vérifié si cette dérégulation était spécifiquement due à
P. aeruginosa
ou si d’autres bactéries pouvaient influencer
S. aureus
de la même façon. Ils ont ainsi mesuré, par RT-PCR quantitative, le niveau d’expression de
tet38
,
norA
et
norC
de
S. aureus
après avoir cocultivé ces dernières avec d’autres bactéries fréquemment retrouvées chez des patients atteints de mucoviscidose :
P. aeruginosa
,
Burkholderia cenocepacia
ou
Stenotrophomonas maltophilia
[
6
]. Les trois gènes testés n’étant surexprimés chez
S. aureus
que lors de la coculture avec
P. aeruginosa
, la dérégulation d’expression génique est effectivement spécifique de la cohabitation avec
P. aeruginosa
.
|
Pseudomonas aeruginosa
augmente l’antibiorésistance de
Staphylococcus aureus
ainsi que son internalisation dans les cellules épithéliales
Les gènes
nor
étant impliqués dans la résistance aux antibiotiques, les modifications d’expression de gènes entrainées par
P. aeruginosa
pourraient augmenter la résistance, et donc la survie, de
S. aureus
face aux antibiotiques. Pour étudier cela, la viabilité de
S. aureus
a été testée avec ou sans
P. aeruginosa
et après ajout ou non de tétracycline ou de ciprofloxacine. Les auteurs ont alors montré qu’en absence d’antibiotiques,
S. aureus
survivait aussi bien seul qu’en coculture. En revanche, lors d’une exposition aux antibiotiques,
S. aureus
ne survit qu’en coculture. La coexistence de
P. aeruginosa
avec
S. aureus
favorise donc la résistance de
S. aureus
aux antibiotiques. Des expériences complémentaires ont démontré que cette résistance accrue aux antibiotiques était bien dépendante de l’expression de
tet38
.
De précédentes études ont également démontré l’implication de
tet38
dans l’internalisation de
S. aureus
dans les cellules épithéliales du poumon. Une telle internalisation induit la formation d’un réservoir bactérien au sein de ces cellules, ainsi qu’une potentielle augmentation de la résistance aux antibiotiques. De ce fait, les auteurs se sont intéressés à l’impact de la présence de
P. aeruginosa
sur le taux de cette internalisation. Ainsi, ils ont démontré que
P. aeruginosa
augmentait d’un facteur 3 le taux d’internalisation de
S. aureus
. En favorisant un réservoir bactérien intracellulaire, ce phénomène pourrait contribuer à l’aggravation de la maladie sur le long terme et aux échecs thérapeutiques récurrents [
7
].
|
L’étude menée par Briaud
et al.
permet de mieux caractériser l’influence de
P. aeruginosa
sur
S. aureus
lors de leur coexistence (
Figure 1
), en particulier chez des patients atteints de mucoviscidose. Dans ces conditions, l’expression de nombreux gènes est modifiée chez
S. aureus
, probablement à la suite d’une dérégulation de la voie MgrA. Certains gènes de la famille
nor
(
tet38
,
norA
et
norC
) sont surexprimés lors du contact spécifique avec
P. aeruginosa
. L’étude a par ailleurs montré une résistance accrue de
S. aureus
aux antibiotiques grâce à ces gènes qui codent des protéines formanat des pompes à efflux [
8
]. Enfin, dans ce contexte,
S. aureus
est également internalisé plus efficacement par les cellules épithéliales, ce qui pourrait encore renforcer sa résistance aux antibiotiques. Les auteurs suggèrent que cette internalisation accrue pourrait être liée à la capacité de la protéine Tet38 à se fixer au récepteur CD36 présent sur les cellules de l’épithélium pulmonaire.
 | Figure 1.
P. aeruginosa module le transcriptome, augmente l’antibiorésistance et favorise l’internalisation de S. aureus dans les cellules épithéliales pulmonaires.
Les flèches en pointillé et l’encart « hypothèse » ne sont pas vérifiés expérimentalement à ce jour.
|
L’ensemble de ces processus permettrait une meilleure survie de
S. aureus
ainsi qu’une potentielle aggravation de la maladie. Il semble effectivement qu’une cohabitation entre
P. aeruginosa
et
S. aureus
conduise à des infections plus graves qu’avec une infection à
S. aureus
seule. Cependant, ces résultats n’ont pu être obtenus que par des études incluant un faible effectif de patients, nécessitant donc leur confirmation par d’autres laboratoires de recherche [
9
].
Enfin, la survenue de cette phase de coexistence à la suite d’une phase de compétition entre les bactéries semble pouvoir provenir de diverses modifications génétiques chez les deux souches bactériennes, ainsi que de divers changements physico-chimiques au sein des poumons de personnes atteintes de mucoviscidose. Ces résultats aident ainsi à mieux comprendre d’une part la mise en place de cette cohabitation et, d’autre part, le possible impact de cette dernière sur les patients, bien que ce dernier point reste à vérifier par des études comportant de plus grandes cohortes [
10
].
|
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
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