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Med Sci (Paris). 37: 56–59.
doi: 34878401.doi: 10.1051/medsci/2021198.

La lutte contre l’errance et l’impasse diagnostiques
Une priorité commune à Filnemus et à l’AFM-Téléthon

Carole André,1 Lucie Pisella,2 Christian Cottet,1 Sandrine Segovia-Kueny,1 Annamaria Molon,2 Paloma Moreno-Elgard,1 Marie-Christine Bellot,1 and Shahram Attarian2

1AFM-Téléthon, Évry, France
2Filière nationale de santé neuromusculaire Filnemus, Marseille, France

MeSH keywords: France, Humains, Recherche interdisciplinaire, Maladies musculaires, Maladies négligées, Maladies neuromusculaires, Maladies rares, Sociétés médicales, diagnostic, étiologie, génétique

 

En dépit de l’amélioration continue des techniques de diagnostic dans les maladies rares, un grand nombre de malades restent sans diagnostic, en particulier dans le domaine des maladies neuromusculaires. Et ce, malgré la nécessité constante de poser, préciser et réviser le diagnostic en vue de bénéficier de la meilleure prise en charge possible.

En 2017, près de la moitié des personnes atteintes d’une maladie rare ne disposaient pas d’un diagnostic précis, et la recherche du diagnostic dépassait quatre ans pour plus d’un quart des personnes selon les chiffres de l’IRDiRC (International Rare Diseases Consortium) de février 2017.

Cette situation a conduit dès 2016 à la mise en œuvre d’un plan d’action commun entre la filière neuromusculaire Filnemus et l’AFM-Téléthon. Ce plan, intitulé « un diagnostic pour chacun », vise des bénéfices directs pour les personnes atteintes de maladies neuromusculaires sans diagnostic précis.

En 2018, des axes prioritaires ont également été fixés par la troisième version du Plan National Maladies Rares (PNMR3) ambitionnant de réduire l’errance et l’impasse diagnostiques. Le PNMR3 a confié aux vingt-trois filières nationales maladies rares existantes la mission de mettre en place un observatoire du diagnostic. Charge à elles de constituer, avec l’aide de la Banque Nationale de Données Maladies Rares (BNDMR), un registre national dynamique des personnes en errance et impasse diagnostique (actions 1.4 et 1.7 du PNMR3). Grâce aux actions déjà engagées par l’AFM-Téléthon et Filnemus (voir plus haut), la filière neuromusculaire a été sélectionnée d’abord pour la réalisation d’un projet pré-pilote (2019) ayant pour objectif de déterminer la faisabilité à petite échelle de ce type d’action, puis d’un projet pilote (2020) ayant pour objectif de déterminer la faisabilité à l’échelle d’une filière tout entière. Satisfaite par la réussite de ces deux projets, la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) a ensuite étendu ce projet à l’ensemble des vingt-trois filières de santé maladies rares. Depuis juin 2021, Filnemus a entrepris une phase de consolidation de l’observatoire.

L’ensemble de ces actions (plan « un diagnostic pour chacun » et « observatoire du diagnostic ») se poursuivront en 2021 et 2022 afin d’offrir les meilleures chances aux patients aujourd’hui en errance ou impasse diagnostiques d’aboutir à un diagnostic précis (Figure 1).

Les objectifs du plan « Un diagnostic pour chacun » (Figure 2)

Le plan d’action « un diagnostic pour chacun »

L’objectif de ce plan d’action initié par l’AFM-Téléthon et réalisé en collaboration avec la filière Filnemus est de lutter contre l’errance et l’impasse diagnostiques des malades atteints de maladies neuromusculaires, à l’heure du déploiement à grande échelle du séquençage à haut débit.

La première étape a permis de mettre à jour la situation diagnostique de l’ensemble des malades accompagnés par les services régionaux de l’AFM-Téléthon. Près de 14 000 dossiers ont ainsi été repris et mis à jour par les Référents Parcours de Santé (RPS) permettant une identification et une priorisation des malades en fonction de leur situation diagnostique.

Des outils dédiés au diagnostic ont été créés (plaquettes d’information, fiche d’aide à la consultation, guide d’accompagnement) (Figure 3) en partenariat avec les consultations afin de former, sensibiliser, informer et accompagner au mieux les malades potentiellement concernés par cette question.

Aujourd’hui, cet accompagnement individualisé se poursuit en collaboration directe avec l’ensemble des centres de référence neuromusculaires afin d’aboutir à un diagnostic précis pour un maximum de malades et de leur permettre enfin de mettre un nom sur leur maladie, d’avoir accès à un conseil génétique approprié, d’accéder aux essais cliniques en cours et d’avoir des projets de vie.

L’observatoire du diagnostic : la construction d’un registre dynamique

Cet observatoire a pour objectif d’identifier les patients actuellement en errance et impasse diagnostiques, et de préciser leur niveau d’assertion du diagnostic, tout en reconsidérant régulièrement le dossier des personnes sans diagnostic pour aboutir à un diagnostic précis. Il pourra être utilisé comme outil de soin permettant entre autres de cibler les investigations diagnostiques qui pourraient être plus poussées, et d’identifier une file active de patients sans diagnostic qui pourront être priorisés pour l’analyse génomique dans le cadre du Plan France Médecine Génomique 2025. Il sera aussi utilisé comme outil de recherche permettant d’identifier de nouveaux gènes.

Un projet pré-pilote a été lancé en avril 2019 avec la participation de trois CRMR coordonnateurs Nord-Est-Île-de-France neuromusculaires (Marseille, Bordeaux, Paris Pitié-Salpêtrière) pour une période de six mois. Pendant cette période, 750 patients sans diagnostic précis ont été repérés et saisis dans la base de données BaMaRa avec une saisie rétrospective (sur 1 à 2 ans) et une saisie prospective au fil de l’eau. Pour la saisie des données, deux recueils complémentaires concernant les myopathies et les neuropathies ont été mis en place. Ces recueils ont permis de caractériser le niveau de précision du diagnostic et de vérifier si tout avait été mis en œuvre pour améliorer ou préciser le diagnostic du patient à la lumière des nouvelles connaissances du domaine. Suite à ce projet, un troisème recueil de données complémentaires concernant les maladies mitochondriales a été mis en œuvre.

Le projet pilote a démarré le 1er septembre 2020 et s’est clôturé le 30 juin 2021. Il a impliqué la très grande majorité des CRMR de Filnemus (31) et quelques CCMR (9). Tous ces centres ont bénéficié d’une aide financière permettant le recrutement d’un(e) attaché(e) de recherche clinique (ARC) à temps partiel en fonction du niveau de participation du centre. L’objectif de ce projet pilote était d’identifier les patients sans diagnostic précis sur une période rétrospective de deux à trois ans et de compléter leurs recueils de données. Pour cela, les centres ont analysé les dossiers de patients présents dans la base de données BaMaRa, lorsque celle-ci était activée et opérationnelle, ou dans les bases de données locales constituées par les centres.

Lors de ce projet pilote, 28 519 dossiers de patients ont été analysés et 5 358 recueils complémentaires ont été complétés. Parmi les dossiers analysés, plusieurs ont vu leur diagnostic mis à jour et plusieurs erreurs de codage ont été corrigées (Figure 3).

En conclusion
Ce projet pilote aura permis :

– de confirmer la faisabilité d’un tel projet à l’échelle d’une filière entière.

– de corriger les erreurs de codages et mettre à jour l’ensemble des dossiers ;

– d’identifier les personnes en errance et impasse diagnostiques des centres participants ;

– de remplir des recueils complémentaires permettant de préciser le phénotype, les examens effectués et la sévérité de la pathologie des personnes n’ayant pas de diagnostic précis ;

– de reprendre le parcours diagnostique pour les malades qui le souhaitent grâce à une parfaite collaboration entre le réseau AFM d’accompagnement et les cliniciens de la filière ;

– d’identifier les vraies situations d’impasse diagnostique et de commencer à flécher les malades pour lesquels un séquençage du génome complet serait pertinent.

Le pilotage d’un tel projet a nécessité une coordination nationale afin d’homogénéiser les pratiques. Pour cela, une communication constante a été maintenue entre les centres et le bureau de Filnemus permettant d’établir des règles en matière de codage et de remplissage des recueils.

Les difficultés rencontrées

Malgré l’importance et la réussite indéniables des actions entreprises, certaines difficultés sont apparues et des obstacles ont dû être levés.

La mise à jour de la situation diagnostique des malades accompagnés par les RPS a été parfois confrontée à une méconnaissance des malades eux-mêmes concernant leur diagnostic ou la quête de celui-ci. Certains ne se souvenaient plus exactement du degré de précision diagnostique qu’on leur avait donné. Pour d’autres, en errance ou impasse de diagnostic depuis longtemps, les premières consultations à visée diagnostique remontaient à plusieurs années. D’autre part, un certain nombre de malades avaient abandonné l’idée que l’on puisse un jour leur apporter une réponse définitive. De ce fait, beaucoup n’étaient plus suivis en centre de référence et, parfois même, ne voyaient pas l’intérêt de poursuivre la recherche.

C’est tout le travail d’information, de sensibilisation, d’explication et d’accompagnement qui a dû être fait et doit être poursuivi pour convaincre et offrir les meilleures chances aux malades de bénéficier des progrès actuels en vue de l’obtention d’un diagnostic précis.

L’identification des patients sans diagnostic par les centres experts s’est heurtée à plusieurs obstacles. En effet, au démarrage du projet, le logiciel BaMaRa (qui alimente la BNDMR) n’était pas utilisé par tous les centres. Les patients suivis par ces centres n’étaient donc pas tous référencés dans cette base de données nationale et les statuts du diagnostic n’étaient pas toujours mis à jour. Grâce à la BNDMR et à la mobilisation des centres, BaMaRa est aujourd’hui présent et fonctionnel dans l’ensemble des centres ayant participé au projet pilote, les erreurs de codages ont été corrigées, les mises à jour effectuées, et les patients sans diagnostic ont pu être identifiés.

Une autre difficulté était d’avoir les ressources humaines suffisantes pour pouvoir mener à bien ce projet d’envergure. Malgré le financement attribué par Filnemus à l’ensemble des centres participants, il a parfois été difficile de recruter des ARCs sur le terrain. La mutualisation entre les centres et les actions entreprises ont toutefois permis à l’ensemble des centres participants d’intégrer le projet.

Les perspectives

Au-delà des actions et projets déjà entrepris, les efforts doivent être poursuivis afin de permettre à ce plan de remplir son objectif principal de lutte contre l’errance diagnostique et à un maximum de malades d’avoir un diagnostic précis.

C’est pourquoi l’accompagnement individualisé des malades se poursuit en 2021 et 2022, accompagnement pour lequel une collaboration entre l’AFM-Téléthon et les consultations neuromusculaires est indispensable et doit se poursuivre de manière aussi efficace qu’aujourd’hui.

D’autre part, comme le prévoit le PNMR3, une actualisation de l’observatoire du diagnostic sera faite régulièrement au cours des prochaines années. Pour cela, une phase de consolidation de l’observatoire a d’ores et déjà débuté en septembre 2021. Cette actualisation permettra :

– d’intégrer, comme le souhaite la DGOS, l’ensemble des Centres Filnemus au projet de lutte contre l’errance diagnostique, centres de compétence compris ;

– d’évaluer les dossiers de tous les patients suivis par un centre expert Filnemus ;

– d’intégrer les nouveaux patients ;

– de réévaluer les dossiers et le statut diagnostique des patients préalablement identifiés comme n’ayant toujours pas de diagnostic précis.

Cette action permettra d’évaluer au fil du temps la réduction de l’errance diagnostique et des situations d’impasse diagnostique au sein de la population française concernée par les maladies neuromusculaires et mitochondriales.

Grâce à ce travail, les patients pourront bénéficier d’une meilleure prise en charge, avec l’établissement d’un diagnostic plus précoce. Au-delà de réduire l’errance diagnostique, l’ambition est également d’harmoniser les pratiques en construisant un réel outil permettant d’améliorer la pertinence des investigations diagnostiques grâce au travail collaboratif entre les équipes des centres de référence et de compétences. Dans une vision prospective, le registre constitué prépare l’insertion des maladies neuromusculaires et mitochondriales dans le champ du séquençage à très haut débit dans le contexte du plan France Génomique 2025. Enfin, les informations colligées permettent de faire avancer les connaissances via des études épidémiologiques, la recherche de nouveaux variants pathogènes et l’identification de nouveaux gènes.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.