La transmission de l’information génétique de génération en génération chez les eucaryotes a longtemps été associée à un caractère immuable et statique des génomes. Cependant, avec l’essor du séquençage des génomes, il s’est avéré que tous les eucaryotes, à quelques exceptions près, contiennent des éléments mobiles. Ces séquences, appelées éléments transposables, ont été identifiées dans les années 1940 par Barbara McClintock, une découverte récompensée par le Prix Nobel de physiologie ou médecine en 1983. Les éléments transposables sont capables de se déplacer dans le génome et en représentent parfois une part importante [ 1 ]. Ainsi, près de la moitié du génome humain est composée de séquences dérivées d’éléments transposables, alors que les séquences codant des protéines n’en représentent que 2 % [ 2 ]. Les rétrotransposons sont les éléments mobiles prédominants chez les mammifères ainsi que chez des organismes modèles comme la levure Saccharomyces cerevisiae . Ils se divisent en deux familles : les rétrotransposons à LTR ( long terminal repeat ) incluant les rétrovirus endogènes, et les rétrotransposons sans LTR, dont les LINE ( long interspersed nuclear element ) ( Figure 1 ). Les rétrotransposons à LTR ont un cycle de réplication très proche de celui des rétrovirus exogènes. Leur ARN génomique est rétrotranscrit en ADN complémentaire (ADNc) dans une particule pseudo-virale cytoplasmique, avant d’être importé dans le noyau et inséré dans le génome de l’hôte par une intégrase codée par le rétrotransposon ( Figure 1 ). Les rétrotransposons sans LTR, quant à eux, couplent la transcription inverse de leur ARN génomique en ADNc avec leur intégration dans le génome de l’hôte par un mécanisme appelé TPRT ( target-primed reverse transcription ) ( Figure 1 ).
![]() | Figure 1.
Cycles de réplication des rétrotransposons à LTR et sans LTR.
Le génome des rétrotransposons à LTR consiste en deux LTR (
long terminal repeat
, flèches grises encadrées) flanquant une région centrale codante, qui contient deux cadres ouverts de lecture chevauchants :
GAG
et
POL
, analogues aux gènes rétroviraux du même nom. Les domaines fonctionnels de
POL
sont conservés entre les rétrotransposons à LTR et les rétrovirus. La polyprotéine Gag-Pol synthétisée est ensuite clivée en protéines distinctes : protéase (PR), transcriptase inverse-RNase H (RT-RH), et intégrase (IN). Le génome des rétrotransposons sans LTR de type LINE (
long interspersed nuclear element
) contient un promoteur ainsi que deux cadres ouverts de lecture :
ORF1
, qui code une protéine de liaison à l’ARN dont la fonction est mal connue, et
ORF2
, qui code une protéine ayant une activité endonucléase et transcriptase inverse. L’expression de tous les rétrotransposons est suivie de la maturation des ARN messagers (ARNm) correspondants et de leur transport vers le cytoplasme, où la traduction a lieu. Les ARN s’assemblent avec les protéines produites pour former des particules pseudo-virales (rétrotransposons à LTR) ou des ribonucléoparticules (rétrotransposons sans LTR). Dans le cas des rétrotransposons à LTR, la transcription inverse de l’ARN en ADN complémentaire (ADNc) a lieu dans les particules pseudo-virales, puis l’ADNc associé à des intégrases est importé dans le noyau pour permettre l’intégration d’une nouvelle copie dans le génome de l’hôte. Dans le cas des rétrotransposons sans LTR, les ribonucléoparticules sont importées dans le noyau, où la transcription inverse de l’ARN a lieu directement au site d’intégration par un processus appelé TPRT (
target-primed reverse transcription
) : l’activité endonucléase de Orf2p clive un brin de l’ADN génomique pour produire une extrémité 3’-OH, qui sert d’amorce pour la rétrotranscription de l’ARN du rétrotransposon en ADN.
|
Du fait de leur mobilité, les éléments transposables peuvent avoir des effets mutagènes, notamment si la nouvelle copie de l’élément s’insère dans les séquences codantes ou régulatrices d’un gène. Les multiples copies d’un même élément transposable au sein des génomes sont aussi à l’origine de réarrangements chromosomiques importants à la suite des recombinaisons entre copies situées à des locus distincts. Une centaine de maladies génétiques et de cancers ont ainsi été associés à l’activité des rétrotransposons dans l’espèce humaine [ 3 , 4 ]. Cependant, ces éléments mobiles jouent aussi un rôle fondamental dans l’évolution et la plasticité des génomes [ 5 ]. Ils sont à l’origine d’une variabilité génétique inter-individuelle, particulièrement importante pour des organismes unicellulaires qui doivent s’adapter rapidement à des conditions environnementales changeantes. Plusieurs exemples de sélection positive d’évènements de transposition, de la levure à l’homme, ont ainsi été mis en évidence [ 6 , 7 ]. De nombreux mécanismes existent dans la cellule pour restreindre la mobilité des éléments transposables et garantir l’intégrité du génome. Cependant, seuls les éléments transposables capables d’échapper au moins partiellement à ces mécanismes se maintiennent au travers des générations, et contribuent ainsi à la plasticité du génome de l’hôte. Un équilibre complexe s’est ainsi établi au cours de l’évolution entre les éléments transposables et leur hôte [ 8 ].
Les résultats d’une étude récente utilisant le rétrotransposon à LTR Ty3 de la levure S. cerevisiae illustrent bien les relations complexes qui s’instaurent au cours de l’évolution entre un élément transposable et son hôte [ 9 ]. En effet, les auteurs de cette étude ont démontré que l’expression du rétrotransposon Ty3, qui est normalement très faible, était activée spécifiquement durant la méiose ( Figure 2 ). Or cette activation est due à la présence, en amont de Ty3, de sites de liaison du principal facteur de transcription méiotique, Ndt80. Les auteurs ont observé une proximité entre des sites de liaison de Ndt80 et des rétrotransposons Ty3 dans de nombreuses espèces de Saccharomyces , suggérant que les éléments Ty3 ont « co-opté » ces séquences régulatrices afin d’être spécifiquement exprimés pendant la méiose. Or la méiose est un processus de division cellulaire particulièrement critique, car il conduit à la production des gamètes qui seront à l’origine de la génération suivante. Dans les organismes pluricellulaires, les nouvelles insertions d’éléments mobiles ayant eu lieu dans les gamètes seront ainsi transmises d’une génération à l’autre. Restreindre son expression à la méiose est donc une stratégie doublement avantageuse pour un rétrotransposon, puisqu’elle lui permet de se répandre dans la population tout en limitant, pour l’organisme hôte, le coût et le risque de sa réplication dans des cellules somatiques. Or il faut garder à l’esprit qu’en tant que parasite, le devenir d’un élément transposable est intimement lié à celui de sa cellule hôte. Il n’est donc pas étonnant que de telles stratégies d’« auto-limitation » de la réplication des éléments mobiles aient été sélectionnées au cours de l’évolution.
![]() | Figure 2.
Le contrôle de l’activité du rétrotransposon Ty3 chez la levure
Saccharomyces cerevisiae
. Au cours des divisions mitotiques, les rétrotransposons Ty3 sont très peu exprimés. La présence de sites de liaison du principal facteur de transcription méiotique, Ndt80, en amont des copies du rétrotransposon Ty3 entraîne l’activation de sa transcription lors de la méiose. Cependant, le répresseur traductionnel Rim4, qui forme des structures amyloïdes et est naturellement présent en début de méiose pour inhiber la traduction trop précoce de protéines requises pour la fin de la méiose, cible ces ARN et inhibe leur traduction, bloquant ainsi le cycle de réplication de Ty3. Néanmoins, des ARN qui seraient encore présents à la fin de la méiose, lorsque l’activité du répresseur Rim4 diminue, laissent une possibilité de terminer le cycle de réplication et d’intégrer une nouvelle copie dans le génome de certaines spores issues de la méiose.
|
Malgré l’augmentation des ARN de Ty3, peu de protéines de Ty3 sont produites pendant la méiose. En effet, la traduction des ARN de Ty3 est inhibée par un répresseur traductionnel, Rim4, qui est connu pour prévenir la traduction trop précoce de protéines requises en fin de méiose, et qui a la particularité de s’agréger en structures amyloïdes ( Figure 2 ) [ 9 ]. Les auteurs ont ainsi mis en évidence une nouvelle stratégie cellulaire pour limiter la prolifération des rétrotransposons en cas d’échappement à la répression transcriptionnelle. Cette dernière est le plus souvent la première ligne de défense des cellules contre les éléments transposables, en particulier dans les cellules germinales qui donneront les gamètes après la méiose [ 10 ]. Cette étude décrit un nouvel exemple du combat sans fin qui sévit entre l’hôte, avec ses mécanismes de restriction des éléments transposables, et les éléments transposables, avec leurs stratégies d’échappement pour se propager dans la population hôte [ 8 , 11 ].
Dans le génome des mammifères, aucun rétrotransposon de la famille Ty3/ Gypsy n’est aujourd’hui mobile. Cependant, au cours de l’évolution, de nombreux gènes dérivant de ces rétrotransposons ont été domestiqués pour remplir de nouvelles fonctions cellulaires. Chez la souris, l’expression de plusieurs de ces gènes est augmentée au cours des stades méiotiques de la spermatogenèse, en particulier celle des gènes Moap1 (modulator of apoptosis 1) et Pnma1 (paraneoplastic Ma antigens 1) qui est contrôlée par les facteurs de transcription méiotiques, tout comme celle des rétrotransposons Ty3 chez la levure. Remarquablement, les ARN produits à partir de ces deux gènes sont liés au répresseur traductionnel orthologue de Rim4 chez la souris et chez l’homme. Le détournement de facteurs de transcription méiotiques par les rétroéléments Gypsy pour assurer leur expression pendant la gamétogénèse, ainsi que la reconnaissance de leurs ARN par des protéines de liaison à l’ARN de type amyloïde, semblent donc avoir été conservés au cours de l’évolution. Le fait que des séquences dérivées des rétrotransposons Ty3 /Gypsy soient devenues des gènes à part entière montre de plus qu’un équilibre a été atteint pour permettre d’abord l’expression de ces séquences sans effet délétère pour la cellule hôte, puis leur domestication au bénéfice de l’hôte.
Cette étude s’ajoute aux nombreux exemples de mécanismes conservés au cours de l’évolution qui ont été élucidés chez la levure, notamment grâce aux multiples outils génétiques disponibles chez cet organisme eucaryote unicellulaire. L’étude des rétrotransposons Ty , qui sont parmi les mieux connus des rétrotransposons à LTR [ 12 ], a notamment permis de décrire précisément les mécanismes moléculaires contraignant l’intégration des rétrotransposons dans des régions non essentielles du génome de la levure [ 13 ]. Les Ty sont donc de puissants modèles pour explorer les relations complexes qui s’établissent entre un élément transposable et sa cellule hôte afin d’atteindre un équilibre entre, d’une part, un nécessaire contrôle de la transposition par la cellule hôte pour garantir l’intégrité de son génome, et, d’autre part, un maintien des éléments transposables qui contribuent à la plasticité des génomes.