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Med Sci (Paris). 38(4): 343–345.
doi: 10.1051/medsci/2022034.

L’appendice iléo-cæcal intègre la mystérieuse équation des déterminants de la longévité chez les mammifères

Maxime K. Collard,1 Jérémie Bardin,2 Michel Laurin,2* and Éric Ogier-Denis1,3,4**

1Université Paris Cité, Centre de recherche sur l’inflammation, Inserm U1149, CNRS ERL8252, Équipe Inflammation intestinale , Paris , France
2Centre de recherches sur la paléobiodiversité et les paléoenvironnements (CR2P), UMR 7207, CNRS/MNHN, Sorbonne université, Muséum national d’histoire naturelle , Paris , France
3Inserm U1242, Université de Rennes 1 , Rennes , France
4Centre de lutte contre le cancer Eugène Marquis (CLCC) , Rennes , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Appendice vermiforme, Humains, Longévité, Mammifères

 

Dans son ouvrage intitulé La descendance de l’Homme et la sélection sexuelle , publié en 1871 (1 re édition en Français en 1872), Charles Darwin écrivait : «  Je n’ai rencontré qu’un seul cas de rudiment dans le canal digestif, à savoir l’appendice vermiforme du cæcum […] Il est non seulement inutile, mais il peut devenir aussi une cause de mort  ». En première lecture, les données biomédicales récentes semblent conforter cette affirmation du père de la biologie évolutive moderne, puisqu’on connaît la fréquence et la gravité de l’appendicite aiguë, qui peut conduire au décès du patient en l’absence d’une intervention médico-chirurgicale rapide. Autour de 10 % des individus des pays industrialisés subissent une appendicectomie au cours de leur existence [ 1 ], et, à ce jour, aucune conséquence grave de la suppression de l’appendice iléo-cæcal n’a été rapportée dans la population générale. Il est donc tentant de soutenir l’hypothèse, historiquement ancrée dans la pensée commune, de l’inutilité de cet appendice, tout en évoquant le caractère vestigial d’une structure vouée à disparaître. Pourtant, en 2009, les résultats d’une étude de biologie évolutive ont remis en cause ce point de vue historique [ 2 ]. Cette étude est partie du constat que divers mammifères, dispersés sur l’arbre évolutif, comme le koala, l’ornithorynque, le castor ou encore l’orang-outan, possèdent tous un appendice iléo-cæcal et l’auraient acquis indépendamment. Ce phénomène d’apparitions multiples de l’appendice au cours de l’évolution des mammifères et sa conservation depuis plusieurs dizaines de millions d’années témoignent d’un phénomène de convergence évolutive suggérant l’existence d’un avantage sélectif conféré par la présence de cette structure anatomique. Mais quelle pourrait donc être la nature de cet avantage, qui surpasserait le désavantage sélectif lié au risque d’appendicite ?

Nous avons émis l’hypothèse que la présence de l’appendice iléo-cæcal pourrait influencer la longévité des individus appartenant aux espèces de mammifères le possédant. Nous avons collecté, chez 258 espèces de mammifères, les informations suivantes : leur longévité maximale, leur poids moyen, la présence ou l’absence d’un appendice, ainsi que l’arbre évolutif reliant toutes ces espèces. Nous avons ainsi identifié 39 espèces possédant un appendice et 219 espèces n’en possédant pas. À partir de ces données, nous avons évalué la pertinence de plusieurs modèles, incluant les effets du poids et de la présence d’un appendice, ainsi que leur interaction, sur la longévité maximale des espèces par une approche de régression phylogénétique généralisée 1 utilisant la méthode des moindres carrés, une approche statistique permettant d’intégrer la covariance des organismes due à leur histoire évolutive commune. Nous avons alors constaté que la meilleure modélisation de la longévité était obtenue en considérant conjointement les variables poids et présence de l’appendice , sans interaction entre elles [ 3 ]. Dans cette analyse, la présence d’un appendice augmentait significativement, d’environ 60 %, la longévité des mammifères considérés. Nous avons ensuite cherché à quantifier le nombre d’apparitions et de disparitions de l’appendice au cours de l’histoire évolutive des mammifères. En résolvant systématiquement en défaveur de notre hypothèse les ambigüités évolutives, c’est-à-dire en considérant chaque fois la perte de la structure plutôt que son gain, nous avons montré que l’appendice serait apparu au moins 17 fois, tandis qu’il aurait disparu au maximum cinq fois. Cette asymétrie évolutive, très en faveur du gain, confirme l’existence d’un avantage sélectif apporté par la présence de cette structure anatomique au regard des lois de la sélection naturelle.

Ainsi, l’appendice iléo-cæcal a été sélectionné positivement chez les mammifères, tout en permettant un allongement de la longévité des espèces qui le possèdent. Dans le cadre de la question posée précédemment, l’interprétation de ce résultat double n’est cependant pas évidente. En effet, un caractère n’est généralement pas privilégié par la sélection naturelle parce qu’il augmente la longévité. Diverses théories sur le vieillissement viennent à l’appui de ce constat, que ce soit la théorie de la mort programmée, qui considère que le vieillissement des individus d’une espèce compromet le succès reproductif de leur population, ou bien la théorie de l’accumulation des mutations, qui professe que l’effet néfaste sur la survie de l’individu de l’accumulation des mutations délétères avec l’âge s’exerce après la période de procréation, ou encore la théorie de la pléiotropie antagoniste, qui repose sur l’idée que certaines mutations nuisibles à la longévité sont sélectionnées positivement au cours de l’évolution, car elles confèrent un avantage sélectif important aux individus au début de la vie, avant la période de procréation [ 4 ]. Il est difficile alors de comprendre le lien entre la présence de l’appendice et l’augmentation de la longévité. C’est la théorie du vieillissement énoncée par George C Williams qui apporte la clé de lecture la plus pertinente [ 5 ]. Cette théorie, vérifiée expérimentalement [ 6 ], ainsi que par les résultats d’études réalisées dans le monde sauvage [ 7 ], affirme qu’une diminution de la mortalité extrinsèque 2, retarde la sénescence et augmente la longévité des espèces. Il a, par exemple, été montré que les espèces de mammifères vivant dans les arbres présentent une longévité supérieure à celle des mammifères exclusivement terrestres, et ce constat s’explique par une diminution de la mortalité extrinsèque conférée par le mode de vie arboricole : moins de prédations, moins de contaminations infectieuses [ 7 ]. Ainsi, les résultats de notre étude suggèrent que la présence de l’appendice iléo-cæcal permet de réduire la mortalité extrinsèque. Mais comment ?

Deux hypothèses principales sont actuellement considérées. La première est celle du sanctuaire bactérien. Par sa forme vermiculaire et en cul-de-sac, l’appendice hébergerait un échantillon du microbiote colique qui serait épargné en cas de diarrhée infectieuse. Cela permettrait la recolonisation rapide du côlon au décours de l’épisode infectieux, diminuant ainsi le risque de décès. Le résultat d’une étude récente réalisée chez l’homme montrant que l’appendicectomie est associée à une sévérité accrue des diarrhées infectieuses à Salmonella corrobore cette hypothèse [ 8 ]. Le bénéfice, à l’échelle de l’espèce, d’une réduction de la mortalité infectieuse par diarrhée ne doit pas être sous-estimé. Il a en effet été rapporté que cette cause de mortalité représenterait environ 11 % des causes de mortalité chez les primates [ 9 ]. La seconde hypothèse est que l’appendice iléo-cæcal, une structure lymphoïde secondaire, pourrait être un site de présentation antigénique aux cellules de l’immunité adaptative [ 10 ]. Cela permettrait de réduire la mortalité due à des maladies impliquant l’immunité adaptative : maladies infectieuses (en renforçant cette immunité), mais aussi maladies auto-immunes (en améliorant le profil de tolérance immunitaire), ou encore maladies cancéreuses (en optimisant la réponse immunitaire anti-tumorale). Cette hypothèse est déjà étayée par les résultats de plusieurs travaux de recherche [ 11 ] 3 . Enfin, il convient de noter que ces deux hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives ( Figure 1 ) .

Une question demeure : pourquoi n’avons-nous pas constaté, chez l’homme, de surmortalité précoce après une appendicectomie, alors qu’elle est réalisée chez près d’une personne sur dix ? Si un rôle de l’appendice iléo-cæcal est de réduire la mortalité par diarrhée infectieuse, il est certain que l’hygiène moderne, incluant la chaîne agro-alimentaire, l’eau potable, et le progrès médical (notamment l’antibiothérapie), permet, à elle seule, de réduire cette cause de mortalité qui nous menaçait auparavant. Si l’appendice a pour fonction d’optimiser le système immunitaire adaptatif, il est envisageable que l’appendicite confère à ce système une éducation immunitaire « optimisée », et, dans cette hypothèse, l’appendicectomie en cas d’appendicite (qui est, de très loin, le principal motif de l’appendicectomie) ne nuirait pas à l’éducation du système immunitaire déjà mise en place. Les habitants des pays industrialisées ayant subi une appendicectomie peuvent donc se tranquilliser, tout en gardant à l’esprit que l’appendice iléo-cæcal n’est pas un vestige évolutif, mais plutôt une structure sélectionnée positivement au cours de l’histoire évolutive, qui prolonge la longévité des individus appartenant aux espèces qui en sont pourvues, probablement par une diminution de la mortalité extrinsèque.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Cette approche repose sur une méthode statistique permettant de quantifier l’effet de variables explicatives (ici, la présence de l’appendice et le poids) sur une variable expliquée (ici la longévité), tout en prenant en compte la covariance des taxons liée à leur parenté évolutive. En effet, les données de différentes espèces ne sont pas statistiquement indépendantes car les espèces étroitement apparentées se ressemblent généralement plus que les autres.
2 La mortalité extrinsèque est la somme des effets de facteurs environnementaux (prédation, parasitisme, polluants, etc.) qui contribuent à la sénescence et à la mort. Elle s’oppose à la mortalité intrinsèque, qui est la somme des effets de facteurs internes (mutations, erreurs de réplication de l’ADN, etc.).
3 Collard MK, Tourneur-Marsille J, Uzzan M , et al. The appendix orchestrates T-cell mediated immunosurveillance in colitis-associated cancer. medRxiv 2021 : 2021.05.25.21257681.
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