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Med Sci (Paris). 38(6-7): 520–523.
doi: 10.1051/medsci/2022075.

Le métabolisme protège-t-il notre système immunitaire ?

Laurent Yvan-Charvet1* and Béatrice Bailly-Maitre1

1Inserm U1065, Université Côte d’Azur, Centre méditerranéen de médecine moléculaire (C3M), Atip-avenir, Fédération hospitalo-universitaire Oncoage , Nice , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Homéostasie, Humains, Système immunitaire

 

Dans les sociétés occidentales, on observe une augmentation de l’incidence de certaines maladies inflammatoires chroniques, notamment de l’athérosclérose, responsable d’infarctus du myocarde et d’accidents vasculaires cérébraux. Ces maladies inflammatoires chroniques se caractérisent par une étiologie multifactorielle impliquant des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux. Parmi ces derniers, la consommation chronique d’aliments riches en calories (régime de type occidental) qui, combinée à un mode de vie sédentaire, provoque une inflammation métabolique chronique (métaflammation) [ 1 ]. Bien que le métabolisme énergétique et la réaction inflammatoire soient tous deux essentiels à la survie, nos connaissances sur la façon dont ces processus s’influencent mutuellement et sur ce qui peut perturber leur équilibre sont encore très limitées. Une étude visant à déterminer s’il existe entre eux une relation causale a montré qu’un régime alimentaire de type occidental entraîne une modification durable, quantitative et qualitative, des cellules immunitaires [ 2 ]. Au moins deux lignes de pensées distinctes ont émergé durant la dernière décennie pour tenter d’expliquer la relation entre le régime alimentaire et l’état d’inflammation chronique. Chez une personne adulte en bonne santé, entre cent mille millions et un billion de nouvelles cellules sanguines, en particulier les cellules myéloïdes du système immunitaire, sont produites quotidiennement dans un processus consommateur d’énergie : la myélopoïèse. En cas de surnutrition, se pourrait-il que la myélopoïèse s’emballe et produise alors un plus grand nombre de cellules immunitaires ? L’autre mécanisme proposé implique directement les macrophages (les principales cellules myéloïdes du système immunitaire), considérés comme des « éboueurs » de l’organisme. Ils sont présents dans les tissus à forte activité métabolique tels que le foie, le tissu adipeux ou le côlon, mais également dans les artères. Que se passe-t-il si ces cellules sont confrontées à une surnutrition chronique ou à des nutriments nocifs ? C’est ainsi qu’est née l’hypothèse d’une « indigestion » des macrophages qui perturberait leur métabolisme et leur fonctionnement, ce qui conduirait à une altération de leur polarisation et au relargage de facteurs inflammatoires. Mais cette perturbation serait-elle due à l’augmentation de la consommation globale d’aliments ou bien à des ingrédients spécifiques des régimes occidentaux ?

La combustion des nutriments dans les cellules produit de l’énergie sous forme d’ATP (adénosine triphosphate). La dépense d’énergie obligatoire pour le fonctionnement de nos cellules (y compris celles du système immunitaire) représente jusqu’à 70 % de la dépense journalière. S’y ajoute une dépense d’énergie, dite adaptative, pour maintenir la température corporelle et permettre les efforts physiques. Les régimes alimentaires occidentaux sont particulièrement riches en aliments producteurs d’énergie, notamment sucres raffinés et graisses animales purifiées [ 3 ]. Par ailleurs, le cholestérol provenant du catabolisme des graisses animales est un facteur connu de surproduction des cellules myéloïdes du système immunitaire, mais aussi de la transformation des macrophages en cellules spumeuses, à l’origine de leur dysfonctionnement et d’une inflammation vasculaire [ 4 ]. Des pics de glycémie intermittents, en rapport avec le mode d’alimentation, entraînent également une surproduction des cellules myéloïdes du système immunitaire, conduisant à des complications vasculaires [ 5 ]. Cependant, de nombreuses lacunes persistent dans nos connaissances sur la façon dont le métabolisme peut déclencher une activation immunitaire inappropriée.

Les taux sanguins du cholestérol et du glucose dépendent des apports alimentaires, mais également de mécanismes de régulation internes. Il existe en particulier, pour ces deux molécules, des échanges complexes entre l’intestin, le foie, les autres tissus et le sang. Si le foie et l’intestin contribuent ensemble à l’élimination du cholestérol, le foie est le principal organe producteur de cette molécule. L’inhibition de la production hépatique de cholestérol par les statines 1, constitue la stratégie thérapeutique de première intention pour réduire l’inflammation vasculaire en cas d’hypercholestérolémie [ 4 ]. Le foie est également capable de produire du glucose par la néoglucogenèse, et une hypoglycémie induite par un déficit de cette voie métabolique réduit la production de cellules myéloïdes du système immunitaire [ 6 ]. Il a été proposé que le métabolisme hépatique est un senseur d’énergie majeur de notre alimentation, auquel serait soumis notre tonus immunitaire quotidien [ 7 ]. Les cellules immunitaires ont la capacité d’ingérer les nutriments présents dans leur environnement, et l’inflammasome, un complexe assemblé dans les cellules immunitaires, servirait de senseur intrinsèque de ces signaux nutritionnels, tout en participant aussi à la mémoire immunitaire [ 2 , 8 ].

Les protéines alimentaires sont souvent négligées dans le bilan énergétique car elles ne représentent qu’environ 10 % de notre alimentation quotidienne. Cependant, on sait qu’un apport alimentaire adéquat en protéines (entre 0,8 et 2 g/kg/jour) chez les personnes âgées prévient les maladies liées à la malnutrition, ainsi que la baisse de leurs défenses immunitaires. Le biologiste Metchnikov, lauréat du prix Nobel de physiologie ou médecine en 1908, proposa originellement qu’un excès de protéines dans l’alimentation jouerait un rôle toxique dans l’inflammation des vaisseaux, avant de s’intéresser plus particulièrement au rôle du cholestérol [ 9 ]. Il a fallu attendre le début du xxi e  siècle et les approches métabolomiques dans différentes études épidémiologiques pour observer des variations plasmatiques spécifiques d’acides aminés dans les maladies cardiométaboliques [ 10 ]. La glutamine est l’acide aminé le plus abondant de l’organisme : il constitue jusqu’à 60 % du contenu total du corps en acides aminés. Il est présent dans l’alimentation, mais près de 90 % de sa production quotidienne provient d’une production endogène. Cependant, dans des conditions de stress métabolique comme c’est le cas pour les maladies graves ou les blessures sévères, la glutamine devient un acide aminé conditionnellement essentiel ( i.e. , un acide aminé dont la disponibilité pour l’organisme, dans ces conditions particulières, dépend en plus grande partie de l’apport alimentaire) car l’organisme épuise rapidement ses réserves pour fournir de l’énergie aux processus de réparation (néoglucogenèse, prolifération cellulaire, réponse en phase aiguë et maintien du statut redox et de l’équilibre acido-basique). Cette carence peut ralentir la réparation, mais elle peut être partiellement corrigée par l’apport quotidien d’un supplément de glutamine, même si l’efficacité de cette supplémentation alimentaire est fréquemment remise en question en raison de résultats controversés, liés en particulier à son mode d’administration [ 11 ].

Les cellules immunitaires consomment beaucoup de glutamine : leur survie, leur prolifération et leur fonctionnement dépendent donc largement de la disponibilité de cette molécule. Merlin et al. , ont étudié l’effet de l’utilisation de la glutamine par les macrophages, en particulier sur leur fonction de clairance de cellules apoptotiques (efférocytose) [ 12 ]. En effet, plus de cent milliards de cellules apoptotiques et de débris cellulaires sont éliminés chaque jour par les macrophages pour prévenir leur accumulation et l’inflammation qu’elle provoquerait. Ce processus est également crucial pour la réparation tissulaire et la cicatrisation après une lésion. Étant donné leur capacité à engloutir les cellules apoptotiques de manière continue et répétée, les macrophages doivent adapter leur métabolisme pour faire face à une possible « indigestion ». Bien que la glutamine soit considérée comme un carburant pour le système immunitaire, son rôle dans l’efférocytose n’avait pas encore été étudié. La glutamine est hydrolysée en glutamate (glutaminolyse) par l’enzyme glutaminase-1. Les auteurs ont produit des souris mutantes chez lesquelles le gène de la glutaminase-1 est invalidé spécifiquement dans les macrophages, et ont ainsi pu étudier l’impact métabolique et fonctionnel de la déficience de l’utilisation de la glutamine par ces cellules. La glutamine contribue très diversement au métabolisme : production d’ions (ammonium), synthèse de protéines et d’antioxydants naturels (glutathion), et génération de substrats anaplérotiques 2 du cycle de Krebs. Ce dernier est impliqué dans la dégradation cellulaire des nutriments et la production d’énergie sous forme d’ATP. Les auteurs montrent que la glutaminolyse, non seulement aide ces macrophages à faire face au stress oxydant induit par leur ingestion de cellules apoptotiques, mais également alimente la phosphorylation oxydante par l’intermédiaire de voies non canoniques de transamination pour répondre aux besoins énergétiques des réarrangements du cytosquelette au cours de l’efférocytose.

Pour évaluer l’impact de la glutaminolyse sur l’inflammation vasculaire, les auteurs ont produit des souris déficientes en glutaminase-1 dans un modèle de susceptibilité à l’athérosclérose. Chez ces souris mutantes, une augmentation des corps nécrotiques dans la paroi des vaisseaux, liée au défaut de clairance par les macrophages, a permis de conclure à l’aggravation de la maladie athéromateuse. Merlin et al. ont également mis en évidence l’existence d’une corrélation inverse entre l’expression de la glutaminase-1 et la gravité des plaques d’athérome, en particulier la taille des corps nécrotiques, dans des échantillons de tissus humains. Ces résultats ouvrent des perspectives thérapeutiques pour tenter de prévenir les dommages vasculaires ou d’améliorer leur réparation après un évènement cardiovasculaire, par exemple par une supplémentation adaptée en glutamine. Dans cette perspective, la mesure de la concentration plasmatique de la glutamine (glutaminémie) pourrait alors servir de marqueur d’une quantité insuffisante de glutamine disponible pour le système immunitaire. Cependant, cette mesure ne serait qu’indicative puisque de nombreux mécanismes de contrôle des flux métaboliques concourent au maintien de cette concentration, qui ne reflète que très indirectement la quantité de glutamine libre présente dans les tissus. Des approches d’imagerie par TEP-scanner (tomographie par émission de positrons couplée à un scanner) sont déjà utilisées avec des analogues du glucose radioactifs pour détecter une activité métabolique anormale dans les organes. L’utilisation d’analogues de la glutamine radioactifs permettrait, par la même technique, d’obtenir des informations complémentaires.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Médicaments qui inhibent l’HMG-CoA réductase, une enzyme limitante de la voie de synthèse du cholestérol.
2 En biochimie, une réaction anaplérotique qualifie une réaction chimique qui produit un métabolite intermédiaire d’une voie métabolique, notamment dans le cycle de Krebs, dont certains métabolites sont utilisés comme substrats par diverses autres voies métaboliques : l’anaplérose, essentielle à l’homéostasie cellulaire, consiste à rétablir la concentration de ces métabolites dans la mitochondrie afin qu’elle demeure constante et n’interrompe pas le cycle de Krebs malgré la consommation de ses métabolites dans différentes biosynthèses.
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