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Med Sci (Paris). 38(6-7): 526–528.
doi: 10.1051/medsci/2022072.

Effet des régimes hypoglycémiants sur la croissance tumorale
Un rôle des lipides ?

Jean Bastin1* and Fatima Djouadi1**

1Centre de recherche des Cordeliers, Inserm U1138, Sorbonne Université, USPC, Université Paris Cité , Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Régime alimentaire, Matières grasses alimentaires, Humains, Métabolisme lipidique, Foie, Tumeurs, métabolisme

 

Le décryptage des besoins métaboliques indispensables à la croissance et à la prolifération tumorale a indubitablement contribué à un meilleur traitement des cancers [ 1 ]. Connaissant le rôle prépondérant du métabolisme glucidique dans la reprogrammation métabolique des cellules cancéreuses (effet Warburg) [ 2 ], on présume souvent que des régimes alimentaires hypoglycémiants, comme une restriction calorique ou un régime cétogène, ralentissent la croissance tumorale en abaissant les concentrations de glucose et d’insuline dans le sang.

En comparant, chez la souris, les effets d’une restriction calorique (régime hypocalorique avec 40 % d’apport calorique en moins, dû à un apport glucidique alimentaire réduit de moitié) et d’un régime cétogène (dans ce cas sans apport de glucides alimentaires, et avec un apport en graisses dix fois supérieur à l’apport normal), Lien et al. montrent que seul le régime hypocalorique ralentit la croissance d’une sélection d’allogreffes tumorales, alors même que la glycémie baisse chez les animaux soumis aux deux régimes [ 3 ]. L’effet bénéfique de la restriction calorique sur la croissance tumorale ne peut donc pas s’expliquer par des taux sanguins réduits d’insuline et de glucose. Lien et al. ont donc recherché des différences possibles, chez les souris porteuses de tumeurs et soumises à un régime témoin, à un régime hypocalorique, ou à un régime cétogène, au niveau des métabolites présents dans le plasma et le fluide interstitiel tumoral. Les plus importantes différences qu’ils ont observées concernent les concentrations d’acides gras à chaîne longue, qui sont généralement diminuées par le régime hypocalorique et augmentées par le régime cétogène. Ces observations suggéraient donc qu’une disponibilité réduite en lipides et en acides gras jouait un rôle dans la diminution de la croissance tumorale associée à la restriction calorique.

Pour tester cette hypothèse, Lien et al. ont eu recours à des lignées de cellules cancéreuses issues de différents tissus (pancréas, poumon), et cultivées dans un milieu standard, ou dans un milieu très appauvri en lipides. La plupart des cellules ont continué à proliférer dans le milieu dépourvu de lipides, mais à un rythme plus lent. Si les concentrations cellulaires des acides gras polyinsaturés, qui doivent nécessairement être fournis par le milieu de culture, sont diminuées par une restriction en lipides, celles des acides gras saturés et des acides gras mono-insaturés restent cependant globalement maintenues, à l’exception d’un acide gras mono-insaturé, le C16:1(n-7) 1, , dont la concentration cellulaire est très augmentée dans le cas du milieu appauvri en lipides. Cette découverte a orienté alors les auteurs sur la piste de la stéaroyl-CoA désaturase, une enzyme impliquée dans la synthèse des acides gras mono-insaturés, C16:1(n-7) et C18:1(n-9), à partir d’acides gras saturés, C16:0 et C18:0. L’appauvrissement du milieu de culture en lipides augmenterait donc l’activité de cette enzyme. L’inhibition de cette enzyme, par le composé A939572, empêche, par ailleurs, la prolifération de toutes les cellules et provoque même la mort de certaines d’entre elles, mais uniquement dans le milieu appauvri en lipides, démontrant ainsi que l’augmentation de l’activité de la stéaroyl-CoA désaturase est indispensable à la survie des cellules cancéreuses lorsque la fourniture en lipides exogènes est limitée [ 3 ].

Pourquoi la stéaroyl-CoA désaturase est-elle nécessaire à la prolifération des cellules cancéreuses cultivées dans un milieu appauvri en lipides ? Compte tenu du rôle de cette enzyme dans la conversion des acides gras saturés en acides gras mono-insaturés, la toxicité et la mort cellulaire induites par son inhibition, dans le milieu dépourvu de lipides, pourraient être attribuées à différents facteurs, que les auteurs de cette étude ont successivement testés : une diminution des acides gras mono-insaturés ; une diminution du rapport acides gras mono-insaturés/acides gras saturés ; ou une augmentation des acides gras saturés, dont l’accumulation pourrait être toxique pour les cellules. Il ressort de ces études qu’une supplémentation en acides gras polyinsaturés essentiels C18:2(n-6) prévient la toxicité induite par l’inhibition de la stéaroyl-CoA désaturase dans toutes les cellules, sans reconstituer le réservoir d’acides gras mono-insaturés ou le rapport acides gras mono-insaturés/acides gras saturés, mais en empêchant l’accumulation de l’acide gras saturé C16:0. Par ailleurs, toujours dans le milieu appauvri en lipides, une supplémentation en acide gras C16:0 exacerbe la toxicité cellulaire associée à l’inhibition de la stéaroyl-CoA désaturase [ 3 ]. Ces résultats montrent que l’inhibition de la stéaroyl-CoA désaturase perturbe l’équilibre entre acides gras saturés et acides gras insaturés dans la cellule et conduit à la mort cellulaire par accumulation d’acides gras saturés. Ils montrent également que l’activité de désaturation des acides gras saturés par cette enzyme joue un rôle critique dans la survie des cellules cancéreuses dans un milieu de culture appauvri en lipides

Ces résultats obtenus ex vivo éclairaient les effets différents des régimes hypoglycémiants sur la croissance tumorale in vivo , en indiquant que ces effets pourraient être liés à l’existence d’une modification de l’expression de la stéaroyl-CoA désaturase par le régime alimentaire. L’analyse de la quantité de cette protéine enzymatique dans les tumeurs de souris soumises à un régime hypocalorique ou à un régime cétogène a cependant montré qu’elle était diminuée par les deux régimes. Néanmoins, le contenu des tumeurs en acides gras mono-insaturés et en acides gras saturés, ainsi que les rapports acides gras mono-insaturés/acides gras saturés se révèlent, quant à eux, très différents selon le régime alimentaire [ 3 ]. Ainsi, dans le contexte d’une réduction de la stéaroyl-CoA désaturase, la nature et la quantité des acides gras présents dans les tumeurs pourraient expliquer les effets différents des deux régimes sur la croissance tumorale. Plus précisément, la capacité du régime alimentaire à induire un déséquilibre entre acides gras mono-insaturés et acides gras saturés pourrait rendre compte des effets de ce régime sur la croissance tumorale, une hypothèse qui a été testée pour les deux régimes.

En ce qui concerne l’effet bénéfique de la restriction calorique sur la croissance des tumeurs, le rôle critique de la stéaroyl-CoA désaturase a été encore étayé par les résultats d’expériences montrant qu’une surexpression de cette enzyme, confirmée par une augmentation des acides gras mono-insaturés, en particulier C18:1(n-9), et par une modification des rapports acides gras mono-insaturés/acides gras saturés, en particulier C18:(n-9)/C18:0, abolit partiellement cet effet ( Figure 1a ) . Les auteurs ont ensuite utilisé deux régimes hyper-gras de composition différente, associés à une restriction calorique pour augmenter la disponibilité et modifier la nature des lipides, et essayer ainsi de contrecarrer l’effet de la restriction calorique sur la diminution de la stéaroyl-CoA désaturase. Ils ont ainsi testé : un régime « hypocalorique/hyper-gras/huile de soja », contenant principalement l’acide gras polyinsaturé C18:2(n-6), et un régime « hypocalorique/hypergras/huile de palme », contenant du palmitate C16:0 (l’acide gras saturé qui s’accumule le plus dans les cellules) et un acide gras mono-insaturé C18:1(n-9). Seul le régime « hypocalorique/hypergras/huile de palme » restaure partiellement la croissance tumorale, comparée à celle observée chez les souris en restriction calorique, ainsi que les rapports C18:1(n-9)/C18:0 [ 3 ]. Ces résultats valident donc un scénario dans lequel le ralentissement de la croissance tumorale observé chez des souris soumises à un régime hypocalorique résulterait à la fois d’une inhibition de la stéaroyl-CoA désaturase cellulaire et d’une diminution de la disponibilité en lipides, en accord avec le fait que les effets bénéfiques de ce régime sont atténués aussi bien par une expression exogène de la stéaroyl-CoA désaturase, que par un régime « hypocalorique/hyper-gras/huile de palme » ( Figure 1a ) .

Les auteurs ont ensuite comparé les effets d’une supplémentation en huile de palme ou en lard dans un régime cétogène. Ils ont montré que seul le « régime cétogène/huile de palme » augmente les concentrations des acides gras saturés dans le sang et leur accumulation dans la tumeur, ce qui, dans le contexte d’une faible activité de la stéaroyl-CoA désaturase, rend compte de l’inhibition de la croissance tumorale observée en réponse à ce régime alimentaire [ 3 ]. Ainsi, l’effet du régime cétogène sur la croissance tumorale peut être modulé par la nature des acides gras fournis dans ce régime ( Figure 1b ) .

Les caractéristiques des acides gras contenus dans l’alimentation des souris peuvent donc modifier les effets de régimes alimentaires à faible index glycémique, tels qu’un régime hypocalorique ou un régime cétogène, sur la croissance tumorale. Si ces résultats soulignent l’importance du rôle de la stéaroyl-CoA désaturase, ils montrent cependant que les variations d’expression de cette enzyme ne suffisent pas à expliquer les effets des régimes alimentaires sur la croissance tumorale. Ainsi, il ressort de cette étude chez la souris que la nature des lipides alimentaires, l’équilibre des concentrations d’acides gras saturés et insaturés, et l’existence d’une inhibition de la stéaroyl-CoA désaturase interviennent de concert pour expliquer l’effet ou l’absence d’effet des régimes hypoglycémiants sur la croissance tumorale.

Dans la dernière partie de leur étude, les auteurs ont analysé la relation entre le régime alimentaire et la survie dans un groupe d’environ 1 000 patients atteints d’un cancer du pancréas. Certains résultats apparaissent cohérents avec ceux obtenus chez la souris, et sont encourageants. Ainsi, par exemple, un régime pauvre en carbohydrates, mais contenant plus de lipides et de protéines, a été associé à une meilleure survie des patients [ 3 ]. Toutefois, il convient de noter que les régimes alimentaires à faible index glycémique entraînent souvent une faible compliance des patients car ils sont difficiles à maintenir sur le long terme. Mais puisque les expériences effectuées chez la souris ont montré qu’une inhibition de la stéaroyl-CoA désaturase est amplifiée, par exemple, par une concentration d’acides gras saturés dans le sang plus élevée, des régimes alimentaires ou des interventions diététiques reproduisant ces conditions pourraient améliorer l’efficacité d’un traitement utilisant un inhibiteur de cette enzyme.

En résumé, les résultats assez étonnants de cette étude chez la souris montrent comment l’alimentation peut modifier la fourniture de métabolites aux cellules cancéreuses, pour influencer leur métabolisme et affecter leur croissance. Une meilleure compréhension de l’influence du régime alimentaire sur le métabolisme et la progression de la tumeur permettrait de guider les nutritionnistes dans leur prise en charge des patients atteints de cancer, et pourrait déboucher sur de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Selon cette nomenclature des acides gras, C16 désigne le nombre d’atomes de carbones, 1 le nombre de doubles liaisons, et (n-7) la position de la première double liaison en partant du groupe méthyle (CH3) terminal.
References
1.
Lien EC , Vander Heiden MG . A framework for examining how diet impacts tumour metabolism. . Nat Rev. 2019; ; 19 : :651. – 661 .
2.
DeBerardinis RJ , Chandel NS . We need to talk about the Warburg effect. . Nat Metab. 2020; ; 2 : :127. – 9 .
3.
Lien EC , Westermark AM , Zhang Y , et al. Low glycaemic diets alter lipid metabolism to influence tumour growth. . Nature. 2021; ; 599 : :302. – 7 .