Certains tissus sont à renouvellement rapide, comme l’intestin, dont l’épithélium est entièrement renouvelé tous les cinq jours chez les mammifères. D’autres organes, au contraire, possèdent, à l’âge adulte, des cellules quiescentes, ce qui leur confère généralement un renouvellement lent. Ainsi, les cardiomyocytes humains ont un taux de renouvellement de moins de 1 % par an, alors que pour les cellules endothéliales, ce taux est supérieur à 15 % [ 1 ]. Parmi les organes à renouvellement lent, le foie possède un statut particulier. Il est à la fois considéré comme quiescent, à l’instar du cerveau ou du cœur, mais possède également une capacité régénérative que ces organes n’ont pas. De plus, alors qu’il existe un pool de cellules souches dans la plupart des tissus à renouvellement rapide, dans le foie, ce sont les hépatocytes eux-mêmes qui assurent l’homéostasie et la réparation en cas de lésion aiguë. Dans des conditions spécifiques d’agression chronique du foie où la capacité proliférative des hépatocytes est épuisée, des cellules moins différenciées semblent entrer en jeu. Cependant, même dans ces situations particulières, des études de lignage chez le rongeur indiquent que ces cellules progénitrices proviennent également d’hépatocytes qui se sont dédifférenciés et participent finalement assez peu à la réparation du foie [ 2 ] ( → ).
(→) Voir la Nouvelle de H. Gilgenkrantz, m/s n° 4, avril 2015, page 357
Pourquoi une telle spécificité du foie ? L’unité structurale et fonctionnelle de cet organe est le lobule hépatique, de forme hexagonale, avec au centre, la veine centro-lobulaire, et à chaque angle de l’hexagone, des espaces portes comprenant une artère hépatique, une veine porte et un canal biliaire ( Figure 1 ). Selon leur localisation dans le lobule, les hépatocytes n’ont pas les mêmes fonctions, notamment métaboliques : les hépatocytes proches des espaces portes assurent notamment la néoglucogenèse, alors que les hépatocytes péricentraux assurent plutôt la glycolyse et le métabolisme des médicaments et autres substances exogènes ( Figure 1 ). Les hépatocytes diffèrent également par leurs capacités prolifératives. Différents travaux ont montré que la capacité proliférative de certains hépatocytes de la zone périportale est supérieure à celle des autres hépatocytes, en particulier en conditions d’agression tissulaire [ 3 ] ( → ).
(→) Voir la Nouvelle de L. Dollé et H. Gilgenkrantz, m/s n° 12, décembre 2015, page 1069
Une étude récente indique, après bien des débats, que l’homéostasie du foie est essentiellement assurée par des hépatocytes situés dans la région intermédiaire du lobule, ou région médio-lobulaire, ajoutant à la zonation métabolique une zonation proliférative [ 4 ]. Une autre caractéristique des hépatocytes est leur polyploïdie, c’est-à-dire l’acquisition de plus de deux jeux complets de chromosomes, un phénomène qui concerne un nombre croissant de ces cellules au fur et à mesure que l’on avance en âge [ 5 ] ( → ).
(→) Voir la Synthèse de R. Donné et al ., m/s n° 6-7, juin-juillet 2019, page 519
L’évaluation des capacités prolifératives des hépatocytes polyploïdes en comparaison aux hépatocytes diploïdes a donné lieu à des résultats contradictoires : certaines études ont montré que la polyploïdie limitait la prolifération des hépatocytes et la régénération hépatique chez la souris [ 6 ], alors que d’autres, utilisant des modèles murins de ploïdie variée, montraient au contraire que la polyploïdie ne modifie pas la capacité proliférative des hépatocytes [ 7 – 9 ]. Une étude américaine utilisant un marquage par l’isotope de l’azote 15 N chez la souris, a montré que le foie et le pancréas étaient composés de cellules ayant l’âge de l’animal, alors que les cellules endothéliales du foie (ou cellules sinusoïdales) étaient « jeunes », mettant à mal l’adage « on a l’âge de ses artères » [ 10 ] ! Chez la souris, la polyploïdie concerne 90 % des hépatocytes à l’âge adulte ; elle augmente par vagues successives, donc de façon non linéaire, et plus rapidement dans la région médio-lobulaire [ 11 ]. En revanche, chez l’homme adulte, la polyploïdie n’est présente que dans 60 à 70 % des hépatocytes et ne semble pas répondre à une zonation particulière [ 12 ]. Cette différence entre les deux espèces souligne la nécessité d’étudier la singularité des cellules hépatiques humaines.
Si on n’a pas l’âge de ses artères, il semble qu’on n’ait pas non plus l’âge de son foie. Une équipe germano-suédoise, sous la direction d’Olaf Bergmann, a étudié la contribution relative des différentes catégories d’hépatocytes au renouvellement du foie et à la prolifération cellulaire en utilisant la datation rétrospective, au carbone 14 ( 14 C), d’hépatocytes isolés par la technique de cytométrie en flux ( fluorescence-activated cell sorting , FACS), provenant d’une quarantaine de patients de différents âges [ 13 ]. Cette approche est fondée sur le fait que le taux de 14 C mesuré dans l’ADN génomique d’une cellule est le reflet de sa concentration atmosphérique au moment de la formation de cette cellule. La première surprise a été de constater que le foie adulte était composé de cellules âgées de moins de trois ans en moyenne. En d’autres termes, plus de la moitié de tous les hépatocytes étaient nés dans l’année. Notre foie, bien que considéré comme quiescent, est donc très jeune, même chez les plus âgés d’entre nous ! La seconde surprise est que le taux de renouvellement des hépatocytes diminue peu avec l’âge : s’il est d’environ 19 % par an autour de 25 ans, avec un âge moyen des cellules de 2,7 années, il est encore de 17 % pour les personnes de 50 à 75 ans, avec un âge moyen des cellules de 2,9 années. Cependant, tous les hépatocytes ne sont pas égaux entre eux, les hépatocytes polyploïdes ayant un taux de renouvellement sept fois inférieur à celui d’hépatocytes diploïdes. Si les hépatocytes diploïdes ont un âge moyen de moins d’un an, les cellules binucléées tétraploïdes ( i.e. , contenant 2 × 2n chromosomes) ont un âge moyen de plus de 4 ans ! Une autre manière de transcrire cette différence est de constater que le taux de division des hépatocytes diploïdes est de 71 %, alors que celui des hépatocytes tétraploïdes binucléés est de 10 % seulement, et celui des hépatocytes tétraploïdes mononucléés de 1 % ! ( Figure 2 ). En revanche, le taux de division des hépatocytes reste constant au sein du compartiment diploïde ou tétraploïde quel que soit l’âge ( Figure 2 ). Finalement, c’est donc la taille du compartiment d’hépatocytes polyploïdes qui augmente avec le temps, et non leur capacité proliférative qui diminue. La contribution des cellules polyploïdes au renouvellement du compartiment diploïde reste très minoritaire. Bien que la polyploïdie hépatique soit connue depuis longtemps, son rôle physiologique n’est pas encore élucidé. Le faible renouvellement des cellules polyploïdes suggère un mécanisme protecteur vis-à-vis de la sénescence et de la mutagenèse réplicative, une hypothèse qui reste à vérifier.