Vignette (© Philippe Roingeard).
Med Sci (Paris). 38(12): 1039–1042. doi: 10.1051/medsci/2022160.Perte de biodiversité, prélude aux émergences virales 1Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (MIVEGEC), Université de Montpellier, CNRS, IRD
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Montpellier
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France Corresponding author. | ||
Vignette (© Philippe Roingeard). | ||
Depuis de nombreuses années, de nouvelles maladies infectieuses émergent continuellement dans le monde [ 1 , 2 ]. Si la communauté médicale pensait pouvoir fermer le chapitre du fardeau infectieux grâce aux vaccins, antibiotiques et autres thérapies, il est clair que nous sommes passés d’une ère qui semblait ne comprendre que quelques « grandes » maladies (tuberculose, paludisme et maladies infantiles principalement) à une période où de nombreuses maladies peu connues, voire jamais observées, émergent et ré-émergent de plus en plus fréquemment [ 3 ]. Si le fardeau global des maladies infectieuses s’est heureusement érodé, leurs diversités et leurs distributions ont drastiquement changé, compliquant d’autant plus leurs contrôles. En mars 2020, la France, comme de nombreux pays de la planète, est entrée dans un confinement sans précédent afin de réduire la circulation d’un virus, le SARS-CoV-2 ( severe acute respiratory syndrome-related coronavirus-2 ), qui peu après son émergence, s’est propagé de manière pandémique. En l’absence de vaccins et de thérapies, seul l’isolement des populations permettait de préserver le plus de vies possibles tout en évitant l’effondrement des systèmes hospitaliers. Il s’en est suivi des périodes de relâchement et de re-confinement, plus ou moins strictes, avec des conséquences économiques et sur la santé mentale des populations particulièrement importantes. Cet événement était malheureusement attendu par la communauté scientifique, tant les épidémies se sont multipliées ces dernières années. La Covid-19 ( coronavirus disease 2019 ), causée par le SARS-CoV-2, en est l’exemple récent le plus emblématique, mais seulement le dernier d’une longue liste, que ce soit Ebola, le SARS-CoV, le MERS-CoV ( Middle East Respiratory Syndrome Coronavirus ), la grippe H1N1, les grippes dites aviaires, et même le sida (syndrome d’immunodéficience acquise) [ 4 , 5 ]. Pour mieux combattre cette nouvelle menace, il est important de savoir d’où elle provient. Et le constat est sans appel. L’immense majorité de ces agents pathogènes qui émergent chez l’homme possèdent la particularité d’être à l’origine de zoonoses, c’est-à-dire de maladies infectieuses initialement animales qui peuvent infecter de façon plus ou moins importante les hommes [ 3 ]. Jusqu’à aujourd’hui, ces épidémies pouvaient mettre des années, voire des décennies à se répandre sur toute la planète, laissant des opportunités pour contrôler leur propagation. Désormais, la connectivité mondiale aidant, le moindre foyer épidémique sur la planète peut se transformer très rapidement en problème mondial. Il était donc très probable qu’une zoonose émergente pouvait dégénérer en pandémie. C’est ce que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait déjà nommé « la maladie X » 1 et que nous appelons aujourd’hui Covid-19. Si nous ne comprenons pas les nouveaux écosystèmes dans lesquels ces agents pathogènes se transmettent et comment diminuer leurs circulations, de nouvelles pandémies seront inévitables. | ||
L’émergence de zoonoses se déroule en trois étapes 2 [ 6 ]. Les agents pathogènes doivent premièrement circuler dans les écosystèmes à un niveau de transmission relativement élevé. Il est donc impératif de comprendre quels sont les facteurs qui participent à une augmentation de la transmission. Si de nombreux processus peuvent être mis en cause, une théorie qui a reçu beaucoup d’attention ces dernières années est celle de « l’effet de dilution » [ 7 ]. Au sein d’écosystèmes à forte biodiversité, de nombreuses espèces vont être incapables de devenir infectantes une fois exposées à un agent pathogène donné. C’est ce que l’on appelle un « hôte tangentiel ». Lorsqu’un individu de cet « hôte tangentiel » entre en contact avec un individu infecté d’une espèce compétente, il n’y aura ainsi pas de transmission possible. De même, lorsqu’un écosystème est riche en diversité animale, les phénomènes de compétition et de prédation vont avoir pour conséquence de réduire l’abondance des espèces, dont les espèces les plus compétentes pour la transmission d’agents pathogènes, réduisant encore un peu plus le nombre d’animaux potentiellement infectés. Ces « hôtes tangentiels » vont ainsi fortement contraindre la transmission des agents pathogènes. Dans les écosystèmes riches en biodiversité, la circulation des microbes est en général diminuée par rapport à des écosystèmes à faible biodiversité, ou à biodiversité dégradée. La biodiversité procure en effet un service de « dilution » de la transmission des agents pathogènes ( Figure 1 ). Le déclin de la biodiversité que l’on observe peut ainsi expliquer, au moins partiellement, la circulation plus intense de certains microbes depuis les années 1970. Cette théorie, popularisée au début des années 2000, a reçu des confirmations dans des contextes épidémiologiques très différents, allant de maladies à transmission vectorielle, comme la fièvre du Nil occidental (due à un arbovirus transmis par un moustique) ou la maladie de Lyme (due à une bactérie transportée par une tique) aux États-Unis, à des maladies à transmission directe, comme les hantavirus 3 en Europe du nord ou au Mexique [ 8 ].
La deuxième étape de l’émergence de zoonoses, après celle de l’augmentation de la circulation des agents pathogènes, repose sur l’augmentation du contact entre populations humaines et populations animales. Si l’effondrement de la biodiversité peut expliquer l’observation d’une faune sauvage en réduction, mais de plus en plus infectée, celui-là est également un facteur modifiant fortement le contact entre animal et homme. En effet, les facteurs les plus importants impliqués dans la perte de biodiversité sont liés à la destruction des habitats naturels, à savoir, la déforestation, l’augmentation des plantations commerciales et l’agriculture intensive. Ces modifications dans l’usage des terres sont aussi intrinsèquement responsables de contacts de plus en plus fréquents entre les populations humaines et des espèces animales qui sont de plus en plus porteuses d’agents pathogènes [ 9 ]. Enfin, la troisième étape de cette émergence réside dans la capacité de l’agent pathogène à s’adapter aux populations humaines afin de s’assurer d’une transmission inter-humaine suffisamment efficace. Dans ce contexte, l’identité de l’espèce animale réservoir dans laquelle le microbe circule peut jouer un rôle important. En effet, des virus circulant chez des espèces de primates non humains (PNH) auront une probabilité plus importante de s’adapter aux populations humaines, car la similarité du patrimoine génétique entre PNH et homme rend les réponses immunitaires sensiblement similaires, et le « saut évolutif » que doit faire l’agent pathogène pour s’adapter à son nouvel hôte est moins important. Les chauve-souris, dont le système immunitaire est si particulier, peuvent abriter une grande diversité de virus, pouvant, par simple hasard, produire des variants aptes à s’adapter facilement à l’homme. D’autres espèces domestiquées, en particulier le porc, partagent beaucoup de similarités immunitaires avec l’homme. L’abondance de cette espèce domestique augmente ainsi la fréquence de contacts avec les populations humaines. Nous avons ici aussi un cocktail parfait pour l’émergence de zoonoses au travers d’espèces domestiques, comme cela avait été le cas en 2009 pour la pandémie de grippe mexicaine ou grippe porcine, due au virus influenza A(H1N1) initialement détecté au Mexique. | ||
L’augmentation du cheptel au cours des dernières décennies apparaît comme une cause majeure du déclin de la biodiversité et de l’altération des habitats naturels [ 10 ]. Selon les données de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation), le nombre de bovins est passé d’un peu moins d’un milliard de têtes en 1960, à plus d’un milliard 600 millions en 2020. Sur la même période, le nombre de porcs est passé de 500 millions à 1,5 milliard, et celui des poulets de 5 milliards à plus de 30 milliards. Le bétail a ainsi une biomasse totale plus élevée que la biomasse totale des êtres humains [ 11 ]. Le nombre de volailles est du même ordre de grandeur que celui de l’ensemble des oiseaux sauvages, dont les effectifs ont chuté, de 200 à 300 milliards d’individus en 1997 [ 12 ] à 50 milliards en 2021 [ 13 ]. L’accroissement du nombre d’animaux d’élevage contribue à la fois à la crise de la biodiversité et à l’amplification du nombre d’épidémies de zoonoses. L’augmentation du nombre d’épidémies de maladies infectieuses affectant les hommes, comme d’ailleurs les épidémies touchant les animaux d’élevage, est en effet directement reliée à l’accroissement du bétail [ 14 ]. Les animaux domestiques, d’élevage et de compagnie, constituent des ponts épidémiques qui favorisent le passage d’agents infectieux hébergés dans la faune sauvage vers les hommes, tout en assurant leur amplification. Des études comparatives récentes montrent ainsi que les animaux domestiques ont un rôle central dans les réseaux de partage d’agents infectieux entre la faune sauvage et les hommes. Pour les virus hébergés chez les chauves-souris, on peut en effet noter le rôle du cochon domestique pour le virus Nipah, du cheval pour le virus Hendra, ou encore du dromadaire pour le MERS-CoV. Les animaux sauvages nouvellement mis en élevage jouent également ce rôle d’espèce pont, comme dans le cas de la civette pour le SARS-CoV. | ||
L’augmentation du commerce international de la faune sauvage, qu’il soit légal ou illégal, accroît les risques d’émergence d’agents pathogènes, par de nouveaux contacts avec les hommes, comme les risques de leur dissémination à large échelle. Cependant, un récent rapport de l’IUCN ( International Union for Conservation of Nature ) se fondant sur une revue exhaustive des émergences associées à la faune sauvage, suggère que leur commerce n’a contribué que très marginalement aux émergences et aux épidémies [ 15 ]. En revanche, le rapport souligne des risques importants associés à la mise en élevage, à différentes fins (fourrure, alimentation, médecine traditionnelle, nouveaux animaux de compagnie), de nombreuses espèces. En République populaire de Chine, par exemple, un peu plus de 14 millions de personnes vivent de l’industrie de la faune sauvage et l’émergence du SARS-CoV s’est produite après l’accroissement spectaculaire des élevages des civettes dans les années qui ont précédé. En Europe, le SARS-CoV-2 s’est également répandu dans des élevages de visons, dont plusieurs millions d’individus ont été abattus afin de stopper la propagation du virus. | ||
L’extension géographique des épidémies et l’apparition de pandémies sont directement liées à l’augmentation des transports de voyageurs et de marchandises. Selon les données de la Banque mondiale 4 , les transports de voyageurs et de marchandises ont augmenté de manière exponentielle au cours des dernières décennies. Le nombre total de passagers aériens est passé de 332 millions en 1970 à plus de 4 milliards en 2017 (soit une augmentation de 1 250 %). Le volume total de fret aérien est passé, quant à lui, d’environ 15 500 millions de tonnes par km parcouru à plus de 220 000 millions de tonnes en 2017 (soit une augmentation de 1 400 %). Le tourisme global n’est pas en reste. Dans le monde, les arrivées de touristes internationaux sont passées de 25 millions en 1950 à 1,4 milliard en 2016 (soit 5 600 % d’augmentation) et les projections de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) donnaient, avant la pandémie de Covid-19, un chiffre de 1,8 milliard de touristes d’ici 2030. La corrélation observée entre l’augmentation des épidémies de maladies infectieuses et l’augmentation des transports est en faveur de l’hypothèse selon laquelle la mondialisation économique accélère le risque pandémique pour de nombreuses maladies infectieuses. Les modélisations mathématiques montrent qu’un accroissement de la mobilité se traduit par une propagation plus rapide et plus globale d’une épidémie, nécessitant l’établissement de mesures diminuant la mobilité afin de ralentir la propagation des agents infectieux. Les réductions précoces des déplacements mises en Ĺ“uvre au début des épidémies permettent en effet de diminuer considérablement le nombre de villes dans le monde touchées par une épidémie majeure [ 16 ]. | ||
La Covid-19, due à l’émergence du virus SARS-CoV-2, est en passe de rejoindre le fardeau des maladies infectieuses endémiques. Les possibilités d’éradication de la maladie sont des plus faibles, avec un virus qui montre des capacités remarquables d’évolution avec l’apparition de nouveaux variants. Le passage de tels variants chez la faune sauvage (visons, rongeurs, cervidés) offre des opportunités pour le virus de se maintenir dans de nouveaux réservoirs. Comme les précédentes épidémies, la Covid-19 nous démontre que la biosurveillance et les mesures de préparation, bien qu’indispensables, ne suffisent pas pour se prémunir des risques de nouvelles pandémies. Il convient de traiter les causes des épidémies et pas seulement leurs conséquences. Il est donc nécessaire d’investir dans la prévention et, pour cela, réduire les facteurs de risques épidémiques liés à l’intensification agricole, l’accroissement de l’élevage, la déforestation et l’extension des plantations commerciales, le développement des infrastructures, l’augmentation des échanges internationaux. De telles mesures, qui doivent être imaginées avec l’ensemble des acteurs locaux, nationaux et internationaux, s’articulant aux échelons territoriaux comme internationaux, auraient l’avantage de contribuer efficacement à la réduction des impacts du changement climatique, à la protection de la biodiversité et à la sécurité alimentaire, tout en diminuant les risques sanitaires pour les hommes. | ||
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article. | ||
1
Le schéma directeur de l’OMS en matière de recherche-développement, publié en 2016, définissait une liste de maladies prioritaires, dont le SRAS, le MERS et les maladies à coronavirus en général, ainsi que la « maladie X », due à un agent pathogène inconnu, et établissait une feuille de route pour la recherche sur chacune d’elles.
2
Circulation enzootique ou épizootique dans le réservoir animal, transmission par débordement de l’animal à l’homme, et transmission inter-humaine.
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