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Med Sci (Paris). 39(1): 13–17.
doi: 10.1051/medsci/2022186.

L’accumulation de cellules sénescentes dans un organe ne conduit pas toujours à son déclin fonctionnel

Olivier Albagli1* and Hélène Pelczar2

1Inserm U1016, CNRS UMR8104, Institut Cochin, Groupe hospitalier Cochin-Port-Royal, bâtiment Cassini , 123 boulevard de Port-Royal , 75014Paris , France
2UFR927 Sciences de la vie, Sorbonne université , 4 place Jussieu , 75005Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Vieillissement de la cellule

 

La sénescence cellulaire est un processus multi-étapes qui entraîne un arrêt de la prolifération des cellules. Différents stimulus définissent différents types de sénescence, dont les liens sont discutés [ 13 ] ( ).

(→) Voir les Synthèses de J.M. Brondello et al ., m/s n° 3, mars 2012, page 288, et Y. Tachikart et al ., m/s n° 6-7, juin-juillet 2018, page 547

Bien qu’il n’existe aucun marqueur à la fois universel et spécifique de la sénescence, elle implique souvent l’induction transcriptionnelle de la protéine P16 Ink4a (P16), et elle est couramment mise en évidence par l’augmentation de l’activité de la β-galactosidase (SA-βGal, senescence associated beta-galactosidase) [ 13 ]. La sénescence cellulaire joue un rôle dans le développement, la cicatrisation, la régénération, et la suppression tumorale [ 14 ]. En contrepartie de ces bénéfices à court terme, l’accumulation de cellules sénescentes dans un tissu ou un organe paraît conduire, directement ou indirectement, à son dysfonctionnement et contribuer à des maladies liées à l’âge [ 14 ]. Ce lien entre accumulation de cellules sénescentes et déclin fonctionnel motive des stratégies thérapeutiques ciblant les cellules sénescentes [ 24 ]. Pourtant, ce lien semble devoir parfois être nuancé.

Une équipe de chercheurs a récemment produit des souris transgéniques permettant l’élimination sélective des cellules sénescentes (P16 high ) au fur et à mesure de leur apparition ( Figure 1 ) [ 5 ]. Alors que des travaux antérieurs pouvaient laisser supposer un effet bénéfique [ 3 , 5 ], les chercheurs ont constaté, au contraire, que la santé d’une partie de ces souris se dégrade vers un an [ 5 ]. Les souris malades souffrent de la perte de cellules endothéliales sénescentes, tout particulièrement de celles des sinusoïdes hépatiques ( liver sinusoidal endothelial cells , LSEC). Les LSEC jouent un rôle fondamental dans l’élimination de nombreux déchets, toxines ou agents infectieux présents dans le sang. Cette fonction repose sur des récepteurs membranaires spécialisés, qui confèrent aux LSEC une remarquable capacité d’endocytose, la plus forte parmi toutes les cellules de l’organisme [ 5 ]. Les auteurs montrent, chez les souris témoins, que les LSEC sénescentes s’accumulent progressivement au cours de la vie, passant de moins de 1 % des LSEC chez les souris âgées de deux mois, à 10 % à l’âge de un an et à plus de 50 % à l’âge de deux ans. Chez les souris âgées de un an, les LSEC sénescentes présentent une expression de nombreux récepteurs spécialisés dans l’endocytose et une capacité d’internalisation des LDL ( low-density lipoproteins ) oxydées (LDL-ox) ou acétylées supérieures à celles des LSEC non sénescentes [ 5 ] ( Figure 1 ). À cet âge, les LSEC sénescentes sont donc dotées d’une fonction détoxifiante accrue. Ce gain fonctionnel compense la diminution progressive de la porosité des sinusoïdes avec l’âge par pseudo-capillarisation (diminution du nombre des fenêtres entre les LSEC et formation d’une membrane basale), et la réduction corrélative de l’épuration du sang par les hépatocytes voisins [ 5 ]. Les auteurs montrent par ailleurs que la perte des LSEC sénescentes chez les souris transgéniques est irréversible : les LSEC éliminées ne sont pas remplacées par de nouvelles LSEC, mais par des dépôts de collagène. Cette perte conduit, chez les souris âgées de un an, à une fibrose périvasculaire dans le foie, et dans d’autres organes (cœur, poumon, rein) 1, , et à une détérioration du fonctionnement hépatique [ 5 ] ( Figure 1 ). Ces résultats montrent l’importance structurale et fonctionnelle du maintien des LSEC sénescentes.

Le pancréas fournit aussi un exemple de corrélation positive entre accumulation de cellules sénescentes et fonctionnement d’un organe. Les cellules β du pancréas jouent un rôle essentiel dans le contrôle de la glycémie car elles sont les productrices exclusives de l’insuline, l’unique hormone hypoglycémiante. Afin d’étudier directement l’effet de la sénescence sur la fonction des cellules β du pancréas, une autre équipe de chercheurs y a induit sélectivement et temporairement (pendant dix jours) l’expression de P16, chez des souris âgées de trois à quatre semaines ( Figure 2 ). Comme escompté, cette induction arrête la prolifération des cellules β et déclenche leur sénescence, attestée par l’augmentation de l’expression de nombreux marqueurs, dont celle de SA-βGal et de l’ARNm Cdkn1a codant P21 [ 6 , 7 ]. Surtout, elle s’accompagne d’une amélioration fonctionnelle de ces cellules. En effet, leur taille, le nombre et l’activité de leurs mitochondries, leur absorption du glucose et leur contenu en insuline augmentent. Plus remarquable encore, l’induction de P16 augmente la sécrétion d’insuline par les cellules β en réponse à une concentration élevée de glucose ( glucose-stimulated insulin secretion , GSIS) sans augmenter la sécrétion basale de l’hormone, ce qui témoigne d’accroissement de leur maturité fonctionnelle [ 6 , 7 ]. Cet effet persiste après une induction durable de P16 (pendant 2 mois) [ 6 ]. En outre, la surexpression brève (15 jours) ou durable (2 mois) de P16 dans les cellules β améliore le contrôle de la glycémie d’un type de souris diabétiques 2, [ 6 ]. Réciproquement, le blocage de la fonction de P16 endogène perturbe la maturation fonctionnelle des cellules β murines in vivo et d’une lignée de cellules β humaines (EndoC-βH2) in vitro . Enfin, des cellules β sénescentes s’accumulent avec le temps chez la souris et chez l’homme et, au moins chez l’homme, ces cellules sont plus grandes et contiennent des mitochondries plus actives que les autres cellules β [ 6 , 7 ]. Chez les mammifères, la sénescence des cellules β peut donc être associée à leur maturation. Ce résultat corrobore des résultats plus anciens montrant une amélioration fonctionnelle des cellules β jusque tard (16 mois) dans la vie des souris [ 8 ], mais il reste cependant controversé. Par exemple, une autre étude rapporte que le profil transcriptomique des cellules β sénescentes (SA-bGal + ) de souris âgées de sept à huit mois est moins mature que celui des cellules β non sénescentes (SA-βGal - ), et que l’élimination des cellules β sénescentes, associées à l’âge ou à deux situations d’insulino-résistance, améliore le contrôle de la glycémie [ 9 ] 3, . Des stimulus différant par leur nature, leur intensité ou leur temporalité induisent probablement des sénescences distinctes, en particulier pour la composition du SASP ( senescence-associated secretory phenotype ) 4, , avec des conséquences fonctionnelles variables pour les cellules β du pancréas [ 9 , 10 ].

On considère généralement que la présence de cellules sénescentes peut être bénéfique lorsqu’elle est de courte durée, mais qu’elle devient néfaste si elle persiste [ 2 , 4 , 10 ]. Cette « règle » n’est pas toujours vérifiée : dans les deux situations présentées ici, une accumulation durable de cellules sénescentes maintient ou améliore le fonctionnement d’un organe 5, , et, dans les deux cas, les cellules sénescentes apparaissent plus « performantes » que les cellules non sénescentes du même type. La sénescence accompagne également la maturation ou la différenciation (terminale) 6, d’autres types cellulaires [ 3 , 4 , 11 , 12 ]. La concomitance de ces deux processus (sénescence d’une part, et différenciation/maturation d’autre part) dans quelques situations suggère qu’ils découlent parfois d’une même cause, ou bien qu’ils exercent un effet positif l’un sur l’autre. Ces deux hypothèses sont envisageables. En effet, des déclencheurs classiques de la sénescence cellulaire, par exemple des stress génotoxiques ou oxydants, ou un dysfonctionnement des télomères des chromosomes, peuvent induire la différenciation/maturation de certaines cellules [ 4 ]. De plus, dans les cellules β du pancréas, la triiodothyronine, hormone thyroïdienne, induit à la fois des marqueurs de sénescence et de maturation cellulaires [ 13 ]. Par ailleurs, l’effet de la surexpression de P16 dans les cellules β suggère que la sénescence favorise parfois la différenciation/maturation cellulaire [ 6 , 7 ]. Cela résulte vraisemblablement de l’existence de traits à la fois caractéristiques de la sénescence et importants pour la maturation des cellules β (et pour la différenciation/maturation d’autres cellules), tels que l’arrêt de la prolifération et l’augmentation de la taille des cellules et de la masse mitochondriale [ 14 , 6 , 7 , 14 ]. L’état sénescent pourrait en outre favoriser la mise en place ou la survie de certaines cellules différenciées/matures en augmentant leur résistance à l’apoptose [ 4 ]. Récipoquement, la différenciation/maturation peut promouvoir la sénescence en amplifiant certains stress, notamment le stress oxydant. Ainsi, pour les LSEC, l’augmentation de l’expression de récepteurs spécialisés dans l’endocytose accroît l’absorption des LDL-ox circulant dans le sang, ce qui promeut la sénescence de ces cellules [ 5 ]. En outre, il est possible que la différenciation/maturation accroisse également l’exposition des cellules à un stress oxydant d’origine interne. Par exemple, la respiration mitochondriale, une source majeure d’espèces réactives de l’oxygène dans la cellule [ 14 ], s’intensifie avec la maturation des cellules β (et avec la différenciation/maturation d’autres cellules) [ 6 , 7 ]. Ainsi, la connexion entre sénescence et maturation dans les cellules β du pancréas (entre autres) pourrait résulter de multiples mécanismes et dépendre notamment du niveau d’activité de protéines contrôlant la prolifération et la taille des cellules ou la quantité et la qualité de leurs mitochondries. Cette dernière hypothèse est en accord avec l’implication de RB ( Retinoblastoma ), un relais habituel de P16, de mTOR ( mammalian target of rapamycin ) et, probablement, de PGC-1α ( peroxisome proliferative-activated receptor γ coactivator 1 α), dans la maturation associée à la sénescence des cellules β humaines de la lignée EndoC-βH2 [ 6 , 7 , 15 ]. Plus généralement, en dehors des quelques cas évoqués ici, le rapport entre sénescence et différenciation/maturation reste encore à préciser [ 4 ].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient Jean-Marc Brondello, Dmitry Bulavin et Willem Staels pour les discussions, conseils, et corrections apportées à cet article.

 
Footnotes
1 Les auteurs de cette étude rapportent qu’il n’y a pas d’effet de l’élimination des cellules P16 high sur la structure histologique du pancréas. Cependant, sa fonction endocrine n’a pas été analysée.
2 Dans ce modèle, distinct de celui présenté dans la Figure 2, le génome des souris contient la séquence codant l’inducteur tTA ( tetracycline-controlled transactivator ) dans l’une des deux copies du gène Pdx1 ( Pancreatic and duodenal homeobox 1 ), ce qui permet la surexpression conditionnelle du transgène codant P16 dans les cellules β lorsque la tétracycline cesse d’être administrée aux souris (système Tet-off ). Ces souris ne portant qu’une copie intacte du gène Pdx1 modélisent une forme monogénique de diabète humain : MODY-4 ( maturity-onset diabetes of the young-4 ) [ 6 ].
3 Dans cette étude, les cellules β sénescentes sont éliminées par l’expression d’un gène « suicide » placé sous le contrôle d’un fragment du promoteur du gène codant P16, ou par des substances dites sénolytiques. Il est donc possible que l’élimination de cellules autres que les cellules β sénescentes contribue aux effets observés [ 9 ].
4 Le SASP est un ensemble (variable) de molécules, notamment proinflammatoires, sécrétées par les cellules sénescentes, qui contribue aux effets positifs à court terme de la sénescence, mais qui favorise aussi l’altération tissulaire et la tumorigenèse avec l’âge [ 14 ]. Certaines protéines proinflammatoires typiques du SASP pourraient être associées à une sénescence néfaste des cellules β [ 6 , 9 , 10 ].
5 Notons cependant que la surexpression très précoce ou très prolongée (durant 5 mois) de P16 entraîne une réduction du nombre de cellules β, au moins en partie à cause du déclin accéléré de leur capacité proliférative [ 6 ].
6 Les expressions « maturation (fonctionnelle) » et « différenciation (terminale) », utilisées dans les articles cités ici, ne désignent pas toujours des processus distincts. Dans la suite du texte, nous avons utilisé « différenciation/maturation », sauf dans le cas des cellules β pour lesquelles nous avons conservé “maturation”, terme couramment utilisé pour désigner les changements post-natals conduisant d’une cellule “différenciée” (exprimant l’insuline) et proliférative, à une cellule pleinement fonctionnelle (avec une GSIS élevée) et moins, ou non, proliférative.
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