Médecins et associations de personnes trans sont-ils sur la même trajectoire quant à une réforme profonde de l’accompagnement médical ? Globalement oui, si l’on en croît les différentes réunions qui ont d’ores et déjà eu lieu au ministère de l’Égalité Femme-Homme, ou sous l’égide de la HAS, des réunions rassemblant des associations d’aide et d’accueil de personnes transgenres (OUTrans
7,
, Acceptess-T
8,
, RITA
9,
, TRANSAT, etc.) et des associations paritaires de personnes concernées et de médecins (ReST
10
, TRANS SANTÉ France – FPATH, etc.). Certaines associations demeurent toutefois très méfiantes à l’égard des médecins hospitaliers, gardant en mémoire la difficile période de la SoFECT, pas toujours bienveillante, préservant son pré carré et imposant les contraintes les plus restrictives de certaines CPAM. TRANS SANTÉ France a ainsi clairement condamné les violences médicales dont ont pu être l’objet les personnes transgenres [
6
]. Et lors des réunions, les objectifs sont apparus quasiment communs pour toutes les associations.
Aujourd’hui, quelles sont les attentes de la plupart des personnes trans, des associations trans et paritaires, et des médecins spécialistes des transidentités ?
La dépathologisation et la dépsychiatrisation. La transidentité et la non binarité n’étant pas une maladie mentale, un diagnostic psychiatrique ne doit plus être exigé lorsque la personne trans ne présente aucun trouble mental
11
. Globalement, les dernières recommandations de l’association internationale WPATH (
world professional association for transgender health
), les SOC 8 (
standards of care version 8
) [
7
], sont totalement en accord avec ces objectifs.
L’autodétermination éclairée. Qui mieux que la personne concernée peut affirmer qu’elle est « trans » ? Ce n’est pas à un psychiatre de le faire et de rédiger un certificat de transidentité. Demande-t-on à une personne homosexuelle de prouver son homosexualité ? Toutefois, cette autodétermination doit être « éclairée » par le médecin prescrivant le traitement hormonal et par le chirurgien avant toute intervention. Il s’agit d’expliquer, comme pour n’importe quel acte médical, les contre-indications possibles, les effets secondaires, les risques et les complications éventuelles. La décision finale revient donc à la personne concernée dans le cadre général de l’exercice médical.
L’accompagnement aux parcours de transition doit se réaliser dans le parcours de santé usuel et de droit commun. Toutefois, peu de médecins généralistes ont une connaissance des transidentités et des traitements hormonaux. Il est donc nécessaire de lancer un plan massif de formation à l’accompagnement médical des personnes trans, formation quasi inexistante dans les facultés de médecine. À l’heure actuelle, il n’existe qu’un diplôme universitaire (DU) de « prise en charge de la transidentité » dispensé en distanciel par Sorbonne université et l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et un diplôme inter universitaire national (DIU) d’« accompagnement, soins et santé des personnes transgenres », dispensé en présentiel par les facultés de Paris-Saclay, Lyon, Marseille et Lille.
Le droit à la reproduction avec la proposition systématique de conservation des gamètes avant tout acte irréversible, et l’accès à la PMA (procréation médicalement assistée). La loi de bioéthique de 2021 a totalement oublié la situation des personnes transgenres. En juin dernier, TRANS SANTÉ France et son collège de médecins de la fertilité et de la reproduction, ont publié des recommandations à propos de la « préservation de la fertilité et l’accès à l’assistance médicale à la procréation chez les personnes trans » [
8
].
L’accompagnement des enfants trans. Ils doivent en effet bénéficier du même respect qu’attendent les adultes trans. Et de la même écoute. Ainsi que leurs parents. Des équipes hospitalières et des psychologues libéraux participent déjà à l’accompagnement des enfants dans leur transition sociale [
9
]. Mais ils sont trop peu nombreux et mal répartis sur le territoire national. Il faut aussi que cessent les mensonges et contre-vérités assénés à longueur de médias par certaines associations qui ne veulent pas comprendre que la transidentité n’est ni un choix ni une lubie, mais une souffrance quand le genre et l’apparence ne correspondent pas à la façon dont on se ressent. Ne pas écouter les enfants, voire préconiser une thérapie de conversion (pourtant interdite par la loi du 31 janvier 2022 interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne
2
) afin de les « remettre dans le droit chemin » ne peut qu’accroître leur mal-être et conduire à de graves dépressions, déscolarisation, scarifications, et suicide. Les études de l’Académie américaine de pédiatrie sont claires [11]: les chercheurs ont constaté une diminution de 60 % de dépressions et de 73 % de tentatives de suicide chez les jeunes accompagnés dans leur affirmation de genre et/ou bénéficiant de bloqueurs de puberté.
Enfin, enfants, adolescents et adultes transgenres attendent de la bienveillance auprès des professionnels de santé. Pour atteindre l’espoir tant attendu d’être enfin soi-même, la plupart des personnes trans n’ont pas d’autres choix que de compter sur la médecine. Impossible de s’y soustraire… Pourtant, nombre de professionnels restent réticents à les accompagner, parfois sous de faux prétextes cachant une forme de transphobie. Les associations trans en sont témoins. Ainsi, l’association parisienne OUTrans a réalisé en 2021 un test téléphonique auprès de 62 endocrinologues franciliens [
5
]. Il leur était demandé un rendez-vous en vue d’un traitement hormonal dans le cadre d’une transition. Le résultat fut éloquent : 6 endocrinologues n’acceptaient plus de nouveaux patients, 18 n’ont jamais rappelé au message laissé, 33 ont décliné la demande de rendez-vous (incompétence, refus ou renvoi), 5 ont accepté, dont 2 sous conditions (pas de primo-prescription, certificat psychiatrique nécessaire).
Paradoxe de cette situation très délicate, des incompréhensions et des corporatismes apparaissent. Ainsi, des endocrinologues contestent le fait que des médecins généralistes puissent prescrire des traitements hormonaux. Or, rien ne s’y oppose ; quelques-uns le font déjà. Par ailleurs, certains psychiatres comprennent qu’une dépsychiatrisation revient à les rejeter et à les marginaliser ; en fait, il est simplement question de re-situer les soins psychiatriques à leurs justes places d’accompagnement, en dehors du positionnement de « gardien du temple » de l’accès à la transition médicale qu’ils tiennent aujourd’hui. Les personnes trans ne demandent que la fin réelle du certificat psychiatrique, ce « laisser-passer » encore exigé, comme on l’a vu, par certaines CPAM, pour accéder à la prise en charge. La transition n’étant pas forcément un
long fleuve tranquille
face à la famille, au monde professionnel ou scolaire, à la société, psychiatres et psychologues resteront des ressources précieuses pour ces personnes fragilisées par un environnement hostile ou malveillant ou, tout simplement, fragilisées par des traitements, des opérations et une « nouvelle naissance ». Il est vrai que, dans certaines associations de personnes trans, demeurent une farouche aversion et une forte hostilité à l’égard des psychiatres, au point de refuser de les rencontrer. Elles gardent cette terrible image de
gardiens,
pas toujours bienveillants, dont le seul avis permettait ou pas l’accès à la transition.
Aujourd’hui, le monde de la santé, mais aussi les mondes politique, social, professionnel, éducatif, en un mot la société, se doivent de prendre en compte cette réalité : l’existence d’êtres qui n’ont pas fait le choix d’être transgenres et/ou non binaires. Leur seul souhait, simplement vivre leur vie, telle qu’ils la ressentent. Une partie de la population peut-elle être considérée autrement que la population générale ? Pourquoi ne peut-elle disposer des mêmes droits (le droit commun) que les autres ? Côté santé, on peut espérer des avancées, prochainement.