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Med Sci (Paris). 39(1): 64–67. doi: 10.1051/medsci/2022201.Maltraitance envers les enfants et Covid-19 Une crise dans la crise 1Service de médecine légale, Centre hospitalier universitaire (CHU) Dijon Bourgogne
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Dijon
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France 6Inserm, CIC 1432, CHU Dijon Bourgogne, Centre d’investigation clinique
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Dijon
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France 7Université Paris-Saclay, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Université Paris-Sud, Inserm, High-dimensional biostatistics for drug safety and genomics, CESP
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Villejuif
,
France Corresponding author. | ||
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Le 31 décembre 2019, un coronavirus émergent, le SARS-CoV-2 ( severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 ), responsable de la Covid-19 ( coronavirus disease 2019 ), a été découvert dans la province de Wuhan en République populaire de Chine. La propagation de ce virus a rapidement mené à une situation de pandémie mondiale, imposant aux gouvernements de prendre envers leurs populations des mesures contraignantes limitant, de fait, leurs libertés individuelles. Port du masque, limitation des déplacements entre zones géographiques, couvre-feu, confinement général, sont autant d’exemples de mesures restrictives inédites mises en place à l’occasion de cette pandémie pour protéger les populations. Bien qu’indispensables pour contrôler une situation sanitaire alarmante et protéger le plus grand nombre d’individus [ 1 ], ces mesures ont provoqué des changements majeurs et durables dans les dynamiques familiales. C’est le cas notamment du confinement général des populations, imposé dans de nombreux pays, dont la France, sur la période de mars à mai 2020. À l’exception des soignants, l’ensemble de la population française a alors été forcé de rester à domicile, sans contact extérieur à la cellule familiale ; les sorties étaient limitées à une heure et à un kilomètre autour du domicile, des restrictions particulièrement perturbantes, avec nécessité de présenter un justificatif de domicile. Le chômage et, lorsque cela était possible, le télétravail (ou travail à distance) sont alors devenus la règle, y compris pour les enfants scolarisés. Cependant, les ressources sanitaires et sociales pour l’aide à l’éducation et à la parentalité sont restées indisponibles. Aussi, pour les parents, en sus de la charge de travail domestique habituelle, se sont ajoutés le télétravail, mais aussi la garde des enfants et la gestion de leur scolarité à domicile, les parents devant relayer les enseignants et instruire leurs enfants. Rappelons qu’à cette époque, le virus était particulièrement peu connu, qu’aucun traitement ni vaccin n’étaient disponible, que les ressources sanitaires venaient à manquer et que les questionnements quant aux dispositions sanitaires efficaces étaient omniprésents. | ||
Dans cette situation jamais connue auparavant, ces deux mois de confinement général ont été à l’origine d’une convergence de facteurs de stress, non sans répercussion sur l’état de santé mentale des populations [ 2 ]. Augmentation de l’état de l’anxiété, de dépression ou d’addictions sont autant de conséquences directes de ces mesures sanitaires exceptionnelles sur la santé mentale. Il est parfaitement décrit dans la littérature que ces éléments sont des facteurs de risque de violences intra-familiales, dont la maltraitance envers les enfants [ 3 – 9 ]. Durant cette période, les établissements prenant en charge les enfants (écoles, crèches, notamment) ou les établissements d’aide et d’accompagnement à la parentalité, ont cependant été fermés. Or, ces ressources, indisponibles pendant le confinement général, jouent habituellement un rôle crucial dans la prévention et le dépistage des enfants en danger, isolant les enfants au sein d’une cellule familiale pouvant être maltraitante, sans recours possible à une ressource extérieure [ 9 ]. | ||
Conscient des modifications des dynamiques familiales, le gouvernement français a proposé pendant la période du confinement plusieurs campagnes de sensibilisation quant aux dispositifs de premier recours pouvant être sollicités en cas de violences intra-familiales [ 10 , 11 ]. L’un des dispositifs mis en avant dans ces campagnes a été le service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger, disponible via le 119. Ce service propose une écoute téléphonique continue, à destination du public des enfants touchés par la violence, mais également d’adultes confrontés à une situation d’enfants en danger [ 12 ]. À l’issue de ce premier contact téléphonique, la situation décrite par l’appelant peut être gérée par les écoutants, ou faire l’objet d’un recueil d’information préoccupante ou d’un signalement. Dans le cadre des violences intra-familiales, les forces de l’ordre ou les services de secours sont également des intervenants de premier recours extrêmement précieux. Concernant la période de confinement, le rapport publié par le service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger [ 13 ] a décrit une augmentation de 56 % des appels au numéro d’urgence, comparativement à la période équivalente de l’année précédente. Les appels suivis d’une rédaction de recueil d’information préoccupante aux services départementaux de protection de l’enfance ont augmenté de 30 % et les recours directs aux services de gendarmerie, de police ou au service d’aide médicale urgente (SAMU) ont augmenté de 113 % [ 13 ]. | ||
Notre équipe s’est intéressée à l’impact du confinement sur les violences physiques infligées aux enfants âgés de 0 à 5 ans [ 14 ], en utilisant un algorithme qui avait été conçu avant la pandémie, en 2019 [ 15 ]. Cet algorithme permet le repérage des séjours hospitaliers pour maltraitance physique chez les enfants les plus jeunes. Le choix de ce sous-type particulier de violence et de cette population restreinte a été dicté par l’importance des conséquences de ce type de maltraitance pour cette tranche d’âge. La maltraitance physique génère en effet des blessures qu’un intervenant extérieur est en mesure d’identifier ; il s’agit donc d’un critère diagnostique qui est parfaitement objectif. En raison du différentiel dans le rapport de force physique entre l’adulte et l’enfant, ces violences sont, chez le jeune enfant, fréquemment à l’origine de lésions traumatiques graves, voire mortelles, nécessitant des soins hospitaliers. Les données hospitalières sont donc une source majeure d’information sur le phénomène de maltraitance physique envers les enfants. Grâce au PMSI (programme de médicalisation des systèmes d’information), les données hospitalières sont rendues disponibles pour la recherche depuis plus de 20 ans. Pour chaque hospitalisation, chaque patient bénéficie d’un résumé de séjour et les données médicales sont codées selon la classification internationale des maladies (CIM-10). Concernant la maltraitance physique, des codes sont dédiés aux agressions volontaires, d’autres aux lésions traumatiques, sans que leur étiologie (accidentelle ou intentionnelle) ne soit précisée. Notre équipe a mené en 2019 un vaste travail de revue de la littérature et des codes utilisés dans la CIM-10 permettant d’individualiser les éléments en lien avec la maltraitance physique envers les enfants. Un algorithme issu de ces analyses a été développé [ 15 ]. Il permet d’individualiser les enfants en deux groupes ( Figure 1 ) :
La pertinence de cet algorithme a été évaluée au cours d’une étude monocentrique destinée à identifier parmi les enfants hospitalisés au Centre hospitalo-universitaire de Dijon, les séjours très suspects (groupe 1) ou suspects de maltraitance physique (groupe 2). Les blessures de l’enfant et leur compatibilité avec le mécanisme allégué par l’entourage ont été examinées afin de définir s’il s’agissait ou non de cas de maltraitance. Le croisement des données du PMSI et des dossiers médicaux a permis le calcul de la valeur prédictive positive (VPP) de l’algorithme (> 85 % pour le groupe 1, entre 50 et 80 % pour le groupe 2) ( Figure 2 ) .
Au cours de la pandémie de Covid-19, la surveillance sanitaire rapprochée a exigé la remontée quasi en temps réel des informations au sein du PMSI. Allié à l’utilisation de l’algorithme d’identification des cas de maltraitance physique, cela a permis de révéler une augmentation de 50 % de la fréquence relative des hospitalisations pour maltraitance physique chez les enfants âgés de 0 à 5 ans, comparativement aux trois années antérieures [ 14 ]. Ces données se sont avérées congruentes avec les données de la littérature [ 16 – 18 ]. Devant l’ampleur et la gravité des répercussions du confinement sur la population des jeunes enfants, les résultats obtenus ont été transmis aux autorités avec pour conséquence la réouverture et le maintien de l’accès aux crèches et aux écoles, même en période de confinement partiel, tout en ajustant les mesures sanitaires à la situation épidémique [ 15 ]. Cela a permis la continuité pédagogique et a maintenu les enfants dans une mouvance sociale intégrant des personnes extérieures au noyau familial, aptes à identifier, au cas par cas, des dysfonctionnements ou des violences intra-familiales et d’y apporter une réponse appropriée. | ||
L’algorithme de repérage des maltraitances physiques envers les enfants apparaît donc être un outil extrêmement prometteur. L’étude pilote de validation de cet outil, réalisée au CHU de Dijon, a ainsi montré une valeur prédictive positive de 85 % et 95 % chez les enfants les plus jeunes (âgés de 1 mois à 1 an) [ 20 ]. Une étude de validation plus large reste néanmoins nécessaire. Elle permettra la validation et l’amélioration de cet outil. Les perspectives envisagées sont doubles. La première application consiste à mettre cet algorithme au service d’un observatoire opérationnel de la maltraitance envers les enfants, afin qu’il puisse servir de baromètre de surveillance de la maltraitance en France et dans les territoires, évaluer les tendances dans le temps, et fournir des données épidémiologiques annuelles. Ces données seront particulièrement utiles afin de mieux connaître le phénomène de maltraitance envers les enfants et permettra de disposer d’informations utiles à la prévention de telles violences. Une deuxième application, en clinique, consisterait en l’apport d’un éclairage complémentaire à l’œil du médecin, sous réserve toutefois que la transmission aux cliniciens des informations personnelles sur le suivi des enfants soit en conformité avec la réglementation, voire peut-être que la réglementation puisse évoluer sur ce sujet. | ||
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article. | ||
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