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Med Sci (Paris). 39(2): 164–169.
doi: 10.1051/medsci/2023011.

Don du corps à la science
Un nouveau cadre de régulation qui répond à certaines questions mais en soulève bien d’autres !

Grégoire Moutel,1,2,3* Mylène Gouriot,1 Bertille Suzat,4 Annick Batteur,1,5 Stéphane Ploteau,6,7 Christophe Destrieux,7,8 and Guillaume Grandazzi1,9

1Espace de réflexion éthique de Normandie, Normandie université, CHU de Caen , rue des Rochambelles , 14000Caen , France
2Centre des dons du corps, Normandie université, CHU de Caen , rue des Rochambelles , 14000Caen , France
3ANTICIPE, Inserm 1086, Normandie université , 3 avenue du Général Harris , 14000Caen , France
4Service de médecine légale et droit de la santé, CHU de Caen, Normandie université , avenue de la côte de Nacre , 14000Caen , France
5Université de Caen Normandie, UFR de droit, administration économique et sociale et administration publique, esplanade de la Paix , 14032Caen Cedex 5 , France
6Laboratoire d’anatomie, Faculté de médecine de Nantes , 1 rue Gaston Veil , BP 53508 , 44035Nantes Cedex 1 , France
7CMFPA, Collège médical français des professeurs d’anatomie , France
8Laboratoire d’anatomie, Faculté de médecine de Tours , 10 boulevard Tonnellé , 37032Tours , France
9Centre de recherche risques et vulnérabilités EA 3918, Normandie université , campus 1, esplanade de la Paix , CS 14032 , 14032Caen Cedex 5 , France
Corresponding author.
 

Vignette (Photo © Inserm-Frédérique Koulikoff et Alexandra Pinci).

Le don du corps est essentiel et indispensable pour l’enseignement de l’anatomie, pour l’apprentissage et l’amélioration des pratiques chirurgicales ; il l’est également pour la recherche (anatomie, chirurgies, médecine légale, neurosciences, biomécanique, accidentologie, etc.). Malgré l’avènement d’autres approches par simulation (mannequin, visio, trois dimensions, informatique, etc.), tous les experts de ces domaines confirment que l’accès à des corps de défunts donnés à la science reste, encore aujourd’hui, une nécessité pédagogique et scientifique pour le monde académique universitaire. Observer la complexité et la singularité véritable de l’anatomie, de la texture du corps, explorer de nouvelles approches et innover en chirurgie, améliorer les pratiques en médecine légale, tout cela participe de manière fondamentale à la formation et à la validation de pratiques de soins ou de recherche [ 1 ]. Chaque année, environ 3 000 personnes font cet acte de don en France.

Les 27 centres du don du corps (CDC) français ont été très tôt pionniers pour instaurer des régulations de qualité dans un domaine aussi sensible. Le don du corps aux facultés de médecine commence en 1942 où, à Paris, pour la première fois, deux personnes donnent leur corps à la dissection. Durant la décennie suivante seront institués les services de don du corps au sein des facultés de médecine françaises. Dès cette époque, l’accès à la connaissance à travers le corps mort est souligné comme un impératif pédagogique et scientifique [ 2 ].

Durant les premières années des études médicales, la dissection tient une place importante dans la connaissance de l’anatomie. Est également soulignée l’importance de la recherche anatomique scientifique, comme celle de la biométrie, de l’étude des variations, mais aussi celle de l’étude mésoscopique ou microscopique des tissus. L’importance des dons pour l’apprentissage de la chirurgie ou l’amélioration des techniques chirurgicales apparaît aussi comme essentielle (orthopédie, cardiologie, neurologie, chirurgie de l’appareil digestif, etc.).

Les anatomistes, en particulier à travers l’action du professeur André Delmas (1910-1999) qui créa le premier centre de don parisien, à la faculté de médecine de Paris en 1953, ont posé comme un impératif éthique le respect de ces corps donnés et de ceux qui sont à l’origine de ce don. Le corps donné prend alors une valeur pour celui qui en sera le destinataire, valeur que lui confère l’expression du don libre et volontaire fait par le donneur de son vivant [ 3 ].

En effet, dès cette époque est retenu comme principe, le fait que le don doit reposer sur la volonté clairement exprimée par le donneur de son vivant. Cela est établi sur le fondement juridique de la liberté des funérailles, consacré par la loi du 15 novembre 1887 [ 4 ] selon laquelle «  tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles  ». La démarche est, pour le donneur, une alternative au choix du mode de sépulture [ 5 ]. Elle s’apparente donc à une disposition testamentaire.

Malgré cet historique fondé sur la grande qualité et la grande rigueur de travail de la majorité des CDC en France, un certain nombre de problèmes, dont ceux révélés dans ce qui a été appelé « l’affaire du Centre des Saints-Pères de l’Université Paris-Descartes » [ 6 ] en 2020, ont abouti au constat qu’il existait des disparités de pratiques et d’organisations qui nécessitent une réflexion collective vers des règles plus lisibles et communes sur tout le territoire national [ 7 ] et une nécessité de mieux encadrer le don du corps.

C’est dans ce contexte que la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique [ 8 ] a affirmé que «  les établissements de santé, de formation ou de recherche s’engagent à apporter respect et dignité aux corps qui leur sont confiés  » (Code de la santé publique, art. L. 1261-1). Le principe n’est pas nouveau : la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 – intervenue suite aux remous suscités par l’exposition «  Our body  » 1 [ 13 ] ( ) qui présentait des cadavres humains « plastinés », ouverts ou disséqués – avait déjà modifié la loi de bioéthique de 1994 en proclamant que «  les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence  » (Code civil art. 16-1-1).

(→) Voir le Repères de S. Häfner, m/s n° 8-9, août-septembre 2009, page 747

Suite à cette évolution de la loi, le cadre juridique vient d’être précisé par le décret n° 2022-719 du 27 avril 2022 relatif au don de corps à des fins d’enseignement médical et de recherche [ 9 ]. Ce décret soulève des questions éthiques dans sa mise en œuvre que nous souhaitons porter à la connaissance de tous et au débat, et qui concernent autant le monde scientifique que le grand public.

Information des proches et respect de la volonté du donneur : une procédure encore incertaine

Dans le nouveau décret, « le donneur est encouragé à informer sa famille ou ses proches lors de sa démarche de don » (Art. R. 1261-1. – IV). Il n’y est donc pas obligé. Cet encouragement est une bonne chose, mais il n’apparaît pas suffisant. Quand l’ensemble des proches n’est pas informé, il y a en effet risque que la volonté du défunt ne soit pas respectée. Au moment du décès, si aucun proche présent n’a été informé de la volonté de don du défunt, personne ne pourra mettre en œuvre et déclencher sa volonté ; le CDC pourra alors ne pas être contacté et prévenu. Ainsi, même si l’obligation d’informer ses proches semble impossible à contrôler, symboliquement, il reste important, pour le donneur et sa volonté, de ne pas omettre cette information aux proches. Il conviendrait donc que les centres de don du corps aillent au-delà du décret et incitent les donneurs à informer le plus grand nombre de leurs proches et leur remettent, d’ailleurs, des outils (brochures d’information, documents, etc.) qui lui permettent de réaliser cette démarche.

Par ailleurs, il manque ici une évolution majeure qui aurait pu permettre une transmission entre l’état civil et les CDC : à savoir que chaque volonté de donneur aurait pu être tracée sur un registre national que l’état civil aurait obligation de consulter à chaque décès. Nous reviendrons sur cette question du registre.

Concernant cette place des proches, le décret n’apparaît pas opérationnel quant à leur désignation. Il introduit en effet la désignation par le donneur d’une «  personne référente, parmi sa famille ou ses proches, qui sera l’interlocuteur de l’établissement » (Art. R. 1261-1. – IV), sous-entendu au moment et après le décès. Il est précisé que «  lorsqu’une personne référente a été désignée par le donneur, celle-ci est destinataire, au plus tard immédiatement après le décès, du document d’information, si le donneur ne s’y est pas opposé, d’une information relative aux conditions de restitution du corps ou des cendres » (Art. R. 1261-1. – IV dernier al.). Mais il n’est pas dit que la désignation de cette personne devrait être actualisée d’une manière régulière (par exemple tous les ans) afin que la personne référente demeure d’actualité (adresse postale, téléphone et mail). En effet, les donneurs décèdent parfois plusieurs années ou décennies après leur démarche d’inscription au CDC et la personne référente désignée initialement peut décéder avant le donneur, ou s’éloigner de lui au cours de sa vie.

Les établissements seront donc confrontés à deux situations :

  • La personne référente est encore vivante et ses coordonnées sont toujours les mêmes, elle sera informée ;
  • La personne référente est décédée ou ses coordonnées sont obsolètes, le centre devra s’efforcer de rechercher un proche, sans en avoir les outils et les moyens, et tout en ne sachant pas le ou lesquels sont légitimes, ni comment les contacter.

Le décret aurait pu préciser clairement que les agents du funéraire en charge de l’acheminement des corps vers un CDC recueillent les coordonnées des proches dans le cadre de leur service, afin que les centres puissent, comme l’exprime le texte, en « disposer ». Cette question du lien avec la personne référente, les proches ou les familles, sera d’ailleurs tout aussi problématique lorsqu’il s’agira, comme le prévoit le décret, de les convier à participer à «  une cérémonie du souvenir en hommage aux donneurs » (Art. R. 1261-9).

Enfin, le décret aurait pu également insister sur le fait qu’aucun proche ne peut s’opposer au don, évitant ainsi un certain nombre de conflits et d’incompréhensions rencontrés régulièrement lors de l’accueil des familles en chambre mortuaire et de l’annonce de la démarche de don du défunt.

L’absence de création d’un registre national

La volonté du donneur est le critère majeur de l’acceptation d’un don par un CDC. Le système actuel rencontre des limites : la procédure repose, à ce jour, sur le fait que le donneur écrive une déclaration signée sur papier, mentionnant la date, et la remette au CDC de la faculté de médecine qui, en échange, lui remettra une carte de donneur qu’il s’engage à porter en permanence (Art. R. 1261-1, III) ; ce qui en pratique ne sera pas toujours le cas, la carte pouvant rester au domicile ou être perdue.

Dans chaque centre de don, la traçabilité des volontés des donneurs se fait au moyen de registres locaux. Mais il n’y a pas de mise en commun de ces informations entre l’ensemble des CDC en France, comme cela se fait, par exemple, pour les testaments reçus par les notaires 2 . Or, une démarche de don a pu être faite, par exemple à Marseille, alors que le décès aura lieu à Caen, plusieurs années plus tard. Au moment du décès, le corps ne sera transféré à un CDC d’une faculté que si la volonté du donneur est retrouvée, tracée dans le registre, et accompagnée d’un certificat de décès et d’un certificat de non-contagion. Les équipes sont donc parfois en difficulté, ou dans l’impossibilité, de valider la démarche de don, faute d’accès au registre local de la ville d’inscription, dans le délai légal de 48 heures requis par le droit funéraire.

Il y a donc nécessité, pour les acteurs du funéraire et les chambres mortuaires, de pouvoir contacter et se connecter dans un délai rapide, 24 h sur 24, avec le centre où le donneur a fait sa démarche. Les centres doivent par ailleurs disposer des moyens pour harmoniser, moderniser, informatiser et rendre pérennes les données de ces fichiers sur le long terme (plusieurs années ou dizaines d’années peuvent en effet s’écouler entre la démarche de don et le décès) ; il est essentiel que la trace du don et de son éventuelle rétractation puisse être retrouvée facilement.

Les choix discutables opérés en matière de géographie d’accueil du corps

Jusqu’à aujourd’hui, lorsque le décès survenait sur le territoire du centre où la déclaration du donneur avait été enregistrée, l’organisation du CDC prenait en charge le recueil du corps. Si le décès avait lieu sur un autre territoire, le centre initial orientait le don vers le centre le plus proche du lieu de décès. Le nouveau décret affirme que «  l’établissement s’engage à accueillir le corps après le décès du donneur, qui intervient en tout lieu du territoire national  » (Art. R. 1261-1. – III). Cela induit donc pour le CDC une obligation envers le donneur duquel il a accepté le don, de pouvoir rapatrier le corps en tous points du territoire. Cette démarche apparaît impossible, compte tenu de l’absence de logistique de transport et de moyens alloués sur ce point aux CDC.

Par ailleurs, se dessine en creux, à la lecture de ce texte, l’obligation d’accepter le don quand bien même les capacités du centre seraient saturées ou les besoins inexistants. D’une manière générale, le décret ne tranche pas de manière claire sur la récusation ou l’inconditionnalité du don. Ce flou pourra créer des situations complexes, car un CDC ne peut accueillir plus de corps que ses capacités et utilités ne le permettent. Si, à moyen ou long termes, le recours au don du corps se généralisait et devenait un substitut aux obsèques pour des citoyens en incapacité financière d’honorer les funérailles, les centres de don se retrouveraient dans une situation insoutenable. Sur ce point le décret présente une rédaction difficile à interpréter dans la mise en œuvre pratique puisqu’il est précisé que «  si l’établissement n’est pas en mesure, pour quelque raison que ce soit, d’accueillir le corps après le décès du donneur, celui-ci est acheminé vers l’établissement autorisé en capacité de le recevoir le plus proche » (Art. R. 1261-1. – III). Mais la question se pose alors de savoir ce qu’il adviendra si aucun centre en proximité n’est en capacité d’accueillir le corps, faute de place. On imagine mal un corps devant être transporté trop loin, très à distance du lieu du décès, d’autant que les frais de transport d’un corps sont conséquents (plusieurs centaines d’euros selon la distance) et qu’aucun budget n’est alloué à ce jour pour cela. Il eut donc été plus pertinent d’énoncer une possible récusation de l’acceptation d’un don lorsque les possibilités matérielles et organisationnelles du CDC ne permettent pas de l’accepter, d’autant qu’il n’y a pas pénurie de don. Au plan éthique, l’acceptation d’un don n’est en effet pas un automatisme, mais une possibilité ; ceci est un principe déjà effectif pour tous les dons en médecine (don d’organe, don du sang, don de gamètes) dans lesquels le don peut être récusé sur certains critères légitimes qui ne dépendent pas de la seule volonté du donneur. Ainsi, la régulation de l’accueil ou non du corps n’a pas fait l’objet d’un choix pratique clair entre le national et le territorial de la part du législateur. Ce point illustre l’esprit d’un décret qui, s’il se veut régulateur, reste dans l’indécision, voire présente des contradictions sur des aspects pragmatiques essentiels.

Le paradoxe et la complexité de la restitution des corps ou des cendres

Au début du décret, on peut comprendre que le donneur peut faire le choix d’une restitution ou non de son corps ou de ses cendres à ses proches (Art. R. 1261-1. – II : « L’établissement remet à la personne un document d’information […] . Il informe notamment la personne de la possibilité de demander la restitution de son corps ou de ses cendres à sa famille ou à ses proches à l’issue des activités d’enseignement médical ou de recherche ou de s’y opposer » ).

Plus loin dans le texte, en revanche, il est mentionné d’une part que l’établissement informe les proches «  selon la nature de l’activité pratiquée sur le corps, de la possibilité de demander la restitution de son corps ou de ses cendres, ou au contraire du caractère impossible de cette restitution » (Art. R. 1261-8. – I), et, d’autre part, qu’«  en l’absence de personne référente désignée par le donneur, sa famille ou ses proches peuvent à tout moment demander à l’établissement qui ne dispose pas de leurs coordonnées, la restitution de son corps ou de ses cendres » .

L’ambiguïté de la rédaction du décret laisse à penser que les proches ou la famille pourraient dans certaines situations exiger le retour des corps ou des cendres, sans avis du donneur. Or, cela serait contraire à toutes les valeurs de l’éthique du don [ 10 , 11 ] dès lors que, pour beaucoup de donneurs, ce don a de la valeur parce qu’il est sans retour et que ce choix leur appartient en propre. Ils sont nombreux à estimer que la demande de certains de leurs proches de bénéficier du retour du corps ou des cendres ne correspond pas à leur volonté. Ils soulignent par ailleurs le risque de conflit entre leurs proches après le décès ; certains pouvant souhaiter le retour du corps, d’autres des cendres, d’autres aucun retour. Sur ce point, ce décret apparaît donc pernicieux car, non seulement il pourrait renforcer le droit des proches indépendamment de la volonté du défunt, mais également parce qu’il ne prévoit aucune hiérarchie entre les proches, et ne permet pas d’arbitrer les éventuels conflits.

L’utilisation des corps est très diversifiée et, pour des besoins pédagogiques ou de recherche, les corps peuvent être, par exemple, morcelés, voire partiellement détruits. Il y aura donc des situations où il sera impossible de rendre le corps ad integrum aux familles. Il n’est pas certain que la confusion introduite par ce décret n’engendre pas des contentieux et des procédures de recours. Cela pose donc la question d’un principe de don sans retour du corps qui aurait pu être choisi par le législateur ; position défendue par de très nombreux donneurs.

Enfin, au-delà de ces principes éthiques, l’ouverture à la restitution des corps et des cendres pose des problèmes pratiques majeurs par rapport à l’application du code général des collectivités territoriales en termes de droit funéraire. L’article R2213-48 de ce code [ 12 ] définit en effet la présence (et une vacation) d’un fonctionnaire de police pour sceller un cercueil, afin de valider les identités et d’éviter toute inversion ou erreur d’identification de corps, en cas de transport hors de la commune de décès et qu’aucun membre de la famille n’est présent, et en cas de crémation 3 .

Si le centre de don du corps transfère les défunts dans un crématorium, avec pour finalité que la famille récupère les cendres, il faudrait donc la présence de la police, pour vérifier l’identité du défunt et les documents, et pour sceller le cercueil. S’il s’agit de restituer le corps à la famille, il faudrait prendre en compte le lieu de décès et la présence ou non de la famille lors de la mise en bière pour définir la nécessité de la présence de la police. Peut-on imaginer la présence d’une famille face à un corps morcelé ou ayant fait l’objet d’une autopsie ou d’une leçon d’anatomie ? Le décret n’a donc, semble-t-il, pas été suffisamment articulé avec le droit funéraire, et pose de nombreuses questions pratiques sur les procédures à respecter avec ou sans police, afin d’éviter toute erreur ou inversion de corps.

Confusion entre gratuité du don du corps et possibilité de demander au donneur un soutien financier pour les CDC : un risque de fragilisation budgétaire des structures

Jusqu’à l’établissement du décret, les centres du don du corps demandaient, en parallèle, au donneur de faire un don financier à la structure. Il s’agissait en termes éthiques d’un double don. Désormais, selon le nouveau texte réglementaire, «  aucune somme d’argent ne peut lui être demandée par l’établissement […]. Les frais afférents à l’acheminement du corps sont intégralement pris en charge par l’établissement ayant recueilli le consentement prévu au premier alinéa de l’article L. 1261-1 du présent code » (Art. R. 1261-1. – V). Or, certains centres faisaient appel au double don : don du corps et don financier, ce dernier permettant de gérer et assurer le fonctionnement du centre. Ceci avait aussi pour intérêt que le don totalement gratuit ne devienne un substitut à la réalisation d’obsèques classiques pour lesquelles un paiement est requis auprès du défunt ou de ses proches. L’interdiction du don financier par le décret peut se comprendre afin d’éviter le doute et la confusion symbolique qui pourrait être aggravée par des mésusages financiers. Toutefois, la démarche de double don ne relève pas d’un caractère non éthique, dès lors qu’il est bien explicité et bien contrôlé. En tout état de cause, il ne remettait pas en question le caractère inaliénable de gratuité du don et de non-commercialisation. Le corps n’était en effet ni acheté, ni vendu.

La suppression de ce double don pose de nouveaux problèmes car le don financier était utile au fonctionnement des centres, comme don aux démarches de recherche et d’enseignement. Il incombe donc aujourd’hui d’attribuer des dotations financières aux centres du don du corps au risque qu’ils ne puissent plus assurer leurs missions. Les coûts des nouvelles dispositions énoncées dans le décret augmenteront en effet inévitablement les dépenses d’une manière significative : au regard de l’acheminement du corps par un prestataire funéraire (précédemment pris en charge par les familles) vers le CDC désigné depuis l’ensemble du territoire, puis du retour de ce corps de manière individualisée sur son lieu d’inhumation ou de crémation (plus onéreux que le retour collectif des corps vers un centre d’incinération), ou de la répartition des cendres dans un jardin du souvenir. Ces charges financières pourraient bien mettre en péril le financement des centres de don du corps par des procédures plus onéreuses privées de l’apport des donneurs tout en restant dans l’incertitude du financement public.

Conclusion

La régulation par décret de la pratique du don du corps, régulation qui fait suite aux nouvelles lois de bioéthique, semble avoir été construite, malgré le rapport d’Emmanuelle Prada-Bordenave 4 présentant des recommandations de bonnes pratiques à l’adresse des centres de don des corps, sans débat suffisant et préalable impliquant toutes les parties prenantes et, surtout, les acteurs de terrains (donneurs et professionnels) qui, à travers leur expertise, auraient pu éviter les errements que soulèvent ce nouveau texte.

Le don du corps devrait reposer sur des règles précises, qui ne souffrent pas confusions et incertitudes. Ces règles devraient être co-construites par et avec les personnes concernées, car il s’agit d’une construction sociale autour de notre rapport à la mort. Elles doivent être pensées en fonction de leur inscription dans la société du réel, c’est-à-dire pouvoir être incarnées sereinement par tous les acteurs concernés, donneurs, familles, proches et professionnels. Toute régulation comportant des zones de confusions et de doutes risque de porter préjudice à la qualité du contrat social qui doit accompagner une telle pratique.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 L’exposition anatomique «  Our body , à corps ouvert », proposait 17 corps dépouillés de leur peau et parfaitement conservés. Elle a été interdite par le juge des référés au tribunal de grande instance de Paris.
2 Par comparaison, rappelons que lorsque des personnes font un testament, il existe un fichier central des dispositions de dernières volontés, le fichier central des dispositions de dernières volontés (FCDDV), aussi appelé fichier des testaments, qui centralise pour toute la France des informations sur les testaments reçus par les notaires ; le notaire enregistre au FCDDV tout testament qui lui est confié ; lors du règlement d’une succession, il interroge le fichier.
3 «  L’intervention des fonctionnaires mentionnée à l’article L. 2213-14 donne lieu au versement d’une vacation pour chacune des opérations prévues ci-après :1° La fermeture du cercueil et la pose de scellés, en cas de transport du corps hors de la commune de décès ou de dépôt et lorsqu’aucun membre de la famille n’est présent ;

2° La fermeture du cercueil et la pose de scellés, lorsqu’il doit être procédé à la crémation du corps  ».

References
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