Médicaments psychotropes : consommations et pharmacodépendances
2012
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Évolution des intoxications admises en réanimation :
données CUB-Réa 1997-2008
Les intoxications aiguës sont considérées comme une cause fréquente d’admission en réanimation. Cependant, à notre connaissance, des données ne sont pas disponibles pour étayer cette affirmation, d’autant que des efforts ont été déployés, et le sont encore, pour mettre sur le marché des médicaments et des produits domestiques aussi efficaces, voire plus, mais présentant une toxicité moindre. À cet égard, l’essor de la prescription des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine tient en partie à leur plus grande innocuité lors des intoxications aiguës en comparaison avec celle des antidépresseurs polycycliques. La fin des années 1990 a vu le développement des traitements de substitution de la dépendance aux opiacés, et l’effet plafond de la buprénorphine sur l’appareil respiratoire a été intégré dans les motifs de ce choix.
Le Collège des Utilisateurs de Bases de données en Réanimation (CUB-Réa)
1
réunit depuis 1992 une trentaine de services de réanimation d’Île-de-France et regroupe actuellement des données sur environ 340 000 séjours. Il nous est apparu intéressant d’utiliser les potentialités d’une telle base de données pour tenter de quantifier la problématique des intoxications admises en réanimation et de dégager des tendances sur une période de 12 ans en essayant de cibler des informations sur les médicaments psychotropes et les substances addictives et récréatives, sans oublier l’alcool.
Méthodes
Base de données
Les informations disponibles par séjour (anonymisé) comprennent les informations concernant le patient (âge et sexe), le séjour (durée(s) de séjour(s) en réanimation et à l’hôpital, modes d’entrée et de sortie, type d’admission, indice de gravité IGS II
2
L’indice de gravité simplifié (IGS II) ou Simplified Acute Physiologic Score (SAPS II) permet d’évaluer la corrélation entre les variables entrant dans le score et le risque de mortalité hospitalière.
), les diagnostics codés en CIM 10 et les actes codés – avec le champ Omega du CDAM (catalogue des actes médicaux) jusqu’en 2003, puis avec la CCAM (classification commune des actes médicaux) – avec l’indication de la durée (ou du nombre de réalisations de l’acte). Cette étude porte sur l’activité de 12 services de réanimation, les 2/3 appartenant à l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) et 1/3 étant des services hors AP-HP. Sur les 225 947 séjours ayant eu lieu entre 1997 et 2008, ont été retenus 144 779 séjours.
Identification des patients
Les codes sélectionnés (issus de la CIM 10) pour définir une intoxication sont les suivants (
annexe 8) :
• T36 à T50 : intoxications par des médicaments et des substances biologiques ;
• T51 à T65 : effets toxiques de substances d’origine essentiellement non médicinale. Bien que sans rapport avec les médicaments, cet item a été gardé car, dans celui-ci, sont classées une partie des intoxications alcooliques ;
• F10 à F19 : troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives.
Le caractère accidentel (X40 à X49) ou volontaire (X60 à X84) de l’intoxication n’est pas très bien renseigné et ne sera donc pas analysé.
Durant une même hospitalisation, si l’état du patient a nécessité une réadmission en réanimation, ce séjour n’a été compté qu’une fois. En revanche, un même patient a pu être admis plusieurs fois pour intoxication donnant lieu chaque fois à une hospitalisation différente.
Dans le texte, lors de la référence à une classe pharmaco-toxicologique, la présence d’une lettre suivie de trois chiffres entre parenthèses réfère à la cotation de la CIM 10.
Analyse statistique
Nous avons travaillé sur l’évolution au cours des 12 ans du nombre d’intoxications, ainsi que sur l’évolution de différents facteurs classiquement étudiés en réanimation. Nous avons procédé, dans un premier temps, à une analyse globale en considérant tous les types d’intoxication, puis nous avons réalisé une analyse plus spécifique en s’intéressant à trois types d’intoxication : les intoxications médicamenteuses, les intoxications non médicamenteuses et les intoxications par les substances récréatives et addictives. D’une année par rapport à une autre, le test du Chi 2 a été utilisé pour comparer les distributions des variables qualitatives, tandis que l’analyse de variance a été utilisée pour comparer les distributions des variables quantitatives continues, les variables ordinales étant comparées par une méthode non paramétrique de Kruskal-Wallis. Les tests de tendance (« trend test ») nous ont permis de rechercher si la variable à expliquer variait au cours du temps. La régression linéaire est un test de tendance pour les variables continues et le test d’Armitage permet de mettre en évidence la tendance évolutive d’un pourcentage au cours des années. Les résultats sont exprimés en moyenne et écart-type.
Résultats
Durant la période de l’étude, le nombre de lits de réanimation est resté stable. Il en est de même du coefficient d’occupation et de la durée moyenne de séjour des patients.
Population étudiée
Le groupe « intoxications » correspond à environ 21 000 séjours contenant au moins l’un des codes sélectionnés, soit 14 % de l’activité des réanimations.
Parmi ces 21 000 séjours, 17 000 (80 %) résultaient d’une intoxication médicamenteuse, environ 5 000 (23 %) d’une exposition à une substance récréative ou addictive et environ 1 500 (7 %) d’une intoxication non médicamenteuse.
Une attention particulière a été portée concernant les ré-hospitalisations des mêmes patients pour intoxication, problème souvent rencontré dans les affections chroniques graves. La base de données n’ayant pas été construite pour répondre spécifiquement à ce problème, l’exhaustivité des résultats est sujette à caution. De façon globale dans la base de données, 4 328 patients ont présenté une ou plusieurs ré-hospitalisations. Des hospitalisations répétées n’ont été observées que chez 475 patients admis pour intoxication et réadmis pour le même motif. Dans la mesure où le nombre des ré-hospitalisations est apparemment faible, ce problème n’a pas été exploré plus avant.
Profil de l’intoxiqué admis en réanimation
Les patients ayant un diagnostic d’intoxication sont, avec une courte majorité, des femmes (54 %) d’âge moyen 43 ans (±16) ; 12 % des patients avec intoxication ont moins de 25 ans. Les patients étudiés ont un IGS II de 34,7±18,5 et une large majorité d’entre eux (92 %) n’a aucune comorbidité. Parmi les séjours, 88 % proviennent d’une entrée directe aux urgences. La durée moyenne de séjour est de 3 jours en réanimation et de 8 jours à l’hôpital. Une ventilation mécanique a été mise en œuvre pour 53 % des séjours dont la durée moyenne a été de 3,6±6,4 jours. Fait intéressant, une ventilation non invasive n’a été utilisée que chez 3 % des sujets intoxiqués. Il est à noter que 56 % des sujets intoxiqués étaient comateux. Des catécholamines ont été prescrites chez 13 % et une hémodialyse chez un peu moins de 3 % des patients intoxiqués, quelles que soient les causes d’intoxication. La mortalité en réanimation est d’un peu moins de 5 % et la mortalité hospitalière est d’un peu plus de 5 %.
Évolution du profil de l’intoxiqué admis en réanimationtoutes causes confondues
Durant la période d’intérêt, sur 12 ans, le nombre annuel d’admissions pour intoxication toutes causes confondues a eu une tendance statistiquement significative à augmenter, passant d’environ 1 500 en 1997 à 1 567 en 2008. La proportion d’hommes a légèrement cru, passant de 45 à 48 %, le patient intoxiqué a vieilli avec un âge moyen qui est passé de 41±15 ans à 46±17 ans. À noter la diminution de la proportion de patients de moins de 25 ans qui est passée de 14 à 11 % et qui doit faire rechercher une augmentation concomitante des intoxications chez des personnes âgées. Effectivement, le pourcentage de patients âgés de 80 ans et plus est passé de 2,4 à 5,1 %. Ceci est par ailleurs confirmé par la diminution parallèle, légère mais significative, de la proportion de patients intoxiqués sans comorbidité diminuant de 95 à 92 %. Il est important de noter que la gravité des patients intoxiqués admis en réanimation a augmenté de façon significative comme en témoigne l’augmentation de l’IGS passant de 29±17 à 40±19. Le mode d’entrée est resté majoritairement par les urgences et les Samu avec une tendance significative à l’augmentation : 86 % versus 89 %. De façon surprenante, la proportion de patients intoxiqués nécessitant une ventilation mécanique a augmenté très fortement, passant de 40 à 68 %. En fait, il est à noter que la proportion d’intoxiqués comateux est passée de 46 % en 1997 à 62 % en 2008, ce qui est statistiquement significatif. En revanche, la durée de la ventilation mécanique ne s’est pas modifiée, restant à 3,7±7,6 et 3,4±4,9 jours. L’utilisation de drogues vasoactives a doublé durant la période d’intérêt, passant de 9 à 18 % des patients intoxiqués. Il en est de même du recours à l’hémodialyse, même si cette thérapeutique représente un traitement rare, passant de 1,4 à 3,0 % des patients intoxiqués avec insuffisance rénale aiguë sans insuffisance rénale chronique. Il existe une tendance à l’augmentation statistiquement significative de toutes les durées, qu’il s’agisse de la durée de séjour en réanimation passant de 3±8 à 4±5 jours, de la durée du séjour hospitalier passant de 7,0±12 à 7,5±12 jours. Enfin et surtout, tant la mortalité en réanimation que la mortalité hospitalière ont plus que doublé sur cette période de 12 ans, passant respectivement de 2,8 à 6,8 % et de 3,6 à 8,4 %.
Évolution du profil des intoxications médicamenteuses (T36 à T50)
Durant la période d’intérêt, sur 12 ans, le nombre annuel d’admissions pour intoxications médicamenteuses a eu une tendance statistiquement significative à diminuer légèrement, passant d’environ 1 300 en 1997 à 1 200 en 2008. Les classes pharmacologiques prédominantes sont les médicaments antiépileptiques, sédatifs, hypnotiques et antiparkinsoniens (T42), les psychotropes non classés ailleurs (T43) et les médicaments agissant sur le système cardiovasculaire. La légère diminution ne met pas en cause une classe particulière.
La proportion d’hommes est restée stable, passant de 42 à 40 %. Le patient intoxiqué a vieilli avec un âge moyen qui est passé de 41±16 ans à 47±17 ans. À noter la diminution de la proportion de patients de moins de 25 ans qui est passée de 14 % à 10 % tandis que le pourcentage des intoxications médicamenteuses chez les personnes âgées de 80 ans et plus est passé de 2,5 à 5,3 %. Ceci est par ailleurs suggéré par la diminution légère mais significative de la proportion de patients intoxiqués sans comorbidité diminuant de 94 à 92 %. Il est important de noter que la gravité des patients intoxiqués par des médicaments et admis en réanimation a augmenté de façon significative comme en témoigne l’augmentation de l’IGS passant de 29±17 à 41±19. Le mode d’entrée est resté majoritairement par les urgences et les Samu avec une tendance significative à l’augmentation, passant de 86 à 90 %. La proportion de patients intoxiqués nécessitant une ventilation mécanique a augmenté très fortement s’élevant de 39 à 67 %. Dans le même temps, la proportion d’intoxiqués comateux est passée de 47 à 62 %, ce qui est statistiquement significatif. En revanche, la durée de cette ventilation mécanique ne s’est pas modifiée, restant à 3,4±6,8 et 3,5±5,1 jours. L’utilisation de drogues vasoactives a doublé durant la période d’intérêt, augmentant de 9 % à 19 % des patients intoxiqués. Il en est de même du recours à l’hémodialyse, même si cette thérapeutique représente un traitement rare, qui passe de 1,4 % à environ 3,0 % des patients intoxiqués avec insuffisance rénale aiguë sans insuffisance rénale chronique. Il existe une tendance à l’augmentation statistiquement significative de la durée de séjour en réanimation passant de 2,9±8 à 4±5 jours, alors que la durée du séjour hospitalier reste à 7±12 et 7±11 jours. Enfin, tant la mortalité en réanimation que la mortalité hospitalière ont doublé sur cette période de 12 ans, passant respectivement de 2,4 à 6,0 % et de 3,3 à 7,2 %.
Évolution du profil des intoxications par des substancesnon médicinales
Durant la période d’intérêt, sur 12 ans, le nombre annuel d’admissions pour intoxications non médicamenteuses a eu une tendance statistiquement significative à augmenter, passant d’environ 100 en 1997 à 140 en 2008. Les classes toxicologiques prédominantes sont le monoxyde de carbone (T58) et les autres gaz (T59), l’alcool (T51) et les caustiques (T54). Les trois premières causes sont en augmentation alors que le nombre annuel d’intoxications par les caustiques diminue.
Lors des intoxications par des substances non médicamenteuses, la proportion élevée d’hommes est restée stable, respectivement de 57 et 59 %. Le patient intoxiqué par ces substances non médicamenteuses a également vieilli, avec un âge moyen qui a augmenté de 42±16 ans à 48±18 ans. À noter la diminution significative de la proportion de patients de moins de 25 ans, de 13 à 9 %. Parallèlement, le pourcentage de patients âgés de 80 ans et plus est passé de 4 à 6 %. La proportion de patients intoxiqués sans comorbidité a diminué de 98 à 90 %. La gravité des patients intoxiqués par des substances non médicamenteuses et admis en réanimation a augmenté de façon significative, comme en témoigne l’augmentation de l’IGS de 26±20 à 36±23. Le mode d’entrée reste par les urgences et les Samu avec une tendance significative à l’augmentation, 79 puis 87 %. La proportion de patients intoxiqués par des substances non médicamenteuses nécessitant une ventilation mécanique a augmenté de 41 à 65 %. Ceci est en contraste avec, dans le même temps, la proportion d’intoxiqués comateux qui est passée de 31 à 39 % ce qui est statistiquement significatif mais n’explique pas l’augmentation du besoin de recours à la ventilation mécanique pour des raisons neurologiques ; l’attention devra se porter vers d’autres indications, défaillance respiratoire ou circulatoire lors de ces intoxications, à moins que l’éthanol l’explique à lui seul. La durée de ventilation mécanique ne s’est pas modifiée de façon statistiquement significative, elle était de 9±15 jours en 1997 et 5±4 jours en 2008. À noter que ces durées de ventilation sont sans rapport avec la durée usuelle d’un coma alcoolique non compliqué. L’utilisation de drogues vasoactives a augmenté durant la période d’intérêt, de 12 à 22 % des patients intoxiqués, sans que cette différence soit significative. Il en est de même du recours à l’hémodialyse, passant de 2 à environ 6 % des patients intoxiqués par des substances non médicamenteuses. La durée de séjour en réanimation reste stable de l’ordre 5±6 jours, celle du séjour hospitalier reste à 10±16 jours. Les taux de mortalité en réanimation et hospitalière augmentent de façon non significative (respectivement de 7 à 12 % et de 7 à 16 %).
Évolution du profil des intoxications par les substances addictives et récréatives
Durant la période d’intérêt, sur 12 ans, le nombre annuel d’admissions pour intoxications par substances addictives et récréatives a eu une tendance statistiquement significative à augmenter, passant de 290 en 1997 à 449 en 2008. Les classes prédominantes sont l’alcool (F100), les opioïdes (F110) et la cocaïne (F140). Les deux premières classes sont en augmentation constante et ceci de façon contemporaine au développement des traitements de substitution de la dépendance aux opiacés. L’admission pour surdose par la cocaïne n’est rapportée qu’à partir de 2002 ; elle reste encore anecdotique (entre 4 et 7 cas par an). Fait intéressant, aucune admission pour troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation du cannabis (F120) n’a été notée durant les 8 premières années, un cas par an a été rapporté durant les quatre années suivantes. Il est à noter que les troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de stimulants (F150) ou d’hallucinogènes (F160) ne sont pas une cause d’admission en réanimation.
Lors des intoxications par des substances addictives ou récréatives, la proportion particulièrement élevée d’hommes doit être notée. Elle s’est encore affirmée au cours de la période couvrant l’étude, passant de 60 à 68 %. Le patient a aussi vieilli avec un âge moyen qui a significativement augmenté, passant de 39±11 ans à 42±14 ans. Deux évolutions sont à noter dans cette classe, l’augmentation significative de la proportion de patients de moins de 25 ans qui est passée de 11 à 15 %. De plus, la proportion de patients âgés de 80 ans et plus a augmenté de 0,35 à 2,23 %. La gravité des patients intoxiqués par des substances addictives ou récréatives et admis en réanimation a augmenté de façon significative comme en témoigne l’augmentation de l’IGS de 29±16 à 40±17. Le mode d’entrée reste par les urgences et les Samu, de l’ordre de 92 %. La proportion de patients intoxiqués par des substances addictives ou récréatives nécessitant une ventilation mécanique a augmenté de façon significative, passant de 44 à 69 %. Dans le même temps, la proportion d’intoxiqués comateux s’est élevée de façon significative, passant de 53 à 73 %. La durée de ventilation mécanique ne s’est pas modifiée, de l’ordre de 2,2±4 jours. L’utilisation de drogues vasoactives lors des intoxications par des substances addictives ou récréatives a augmenté significativement, passant de 7 à 13 % des patients intoxiqués. Concernant l’hémodialyse, elle n’est requise que de façon exceptionnelle lors des intoxications par des substances addictives ou récréatives. La durée de séjour en réanimation présente une tendance statistiquement significative à augmenter, passant de 1,7±4,1 à 3,3±5,4 jours. Il en est de même de la durée du séjour hospitalier, passant de 5±10 jours à 6±10 jours. Lors des intoxications par des substances addictives ou récréatives, les taux de mortalité en réanimation et hospitalière augmentent de façon significative, passant respectivement de 1,7 à 5,6 % et de 1,7 à 6,7 %.
Évolution par classes pharmaco-toxicologiques
Concernant les produits psychotropes retrouvés dans les codes T40, T42 et T43
3
T40 Intoxication par narcotiques et psychodysleptiques [hallucinogènes] ; T42 Intoxication par anti-épileptiques, sédatifs, hypnotiques et anti-parkinsoniens ; T43 Intoxication par médicaments psychotropes, non classés ailleurs.
, le nombre de séjours impliquant cette classe est passé de 1 402 en 1997 à 1 211 en 2008 soit une tendance significative à la baisse. La baisse du signalement des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de sédatifs ou d’hypnotiques (F13) corrobore cette tendance.
Concernant l’alcool (codes T51 et F10), le nombre de séjours impliquant l’éthanol est passé de 290 en 1997 à 392 en 2008 soit une tendance significative à la hausse.
Concernant les opiacés retrouvés par le code F11, le nombre de séjours les impliquant est passé de 286 en 1997 à 373 en 2008 soit une tendance significative à la hausse.
Discussion
Le nombre de publications dans la littérature médicale concernant les admissions en réanimation pour cause d’intoxication apparaît très limité. En limitant une revue de littérature à la problématique des admissions en urgence et/ou en réanimation des intoxications par psychotropes aux pays Européens et aux États-Unis, il est possible d’essayer de comparer dans un premier temps les données d’admission aux urgences des hôpitaux de celles ayant résulté en une admission en réanimation. La littérature pertinente est encore plus réduite si l’on tient compte de la mise sur le marché de la buprénorphine haut dosage dans le traitement de substitution de la dépendance aux opiacés. Une étude multicentrique réalisée en Espagne de février à avril 2000 et rassemblant 14 services révèle que les intoxications représentent 0,66 % (419 cas) des consultants aux urgences avec une petite prédominance des hommes (56 %) d’un âge moyen de 33 ans. Dans 78 % des intoxications, celles-ci étaient auto-infligées, impliquant des benzodiazépines (57 %), des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (7 %), du paracétamol (4 %) et de l’alcool (26 %). Les drogues illicites étaient rapportées chez 6 % des patients et comprenaient la cocaïne (52 %), l’héroïne (25 %), l’ecstasy (15 %). Une polyconsommation était rapportée pour 36 % des usagers. Pour la totalité des intoxications, un transfert en réanimation n’a été nécessaire que dans 4 % des cas. Un seul patient est décédé (0,2 %) (Burillo-Putze et coll., 2003

).
Une étude monocentrique en Grèce s’est intéressée aux admissions d’urgence dans le département de médecine interne des parasuicides tels que définis par la CIM 10. Les auteurs ont d’abord rapporté une augmentation des intoxications auto-infligées qui sont passées de 1 044 cas en 1980 à 5 025 cas en 1996. En 2003, les intoxications auto-infligées représentaient 3,8 % des admissions d’urgence en médecine interne. Ces services sont ceux recevant en première ligne les intoxications ne justifiant pas de la réanimation. Dans 37 % des cas, des barbituriques et/ou des benzodiazépines étaient impliquées, dans 33 % des cas des analgésiques non morphiniques, dans 3 % des opiacés. Les auteurs rapportaient que l’alcool était associé dans 8 % des cas. L’âge des patients influençait leur mode de parasuicide, les patients de moins de 40 ans utilisaient des analgésiques tandis que les patients âgés recouraient aux psychotropes. Une admission en réanimation a été nécessaire dans 11 % des cas (Hatzitolios et coll., 2001

).
Une étude monocentrique longitudinale allemande s’est intéressée aux admissions en réanimation pour intoxication des personnes très âgées. Cette étude longitudinale a porté sur 55 991 patients de réanimation inclus durant les années 1982, 1992 et 1997. Les patients âgés d’au moins 65 ans représentaient 5,9 % des patients admis pour intoxication. L’âge moyen était de 75,0±7,3 ans (extrêmes : 65-97 ans). Parmi les admissions des sujets âgés, 40 % résultaient d’une intoxication médicamenteuse dont les circonstances pouvaient être un suicide, une tentative de suicide, une surdose aiguë accidentelle ou des effets adverses des médicaments. Chez les personnes très âgées, un surdosage accidentel (52 %) était un peu plus fréquent que les tentatives de suicide (48 %). D’une façon globale, en comparaison avec une population plus jeune, la durée moyenne d’hospitalisation était plus longue pour les intoxications médicamenteuses. Mais pour les ivresses aiguës et l’usage de drogues illicites, il n’y avait pas d’augmentation significative de la durée moyenne d’hospitalisation chez les personnes âgées
versus les plus jeunes (Mühlberg et coll., 2005

). Concernant les patients admis en réanimation pour effets adverses des médicaments, l’âge par lui-même n’était pas un facteur causal indépendant. Les facteurs dépendant de l’âge sont les polymédications, les polypathologies, les modifications pharmacodynamiques et/ou cinétiques ainsi que l’incidence des démences et des confusions. Concernant la mortalité liée aux intoxications chez les sujets âgés, les taux varient selon les études, allant de 14 % pour les sujets âgés de plus de 70 ans (Pichot et coll., 1990

) à 2,2 % pour les sujets âgés de plus de 60 ans (Mühlberg et coll., 2005

). La mortalité chez les sujets âgés intoxiqués était globalement 9 fois plus élevée que chez les sujets intoxiqués plus jeunes. Le problème majeur des effets adverses des médicaments chez les sujets âgés, identifié par les auteurs, vient de l’altération physiologique de la fonction rénale avec l’âge. Ce déclin dépendant de l’âge de l’élimination rénale des médicaments est un fait majeur des intoxications du sujet âgé (Mühlberg et coll., 2005

).
Les données médico-légales aux États-Unis avaient montré en 2007 que les intoxications non intentionnelles étaient devenues la 2e cause de mort accidentelle, après les accidents de la route. Aux États-Unis, un État, la Floride, sert d’observatoire médico-légal pour les morts d’origine toxique dans la mesure où des dosages systématiques de certaines substances d’intérêt sont réalisés sur tous les décès suspects depuis de nombreuses années. Durant la période allant de 1990 à 2001, il avait été observé en Floride une augmentation des intoxications non intentionnelles de 325 %. Un rapport récent a étudié les taux de décès par surdose dans ce même État, de 2003 à 2009. Durant cette période, le nombre de décès présentant une concentration sanguine létale d’au moins une substance est passé de 1 804 à 2 905, soit une augmentation de 61 %. Ramené au nombre d’habitants, le taux de décès est passé de 10,6 à 15,7 pour 100 000 habitants, soit une augmentation de 47,5 %.
Durant cette période, il a été observé une augmentation des décès associant toutes les substances d’intérêt, à l’exception de la cocaïne et de l’héroïne : le taux de décès en relation avec l’héroïne a diminué de 62 % et celui en relation avec la cocaïne de 39 %. Dans le même temps, le taux de décès associant des médicaments prescrits est passé de 7,3 à 13,4 pour 100 000 habitants, soit une augmentation de 84 %. Les substances à l’origine des augmentations les plus importantes des taux de décès sont l’oxycodone (+ 265 %), l’alprazolam (+ 234 %), la méthadone (+ 79 %), l’hydrocodone (+ 35 %) et la morphine (+ 26 %). En 2009, le nombre de décès par médicaments prescrits équivalait à 4 fois le nombre de décès par drogues illicites (CDC, 2011

). En 2009, 86 % des morts par surdose ne sont pas intentionnelles, 11 % sont des suicides, 3 % sont indéterminées et 0,4 % sont des homicides. Les décès par surdose impliquaient des médicaments prescrits dans 76 % des cas, une drogue illicite dans 34 % et la combinaison des deux dans seulement 10 % des cas. Le top 7 des substances retenues comme cause de décès figure dans le tableau I

(CDC, 2011

). Dans cette augmentation du nombre des décès, le CDC retenait comme facteur l’augmentation du nombre des cliniques de la douleur.
Tableau I : Top 7 des substances retenues comme cause du décès (/100 000 habitants) en 2003 et 2009 dans l’État de Floride (d’après CDC, 2011
)
2003
|
2009
|
Cocaïne (3,2)
|
Oxycodone (6,4)
|
Méthadone (2,2)
|
Alprazolam (4,4)
|
Oxycodone (1,7)
|
Méthadone (3,9)
|
Héroïne (1,4)
|
Cocaïne (2,8)
|
Morphine (1,3)
|
Morphine (1,6)
|
Alprozolam (1,3)
|
Hydrocodone (1,4)
|
Hydrocodone (1,1)
|
Héroïne (0,5)
|
Dans notre étude menée de 1997 à 2008, le nombre annuel d’intoxications montre une tendance significative à augmenter, toutes causes confondues, avec parallèlement une tendance à la diminution des intoxications médicamenteuses. Ces variations doivent être interprétées à la lumière de certains paramètres. L’activité de réanimation est une activité normée, soumise à autorisation. Dans ce contexte, le nombre de lits est réglementé. Pour la période d’étude, le nombre de services participants a été maintenu constant, le nombre de lits a peu varié ; il en est de même de la durée moyenne de séjour. Les services de réanimation participant à l’étude se caractérisent par des coefficients d’occupation avoisinant les 100 %, ce qui limite les possibilités de variations. Mais à l’inverse, malgré la longueur de la période de 12 ans et l’évolution des produits mis sur le marché, cette étude montre qu’il n’y a pas eu de diminution, et au contraire même une tendance à l’augmentation du nombre de séjours liés à des intoxications toutes causes confondues, notamment par l’alcool et par les produits addictifs et récréatifs. Dans le même temps, l’âge moyen des patients admis a crû. La proportion de patients très âgés a augmenté aussi bien en ce qui concerne les médicaments que les produits addictifs ou récréatifs. Ceci mériterait d’être exploré en termes de nature des produits qualifiés d’addictifs et récréatifs et impliqués dans les intoxications des personnes très âgées. Fait caractéristique des séjours liés à la consommation de produits addictifs et récréatifs, l’augmentation du nombre de patients âgés de moins de 25 ans qui est passé de 11 à 15 %. La gravité croissante de tous les types d’intoxications et notamment par les substances addictives ou récréatives et les psychotropes est attestée par l’accroissement de la valeur de l’indice de gravité simplifié (IGS II) aussi bien pour les médicaments que pour les produits addictifs et récréatifs. Malgré la baisse des séjours liés à la classe des psychotropes, les intoxications par les substances addictives et récréatives se caractérisent par une plus grande fréquence des patients comateux avec un recours plus fréquent à la ventilation artificielle. En l’absence d’analyses toxicologiques, il n’est pas possible d’inférer sur les produits ou classes de substances à l’origine de cette modification. L’augmentation de sévérité s’observe également sur l’appareil cardiovasculaire. L’augmentation globale de morbidité des intoxications par médicaments ou substances addictives ou récréatives est associée à une augmentation de mortalité hospitalière et en réanimation.
En conclusion, les données apportées par cette étude France-Ilienne multicentrique vont dans le même sens que les données des autres pays. Il existe de nombreuses limites à ce travail, la limite essentielle venant de l’absence de données de toxicologie analytique pertinentes qui oblige à une approche purement clinique de ces séjours en réanimation. Alors même que les moyens analytiques modernes permettent de réaliser de véritables « autopsies analytiques », l’absence d’organisation et de structuration de la toxicologie clinique hospitalière autour d’un projet clinique représente un frein essentiel à la progression des connaissances alors même que cette pathologie fait l’objet d’une augmentation de sa fréquence annuelle et de sa morbi-mortalité.
Bibliographie
[1] BURILLO-PUTZE G, MUNNE P, DUEÑAS A, PINILLOS MA, NAVEIRO JM, et coll. National multicentre study of acute intoxication in emergency departments of Spain.
Eur J Emerg Med. 2003;
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-104
[2]CDC (CENTERS FOR DISEASE CONTROL AND PREVENTION). Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR).
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Intérêt de l’approche galénique
La réflexion sur la galénique d’un médicament en développement doit intégrer deux dimensions : la prévention du mésusage et la prévention de la pharmacodépendance.
Mésusage, pharmacodépendance et galénique
La galénique peut influer sur l’induction de la dépendance via des paramètres principalement pharmacocinétiques et, sur les mésusages, via des paramètres de limitation des détournements.
Galénique
La galénique recouvre l’étude des formes d’administration des médicaments. La préparation du médicament qui a quitté le cadre artisanal de l’officine, est devenue industrielle et acquiert un haut degré de complexité et de sophistication. On retient aujourd’hui pour la pharmacie galénique une définition centrée sur la préparation, la conservation et la présentation des médicaments, impliquant la conception de leurs formes, leur biodisponibilité et leur conditionnement.
Mésusage
Il s’agit d’une utilisation non conforme aux recommandations du Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) mentionné à l’article R. 5121-21 du Code de la santé publique. Dans cette communication, nous ne nous attacherons pas aux mésusages à finalité thérapeutique, mais au mésusage correspondant au détournement, à savoir l’utilisation en dehors de la norme de l’usage dans une finalité autre que celle qui était prévue.
Pharmacodépendance
La pharmacodépendance est un ensemble de phénomènes comportementaux, cognitifs et physiologiques d’intensité variable dans lesquels l’utilisation d’une ou plusieurs substances psychoactives devient hautement prioritaire et dont les caractéristiques essentielles sont le désir obsessionnel de se procurer et de s’administrer la ou les substances en cause et leur recherche permanente : l’état de dépendance peut aboutir à l’auto-administration de ces substances à des doses produisant des modifications physiques ou comportementales qui constituent des problèmes de santé publique.
La pharmacodépendance entraîne souvent des mésusages (utilisation hors de l’indication thérapeutique, injection de formes orales...).
Problèmes identifiés
Deux grands types de problèmes peuvent être identifiés : l’apparition d’une pharmacodépendance lors d’une utilisation thérapeutique (dans ce cadre, la galénique joue un rôle via des paramètres pharmacocinétiques) ; les mésusages ou détournements d’usage qui peuvent être une conséquence de la pharmacodépendance ou s’inscrire dans le cadre d’un usage récréatif.
Plusieurs modalités de détournement pour lesquelles les propriétés galéniques jouent un rôle primordial ont été identifiées par les autorités de santé :
• la recherche d’effets positifs par l’utilisation d’un médicament psychoactif hors de sa voie d’administration normale. Ce détournement, qui constitue un comportement de transgression, est souvent une conséquence dommageable de la dépendance avec recherche d’un effet plus rapide ou plus intense (Cone, 2006

). Cette recherche d’effets positifs peut aussi se manifester chez des patients qui vont consommer leurs opiacés d’une manière différente de la prescription (augmentation des doses...) (Raffa et Pergolizzi, 2010

) ;
• la soumission chimique correspondant à l’administration à autrui à des fins criminelles ou délictuelles d’un ou plusieurs produits psychoactifs à l’insu de la victime ou sous la menace ;
• les médicaments vendus comme étant de l’ecstasy en raison de l’attractivité de leurs logos.
Qu’il s’agisse de la soumission chimique ou du détournement de la voie d’administration, les usagers vont altérer les formes orales solides (comprimés) en les écrasant (étape indispensable pour le sniff, l’injection, la soumission chimique), en les dissolvant (injection et soumission chimique) et en gérant la viscosité de la solution obtenue (problématique surtout pour l’injection où les volumes sont faibles).
Développements galéniques : une nécessité
Il est aujourd’hui nécessaire de considérer le développement de formes pharmaceutiques offrant une meilleure sécurité sur le plan galénique. Une meilleure prise en charge du traitement de la douleur s’est accompagnée d’une augmentation des prescriptions d’opiacés. Leur utilisation s’est développée non seulement dans le traitement des douleurs cancéreuses mais également dans celui des diverses douleurs chroniques. Tout traitement chronique expose à un risque d’abus et/ou de dépendance (Ruan et coll., 2010

; Schneider et coll., 2010

; Webster et coll., 2009

).
Les risques de détournement des médicaments, notamment en utilisant la voie injectable, sont très élevés dans la population des usagers de drogues. Pour éviter cette forme de mésusage, des formes galéniques innovantes sont attendues (Webster et coll., 2009

).
Différentes stratégies sont utilisées pour développer de nouvelles formes galéniques.
Ralentir le délai d’apparition et l’effet de pic
La vitesse d’apparition des effets centraux et l’effet de pic (Compton et Volkow, 2006

) sont des paramètres capitaux : les effets de renforcement sont en effet proportionnels à la vitesse d’apparition.
Limitation de la fréquence des prises
Des prises fréquentes potentialisent les effets de renforcement. Les médicaments de substitution des pharmacodépendances sont formulés pour éviter les pics plasmatiques répétés (buprénorphine haut dosage, patch nicotinique).
La durée d’action constitue également un paramètre important : une courte durée d’action sera associée à un renforcement et davantage à l’apparition d’un syndrome de sevrage.
Pour des propriétés pharmacologiques identiques, les médicaments présentant un délai d’action rapide et une courte durée d’action sont associés à un potentiel d’abus plus élevé que ceux ayant un délai et une durée d’action plus longs (McColl et Sellers, 2006

).
Modification du délai d’action
Les propriétés pharmacocinétiques d’une substance psychoactive sont déterminantes dans le développement de la pharmacodépendance et le mésusage éventuel qui en résulte. La vitesse d’absorption, le passage de la barrière hémato-encéphalique, et le délai d’action vont influer sur le développement de la dépendance (Mansbach et Moore, 2006

).
Une apparition rapide de l’effet et une concentration maximale (Cmax) élevée vont favoriser les effets de récompense, et par conséquent l’abus et la pharmacodépendance (Webster, 2009

; Webster et coll., 2009

).
Un coefficient d’attractivité AQ (
abuse quotient) a même été proposé pour les opiacés : AQ=Cmax/Tmax
1
Tmax : temps nécessaire pour atteindre la Cmax
, selon lequel une Cmax élevée et un temps court pour atteindre ce pic de concentration rendaient le médicament plus attractif et davantage susceptible d’abus (Raffa et Pergolizzi, 2010

).
Une solution pour limiter le potentiel de dépendance réside dans le développement de formes à libération prolongée. Cependant, la commercialisation de ces formes plus dosées à libération prolongée permet, en cas de mésusage, d’en extraire une plus grande quantité de principe actif. Ainsi, dans ce cas, limiter le potentiel de dépendance reviendrait à favoriser le développement de formes plus propices au détournement (GAO, 2003

; Webster, 2009

).
L’approche cinétique est intéressante uniquement si la spécialité est formulée pour résister à son extraction, son écrasement ou toute modification pouvant être entreprise pour modifier sa forme pharmaceutique initiale.
Développement de prodrogues
Les prodrogues sont des substances pharmacologiques qui sont administrées sous une forme inactive (ou très peu active) ; elles nécessitent une transformation enzymatique pour obtenir le principe actif (Katz, 2008

; Webster, 2009

; Wick, 2009

).
L’intérêt des prodrogues ne se limite pas à ralentir le délai d’action : si les enzymes nécessaires à la transformation sont intestinales, on peut facilement imaginer que cette transformation n’aura pas lieu en cas de mésusage par voie intraveineuse ou sniff. De plus, si les enzymes sont présentes en faible quantité, on dispose d’un moyen de régulation limitant la quantité de principe actif (Webster, 2009

). Des prodrogues d’opioïdes ou d’amphétamines sont en développement aux États-Unis. Le Vyvanse®, dextroamphétamine conjuguée avec la L-Lysine, indiqué pour le traitement du TDAH (trouble déficit de l’attention/hyperactivité), est commercialisé aux États-Unis.
Limiter l’escalade des doses
Aux États-Unis, la première mesure prise pour enrayer les consommations abusives et réduire le développement de la dépendance à la morphine a été, en 1914, de limiter les doses des préparations contenant des opiacés (Harrisson Narcotic Act, ou loi Harrisson, sur la régulation de l’importation, la fabrication, la distribution et la prescription des opiacés).
Certaines formulations galéniques posent le problème de doses restantes après la prise par le patient. Par exemple, la dose résiduelle dans les patchs de fentanyl après utilisation reste létale (Tharp et coll., 2004

) ; elle représente, selon les prescriptions, entre 28 et 84 % de la dose initiale (Marquardt et coll., 1995

).
Le problème de la dose est complexe : elle dépend du patient visé (adulte, enfant), de l’indication, de la libération immédiate ou non. Il est acquis qu’augmenter la dose d’un principe actif doté d’un potentiel de dépendance tend à augmenter le risque. L’évaluation du potentiel d’abus nécessite de disposer de données sur la biodisponibilité. Une faible biodisponibilité peut être liée à un premier passage hépatique important ou une mauvaise résorption. Dans les deux cas, la dose unitaire du médicament devra être augmentée (Mansbach et Moore, 2006

), ce qui majore le risque en cas de détournement de la voie d’usage.
Prévenir le mésusage qui augmente les effets subjectifs
Différentes stratégies ont été développées pour limiter les effets renforçants et les risques de détournement.
Ajout de substances dissuasives ou barrières chimiques
Ces formulations contiennent des substances pharmacologiques ajoutées, afin de réduire le plaisir ressenti lorsque la formulation est chimiquement ou physiquement altérée à la recherche d’effets psychiques positifs. Deux techniques ont été utilisées : l’ajout d’un antagoniste rendant inactif le principe actif ou l’ajout d’une substance aversive qui entraîne des effets désagréables lors de l’utilisation de doses suprathérapeutiques (Webster et coll., 2009

).
Dans la première stratégie, des molécules antagonistes du principe actif sont ajoutées à la formulation dans le but de réduire les effets renforçants d’un médicament qui pourraient être provoqués lorsque celui-ci est pris en excès ou par une voie d’administration autre que celle indiquée. L’antagoniste se libère uniquement si l’intégrité du comprimé est altérée, par écrasement, par dissolution, ou tout autre mode d’extraction possible. En 2010, cela concernait uniquement les antagonistes des opiacés, comme la naloxone ou la naltrexone (Coleman et coll., 2005

; Webster, 2009

; Wick, 2009

; Raffa et Pergolizzi, 2010

; Ruan et coll., 2010

; Webster et Fine, 2010

).
Dans la seconde stratégie, l’ajout de substances aversives provoque des effets indésirables si l’usager utilise la spécialité écrasée ou en excès (Webster, 2009

; Webster et coll., 2009

; Schneider et coll., 2010

; Webster et Fine, 2010

). Pris dans les indications prévues par l’AMM, l’agent aversif reste séquestré dans la formulation et ne produit normalement pas ses effets désagréables. L’Acurox® (oxycodone coformulée avec de la niacine) est en attente d’AMM aux États-Unis.
Prévenir le détournement des formes orales ou barrières physiques
Ces formulations présentent des barrières physiques au détournement afin d’empêcher l’extraction du principe actif par tout moyen physique ou chimique (Coleman et coll., 2005

; Katz, 2008

; Webster, 2009

; Webster et coll., 2009

; Wick, 2009

; Raffa et Pergolizzi, 2010

; Webster et Fine, 2010

).
De nouvelles technologies sophistiquées de comprimés matriciels (Marinol®, Oxycontin®, Remoxy®, Rexista®, COL003, COL172), telles la technologie DETERx ou Securel, ont été développées ainsi que des comprimés réservoirs (Concerta®), technologie OROS® push-pull.
Ce type de formulation est intéressant dans la problématique du détournement car il permet d’avoir un effet cinétique retard associé à une forme pharmaceutique difficile à écraser ou à extraire. C’est la technologie qui a été retenue par Alza corp. pour la formulation de l’hydromorphone (analgésique opioïde), actuellement en phase III et connue sous le nom de Jurnista
TM dans l’Union Européenne et d’Exalgo
TM aux États-Unis (Webster et coll., 2009

).
Inclusion d’excipient
L’approche d’inclusion consiste à ajouter un excipient afin d’alerter une victime potentielle dans le cas de la soumission chimique, ou bien afin de limiter l’extraction chimique du médicament. Les molécules ajoutées peuvent être des gélifiants, des colorants...
Réduire l’accès au mésusage
Afin de limiter le mésusage, il est parfois possible d’envisager le développement de formes galéniques différentes, par exemple l’utilisation de patchs au lieu des comprimés car l’extraction du principe actif est rendue plus difficile (Sellers et coll., 2006

; Katz, 2008

).
Évaluation galénique
Un des points clés de ces développements est l’évaluation du bénéfice de ces nouvelles formes pharmaceutiques en ce qui concerne la réduction du risque d’abus ou de mésusage.
Réglementation générale de l’évaluation du potentiel d’abus des médicaments
L’évaluation du potentiel d’abus des médicaments ne fait pas partie intégrante des phases exigées dans les essais cliniques lors de la demande de commercialisation d’un médicament (AMM) en Europe. En revanche, aux États-Unis, une évaluation du risque d’abus et de dépendance doit être menée avant commercialisation des médicaments agissant sur le système nerveux central (
Code of Federal Regulations,
Title 21,
Part 314.50) (Mansbach et coll., 2003

).
La
Food and Drug Administration (FDA) a publié plusieurs versions du «
Draft Guidelines for Abuse Liability Assessment », qui décrit l’évaluation du potentiel d’abus des substances psychoactives (Balster et Bigelow, 2003

).
Au Canada, a été publiée en 2007 une « ligne directrice » (outil administratif n’ayant pas force de loi) sur l’évaluation clinique du risque d’abus associé aux médicaments qui agissent sur le système nerveux central, décrivant les études cliniques nécessaires à l’évaluation du potentiel d’abus des nouveaux médicaments, ou des médicaments en cours de réévaluation (Autorité du ministère de la santé Canadien, 2007

).
À l’heure actuelle, les autorités européennes commencent à prendre en compte la problématique de l’évaluation du potentiel d’abus des médicaments au cours de leur développement. L’agence européenne du médicament, l’EMEA (
European Medicines Evaluation Agency), a diffusé en 2006 des recommandations
2
EMEA. Guideline on the Non clinical investigation of the dependence potential of medicinal products. EMEA/CHMP/SWP/94227/2004. March 2006
sur la mise en place d’études précliniques (chez l’animal) visant à évaluer le potentiel d’abus des médicaments.
Problématique spécifique de l’approche galéniqueet absence de standard
Aux États-Unis, la « Guidance for industry: assessment of abuse potential of drugs » du Center for Drug Evaluation and Research (CDER) a proposé en 2010 de considérer la solubilité de la molécule active ainsi que son aptitude à être extraite et suggère des essais cliniques chez l’Homme.
Au Canada, la ligne directrice de 2007 propose l’étude des caractéristiques physicochimiques du produit susceptibles d’augmenter la possibilité des abus par voie injectable ou pulmonaire ; elle recommande des études in vitro sur l’extractabilité et des essais cliniques chez l’Homme.
En revanche, il n’existe aucune recommandation spécifique en Europe.
On ne dispose donc à l’heure actuelle que de grands principes (Wright et coll., 2006

; Webster et coll., 2009

).
Études in vitro
Ces études visent à évaluer dans quelle mesure il est possible de « trafiquer » la formulation. Le détournement des formes pharmaceutiques est en général réalisé dans le but d’augmenter les effets subjectifs ressentis par le sujet ou d’obtenir une action plus rapide (Cone, 2006

; McColl et Sellers, 2006

).
En 2005, le
College on Problems of Drug Dependence (CPDD, États-Unis) a organisé une conférence sur la formulation des médicaments et le potentiel d’abus (Anonyme, 2006

; Grudzinskas et coll., 2006

; Schuster, 2006

). Pour estimer la résistance au mésusage, des publications décrivent des procédures de simulation de l’écrasement, des dissolutions...
Solubilité
L’évaluation de la solubilité du médicament dans différents solvants est fondamentale. Il serait nécessaire de disposer de protocoles standardisés (Mansbach et Moore, 2006

).
Injectabilité
Le caractère « injectable » pour un toxicomane ne correspond pas à la définition d’un médicament injectable : il s’agit pour les usagers de drogues d’une solution qui a un aspect acceptable et qui puisse passer dans une aiguille. Il n’y a évidemment aucune recommandation pour tester cette propriété d’injectabilité.
À titre d’exemple, l’équipe australienne d’Allaham et coll. (2004

) propose un appareil composé d’un moteur relié à une seringue de taille standard renfermée dans une chambre thermostatée pour s’affranchir des variations de température pouvant influer sur la viscosité de la formulation. Cet appareil est chargé de mesurer la force à appliquer au piston de la seringue afin que son contenu puisse être aspiré dans le corps de la seringue (« seringabilité ») ou libéré par l’aiguille (injectabilité).
Extractability Rating System (ERS)
Certains auteurs ont essayé de standardiser l’évaluation de l’extractabilité des principes actifs à partir des formes pharmaceutiques (Katz et coll., 2006

). Si les travaux se réfèrent aux opioïdes, ces publications posent les bases de méthodologies intéressantes qui pourraient être appliquées à d’autres substances psychoactives.
Dans cette méthode, l’extraction est caractérisée par sa facilité, la pureté de l’extrait obtenu, l’efficience de l’extraction (pourcentage extrait) et la puissance de l’extraction (nombre de doses contenues dans l’extrait). Les techniques d’extraction sont classées en quatre catégories : extraction par de simples manipulations physiques, extraction par une étape chimique unique, extraction nécessitant plusieurs étapes chimiques et extraction par des techniques complexes.
Après avoir effectué une batterie de tests d’extractabilité du principe actif dans différents solvants et avoir établi les caractéristiques des extraits obtenus, un score est attribué en fonction de la probabilité d’abus pour chaque voie. Ce score va de 1 (très improbable) à 5 (très probable).
Il est nécessaire de standardiser l’évaluation
in vitro de la résistance physique au détournement et de l’extractabilité du principe actif (Katz et coll., 2007

).
Détectabilité
Olsen et collaborateurs ont mené une étude afin d’évaluer la concentration, le goût et l’aspect de 9 médicaments sédatifs introduits sans mélanger dans du Coca-Cola
TM ou de l’alcool. Cette étude évoque la possibilité d’anticiper le risque d’utilisation criminelle des médicaments en vérifiant l’alerte potentielle de la victime. Elle pose aussi la problématique importante suivante : qui va tester afin d’évaluer la détectabilité (Olsen et coll., 2005

) ?
Relation prix/consommation
Il est important de considérer l’évaluation des usagers abuseurs. Il existe des études qui décrivent la relation entre la consommation et le « coût » de la substance sous forme d’une courbe : la résistance au trafic fait partie du « coût » (Hursh et coll., 2005

). La consommation du produit est inversement proportionnelle à son prix. Le coût est mesuré en fonction des efforts nécessaires pour transformer la forme pharmaceutique en une forme abusable (nombre d’étapes, difficultés d’extraction, équipement spécial, prix et énergie dépensée...). Il serait important de valider et de standardiser la réalisation d’études utilisant ces modèles économiques.
Développement d’échelles d’évaluation
Wright et coll. (2006

) ont décrit une échelle permettant de classer les formes pharmaceutiques en fonction de la facilité avec laquelle il est possible de les trafiquer. Cette échelle de résistance au mésusage classe les formes pharmaceutiques dans 7 niveaux allant de «
no preparation needed for abuse » à «
resistant to re-manufacture ».
Butler et coll. (2006

) ont développé et validé une échelle permettant d’évaluer l’attractivité des différentes formes pharmaceutiques d’opioïdes pour les usagers abuseurs. Les 17 items de cette échelle ont été sélectionnés en collaboration avec des usagers abuseurs. Les auteurs affirment que cette échelle pourrait être utilisée pour évaluer l’attractivité des nouvelles formes pharmaceutiques non encore commercialisées (Butler et coll., 2006

). Cette échelle a été utilisée par les auteurs pour évaluer en pré-marketing le potentiel d’attractivité du Remoxy®, un analgésique opiacé (Butler et coll., 2010

).
Principes d’évaluation du potentiel d’abus chez l’Homme
Dans le développement d’un médicament et afin d’obtenir l’AMM, il faut montrer l’efficacité et la sécurité de ce médicament lors de son utilisation. Pour les formes pharmaceutiques avec ajout d’antagoniste, il est nécessaire de montrer que celui-ci n’est pas libéré. Il n’y a pas d’étude évaluant un éventuel syndrome de sevrage chez des consommateurs d’opiacés qui manipuleraient ces formes pharmaceutiques avec ajout d’antagoniste (Ruan, 2011

). En revanche, dans la littérature, un syndrome de sevrage ou une impression de mauvaise expérience lors d’une utilisation détournée de ces formes avec ajout d’antagoniste sont rapportés (Alho et coll., 2007

; Jang et coll., 2010

; Ruan et coll., 2010

).
Les essais évaluant les effets aigus de différentes doses de substances chez des usagers récréatifs sont considérés aujourd’hui comme le «
gold standard » en matière d’évaluation initiale du potentiel d’abus des substances (Schoedel et Sellers, 2008

). Ils permettent de prédire la probabilité d’abus d’une substance par des sujets abuseurs, et le risque de
deal et de vente dans la rue. Toutefois, ils ne permettent pas de déterminer dans quelle mesure les patients recevant la substance pour des raisons thérapeutiques sont susceptibles de présenter un abus ou un mésusage (Griffiths et coll., 2003

; McColl et Sellers, 2006

).
Les études évaluant l’abus chez l’Homme sont réalisées relativement tard dans le développement du médicament, lorsque la dose est fixée, et les principaux effets indésirables connus (Mansbach et coll., 2003

).
Ce type d’étude a été réalisé à des fins de comparaison de formulations galéniques ; par exemple pour le méthylphénidate à libération immédiate et la forme à libération prolongée, une différence significative dans les effets subjectifs ressentis a été mise en évidence (Parasrampuria et coll., 2007a

et b

). Des études de «
drug liking » ont été menées chez des sujets utilisateurs récréatifs de substances psychoactives qui tendent à montrer une réduction des effets subjectifs, en particulier de l’euphorie, avec des comprimés écrasés du produit Embeda® (combinaison morphine/naltrexone). Une étude chez des usagers occasionnels récréatifs par voie intraveineuse a été menée : elle comparait les effets d’injection de morphine seule et de morphine associée à de la naltrexone afin de simuler au mieux l’injection d’Embeda® ; 71 % des patients ont décrit une diminution de l’euphorie lors de l’injection de l’association (Raffa et Pergolizzi, 2010

; Ruan, 2011

).
L’apport de ce type d’étude dans l’évaluation du potentiel d’abus des nouvelles formes galéniques est aujourd’hui discuté, principalement parce qu’on ne laisse pas les usagers « trafiquer » eux-mêmes leur formulation dans ces tests (Comer et coll., 2008

).
En 2010 a été publiée la première étude prospective (Comer et coll., 2010

) comparant la buprénorphine intraveineuse, le mélange buprénorphine/naloxone
versus héroïne et placebo chez 12 sujets sous traitement de substitution aux opiacés par buprénorphine. Cet essai montre que l’association buprénorphine/naloxone engendre moins fréquemment d’auto-administration ; le «
drug-liking » et le désir de reprendre le produit étaient aussi plus faibles avec l’association et les sujets seraient prêts à payer l’association beaucoup moins chère que l’héroïne ou la buprénorphine seule.
Implication française importante
Rôle et implication de l’Afssaps dans l’évaluation de la résistanceau détournement des médicaments
Actions au niveau national
En février 1997, un groupe de travail sur la soumission chimique a été créé par l’Afssaps. La réflexion menée a conduit à la rédaction d’un rapport adressé au Ministre de la Santé en juillet 1997. La Direction Générale de la Santé a alors été chargée de piloter un groupe interministériel afin de proposer des mesures d’information et de prévention sur le risque d’usage criminel des médicaments.
À la demande de ce groupe de travail, une première enquête nationale sur l’usage criminel des produits psychoactifs a été menée entre 1998 et 2002.
L’Afssaps a décidé en 2003 la mise en place d’une enquête prospective de suivi des cas de soumission chimique afin d’obtenir les données les plus exhaustives possibles sur les cas survenant en France.
En 2001, la Commission Nationale des Stupéfiants et des Psychotropes (CNSP) a émis un avis défavorable à la mise sur le marché d’une benzodiazépine sous forme de gouttes buvables et a proposé l’application systématique de mesures galéniques à tous les médicaments impliqués dans la soumission chimique. En 2004, la CNSP a émis un avis défavorable à la mise sur le marché d’une forme de comprimé effervescent de zolpidem.
En octobre 2005, aux Quatrièmes Ateliers de Pharmacodépendance à Biarritz, une table ronde a permis d’initier pour la première fois, une réflexion avec l’industrie pharmaceutique sur les mesures galéniques à appliquer pour limiter le risque de détournement de certains médicaments.
En 2007, sur proposition de la CNSP, le Directeur général de l’Afssaps a décidé la création du groupe de travail « Recommandations galéniques et prévention du détournement des médicaments », rattaché à la Commission d’AMM.
La même année (2007), l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a émis des recommandations afin d’encourager les laboratoires pharmaceutiques à mettre au point des méthodes permettant de déceler la présence de médicaments dans les boissons ou les aliments, pour prévenir les agressions sexuelles.
Actions aux niveaux européen et international
En septembre 2008, à l’occasion de la Présidence Française de l’Union Européenne, l’Afssaps a organisé une conférence afin de présenter les données récentes sur la soumission chimique et les mesures de prise en charge des victimes et de prévention à des experts concernés par ce champ au niveau européen.
En 2009, sous l’impulsion de la France et de l’Argentine, la Commission des stupéfiants de l’ONU a adopté une résolution portant sur l’utilisation des techniques pharmaceutiques pour lutter contre les agressions sexuelles facilitées par la drogue.
En 2010, la Commission des Stupéfiants de l’ONU a adopté une deuxième résolution, initiée par l’Afssaps et présentée par l’Union Européenne, relative à la coopération internationale pour lutter contre l’administration à l’insu de la victime de substances psychoactives à des fins criminelles. Le dispositif prévoit notamment l’examen par les États de recommandations galéniques pour l’industrie pharmaceutique destinées à prévenir le détournement des médicaments.
En juillet 2010, conformément aux objectifs de la résolution, l’Organe International de Lutte Contre les Stupéfiants (OICS) a adressé un questionnaire à l’ensemble des États Membres afin de collecter des informations sur la soumission chimique et le cas échéant, les actions ayant été mises en œuvre dans les différents pays. L’Afssaps a ainsi transmis à l’OICS et l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), les résultats des enquêtes relatives à la Soumission chimique et le protocole de l’enquête, ainsi que les recommandations galéniques relatives à la soumission chimique élaborées par le groupe de travail « Recommandations galéniques et prévention du détournement » et validées au niveau national par l’Afssaps et le LEEM (les entreprises du médicament).
Travaux du Groupe de travail « Recommandations galéniques et prévention du détournement des médicaments »
Le Groupe de travail « Recommandations galéniques et prévention du détournement des médicaments » a élaboré trois projets de recommandations galéniques.
Recommandations relatives à la soumission chimique
Le champ d’application de ces recommandations concerne en priorité les médicaments en développement pour lesquels un risque d’usage à des fins de soumission chimique a été identifié, ainsi que les médicaments commercialisés pour lesquels un usage détourné à des fins de soumission chimique a été montré. Ces recommandations ont été validées au niveau national par l’Afssaps par le biais de ses différentes Commissions (Commission nationale des stupéfiants et des psychotropes et Commission d’AMM) et de ses différents groupes de travail (Comité technique des CEIP et Groupe Pharmaceutique) et par le LEEM.
Recommandations relatives aux intoxications accidentelles
Ces recommandations visent à limiter les intoxications accidentelles chez l’enfant. Ce projet de recommandations a été accueilli favorablement par le Comité d’Orientation Pédiatrique (COP) de l’Afssaps. Il sera soumis à la Commission d’AMM puis au LEEM avant d’être proposé également à l’EMEA.
Recommandations relatives au détournement de la voie d’administration
Ces recommandations sont en cours d’élaboration par le groupe de travail. Elles seront adoptées au niveau national selon le même processus que pour les deux autres projets de recommandations.
Étude sur la galénique intitulée : « Élaboration et validationd’un référentiel permettant d’évaluer de manière standardisée la résistance au détournement des médicaments sur le plan galénique »
L’Afssaps a financé en 2010 une étude en pharmacotechnie. Cette étude a débuté en janvier 2010 et devrait se terminer fin 2011.
L’objectif principal de cette étude est l’élaboration et la validation d’un référentiel permettant d’évaluer de manière standardisée la résistance au détournement des médicaments destinés à une administration par voie orale. Ce référentiel permettra d’assortir les recommandations galéniques visant à limiter le détournement des médicaments « sensibles ».
Les résultats de cette étude seront présentés aux différents groupes de travail et Commissions compétents (Groupe pharmaceutique, Commission d’AMM et Commission nationale de la Pharmacopée) et au LEEM avant d’être soumis au niveau européen au Conseil de l’Europe afin d’inscrire à la Pharmacopée européenne, le prototype, les tests pharmacotechniques à réaliser et l’échelle de résistance au détournement.
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Caroline Victorri-Vigneau
Pharmacologie Clinique, CHU de Nantes
Médicaments psychotropes et insécurité routière
La plupart des médicaments qui ont été montrés ou suspectés comme pouvant avoir un impact sur les capacités de conduite sont des psychotropes, mais l’impact de l’usage des médicaments psychotropes sur le risque d’accident de la route a fait l’objet de peu d’études épidémiologiques. Les médicaments psychotropes les plus étudiés quant à leur possible association avec le risque d’accident sont les benzodiazépines, les antidépresseurs et les antalgiques opioïdes. Quelques études ont mis l’accent sur le rôle possible d’autres classes de médicaments, mais les résultats sont peu nombreux et peu convaincants. Il s’agit essentiellement des médicaments utilisés dans le traitement du diabète, des pathologies cardiovasculaires, des myorelaxants et de certains anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).
Après la présentation des principaux résultats disponibles dans la littérature épidémiologique, seront décrits les premiers résultats de l’étude CESIR-A en cours actuellement
1
L’étude CESIR-A (Combinaison d’Études sur la Santé et l’Insécurité Routière – Appariement de bases de données nationales) est coordonnée par l’équipe « Prévention et prise en charge des traumatismes » de l’unité Inserm U 897.
. Il s’agit de la seule étude épidémiologique française d’envergure conduite sur ce thème. Ses résultats n’ont pas encore été tous publiés, notamment ceux qui nous intéressent ici, portant sur le lien entre l’abus de médicament et le risque d’accident.
Revue de la littérature
Plusieurs études mettent en évidence une augmentation du risque d’accident de la route chez les utilisateurs de certains médicaments psychotropes. Il s’agit d’études de cohortes (tableau I

), d’études cas-témoins (tableau II

) et enfin d’études de responsabilité (tableau III

).
Benzodiazépines et apparentés
L’impact des benzodiazépines sur le risque d’accident de la circulation a fait l’objet du plus grand nombre d’études et avec les résultats les plus concluants (
Benzodiazepines/Driving Collaborative Group, 1993

; Barbone et coll., 1998

). La force de l’association et la reproductibilité des résultats obtenus suggèrent fortement que l’utilisation des médicaments de la classe des benzodiazépines, qu’ils soient à visée hypnotique ou anxiolytique, est la cause de certains accidents, même s’il ne peut être exclu qu’une partie de l’effet provienne de l’indication (problèmes de sommeil par exemple). L’effet des benzodiazépines a été montré chez les personnes âgées (Ray et coll., 1992

; Hemmelgarn et coll., 1997

), mais aussi chez les conducteurs plus jeunes (Neutel, 1995

et 1998

; Barbone et coll., 1998

; Gustavsen et coll., 2008

). Le risque d’accident de la route est plus élevé pendant la période d’initiation d’un traitement par benzodiazépine (Neutel, 1995

et 1998

; Hemmelgarn et coll., 1997

; Gustavsen et coll., 2008

). Le risque d’hospitalisation suite à un accident de la route associé à la consommation de benzodiazépines diminue en effet en s’éloignant de la date de prescription (Neutel, 1995

), reflétant une tolérance progressive. Un effet dose a été également mis en évidence dans des études conduites en
case-crossover, comparant, pour un même conducteur, la probabilité d’exposition aux benzodiazépines immédiatement avant l’accident à la probabilité d’exposition au cours d’une période antérieure (Barbone et coll., 1998

). Les benzodiazépines présentant une demi-vie longue semblent à l’origine d’un risque plus important pour la conduite que les benzodiazépines à demi-vie courte (Hemmelgarn et coll., 1997

), suggérant que ces médicaments provoqueraient des somnolences le lendemain de leur prise. Pourtant, les médicaments hypnotiques apparentés aux benzodiazépines (zopiclone et zolpidem), malgré leur demi-vie très courte, ont un effet sur le risque d’accident de la route significatif selon les résultats de deux études (Neutel, 1998

; Gustavsen et coll., 2008

). L’étude française CESIR-A apporte sur ce sujet un nouvel éclairage. Enfin, les résultats de certaines études ne sont pas significatifs, deux d’entre elles manquant de puissance à cause d’un effectif réduit (Leveille et coll., 1994

; Drummer et coll., 2004

), une troisième se basant sur les seules déclarations des patients (McGwin et coll., 2000

). La dernière étude souligne que certaines molécules sont difficilement détectées, notamment le triazolam (
Benzodiazepines/Driving Collaborative Group, 1993

).
Antidépresseurs
Deux études menées chez des conducteurs âgés (≥65 ans) montrent une association significative entre le risque d’accident de la route et la consommation d’antidépresseurs de la classe des tricycliques, avec un risque relatif=2,2 [1,3-3,5] (Ray et coll., 1992

) et un
odds ratio=2,3 [1,1-4,8] (Leveille et coll., 1994

). Bramness et coll. (2008

) montrent un risque d’accident accru pour les conducteurs ayant reçu une prescription d’antidépresseurs, toutes classes confondues, mais sans ajustement sur les autres médicaments susceptibles d’avoir un effet sur la conduite (Bramness et coll., 2008

). Deux autres études ne montrent pas d’association, peut-être à cause d’effectifs trop réduits (McGwin et coll., 2000

; Movig et coll., 2004

). Pourtant, malgré une population de 19 386 conducteurs de plus de 18 ans impliqués dans un accident, Barbone et coll. (1998

) ne trouvent pas d’association avec l’utilisation des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et des tricycliques (Barbone et coll., 1998

).
Lithium
Dans une étude cas-témoin nichée au sein d’une cohorte de personnes âgées (67 ans-84 ans), le risque d’être impliqué dans un accident corporel était multiplié par deux chez les personnes sous lithium. À l’inverse, la carbamazépine, utilisée comme stabilisateur de l’humeur mais aussi dans le traitement de l’épilepsie, ne montrait pas d’association (Etminan et coll., 2004

).
Antalgiques opioïdes
L’étude conduite par Engeland et coll. (2007

) suggère que le risque d’accident est augmenté chez les utilisateurs de codéine, morphine et oxycodone (SIR
2
Standardized Incidence Ratio
=2 [1,7-2,4]), ce risque étant plus élevé chez les 18-54 ans. L’étude cas-témoin de Leveille et coll. (1994

) montre également une augmentation du risque d’accident chez les utilisateurs d’antalgiques opioïdes (OR=1,8 [1-3,4]). De même, Mura et coll. (2003

) montrent une association, sans distinction entre les dérivés opiacés licites et illicites, l’étude étant basée sur des dosages biologiques. Trois études avec de faibles effectifs ne montrent pas d’association (Skegg et coll., 1979

; Drummer et coll., 2004

; Movig et coll., 2004

), de même que l’étude conduite chez les personnes âgées par Ray et coll. (1992

). L’étude conduite dans la cohorte Gazel auprès de 13 548 salariés français suggérait un possible rôle de la douleur et/ou de son traitement dans le risque d’accident corporel (Lagarde et coll., 2005

).
Tableau I : Bilan des études de cohorte
Référence Pays
|
Type d’étude Période
|
Population/ Échantillon
|
Critères d’inclusion (sources, définition)
|
Exposition aux médicaments (sources, évaluation)
|
Ajustement/ Stratification/ Variables contrôlées
|
Principales substances étudiées
|
Résultats
|
Qualité globale
|
Bramness et coll., 2008
Norvège
|
Cohorte Avril 2004-Septembre 2006
|
3,1 millions 18-69 ans
|
Registre Accident avec blessure corporelle
|
Registre
Exposés : - prévalents : toute exposition pendant l’étude - incidents : période washouta=180 jours - DDD
Non exposés : - durant la période d’étude - pendant la période washout
|
Âge Genre
|
Antidépresseurs cycliques, antidépresseurs sédatifs Antidépresseurs les plus récents, antidépresseurs non sédatifs
|
SIR=1,4 [1,2-1,6]
SIR=1,6 [1,5-1,7]
|
Moyenne
|
Gustavsen et coll., 2008
Norvège
|
Cohorte Janvier 2004-Septembre 2006
|
3,1 millions 18-69 ans
|
Registre Accident avec blessure corporelle
|
Registre
Exposés : - 7 ou 14 jours après délivrance du médicament - incidents : période washout=180 jours - usages simultanés autorisés ou non
Non exposés : - au psychotrope ou aux autres médicaments psychotropes prescrits
|
Âge Genre Autres médicaments prescrits
|
Zopiclone + zolpidem Nitrazépam Flunitrazépam
|
SIR=2,3 [2,0-2,7] SIR=2,7 [1,8-3,9] SIR=4,0 [2,4-6,4]
|
Bonne
|
Bramness et coll., 2007
Norvège
|
Cohorte Avril 2004-Septembre 2005
|
3,1 millions 18-69 ans
|
Registre Accident avec blessure corporelle
|
Registre
Exposés : 7 ou 14 jours après délivrance du médicament - incidents : période washout=180 jours - usages simultanés autorisés ou non - DDD
Non exposés : - durant la période d’étude - pendant la période washout
|
Âge Genre Autres médicaments prescrits
|
Carisoprodol Diazépam Salbutamol
|
SIR=3,7 [2,9-4,8] SIR=2,8 [2,2-3,6] SIR=1,1 [0,6-1,8]
|
Bonne
|
Engeland et coll., 2007
Norvège
|
Cohorte Avril 2004-Septembre 2005
|
3,1 millions 18-69 ans
|
Registre Accident avec blessure corporelle
|
Registre
Exposés : - 7 ou 14 jours après délivrance du médicament - nombre de DDDs distribuées
Non exposés : - non exposé ou non précédemment exposé au psychotrope ou à un médicament prescrit
|
Âge Genre Autres médicaments prescrits
|
Alcaloïdes naturels de l’opium BZD tranquil-lisants BZD hypnotiques NSAIDs (Nonsteroidal Antiinflammatory Drugs)
|
SIR=2,0 [1,7-2,4] SIR=2,9 [2,5-3,5] SIR=3,3 [2,1-4,7] SIR=1,5 [1,3-1,9]
|
Bonne
|
Neutel, 1998
Saskatchewan, Canada
|
Cohorte 1979-1986
|
323 658 > 20 ans
|
Registre Hospitalisation pour blessure liée à l’accident
|
Registre
Exposés : - incidents : période washout=6 mois - usage répété : 3 prescriptions sur une période de 5 mois
Non exposés : pas de prescription dans les 6 mois avant la prescription index
|
Âge Genre Autres médicaments prescrits
|
BZDs Triazolam Flurazépam Oxazépam Lorazépam Diazépam
|
OR=3,1 [1,5-6,2] OR=3,2 [1,4-7,3] OR=5,1 [2,3-11,6] OR=1,0 [0,3-3,7] OR=2,4 [1,0-6,3] OR=3,1 [1,4-6,5]
|
Moyenne
|
Neutel, 1995
Saskatchewan, Canada
|
Cohorte 1979-1986
|
323 658 > 20 ans
|
Registre Hospitalisation pour blessure liée à l’accident
|
Registre
Exposés : - incidents : période washout=6 mois
Non exposés : pas de prescription dans les 6 mois avant la prescription index
|
Âge Genre Précédent d’abus d’alcool Autres médicaments prescrits
|
BZD hypnotiques BZD anxiolytiques
|
OR=6,5 [1,9-22,4] OR=5,6 [1,7-18,4]
|
Moyenne
|
Ray et coll., 1992
Tennessee, États-Unis
|
Cohorte et case-crossover
1984-1988
|
16 262 65-84 ans
|
Registre Accident avec blessure corporelle
|
Registre
- usage actuel (dose et durée) - usage indéterminé - usage antérieur - pas d’usage
|
Âge Genre Race Adresse Année Suivi de soins médicaux Médicaments non psychotropes
|
BZDs Antidépresseurs cycliques Antihistamines Analgésiques opioïdes
|
RR=1,5 [1,2-1,9] RR=2,2 [1,3-3,5] RR=1,2 [0,6-2,4] RR=1,1 [0,5-2,4]
|
Bonne
|
a La période washout correspond à une période de non-consommation.
BZD : Benzodiazépines ; DDD : Defined Daily Dose ; OR : Odds Ratio ; RR : Relative Risk ; SIR : Standardized Incidence Ratio.
Tableau II : Bilan des études cas-témoins
Référence Pays
|
Type d’étude Période
|
Population/ Échantillon
|
Critères d’inclusion (sources, définition)
|
Exposition aux médicaments(sources, évaluation)
|
Ajustement/ Stratification/ Variables contrôlées
|
Principales substances étudiées
|
Résultats
|
Qualité globale
|
Delaney et coll., 2006
Québec
|
Cas-témoin nichée au sein d’une cohorte Juin 1990-Mai 1993
|
5 579 cas 12 911 témoins 67-84 ans
|
Registre
Cas : conducteurs impliqués dans un accident avec au moins une blessure
Témoins : échantillon aléatoire de la cohorte
|
Registre
Évaluation de l’exposition : - aucun usage dans les 30 jours précédents - aucun usage dans l’année - usage fréquent : ≥ 5 prescriptions
|
Âge Genre Adresse Accident antérieur Score de maladie chronique Autres médicaments prescrits Évènements cardiovasculaires
|
Warfarin
|
Rate Ratio=0,74[0,55-1,05]
|
Bonne
|
Hemmelgarn et coll., 2006
Québec
|
Cas-témoin nichée au sein d’une cohorte Juin 1990-Mai 1993
|
5 579 cas 13 300 témoins 67-84 ans
|
Registre
Cas : conducteurs impliqués dans un accident avec au moins une blessure Témoins : échantillon aléatoire de la cohorte
|
Registre
Évaluation de l’exposition : - usage au cours des 12 derniers mois - exposition actuelle : usage durant les 30 derniers jours - DDD et dose-réponse
|
Âge Genre Adresse Accident antérieur Score de maladie chronique Autres médicaments prescrits
|
Insuline seule
Hypoglycémiques oraux seuls
Insuline + hypoglycémiques oraux
Sulfonylurées
Metformin
Sulfonylurées + metformin
Sulfonylurées + metformin
(dose élevée)
|
Rate Ratio=1,4 [1,0-2,0]
Rate Ratio=1,0 [0,9-1,2]
Rate Ratio=1,0 [0,5-2,0]
Rate Ratio=1,0 [0,8-1,1]
Rate Ratio=1,0 [0,7-1,6]
Rate Ratio=1,3 [1,0-1,7]
Rate Ratio=1,4 [1,0-2,0]
|
Bonne
|
Etminan et coll., 2004
Québec
|
Cas-témoin nichée au sein d’une cohorte Juin 1990-Mai 1993
|
5 579 cas 13 300 témoins 67-84 ans
|
Registre
Cas : conducteurs impliqués dans des accidents avec au moins une blessure Témoins : échantillon aléatoire de la cohorte
|
Registre
Évaluation de l’exposition : - aucun usage au cours de l’année précédente - nombre de prescriptions - usage actuel : durant les 60 derniers jours
|
Âge Genre Adresse Accident antérieur Autres médicaments prescrits Score de maladie chronique
|
Lithium
Carbamazépine
|
Rate Ratio=2,08 [1,11-3,90]
Rate Ratio=0,83[0,48-1,44]
|
Bonne
|
Movig et coll., 2004
Pays-Bas
|
Cas-témoin Mai 2000-Août 2001
|
110 cas 816 témoins
|
Urgences
Cas : conducteurs de voiture ou de camionnette blessés Témoin : choisi au hasard dans le trafic routier
|
Échantillons urine/sang
|
Âge Genre Concentration d’alcool sanguin Autres médicaments prescrits Saison Moment de la journée
|
BZDs Opiacés
|
OR=5,05 [1,82-14,04] OR=2,35 [0,87-6,32]
|
Moyenne
|
Mura et coll., 2003
France
|
Cas-témoin Juin 2000-Septembre 2001
|
900 cas 900 témoins
|
Urgences
Cas : impliqué dans un accident de la route non fatal Témoin : possédant un permis de conduire et suivi pour une raison non traumatique
|
Échantillons de sang et urine (ou sueur)
|
Âge Genre
|
Opiacés (licites et illicites) BZDs
|
OR=8,2 [2,5-27,3] OR=1,7 [1,2-2,4]
|
Moyenne
|
Hemmelgarn et coll., 1997
Québec
|
Cas-témoin nichée au sein d’une cohorte Juin 1990-Mai 1993
|
5 579 cas 55 790 témoins 67-84 ans
|
Registre
Cas : conducteurs impliqués dans un accident avec au moins une blessure Témoins : échantillon aléatoire de la cohorte
|
Registre
Évaluation de l’exposition : durée du traitement Nouvelle utilisation : période washouta=3 jours
|
Âge Genre Adresse Accident antérieur Autres médicaments prescrits Score de maladie chronique
|
BZDs à longue demi-vie BZDs à courte demi-vie
|
Rate Ratio=1,45 [1,04-2,03]
Rate Ratio=1,04[0,81-1,34]
|
Bonne
|
Leveille et coll., 1994
Puget Sound, États-Unis
|
Cas-témoin 1987-1988
|
234 cas 447 témoins ≥ 65 ans
|
Registre
Cas : traités des suites d’un accident de véhicule à moteur au cours des 7 jours suivant l’accident Témoins : indemnes d’accident avec blessure corporelle depuis un an
|
Registre
Évaluation de l’exposition : - quantité/jours - usage actuel : durant les derniers 60 jours - usage passé : entre les 2 derniers mois et 6 mois - nombre de médicaments psychotropes prescrits durant les 6 mois
|
Âge Genre Adresse Score de maladie chronique et passé médical Habitudes de conduite Race Statut marital Éducation Diabétique recevant un traitement
|
BZDs Antidépresseurs Opioïdes Antihistamines
|
OR=0,9 [0,4-2,0] OR=2,3 [1,1-4,8] OR=1,8 [1,0-3,4] OR=0,7 [0,3-1,7]
|
Excellente
|
Honkanen et coll., 1980
Helsinki, Finlande
|
Cas-témoin 1977 (16 semaines)
|
201 cas 325 témoins
|
Urgences
Cas : conducteurs blessés arrivant aux urgences dans les 6 heures Témoins : sélectionnés aléatoirement dans les stations essence
|
Échantillons de sang et interview
|
Jour de la semaine Heure du jour Lieu
|
Diazépam
|
Plus fréquemment retrouvé chez les patients que chez les témoins
p=0,03
|
Moyenne
|
Skegg et coll., 1979
Oxford, Royaume-Uni
|
Cas-témoin Mars 1974-Février 1976
|
57 cas 1 425 témoins
|
Registre
Cas : admissions hospitalières ou décès suite aux blessures dues à l’accident Témoin : sélectionnés aléatoirement dans le même hôpital
|
Registre
Évaluation de l’exposition : médicaments prescrits au cours des 3 mois précédents
|
Âge Genre Adresse
|
Sédatifs et tranquillisants Tranquillisants mineurs
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RR=5,2 [2,2-12,6] RR=4,9 [1,8-13,0]
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Moyenne
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a La période washout correspond à une période de non-consommation.
BZD : Benzodiazépines ; OR : Odds Ratio ; RR : Relative Risk.
Tableau III : Bilan des études de responsabilité
Référence Pays
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Type d’étude Période
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Population/ Échantillon
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Critères d’inclusion (sources, définition)
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Exposition aux médicaments (sources, évaluation)
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Ajustement/ Stratification/ Variables contrôlées
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Principales substances étudiées
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Résultats
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Qualité globale
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Drummer et coll., 2004
3 États de Victoria, Australie
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Responsabilité 1990-1999
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3 398
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Registre
Conducteurs mortellement blessés
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Toxicologie médico-légale
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Âge Genre Alcool et drogues illicites Type d’accident Lieu Année
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BZDs Opiacés (licites et illicites) Autres substances médicinales psychoactives
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OR=1,27 [0,5-3,3] OR=1,41 [0,7-2,9] OR=3,78 [1,3-11]
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Bonne
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Longo et coll., 2000
Australie du sud
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Responsabilité Avril 1995-Août 1995 Décembre 1995-Août 1996
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2 500 conducteurs non mortellement blessés
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Hôpital, service des urgences et des accidents Victimes d’accidents de la route non fatals ou qui survivent plus de 30 jours
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Échantillons de sang
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Alcool et drogues illicites
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BZDs
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Augmentation significative de la culpabilité
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Moyenne
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McGwin et coll., 2000
Alabama, États-Unis
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Responsabilité et cas-témoin 1996
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901 conducteurs ≥ 65 ans
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Registre
Responsabilité : sujets impliqués dans au moins un accident de voiture Cas-témoin : comparaison avec des conducteurs non impliqués dans des accidents
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Questionnaire
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Âge Genre Autres médicaments prescrits Kilométrage annuel Maladies associées
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BZDs Antidépresseurs Anti-inflammatoires non stéroïdiens Inhibiteurs ACE Anticoagulants Bloqueur des canaux calciques Vasodilatateurs Hypoglycémiques oraux Insuline
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OR=5,2 [0,9-30,0] OR=0,3 [0,1-1,0] OR=1,7 [1,0-2,6]
OR=1,6 [1,0-2,7] OR=2,6 [1,0-7,3] OR=0,5 [0,2-0,9]
OR=0,3 [0,1-1,0] OR=1,3 [0,7-2,4] OR=0,9 [0,4-1,8]
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Moyenne
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Jick et coll., 1981
Seattle, États-Unis
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Responsabilité Janvier 1977-Décembre 1978
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244 personnes avec un accident de voiture 15-64 ans
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Registre
Hospitalisation pour blessure suite à un accident de voiture
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Registre
Évaluation de l’exposition : au moins une prescription durant les 3 mois
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Âge Genre
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Médicaments sédatifs
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Pas d’association
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Faible
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BZD : Benzodiazépines ; OR : Odds Ratio.
Résultats de l’étude française CESIR-A
L’étude CESIR-A consiste à apparier les données de remboursement de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (Cnamts) avec les données sur les accidents corporels recueillies par les forces de l’ordre (Bulletins d’Analyse des Accidents Corporels et Procès-Verbaux) (figure 1

).
L’échantillon d’analyse est constitué de tous les conducteurs et piétons impliqués dans un accident corporel sur la période juillet 2005 à mai 2008, pour lesquels l’appariement est rendu possible par l’identification du numéro de sécurité sociale dans le procès-verbal d’accident.
Ce projet a permis de montrer qu’un peu plus de 3 % des accidents de la route en France étaient attribuables à une consommation de médicament, ce qui correspond à 120 morts et 2 500 blessés chaque année. Un risque accru d’accident a été mis en évidence pour les deux derniers niveaux du pictogramme (rouge et orange) apposé sur les boîtes de médicaments (Afssaps) (figure 2

).
Analyse des médicaments selon le niveau 4 du classement ATC
Sur la période juillet 2005-mai 2008, la procédure globale d’extraction a permis de collecter des informations pour 72 685 conducteurs et 9 618 piétons accidentés. Une première analyse a consisté à rechercher parmi les 100 classes ATC
3
Classification anatomique, thérapeutique et chimique
les plus consommées, celles qui étaient associées à une plus forte probabilité de responsabilité d’accident. Les résultats figurent dans le tableau IV

. Il apparaît que les médicaments qui augmentent le risque de responsabilité d’un accident appartiennent à la classe des médicaments du système nerveux : anxiolytiques et hypnotiques, antidépresseurs, traitements de substitution aux opiacés et antiépileptiques.
Tableau IV : Classes ATC associées au plus fort risque d’accident de la route
|
Odds Ratio
[IC 95 %]
|
Fraction attribuable(%)
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Psycholeptiques (N05)
| | |
Anxiolytiques, dérivés des benzodiazépines (N05BA)
|
1,49 [1,36-1,63]
|
1,47
|
Hypnotiques, apparentés aux benzodiazépines N05CF)
|
1,29 [1,13-1,47]
|
0,42
|
Psychoanaleptiques (N06)
| | |
Antidépresseurs, inhibiteurs sélectifs de la sérotonine (N06AB)
|
1,44 [1,30-1,79]
|
0,90
|
Autres antidépresseurs (N06AX)
|
1,61 [1,38-1,87]
|
0,58
|
Autres médicaments du système nerveux (N07)
| | |
Désordres addictifs, dépendance aux opiacés (N07BC)
|
1,88 [1,45-2,44]
|
0,33
|
Antiépileptiques (N03)
| | |
Dérivés carboxamide (N03AF)
|
2,06 [1,41-2,99]
|
0,14
|
Dérivés acides gras (N03AG)
|
2,50 [1,75-3,57]
|
0,19
|
Odds ratios ajustés sur l’âge, le sexe, la catégorie socioprofessionnelle, l’année, le mois, le jour, l’heure, la localisation de l’accident, le type de véhicule, la gravité des blessures et le niveau d’alcool.
Analyse des médicaments selon le classement Afssaps utilisé pour définir le niveau du pictogramme apposé sur les emballages
Depuis 2005, l’Afssaps procède à l’établissement d’un pictogramme gradué en 3 niveaux apposé sur les emballages des médicaments présentant un risque pour la conduite afin de mettre en garde patients et prescripteurs (figure 2

).
Les utilisateurs de médicaments de niveau 2 (OR=1,31 [1,24-1,40]) et de niveau 3 (OR=1,25 [1,12-1,40]) présentaient un risque plus élevé de responsabilité d’accident. L’association persistait après ajustement sur les affections de longue durée. Aucune association n’était mise en évidence avec le niveau 1 de la gradation. La fraction attribuable totale a été estimée à 3,3 % [2,7%-3,9%] (Orriols et coll., 2010

).
Impact des hypnotiques apparentés aux benzodiazépines
L’analyse en
case crossover4
Le principe d’une étude en case crossover est de comparer la probabilité d’exposition aux médicaments pendant une période qui précède immédiatement l’accident (période cas) à la probabilité d’exposition aux médicaments pendant une période antérieure durant laquelle le sujet n’a pas eu d’accident (période témoin). Chaque cas est ainsi son propre témoin.
, qui permet de mettre en évidence les effets aigus des médicaments, révèle un risque accru d’accident pour les utilisateurs de benzodiazépines hypnotiques (OR=1,13 [1,03-1,23]), mais pas d’association pour le zolpidem et la zopiclone. Les benzodiazépines hypnotiques auraient donc un effet sur le risque d’accident chez les nouveaux utilisateurs (ceux qui sont sous l’effet de la molécule). Les accidents chez les sujets exposés aux benzodiazépines hypnotiques se produisant plus fréquemment le matin, sur autoroute, suggèrent que ces accidents sont dus à la somnolence du conducteur. Un effet résiduel de ces médicaments le lendemain de la prise pourrait être une des causes de cette somnolence. Aucun effet du zolpidem ou de la zopiclone n’a été mis en évidence par cette même analyse. Il n’y aurait donc pas d’effet résiduel au lendemain d’une prise de ces médicaments qui présentent une demi-vie très courte (Orriols et coll., 2011

).
L’utilisation du zolpidem était associée à un risque accru d’être responsable d’un accident de la route (OR=1,29 [1,08-1,54]), contrairement à l’utilisation de zopiclone et de benzodiazépines hypnotiques. Le risque de responsabilité n’était augmenté que parmi ceux qui avaient pris plus d’un comprimé de zolpidem par jour pendant les cinq mois avant l’accident. L’
odds ratio correspondant était de 2,38 [1,61-3,52] par rapport à 1,07 [0,88-1,31] pour les patients avec une moindre consommation. Ce risque est donc probablement lié aux effets du médicament lorsqu’il est utilisé de façon inappropriée mais peut également être lié au comportement à risque de la population concernée (Orriols et coll., 2011

).
Impact des traitements de substitution aux opiacés
L’altération potentielle des fonctions cognitives et psychomotrices des conducteurs sous l’effet d’opiacés est controversée, particulièrement dans le cadre d’un traitement de substitution pour lequel aucune étude populationnelle n’a été spécifiquement menée en France. Au total, 196 conducteurs participants de l’étude CESIR-A étaient exposés à au moins l’un des deux traitements de substitution aux opiacés (buprénorphine haut dosage ou méthadone) le jour de leur accident. Cette sous-population était jeune, essentiellement masculine, avec des co-consommations importantes, notamment d’alcool et de médicaments correspondant aux pictogrammes de niveaux 2 et 3 (hypnotiques, anxiolytiques et antidépresseurs). Les conducteurs exposés à la buprénorphine haut dosage ou à la méthadone le jour de leur accident étaient significativement plus à risque d’être responsables de cet accident (OR=2,22 [1,54-3,20]). Les études expérimentales ou en simulateur de conduite ne montrant que peu ou pas d’effet significatif des opiacés chez les patients dépendants, il est peu probable que le risque observé soit directement lié au traitement. En revanche, chez les patients sous buprénorphine ou méthadone, la consommation de substances illicites ou le détournement de l’usage de certains médicaments disponibles sans ordonnance et contenant de la codéine sont fréquents. L’augmentation du risque d’être responsable d’un accident est donc probablement le résultat de la consommation de plusieurs substances pouvant avoir un effet délétère sur la conduite combinée à un comportement à risque d’une population aux caractéristiques particulières.
Impact des antidépresseurs
Les études épidémiologiques sur l’impact des antidépresseurs sur le risque d’accident de la route sont confrontées au problème de la confusion par l’indication. Alors que les études expérimentales montrent que certains médicaments antidépresseurs (par exemple : amitriptyline, mirtazapine) ont un effet délétère sur les capacités de conduite, la dépression peut elle-même les altérer.
Les résultats de l’analyse case crossover suggèrent que les conducteurs sont particulièrement à risque pendant les périodes d’initiation de traitement (OR=1,49 ; [1,24-1,79]) et de changement de traitement (OR=1,32 ; [1,09-1,60]). Ces résultats indiquent qu’il y a un effet des antidépresseurs. L’augmentation du risque d’accident de la route suite à un changement de traitement pourrait également être le signe d’un état dépressif instable ou aggravé. Notre étude montre une augmentation du risque d’être responsable d’un accident chez les conducteurs exposés aux antidépresseurs (OR=1,34 ; [1,22-1,47]). Cette estimation du risque étant relative aux conducteurs non exposés aux antidépresseurs, la plupart de ces derniers étant non déprimés, l’analyse de responsabilité va dans le sens d’un effet de la dépression, combiné à l’effet des médicaments retrouvé dans l’analyse case crossover.
Impact des antiépileptiques
Les crises d’épilepsie peuvent être la cause d’accidents de la route. Les études sur l’impact de l’épilepsie et des antiépileptiques sont contradictoires. Ce sujet a été exploré dans la base de données CESIR-A. Les informations sur les affections longue durée (ALD) étant disponibles dans la base de données de l’Assurance Maladie, les patients souffrant d’épilepsie sévère (code G40 de la Classification internationale des maladies, version 10) ont pu être identifiés.
Les conducteurs exposés aux antiépileptiques le jour de leur accident étaient significativement plus à risque d’être responsables de leur accident (OR=1,35 ; [1,15-1,58]). L’association était augmentée chez les patients épileptiques sévères (OR=2,14 ; [1,26-3,64]). L’étude des médicaments classés selon l’indication pour laquelle ils sont le plus fréquemment prescrits montre une association significative pour ceux utilisés le plus souvent dans le traitement de l’épilepsie alors qu’aucune association n’a été mise en évidence pour les médicaments utilisés principalement dans d’autres indications (troubles bipolaires, anxiété généralisée). L’analyse en case crossover ne montrait aucune association entre le risque d’accident et la prescription d’antiépileptiques, indiquant qu’il n’y aurait pas d’effet aigu de ces médicaments. Les résultats suggèrent donc que le risque d’accident chez les patients épileptiques est lié à la pathologie.
En conclusion, la prise de certains médicaments représente un risque pour la sécurité routière, les benzodiazépines et les antidépresseurs étant ceux pour lesquels nous disposons des données les plus convaincantes. La part des accidents de la route attribuables à la consommation de médicaments reste cependant relativement faible comparée à celle de l’alcool ou de la vitesse, mais ce risque pourrait être évité. En France, depuis plusieurs années, les patients sont mis en garde par la présence du pictogramme sur les emballages des médicaments.
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Ludivine Orriols et Emmanuel Lagarde
Prévention et prise en charge des traumatismes, Inserm U 897,
ISPED, Université Victor Segalen, Bordeaux
Traitement des dépendances en prison
L’usage de drogues est très souvent évoqué dans les travaux français sur les prisons (Chauvenet et coll., 1996

; OIP, 2000

et 2005

; Combessie, 2001

; Chantraine et Mary, 2006

) mais il en constitue rarement l’objet à part entière (Bouhnik et Touzé, 1996

; Fernandez, 2010

). Parmi les nombreux travaux qui ont étudié la santé en milieu carcéral (RFAS, 1997

; HCSP, 2004

), peu se sont interrogés sur la définition d’une politique de réduction des risques (RDR) spécifiquement adaptée au contexte d’enfermement de la prison (Lebeau, 1997

; Michel et coll., 2008

). En 2010, une expertise collective de l’Inserm a, pour la première fois, questionné l’application du concept de RDR dans le champ pénitentiaire. Elle a conclu que, si différents outils de prévention existent en France, « il n’y a pas aujourd’hui de politique réelle de réduction des risques en prison » (Inserm, 2010

). Elle a aussi souligné que le principe d’une équivalence des soins entre milieu libre et prison, inscrit dans la loi et recommandé par l’OMS, n’est pas effectif dans les prisons françaises, alors que l’enjeu d’une politique adaptée au contexte carcéral est crucial : près d’un quart de la population toxicomane française passe par la prison chaque année (Hyest et Cabanel, 2000

).
En France, l’inégalité d’accès aux soins des usagers de drogues en prison, par rapport au milieu libre, s’explique par différents facteurs, d’abord liés aux conditions de fonctionnement du système carcéral et aux pratiques d’organisation des soins en prison. Les objectifs posés par la loi d’une part, la réalité des pratiques de soins en détention d’autre part, seront donc d’abord confrontés, puis mis en rapport avec les recommandations de pratique clinique et les standards de qualité de l’offre de prise en charge élaborés en France, afin d’éclairer la discussion sur les moyens de garantir l’égalité d’accès aux soins entre le milieu libre et la prison.
Organisation des soins en milieu carcéral
L’organisation des soins en prison est régie par la loi du 18 janvier 1994
1
Loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale complétée par le décret du 27 octobre 1994 et la circulaire interministérielle du 8 décembre 1994.
qui a transféré les compétences liées à la prise en charge sanitaire des détenus de l’administration pénitentiaire vers le service public hospitalier. En séparant les fonctions de soin et de surveillance, la loi de 1994 a permis l’entrée de l’hôpital dans les prisons françaises grâce à la mise en place d’un système de conventions entre les hôpitaux et les prisons. Aujourd’hui, chaque établissement pénitentiaire est lié à un établissement hospitalier responsable de la prise en charge sanitaire des détenus. Cette réforme représente une véritable rupture avec la situation d’avant 1994 : elle a permis de structurer la filière de soins en milieu carcéral, en organisant de façon séparée les soins somatiques et les soins en santé mentale.
La mise en place des unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA), chargées des soins somatiques aux détenus, a constitué le premier volet de la réforme de 1994. Aménagées au sein de chaque prison, ces unités sont des services hospitaliers, placés sous la responsabilité d’un chef de service, chargés d’assurer pour les personnes incarcérées les examens de diagnostic et les soins en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier. Ils sont chargés aussi de mettre en place les actions de prévention et d’éducation pour la santé dans les établissements. L’UCSA a donc remplacé l’infirmerie. Dans les établissements de plus de 1 000 détenus, un pharmacien peut organiser et gérer une pharmacie à usage interne ; dans les autres établissements, la pharmacie de l’hôpital est utilisée. On dénombre aujourd’hui 178 UCSA, soit une UCSA dans chaque établissement pénitentiaire, à l’exception des centres de semi-liberté.
Le deuxième volet de la réforme prévoit un schéma national d’hospitalisation des personnes détenues (officialisé par l’arrêté interministériel du 24 août 2000). Celui-ci crée des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) dans huit pôles
2
Nancy, Lille, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Paris Pitié Salpêtrière. La 8ème UHSI était prévue à Rennes fin 2011.
, afin de faciliter l’hospitalisation des détenus. La compétence de soins somatiques des UCSA inclut en effet les soins ambulatoires nécessitant des ressources techniques localisées à l’hôpital (pour les consultations, les examens spécialisés ou les hospitalisations), qui ne peuvent être mis à la disposition des détenus qu’avec des moyens spécifiques (escorte pénitentiaire pour les transferts vers l’hôpital, présence des forces de l’ordre en cas d’hospitalisation), coûteux en temps et en personnels, nécessitant la coordination de multiples partenaires et institutions. C’est pour limiter ces difficultés que les UHSI ont été mises en place en février 2004, de façon à accueillir les détenus devant subir une hospitalisation programmée de plus de 48 heures (capacité totale : 170 lits d’hospitalisation de court séjour). Dotées d’une compétence médico-chirurgicale, les 7 UHSI ouvertes depuis 2004 sont implantées dans les centres hospitalo-universitaires.
Pour les soins en santé mentale, les détenus sont pris en charge par le service médico-psychologique régional (SMPR), avec, dans quelques uns d’entre eux, une possibilité d’hospitalisation de jour. Créés en 1986
3
Décret n° 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l’organisation de la sectorisation psychiatrique et arrêté du 14 décembre 1986 portant création des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.
, les 26 SMPR (un par région administrative) sont des services rattachés à un établissement public de santé liés par convention à l’établissement pénitentiaire et qui y sont installés. Ils assurent les soins psychiatriques courants au bénéfice des personnes détenues : en plus de leurs missions de psychiatrie générale, ils sont responsables de la prise en charge de l’alcoolisme et de la toxicomanie. Comme les UCSA, ils sont également chargés de dépister les pathologies mentales, d’œuvrer à la prévention des suicides, de dispenser aux détenus des soins d’une qualité équivalente à ceux prodigués à la population générale, de favoriser l’accès aux soins pour certains détenus qui ont habituellement, en milieu libre, peu ou pas recours au dispositif de soins psychiatriques et aussi d’organiser la continuité des soins à l’occasion des transferts et à l’issue de l’incarcération.
Pour prendre en charge les problèmes spécifiquement liés à la toxicomanie, 16 établissements pénitentiaires sont dotés, depuis 1987, de centres de soins spécialisés aux toxicomanes intra-muros (autrefois dénommés « antennes toxicomanie »), qui complètent le dispositif de soins psychiatriques et qui dépendent des SMPR. Implantés dans les grandes maisons d’arrêt (couvrant un quart de la population incarcérée), ces centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa, ex-CSST ou ex-CCAA, ainsi rebaptisé depuis 2008) ont officiellement pour missions le repérage des personnes détenues toxicomanes, le recueil épidémiologique, leur suivi et leur préparation à la sortie. Depuis 1994, les SMPR sont suppléés par les secteurs de psychiatrie générale intervenant au sein des UCSA, au nombre de 152 fin 2010 (contre 93 fin 2009).
Enfin, depuis 2010, des unités spécialement aménagées (UHSA) ont été mises en place. Implantées en milieu hospitalier
4
La première a été ouverte à Lyon-Le Vinatier en mai 2010. Les UHSA de Toulouse et Nancy devaient être livrées en 2011.
, elles doivent permettre les hospitalisations psychiatriques (avec ou sans consentement) de détenus atteints de troubles mentaux, lorsqu’il s’avère impossible de les maintenir dans une structure pénitentiaire classique. La création des UHSA doit notamment faciliter la mise en œuvre des dispositions de l’hospitalisation d’office prévues par la loi de 2002
5
La loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice prévoit, dans son article 48, que « l’hospitalisation avec ou sans son consentement d’une personne détenue atteinte de troubles mentaux est réalisée dans un établissement de santé, au sein d’une unité spécialement aménagée ».
.
Cette architecture institutionnelle doit permettre de satisfaire aux obligations posées par la loi. Ainsi, toute personne qui arrive en prison doit rencontrer un médecin « dans les délais les plus brefs » (art. D 285 du Code de procédure pénale). Cette visite médicale d’entrée obligatoire doit être l’occasion pour le détenu de signaler toute pathologie nécessitant un traitement. Si le détenu entrant a un traitement médicamenteux en cours, le médecin doit en être avisé afin de décider de l’usage qui doit en être fait (art. D 335 du Code de procédure pénale).
Face à la diversité d’interprétation des textes en vigueur, le sevrage pouvant par exemple être entendu comme unique modalité de traitement envisageable, un certain nombre de textes sont venus préciser l’organisation des soins spécifiquement dédiés aux toxicomanes en milieu carcéral. Les circulaires du 5 décembre 1996 et du 30 janvier 2002 spécifient l’organisation de la délivrance de traitements de substitution aux opiacés (TSO). Elles indiquent que les TSO peuvent être initiés et poursuivis en prison. Cela a d’abord été le cas de la buprénorphine haut dosage (BHD), qui peut être prescrite par tout médecin exerçant en milieu carcéral depuis le 5 décembre 1996, puis de la méthadone, qui peut être prescrite dans les mêmes conditions depuis le 30 janvier 2002.
Équivalence des soins
Inspirée par les recommandations du Haut comité de santé publique (HCSP) de 1993, la réforme de 1994 va au-delà d’une simple réorganisation des soins : elle pose le principe d’une équivalence des soins entre le milieu carcéral et le milieu libre en affichant l’objectif d’« assurer aux détenus une qualité et une continuité de soins équivalentes à celles offertes à l’ensemble de la population ». Dans cette perspective, la loi de 1994 accorde aux détenus une couverture sociale (article 3), ce qui traduit une reconnaissance du détenu en tant que citoyen, doté de droits équivalents à ceux de toute personne libre. Le principe juridique d’équivalence des soins instauré par la loi du 18 janvier 1994, selon lequel les détenus devraient pouvoir bénéficier des mêmes droits que ceux de la population générale, a été réaffirmé dans la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009
6
Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire (NOR: JUSX0814219L)
: « la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population » (article 46).
Le principe général d’équivalence des soins qui prévaut est donc difficile à mettre en œuvre en pratique, même si l’État encadre la prise en charge des personnes présentant une dépendance aux drogues en détention en la confiant à deux services (médecine générale et psychiatrie) qui dépendent du service hospitalier : l’UCSA et le SMPR, auxquels s’ajoutent les centres de soins spécialisés aux toxicomanes intra-carcéraux qui fonctionnent sous la responsabilité du SMPR.
Prise en charge et traitement des dépendances
Les UCSA et les SMPR, responsables du respect des règles d’hygiène et de la mise en œuvre des actions de prévention, d’éducation à la santé et de prophylaxie (mise à disposition de traitements post-exposition auprès du personnel et des détenus), sont également chargés de rendre accessibles en prison les outils de prévention et de RDR. Tous les établissements sont tenus de proposer à l’entrée un traitement de substitution aux usagers de drogues dépendants aux opiacés : la prescription de médicaments de substitution, théoriquement possible dans les mêmes conditions qu’en milieu libre, pour initier ou poursuivre un traitement à la buprénorphine haut dosage (Subutex® depuis 1994 et/ou, ensuite, génériques Arrow® et Mylan®) ou à la méthadone, est cependant mise en œuvre de façon disparate selon les établissements. En pratique, l’accès aux traitements de substitution dépend, le plus souvent, des médecins des UCSA.
L’entretien avec le médecin lors de la visite médicale d’entrée obligatoire permet une évaluation de l’état de santé et des besoins du détenu usager de drogues ou alcoolo-dépendant. Le médecin prend alors les décisions qu’il juge appropriées : sevrage, poursuite ou initiation d’un traitement de substitution, orientation vers des spécialistes, cure de désintoxication... Il peut aussi orienter le détenu vers les intervenants de psychiatrie (secteur de psychiatrie générale ou SMPR, qui fonctionnent en collaboration avec le service médical, c’est-à-dire l’UCSA). Les 16 SMPR dotés d’un Csapa (placé sous la responsabilité du psychiatre en charge du SMPR) lui délèguent la prise en charge des addictions, en collaboration avec l’UCSA. Les autres SMPR (dépourvus de Csapa) ont pour missions de favoriser la prise en charge médico-psychologique des détenus toxicomanes et leur suivi socio-éducatif, en collaboration avec l’équipe d’insertion et de probation. Cependant, comme le note le rapport Pradier (Pradier, 1999

), la multiplicité des acteurs de lutte contre la toxicomanie peut parfois être contre-productive, du point de vue de l’accès aux soins, si l’articulation entre les acteurs n’est pas garantie : UCSA, SMPR, Csapa, Centres d’information et de soins de l’immunodéficience humaine (CISIH), associations... Depuis l’instruction DGS/MC2/DGOS/R4/2010/390 du 17 novembre 2010 relative à l’organisation de la prise en charge des addictions en détention, qui vise à clarifier les rôles des différents intervenants au niveau local en précisant les modalités de coordination et d’organisation de la prise en charge des addictions en détention, le pilotage et la coordination des soins en addictologie sont confiés à l’UCSA, pouvant cependant l’être également par convention à une personne prodiguant les soins psychiatriques dans l’établissement ou au SMPR quand il existe. L’instruction du 17 novembre 2010 détaille les principaux temps de la prise en charge, en confiant le repérage des personnes ayant des problèmes d’addiction aux UCSA, la définition d’un projet de soins adapté au médecin addictologue intervenant dans l’établissement, au professionnel d’une équipe de liaison du centre hospitalier de rattachement de l’UCSA, ou au Csapa référent pour la prison et la préparation à la sortie au personnel du Csapa de référence ou au professionnel référent de la prise en charge.
Offre de soins de la dépendance, nombre et caractéristiques des patients recevant un traitement
L’offre de traitements disponibles en milieu carcéral comprend les traitements de substitution aux opiacés, l’accompagnement médical au sevrage et le counselling. Aucune communauté thérapeutique n’existe en prison.
Sources disponibles
Sept sources principales permettent de documenter l’évolution de l’offre de substitution aux opiacés en milieu carcéral, les deux premières émanant directement des services du ministère de la Santé.
La première source est issue des enquêtes menées par la Drees, en 1997 puis en 2003, dans la totalité des 134 maisons d’arrêt et quartiers maison d’arrêt des centres pénitentiaires. Elle fournit la proportion d’entrants déclarant un traitement de substitution en cours par buprénorphine ou par méthadone lors de la visite médicale d’entrée.
La deuxième source s’appuie sur les enquêtes sur l’accès aux traitements de substitution en milieu carcéral régulièrement menées par la Direction générale de la santé et la Direction des hôpitaux du ministère de la Santé (DGS /DHOS), entre 1998 et 2004, un jour donné, auprès des médecins responsables d’UCSA, de SMPR ou des secteurs de psychiatrie générale. Ces enquêtes ont été prolongées par l’enquête Prevacar (voir infra).
La troisième source est issue du bilan de la note interministérielle du 9 août 2001 réalisé en 2003 par l’OFDT (Obradovic, 2004

). Celui-ci a été mené sur la base d’un questionnaire conçu par l’OFDT au printemps 2003, en lien avec la Mildt, la DGS, la DHOS et la DAP2, et adressé à l’ensemble des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) de métropole et d’outre-mer, qui ont répondu pour les établissements. Cette enquête s’est attachée à mesurer l’état d’avancement de la réflexion sur la prise en charge en détention dans chaque département, mais également à pointer quelques tendances quant aux carences et aux disparités du dispositif de prise en charge sanitaire et sociale proposé aux personnes détenues, tout au long de l’incarcération et à leur sortie.
La quatrième source résulte du système d’information RECAP (REcueil Commun sur les Addictions et les Prises en charge) mis en place depuis 2005 par l’OFDT. Le recueil de données porte sur les patients venus chercher de l’aide auprès des structures de soins aux toxicomanes intervenant en prison : il intègre donc uniquement les 16 maisons d’arrêt pourvues d’un Csapa intra-carcéral, représentant un quart de la population pénale.
La cinquième source est une enquête spécifique, conduite en 2006 auprès des UCSA et des SMPR, à la demande de la DHOS, de la DGS et de la Mildt qui ont missionné l’OFDT pour réaliser une évaluation d’impact de la circulaire du 30 janvier 2002 ouvrant à tout médecin exerçant en établissement de santé la possibilité de proposer un traitement de substitution à base de méthadone aux toxicomanes dépendants aux opiacés : cette enquête a intégré un volet hospitalier mais aussi un volet pénitentiaire.
La sixième source, complémentaire, est l’inventaire des mesures de réduction des risques infectieux réalisé en 2010 auprès de l’ensemble des établissements pénitentiaires français dans le cadre du programme ANRS-PRI2DE (Programme de Recherche et Intervention sur la Prévention du Risque Infectieux en milieu Pénitentiaire). Cet inventaire explorait, à travers un questionnaire adressé à l’ensemble des Chefs de Service d’UCSA et SMPR, l’existence et l’accessibilité aux mesures de réduction des risques infectieux (dont eau de Javel, traitements de substitution aux opiacés, préservatifs, prophylaxie post-exposition, dépistage, information-éducation-communication, mais aussi l’existence de soins dispensés pour des pratiques à risques potentiellement liées à l’usage de drogues). Parmi les 171 établissements pénitentiaires auxquels un questionnaire a été adressé, 103 ont retourné des informations complètes, couvrant 69 % de la population incarcérée au moment de l’enquête.
Enfin, une septième source pourra être mobilisée prochainement : l’enquête Prevacar, mise en place en juin 2010 par la DGS et l’InVS, permettra de produire, en 2011, les premières données de prévalence du VIH, du VHC et des TSO en milieu pénitentiaire représentatives au niveau national, grâce à la mise en œuvre d’un plan de sondages. L’enquête comprend également un volet sur l’offre de soins, exploité en 2010, qui permet de décrire l’offre de TSO disponible dans les établissements pénitentiaires, l’offre de soins et le dépistage du VIH et de l’hépatite C, ainsi que l’offre de vaccination de l’hépatite B : les résultats de ce deuxième volet seront présentés ici. L’enquête prévoit par ailleurs d’analyser les caractéristiques sociodémographiques des personnes incarcérées bénéficiant d’un TSO, dans un échantillon de 2 000 personnes détenues dans 27 établissements pénitentiaires tirées au sort pour être interrogées par questionnaire.
Accès aux TSO en milieu carcéral
En 2010, 9 % de l’ensemble des détenus bénéficient d’un traitement de substitution (Michel et coll., 2011

). On sait par ailleurs qu’à leur arrivée en prison, environ 7 % des détenus déclarent avoir un traitement de substitution en cours, dont 8 fois sur 10 par Subutex® (comme en population générale) (Mouquet, 2005

). Ce chiffre diminue pendant l’incarcération car les traitements ne sont pas systématiquement poursuivis, malgré les préconisations de la loi du 18 janvier 1994. Les interruptions de traitement, indice de l’importance prêtée à la continuité des soins en prison, concernent ainsi environ un détenu sur dix, même si ce chiffre a baissé entre 1998 et 2004 (tableau I

). Alors qu’en 2003, l’accès aux traitements de substitution aux opiacés n’était pas garanti dans tous les établissements, le principe d’équivalence des soins avec l’extérieur semble avoir progressé au cours de la décennie 2000 (Obradovic, 2004

).
Tableau I : Accès aux traitements de substitution en milieu carcéral
|
Mars1998
|
Novembre 1999
|
Décembre 2001
|
Février2004
|
Établissements pénitentiaires
|
160/168 (95 %)
|
159/168 (95 %)
|
168 (100 %)
|
165/168 (98 %)
|
Pop. incarcérée au moment de l’enquête
|
52 937
|
50 041
|
47 311
|
56 939
|
Nombre de traitements de substitution
|
1 036
|
1 653
|
2 548
|
3 793
|
Subutex®
|
879 (85 %)
|
1 381 (84 %)
|
2 182 (86 %)
|
3 020 (80 %)
|
Méthadone
|
157 (15 %)
|
272 (16 %)
|
366 (14 %)
|
773 (20 %)
|
Total population pénale sous substitution
|
2,0 %
|
3,3 %
|
5,4 %
|
6,6 %
|
Personnes sous substitution parmi les entrants
|
Non collecté
|
5,8 %
|
12,4 %
|
7,5 %
|
Traitements initiés
| | | | |
Subutex®
|
Non collecté
|
Non collecté
|
88 %
|
70 %
|
Méthadone
|
Non collecté
|
Non collecté
|
12 %
|
30 %
|
Traitements poursuivis
| | | | |
Subutex®
|
Non collecté
|
86 %
|
85 %
|
82 %
|
Méthadone
|
Non collecté
|
14 %
|
15 %
|
18 %
|
Traitements interrompus
|
21 %
|
19 %
|
5,5 %
|
11,2 %
|
Services médicaux qui ne pratiquent pas la substitution
|
Non collecté
|
34
|
19
|
6
|
Population générale bénéficiaire d’un traitement de substitution (plan national)
|
Non collecté
|
70 000
|
92 000
|
100 000
|
Subutex®
|
Non collecté
|
Non collecté
|
80 000 (87 %)
|
85 000 (85 %)
|
Méthadone
|
Non collecté
|
Non collecté
|
12 000 (13 %)
|
15 000 (15 %)
|
Source : Enquêtes DGS / DHOS de mars 1998, novembre 1999, décembre 2001 et février 2004
Si, dans neuf cas sur dix, le traitement de substitution est poursuivi à l’entrée en prison, l’enjeu d’une prise en charge cohérente des dépendances aux opiacés consiste à rendre accessibles en prison l’ensemble des traitements disponibles en milieu libre. Au cours des dernières années, le nombre total de détenus sous traitement de substitution a augmenté et le nombre de services médicaux refusant de prescrire des TSO a baissé
7
Entre 1998 et 2004, le nombre de détenus sous traitement de substitution a augmenté plus rapidement encore que la population incarcérée. La population pénale sous substitution est ainsi passée de 2 % en 1998 à 6,6 % en 2004. Parallèlement, la part des services médicaux (UCSA, SMPR ou CSST) ne pratiquant pas la substitution a diminué.
; cependant, l’accessibilité à ces traitements demeure disparate. Il reste encore en France un « noyau dur » d’établissements qui déclarent ne pas initier de TSO
8
En 2004, 9 établissements pénitentiaires, représentant 20 % de la population carcérale, prescrivaient à eux seuls un tiers des traitements de substitution, l’un d’entre eux en assurant plus de 10 %. Les éditions successives de l’enquête ont montré qu’il persistait des établissements pénitentiaires où aucun traitement de substitution n’était prescrit, même si leur nombre était en baisse, et que certains établissements ne pratiquaient les TSO que sous forme de méthadone. Des études qualitatives complémentaires ont corroboré ces éléments en montrant l’application, dans certains sites, de quotas pour les traitements de substitution, de critères pour être substitué (durée estimée de la peine par exemple) ou de modalités d’administration ne correspondant pas aux bonnes règles de prescription : Subutex® pilé ou dilué avant d’être administré, par exemple (Delfraissy, 2002

).
(Morfini et Feuillerat, 2004

; Michel et Maguet, 2005

; Obradovic et Canarelli, 2008

), tandis que d’autres recourent à des pratiques susceptibles de compromettre l’efficacité du traitement (pilage ou mise en solution) (Michel et Maguet, 2003

). Dans l’inventaire Pri2de réalisé en 2010 (Michel et coll., 2011

), 19 % des établissements déclaraient piler ou diluer la buprénorphine haut dosage, essentiellement dans l’objectif de limiter son détournement. Par ailleurs, les posologies de méthadone étaient plafonnées dans 17 % des établissements alors qu’aucune limitation posologique n’est prévue dans l’AMM. Malgré les circulaires ministérielles et les recommandations de pratique clinique répétées, l’accès aux traitements de substitution pour les détenus héroïnomanes reste, malgré de réels progrès, plus restreint qu’en milieu libre, alors même qu’il a été montré que le nombre d’incarcérations (ou de réincarcérations) est plus faible chez les personnes ayant bénéficié avant ou pendant l’incarcération d’un traitement de substitution (Rotily et coll., 2000

; Levasseur et coll., 2002

). L’enquête Prevacar permet d’actualiser les connaissances sur l’offre de soins, notamment en matière de TSO en France. Réalisée en juin 2010 auprès de 145 établissements pénitentiaires, cette enquête bénéficie d’un taux de participation de 86 %, représentant 56 011 personnes détenues, soit 92 % de la population incarcérée au 1
er juillet 2010. Concernant l’offre en matière de TSO, elle montre que 100 % des UCSA délivrent un accès à au moins un des deux types de TSO, buprénorphine haut dosage (68,5 % des établissements) ou méthadone. Quelques établissements ne proposent toutefois qu’un seul traitement : BHD seule dans 4 établissements, méthadone seule dans 4 autres. Un tiers (31 %) des TSO a été initié pendant l’incarcération (40 % pour la BHD et 13 % pour la méthadone). La continuité des soins à la sortie, en matière de TSO, ne concerne que la moitié des établissements (55 %), 38 % des établissements déclarant ne pas mettre en œuvre de procédure formalisée.
Le très bon taux de participation des établissements à l’enquête Prevacar, grâce à la mobilisation des personnels des équipes soignantes, permet de disposer de données épidémiologiques fortement représentatives de la population des détenus (le taux de données manquantes n’excédant pas 3 %). Les principales limites de l’enquête résident dans le mode déclaratif du recueil de données et l’existence d’un biais de désirabilité sociale de la part des répondants, renforcé par le caractère institutionnel de l’enquête. Cette enquête étant coordonnée par le ministère de la Santé, il est possible que les intervenants l’aient perçue comme un contrôle de pratiques, les incitant à valoriser leur conformité aux bonnes pratiques en matière de TSO et d’éducation à la santé. De plus, le questionnaire était renseigné par le médecin responsable de l’UCSA qui n’est pas toujours au plus près de la réalité des pratiques constatées sur le terrain, du fait de sa moindre proximité avec les personnes détenues. Enfin, le caractère imprécis de certaines questions, en particulier sur l’existence de procédures formalisées pour la continuité des soins à la sortie, a pu rendre difficile la compréhension de certaines questions par les répondants. Les informations portant plus spécifiquement sur les seringues, dont l’UCSA n’a pas toujours connaissance, proviennent de propos rapportés par d’autres intervenants que ceux de l’UCSA (administration pénitentiaire) : ils constituent donc un indicateur de pratiques d’injection en détention.
Ces pratiques d’injection ne sont pas systématiquement sécurisées. L’enquête Pri2de, réalisée auprès de 116 établissements sur 171, couvrant 77 % de la population française incarcérée, montre que dans plus de 60 % des établissements, l’information des détenus sur l’utilisation d’eau de Javel à des fins de RDR n’est pas disponible ou considérée comme non intelligible par les médecins.
Si l’on ne connaît pas la part des détenus initiés aux TSO pendant leur incarcération, on sait en revanche que la part du Subutex® (70 %) tend à baisser parmi les initialisations en détention, ce qui s’explique en partie par les risques associés à la prise de ce traitement
9
Si la buprénorphine est le principal traitement prescrit en ville (Canarelli et Coquelin, 2009

), elle est, en milieu carcéral, « relativement facile à détourner de son indication » (Pradier, 1999

), outre le fait qu’elle peut être « injectée » ou « sniffée ». Le mode de dispensation de la méthadone (sous forme de solution buvable à ingérer quotidiennement au centre médical sous les yeux du personnel soignant) ne se prêtant pas à ce genre de manipulation, le Ministère de la santé a autorisé en 2002 la primo-prescription de méthadone dans tous les établissements de santé, y compris dans les UCSA et les SMPR.
. Par ailleurs, depuis le Plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l’alcool 2004-2008, les pouvoirs publics visent l’objectif d’améliorer l’accès aux TSO par méthadone en la rendant accessible dans tous les établissements pénitentiaires. Cet objectif, affirmé dans une circulaire du ministère de la Santé du 30 janvier 2002, a été évalué par l’OFDT (Obradovic et Canarelli, 2008

). L’enquête menée auprès des UCSA et des SMPR (avec un taux de réponse de 65 %) a mis en évidence une remarquable progression de l’accès à la méthadone. En 2006, 35 % des détenus dépendants aux opiacés étaient pris en charge dans le cadre d’un TSO à base de méthadone,
versus 22 % en 2004 (Obradovic et Canarelli, 2008

; DGS/DHOS, Ministère de la Santé, 2004

), si bien qu’ils représentaient 40 % de l’ensemble de la population pénale dépendante aux opiacés en prison. En 2010, cette proportion reste stable (2/3 de détenus substitués le sont par buprénorphine haut dosage et 1/3 par méthadone) (Michel et coll., 2011

). L’évolution des pratiques médicales s’incarne dans un deuxième chiffre : environ 70 % des établissements interrogés déclaraient au moins une primo-prescription de méthadone au cours du second semestre 2006 (plus souvent parmi les maisons d’arrêt, de taille importante, où le mode d’organisation des soins était simplifié de façon à ne prévoir qu’un service prescripteur unique). Cependant, en 2010, 13 % des établissements ayant répondu à l’inventaire Pri2de déclaraient ne jamais initier de traitement de substitution (Michel et coll., 2011

). L’évaluation de l’OFDT a également montré que, si les règles d’organisation de la prescription étaient hétérogènes, les pratiques médicales de délivrance et de suivi différaient peu d’un établissement à l’autre
10
Dans près de deux tiers des cas, la prescription de méthadone est partagée ou déléguée à un autre service que l’UCSA, service pourtant désigné comme compétent dans les textes (l’UCSA n’exerçant sa mission que dans un tiers des cas). Les modalités de délivrance des traitements à base de méthadone sont, à l’inverse, très homogènes : majoritairement, la délivrance est quotidienne ; elle a lieu dans un local de soins (délivrance en cellule dans moins de 10 % des établissements) et en général sous contrôle médical ou infirmier (sauf cas rares de remise du traitement au détenu en mains propres, sans contrôle de la prise). Les niveaux moyens de prescription initiale en milieu fermé sont proches de ceux observés en milieu ouvert (hospitalier), c’est-à-dire compris entre 23 mg/jour et 76 mg/jour (minimum/maximum), ce qui traduit une bonne application des indications thérapeutiques incitant à la prudence : 60% des unités de soins déclarent des niveaux de posologie minimale d’initiation en deçà des doses initiales quotidiennes indiquées dans la circulaire de 2002 (« 20 à 30 mg selon le niveau de dépendance physique »). À l’inverse, un quart des services (en général des UCSA) déclarent des posologies d’initiation maximales fortes, d’au moins 100 mg par jour. Ce constat fait écho aux résultats enregistrés dans la littérature internationale, qui font état de hauts, voire de très hauts dosages de méthadone (de plus de 100 mg à plus de 1 000 mg par jour), justifiés par une nécessité pharmacologique pour certains patients (Maremmani et coll., 2000

; Leavitt et coll., 2000

).
. Il apparaît en outre qu’environ 8 % des établissements privilégient une stratégie de sevrage et près de 10 % des professionnels envisagent le risque d’overdose comme un obstacle à la prescription de méthadone (Obradovic et Canarelli, 2008

), le risque létal connu étant établi à environ 1 mg/kg/j pour un sujet non tolérant aux opiacés (Michel, 2006

). La structure de l’offre de TSO accessibles en milieu carcéral a donc évolué au cours des dix dernières années : bien que la BHD reste prédominante parmi les traitements poursuivis en prison, la part de la méthadone est en hausse, tout particulièrement depuis la circulaire du 30 janvier 2002 ouvrant aux médecins la possibilité de prescrire la méthadone en première intention : en 2004, 30 % des initialisations effectuées étaient à base de méthadone (contre 12 % à la veille de la circulaire). Les avancées dans la prise en charge et la continuité des soins aux détenus continuent d’être encouragées par les pouvoirs publics, qui ont impulsé, dans le cadre du Plan gouvernemental 2008-2011, l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques professionnelles concernant les TSO en détention.
Caractéristiques des détenus bénéficiant d’un TSO
Les caractéristiques des détenus bénéficiant d’un traitement de substitution sont documentées par l’enquête Prevacar et par l’enquête Recap (OFDT) qui porte sur les usagers de drogues reçus dans les Csapa intervenant en prison. L’enquête Prevacar montre ainsi que les patients sous TSO, âgés en moyenne de 34,9 ans, se caractérisent par une surreprésentation féminine (16,5 % des femmes sous TSO, versus 7,7 % des hommes) et par une situation précaire vis-à-vis de l’emploi au moment de la détention (46 % au chômage, situation inconnue pour 31,7 %, seulement 16,5 % en situation d’activité professionnelle). Parmi les patients sous TSO, 3,6 % sont atteints du VIH et 26,3 % du VHC.
L’enquête Recap montre de plus que, dans les 9 Csapa en milieu fermé ayant répondu à la dernière édition de l’enquête (sur 16 au total), le public accueilli est plus homogène qu’en milieu libre (tableau II

).
Tableau II : Substitution dans les 9 Csapa intervenant en milieu pénitentiaire ayant répondu à l’enquête Recap, 2009
|
Csapa prisons
|
Csapa hors prisons
|
Csapa total 2009
|
|
Effectifs
|
%
|
Effectifs
|
%
|
Effectifs
|
%
|
Répartition suivant le traitement de substitution aux opiacés en cours
|
Non
|
1 808
|
70,0
|
37 651
|
56,9
|
39 459
|
57,4
|
Oui, Méthadone
|
255
|
9,9
|
14 882
|
22,5
|
15 137
|
22,0
|
Oui, Subutex®
|
515
|
19,9
|
12 973
|
19,6
|
13 488
|
19,6
|
Oui, autre
|
6,0
|
0,2
|
611
|
0,9
|
617
|
0,9
|
Total réponses « utiles » substitution
|
2 584
|
100,0
|
66 117
|
100,0
|
68 701
|
100,0
|
Taux de réponse
|
|
85,1
|
|
76,9
|
|
77,2
|
Répartition suivant la durée des traitements de substitution aux opiacés en cours
|
Depuis moins de 6 mois
|
49
|
12,1
|
2 958
|
18,0
|
3 007
|
17,9
|
De 6 mois à 1 an
|
39
|
9,6
|
1 722
|
10,5
|
1 761
|
10,5
|
De 1 an à 2 ans
|
51
|
12,6
|
2 343
|
14,3
|
2 394
|
14,2
|
De 2 à 5 ans
|
89
|
22,0
|
4 221
|
25,7
|
4 310
|
25,6
|
Depuis plus de 5 ans
|
177
|
43,7
|
5 155
|
31,4
|
5 332
|
31,7
|
Total réponses « utiles » durée substitution
|
405
|
100,0
|
16 399
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100,0
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16 804
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100,0
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Taux de réponse (en référence au nombre totaldes patients en traitement de substitution)
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52,2
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57,6
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57,5
|
Source : OFDT, RECAP 2009
Le public accueilli comprend une majorité d’hommes (96 % versus 79 %), dont plus de la moitié est âgée de 25 à 40 ans, souvent inactifs avant l’incarcération (un tiers environ), d’un niveau d’études faible (près de 40 % déclarant un niveau d’études inférieur ou égal au BEPC). Ils déclarent deux fois plus souvent que les patients reçus en Csapa à l’extérieur un problème d’alcool et une polyconsommation de drogues. À noter que les patients reçus pour un problème d’opiacés dans un Csapa en milieu fermé sont moins nombreux à bénéficier d’un TSO que les patients en milieu ouvert. En outre, si la part des patients reçus pour un problème d’opiacés bénéficiant d’un TSO à base de BHD est comparable dans les Csapa des milieux libre et fermé (près de 20 %), ceux qui sont pris en charge à l’aide de méthadone sont beaucoup moins nombreux en prison (10 % versus 22,5 %). Enfin, l’ancienneté dans la substitution est plus importante parmi les patients détenus : 44 % d’entre eux sont substitués depuis plus de 5 ans, versus 31 % des substitués reçus dans un Csapa en milieu libre.
Préparation de la sortie et de la continuité des soins
La sortie de prison est associée à un important risque de rechute, parfois mortelle, des détenus sous traitement de substitution (Harding-Pink, 1990

; Seaman et coll., 1998

; Marzo et coll., 2009

). D’après une étude effectuée en 2001 auprès des sortants de la Maison d’arrêt de Fresnes, le risque de décès par overdose chez les anciens détenus serait multiplié par plus de 120, si on le compare à la population générale (Prudhomme et coll., 2001

; Verger et coll., 2003

). Cette même étude établit une surmortalité par overdose particulièrement élevée chez les sortants de moins de 55 ans.
Le relais de prise en charge des toxicomanes à la sortie de prison est désigné comme une question « fondamentale » dans l’ensemble des textes organisant les soins en prison, depuis la loi du 18 janvier 1994. La loi de 1994 prône ainsi la préparation du suivi sanitaire des détenus à la sortie, en coordination avec le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP), orientation reprise ensuite par la note interministérielle du 9 août 2001 puis par la circulaire du 30 janvier 2002 qui pose que le relais de prise en charge à la sortie doit être « envisagé avec le patient dès l’indication de la prescription ». Plus récemment encore, les recommandations de la « Conférence de consensus sur le suivi des personnes placées sous traitement de substitution »
11
Conférence de consensus, Lyon 24-25 juin 2004
(http://extra.istnf.fr/portail-site/_upload/ISTNF/e-mediatheque/a_docs_ISTNF/substitution220206.pdf).
préconisent d’améliorer « l’anticipation de la sortie en lien avec les partenaires extérieurs, la généralisation des consultations en addictologie, visant en particulier à favoriser l’accès aux soins, réduire les risques et prévenir la survenue de surdoses à la sortie ».
Le Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues (2004) mis en place par la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins pour aider les professionnels récapitule très précisément les conditions de prise en charge sanitaire des détenus aux différentes étapes de leur trajectoire en détention. Il spécifie que « les modalités concernant la sortie doivent être envisagées suffisamment tôt avant la date de libération définitive prévue. La préparation à la sortie doit mobiliser de façon coordonnée, en interne, les équipes sanitaires et pénitentiaires et en externe, les structures spécialisées. Les relais nécessaires doivent être mis en place pour l’accompagnement sanitaire et social lors de la sortie (hébergement, soins, protection sociale...) ainsi que pour la réinsertion sociale et professionnelle. Pour les personnes prévenues, bénéficiant d’une ordonnance de mise en liberté, un support d’information sur les relais sanitaires et sociaux extérieurs doit leur être remis au moment de leur sortie ». Lors de la libération, une ordonnance prescrivant le traitement de substitution, méthadone ou BHD, doit être délivrée au détenu, afin d’éviter toute interruption en l’attente d’une consultation. Cela nécessite que l’UCSA ou le SMPR soit informé à l’avance de la libération par le greffe de l’établissement, ce qui n’est pas toujours le cas. Pour être pris en charge à sa sortie, le patient doit connaître un prescripteur identifié et prévenu à l’extérieur, auquel il pourra être adressé pour son suivi médical et/ou psychiatrique : il peut s’agir d’une structure spécialisée (Csapa), d’une structure hospitalière ou d’un médecin généraliste (appartenant de préférence à un réseau avec lequel un contact aura été préalablement établi). Pour favoriser ce relais, des rencontres doivent donc être organisées et des contacts pris pendant la détention – ce qui s’avère souvent complexe, en pratique – car certaines structures exigent parfois un courrier de l’UCSA pour recevoir un ancien détenu. La personne détenue qui souhaite bénéficier d’un suivi à sa sortie peut en faire la demande auprès des médecins de l’UCSA ou du SMPR. Le SPIP et les personnels de l’UCSA ou du SMPR sont chargés d’informer la personne détenue des possibilités de prise en charge à la sortie. Les pratiques de préparation à la sortie et de continuité des soins restent disparates selon les établissements.
Compte tenu de ces pré-requis complexes à garantir en milieu fermé, en pratique, les recommandations ne sont pas systématiquement appliquées et la prise en charge sanitaire des sortants de prison souffre de nombreuses carences. En 2003, seuls 30 % des sortants accueillis dans les appartements du service addiction de l’association ARAPEJ 93 disposaient d’une couverture maladie universelle de base accompagnée d’une CMU complémentaire, or seule la CMU permet de bénéficier d’une prise en charge à 100 % des dépenses de santé
12
Source : OIP, 2005
. En outre, l’évaluation de la mise en œuvre de la note de 2001 relative à la prise en charge des personnes incarcérées ayant des problèmes d’addiction conduite par l’OFDT a relevé que la « continuité des soins à la sortie de prison » figure parmi les « contextes de prise en charge identifiés comme les plus problématiques » dans deux tiers des 157 établissements observés (Obradovic, 2004

). Souvent, les détenus toxicomanes sortent avec un comprimé de Subutex® pour la journée et doivent se débrouiller sans ordonnance les jours suivants.
Face aux difficultés de mise en œuvre d’un accompagnement de la sortie, des dispositifs spécifiques ont été mis en œuvre. En 1992, des structures, dépendant des SMPR, ont été créées en vue de préparer les détenus toxicomanes à leur sortie de prison : 7 unités pour sortants (UPS), dont il ne reste aujourd’hui que la moitié, ont été mises en place dans les établissements les plus importants, ainsi qu’un quartier intermédiaire sortant (QIS) au centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne), fermé depuis plusieurs années. Composées d’éducateurs spécialisés, d’assistants sociaux, de psychologues et d’infirmiers, les équipes des UPS doivent faciliter l’accès des détenus dépendants à un hébergement et leur permettre de développer un projet professionnel, tout en garantissant la mise à jour de leurs droits sociaux. En principe, et « dans toute la mesure du possible », les personnes sortant d’UPS peuvent, si elles le désirent, continuer à être suivies pendant au moins trois mois après la libération. Les « stagiaires » sont recrutés, sur la base du volontariat, au sein des établissements pénitentiaires de la région d’intervention du SMPR. Les personnes désirant intégrer une UPS, mais incarcérées dans une région où il n’en existe pas, doivent pouvoir demander un transfert en invoquant ce motif.
Ce dispositif spécifique visant les détenus toxicomanes a fait l’objet d’une évaluation en deux volets, menée de 1999 à 2003 (Prudhomme et coll., 2001

et 2003

). L’évaluation a pointé les difficultés de fonctionnement des UPS : insuffisance des effectifs de « stagiaires », mauvaise acceptation du projet par les équipes pénitentiaires, mauvaise intégration des UPS dans la vie des établissements, difficulté à atteindre le public-cible des détenus le plus en difficulté, difficultés de recrutement des stagiaires, dysfonctionnements liés aux contraintes carcérales, problème de coordination des intervenants (SPIP, administration pénitentiaire, SMPR, UCSA...). Des pistes d’amélioration ont alors été envisagées par la Mildt mais le dispositif a peu évolué, en dehors de la suppression de quelques UPS (comme Metz ou Lyon).
Plus récemment, l’évaluation de la primo-prescription de méthadone par les UCSA a montré qu’en 2007, les professionnels des UCSA jugeaient que le relais à la sortie est correctement assuré pour les patients sous méthadone, le plus souvent sous la forme d’une orientation post-pénale vers un Csapa extérieur, les orientations vers un médecin généraliste ou vers un service hospitalier arrivant loin derrière (Obradovic et Canarelli, 2008

). En l’absence de données complémentaires sur la continuité des soins à la sortie, il faudra attendre la mise en œuvre des mesures nouvelles envisagées par la Mildt et le ministère de la Santé dans le cadre du futur Plan gouvernemental 2012 pour relancer une réflexion sur les conditions d’accompagnement des détenus dépendants aux opiacés à la sortie de prison. La mise en œuvre des « programmes d’accueil courts et d’accès rapide pour les sortants de prisons au sein de structures sociales et médico-sociale existantes avec hébergement, en lien avec l’hôpital de rattachement de la prison »
13
Ces programmes d’accueil pour sortants de prisons ont été créés par la circulaire interministérielle n° DGS/MC2/MILDT/2009/63 du 23 février 2009 relative à l’appel à projet pour la mise en œuvre des mesures relatives aux soins, à l’insertion sociale et à la réduction des risques du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies 2008-2011 concernant le dispositif médico-social en addictologie. Il s’agit de créer des unités d’hébergement collectif d’environ 10 places, qui constituent un lieu d’accueil immédiat à la sortie de prison, sans temps de latence entre le jour de la sortie et le jour de l’accueil, permettant l’accompagnement et la mise en place de relais médico-sociaux et d’insertion.
sera examinée de près dans les années qui viennent. Enfin, le plan d’actions stratégiques 2010-2014 portant sur la politique de santé pour les personnes placées sous main de justice prévoit la mise en œuvre d’une politique globale en détention, ayant pour objectif d’améliorer la connaissance de l’état de santé des personnes détenues, de renforcer les dispositifs de soins existants et de les faire évoluer, et de prévoir des dispositifs renforcés pour certaines catégories de personnes détenues (comme les personnes adoptant des comportements addictifs)... Tout particulièrement, ce plan se penche sur la continuité des soins après la détention et prévoit, outre la création d’appartements de coordination thérapeutique ou de lits halte soins santé, d’organiser de façon cohérente l’accès à l’hébergement des personnes sortant de détention, afin de permettre la poursuite des soins et de mettre en place des référentiels et des formations communs. Le plan prévoit en outre la création d’un mi-temps d’éducateur spécialisé au sein de Csapa référents dans les établissements pénitentiaires pour accompagner le détenu dans sa démarche de continuité des soins.
La question de la préparation à la sortie et de l’accompagnement après libération doit être envisagée en lien avec les perspectives de réinsertion du détenu. L’administration pénitentiaire accomplit ses missions de réinsertion via les SPIP, en partenariat avec une quinzaine d’associations, au niveau local et national, dont par exemple Sidaction, qui propose des programmes de lutte contre le VIH et les hépatites en détention, ou AIDES qui conduit des actions au sein des établissements pénitentiaires autour du VIH, des hépatites et des infections sexuellement transmissibles. En 2010, 5,4 M€ ont été versés par l’administration pénitentiaire au secteur associatif.
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