2011


ANALYSE

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Autres effets sur la santé

La littérature épidémiologique sur les effets des facteurs psychosociaux au travail sur les sphères mentale, cardiovasculaire et, dans une moindre mesure, musculosquelettique est abondante. En revanche, celle concernant les effets des facteurs psychosociaux dans d’autres domaines de santé est beaucoup plus marginale. Quelques études peuvent néanmoins être citées. Cependant, en raison de la faiblesse du nombre d’études, ces résultats ne peuvent pas être considérés comme véritablement stabilisés.

Cancer

Les études disponibles dans ce domaine portent pour la grande majorité d’entre elles sur la morbidité, tous cancers confondus ou par type de cancer, et pour quelques autres sur la mortalité. L’étude de Tsutsumi et coll. (2006)renvoi vers sur la mortalité prématurée par cancer mérite cependant d’être citée pour son résultat surprenant ; il n’est pas retrouvé d’excès de mortalité parmi les exposés au job strain tandis qu’un plus faible risque de mortalité est observé parmi les travailleurs exposés à de fortes exigences et à une grande latitude décisionnelle (active job de Karasek) avec un risque relatif de 0,55 (IC 95% : 0,30-1,00) (la catégorie de référence portant sur une exposition à de faibles exigences et une forte latitude décisionnelle). Les analyses étaient ajustées sur de nombreux facteurs dont le niveau d’étude, la catégorie d’emploi, les consommations d’alcool et de tabac, l’activité physique et certaines pathologies. Ces résultats ont également été observés (bien que non significatifs) en se restreignant à la mortalité prématurée pour les cancers en lien avec le tabagisme. À noter qu’en revanche, pour ce qui concerne la mortalité par maladies cardiovasculaires, un excès de risque était retrouvé parmi les exposés au job strain, comme attendu (Tsutsumi et coll., 2006renvoi vers).
En termes de morbidité, de manière générale, les résultats des études épidémiologiques sur stress chronique au travail et cancer sont assez divergents et font encore l’objet de nombreuses discussions (Chida et coll., 2008renvoi vers). Certains auteurs ont plutôt travaillé en amont sur les liens entre les expositions psychosociales au travail et l’adoption de comportements à risque pour la survenue de cancers. Là encore, les résultats ne convergent pas toujours. L’étude de Van Loon et coll. (2000)renvoi vers sur les liens entre expositions psychosociales au travail et des facteurs de risque de cancer tels que le tabagisme, la consommation importante d’alcool, la faible consommation de fruits et légumes et la faible activité physique s’est révélée peu concluante (Van Loon et coll., 2000renvoi vers). En revanche, dans une analyse transversale, Belkic et Nedic (2007)renvoi vers ont montré une association entre certains facteurs psychosociaux au travail (indice de stress, manque de soutien social...) et l’obésité, le tabagisme, le manque d’activité physique.
Le cancer du sein chez la femme a fait l’objet de quelques études sur des liens avec les facteurs psychosociaux au travail. Trois études de cohorte d’infirmières américaines et danoises n’ont pas montré l’existence de tels liens (Achat et coll., 2000renvoi vers ; Schernhammer et coll., 2004renvoi vers ; Nielsen et coll., 2008renvoi vers). Une autre étude de cohorte de femmes suédoises a rapporté un faible lien entre la survenue d’un cancer du sein et l’exposition au job strain (RR=1,4 ; IC 95 % [1,1-1,9]), l’exposition à la faible latitude décisionnelle et aux fortes exigences étant à la limite de la signification (Kuper et coll., 2007renvoi vers). L’étude de Jansson et coll. (2009)renvoi vers a montré le rôle prédictif du job strain (mais pas des dimensions du modèle de Karasek étudiées séparément) dans la survenue des cancers de l’œsophage ; en revanche, aucune association n’a été observée avec le cancer du cardia1 .
L’ensemble de ces exemples illustre bien la nécessité de mener d’autres études épidémiologiques dans ce domaine afin de pouvoir tirer des conclusions.

Pathologies digestives

Il existe peu d’études spécifiques explorant l’effet des contraintes de travail sur le système digestif ; le rôle du travail est plus souvent évoqué parmi d’autres facteurs de risque potentiels et son individualisation dans les résultats présentés n’est pas toujours possible. Par ailleurs, l’essentiel de la littérature disponible concerne la pathologie ulcéreuse et les colopathies fonctionnelles.
Pour ce qui concerne les ulcères gastriques ou duodénaux, l’exposition aux contraintes de travail pourrait être prédictive de l’apparition d’ulcères soit directement soit via les stratégies d’adaptation au stress. Chen et coll. (2009)renvoi vers ont montré dans une étude transversale un lien entre des symptômes ulcéreux et l’exposition au stress au travail décrite au travers d’indicateurs relatifs aux domaines suivants : carrière, compatibilité entre vie familiale et travail, relations avec les collègues et la hiérarchie, organisation de travail. De plus, ce lien pourrait être renforcé par l’adoption de certaines stratégies d’adaptation telles que l’intériorisation des problèmes (Chen et coll., 2009renvoi vers). En 1998, Susigawa et Uehata, dans une étude de cohorte de plus de 9 000 japonais, ont décrit sur un suivi de 18 mois, l’apparition d’ulcères gastro-duodénaux en lien avec de trop fortes responsabilités, un faible soutien social de la hiérarchie, une trop grande fréquence de réunions le soir ou pendant les vacances (Sugisawa et Uehata, 1998renvoi vers).
Citons aussi le rôle de modificateur d’effet que pourrait avoir le stress perçu au travail dans la relation entre le tabagisme et l’ulcère gastrique, comme décrit par Shigemi et coll. (1999)renvoi vers dans une étude longitudinale menée au Japon.
Pour ce qui concerne les colopathies fonctionnelles ou le syndrome du côlon irritable, les études spécifiques sur l’effet des contraintes de travail sont encore plus rares. L’étude cas-témoins de Faresjo et coll. (2007)renvoi vers décrit une association entre le syndrome du côlon irritable et d’une part, chez les femmes, la faible latitude décisionnelle au travail (OR=2,3 ; IC 95 % [1,64-4,62]) et d’autre part, chez les hommes, la faible influence sur le rythme du travail (OR=4,63 ; IC 95 % [1,05-20,38]) (Faresjo et coll., 2007renvoi vers).
Signalons enfin, une étude transversale menée par Jansson et coll. (2010)renvoi vers en population générale en Norvège auprès d’un échantillon important de plus de 65 000 personnes. Cette étude rapporte des liens positifs, après ajustement, entre des symptômes de reflux gastro-œsophagien et la tension au travail (job strain) (OR=1,6 ; IC 95 % [1,2-2,1]), la pression temporelle (OR=1,5 ; IC 95 % [1,3-1,8]), la faible latitude décisionnelle (OR=1,4 ; IC 95 % [1,0-1,9]) et les fortes exigences (OR=1,5 ; IC 95 % [1,2-1,8]).

Dermatopathies

Le rôle du stress en général est souvent évoqué dans l’apparition ou l’aggravation de dermatopathies. La pathologie la plus citée est le psoriasis, d’autres pathologies telles le vitiligo, les alopécies, les urticaires sont également évoquées. Dans la plupart de ces études, le stress est mesuré au travers de questionnaires d’événements de vie dits stressants. Le travail fait partie de ces listes d’événements mais les analyses sont généralement menées sur l’exposition à un nombre d’évènements et n’individualisent que très rarement chacun des facteurs. De plus, les études souffrent parfois de limites méthodologiques, portant sur de petits effectifs ou ne prenant en compte que peu de facteurs de confusion. La littérature épidémiologique dans ce domaine est donc clairement insuffisante.

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