2011


ANALYSE

5-

Approche épidémiologique du risque d’accident lié au téléphone au volant

Téléphoner en conduisant modifie-t-il le risque d’avoir un accident, et dans quelle mesure ? Si une augmentation du risque est avérée, dépend-elle du système utilisé (mains-libres ou non) ? Dans l’ensemble des accidentés, quelle part parmi ceux-ci peut-on attribuer au « téléphone au volant » ?
Selon la pratique courante en épidémiologie, la réponse à la première question passe par le calcul du risque relatif (RR) estimé en divisant le risque pour un conducteur d’être accidenté en téléphonant par le risque d’être accidenté sans téléphoner.
L’évaluation de ce rapport RR suppose la connaissance, pendant une durée d’observation donnée, des périodes pendant lesquelles chaque conducteur de l’échantillon observé circulait en situation de téléphoner ou pas. Cela suppose également la connaissance des éventuels accidents survenus au cours des mêmes périodes. Le nombre assez faible d’études épidémiologiques disponibles dans la littérature internationale et pertinentes sur le sujet s’explique par la difficulté de disposer de ces informations sur des échantillons suffisamment importants. Il faut également souligner une difficulté supplémentaire liée à l’intermittence des expositions à la conduite et au téléphone. Contrairement à beaucoup d’expositions examinées en santé publique, l’effet de l’utilisation du téléphone est transitoire (l’effet de perturbation sur la conduite est supposé cesser dès ou peu de temps après l’arrêt d’utilisation du téléphone). Ceci nécessite d’avoir une connaissance précise des différentes périodes d’exposition et de l’instant de l’accident. Il faut de plus que le RR soit le plus possible interprétable en tant qu’effet propre de l’utilisation du téléphone, ce qui s’obtient à la fois en choisissant un type d’étude adapté et par un ajustement sur les autres facteurs pouvant jouer simultanément sur la survenue de l’accident et sur l’usage du téléphone. À défaut de pouvoir estimer directement le RR, beaucoup d’études (tableau 5.Irenvoi vers) estiment l’odds ratio1 (OR) qui en est une bonne approximation dans le cas où l’événement d’intérêt est « rare ». Ceci est le cas quand on s’intéresse à la survenue d’un accident, qui est un événement rare pour un conducteur.

Tableau 5.I Approximation du risque relatif (RR) par l’odds ratio

Par exemple si dans une étude cas-témoin, les cas sont des accidentés (notés A+) et les témoins des non accidentés (A-), et que l’on s’intéresse au fait qu’ils téléphonaient (T+) ou pas (T-), le RR, égal à P(A+/T+)/P(A+/T-), n’a plus de sens puisqu’il dépend du nombre de cas et de témoins inclus dans l’étude (avec P(A+/T+) signifiant probabilité d’être accidenté parmi les conducteurs téléphonant). Une autre mesure d’association, l’odds ratio (OR), égal au rapport des rapports P(A+/T+)/P(A-/T+) et P(A+/T-)/P(A-/T-), et dont on peut montrer qu’il est aussi égal au rapport de P(T+/A+)/P(T-/A+) sur P(T+/A-)/P(T-/A-) est estimé. Cet OR est une bonne approximation du RR à condition que l’événement considéré soit rare.
Ce chapitre passe en revue les études épidémiologiques qui ont cherché à répondre directement ou indirectement à ces questions. Les publications retenues concernent, d’une part, les recherches apportant des résultats significatifs (Violenti et Marshall, 1996renvoi vers; Redelmeier et Tibshirani, 1997arenvoi vers et brenvoi vers ; Violenti, 1998renvoi vers; Sagberg, 2001renvoi vers; Laberge-Nadeau et coll., 2003renvoi vers; Wilson et coll., 2003renvoi vers; Sullman et Baas, 2004renvoi vers; McEvoy et coll., 2005renvoi vers; Nabi et coll., 2007renvoi vers; Young et Schreiner, 2009renvoi vers) et, d’autre part, celles relatives à des considérations méthodologiques permettant un regard critique sur certaines d’entre elles (Grender et Johnson, 1993renvoi vers; Marshall et Jackson, 1993renvoi vers; Roberts et coll., 1995renvoi vers; Redelmeier et Tibshirani, 1997brenvoi vers et 2001renvoi vers; Redelmeier et coll., 2003renvoi vers; Laberge-Nadeau et coll., 2006renvoi vers; Braver et coll., 2009renvoi vers; Gibson et coll., 2009renvoi vers; Schouten et Kester, 2009renvoi vers). Les autres publications (Caird et coll., 2004renvoi vers; McCartt et coll., 2006renvoi vers; Brace et coll., 2007renvoi vers; INSPQ, 2007renvoi vers) sont des revues de la littérature portant sur les études épidémiologiques ainsi que sur les nombreuses études expérimentales réalisées en laboratoire. Enfin, les études de suivi de flottes de véhicules en circulation, dites « naturalistic driving », seront également analysées (Sayer et coll., 2005renvoi vers; Klauer et coll., 2006renvoi vers; Olson et coll., 2009renvoi vers). Il s’agit de travaux réalisés à partir de l’observation de flottes de véhicules équipés de dispositifs permettant de suivre le comportement de conducteurs en situation de conduite réelle sur de longues durées.
Il est enfin important de connaître les caractéristiques des personnes qui utilisent le téléphone portable au volant, car ces dernières peuvent être à l’origine d’un risque d’accident accru qui peut ne pas avoir pour cause l’utilisation du téléphone lui-même. Ces caractéristiques doivent être prises en compte autant que possible au cours des études sur le lien entre téléphonie mobile et accident de la route.

Résultats des études épidémiologiques sur le lien entre téléphone au volant et accident

Les dix études sélectionnées synthétisées ci-dessous sont celles sur lesquelles s’appuieront les évaluations de risques présentés ensuite. Elles diffèrent selon les populations étudiées, l’information disponible, leurs protocoles et les facteurs qu’elles cherchent à expliquer (tableau 5.IIrenvoi vers). Ces différences sont telles qu’elles ne permettent pas d’effectuer une méta-analyse. Les cinq premières comparent des possesseurs de téléphone, et donc potentiellement utilisateurs du téléphone en conduisant, à des non possesseurs. Les cinq suivantes comparent des accidentés qui téléphonaient (de façon plus ou moins probable) au moment de l’accident à des accidentés qui ne téléphonaient pas. À noter que l’étude de Laberge-Nadeau (2003renvoi vers) qui fait partie des cinq premières, est aussi évoquée dans le deuxième groupe, car analysée différemment.

Violenti et Marshall (1996renvoi vers)

Cette étude a été réalisée à partir des données de suivi des permis de conduire et des données de déclaration obligatoire des accidents corporels et matériels (pour des dommages supérieurs à 1 000 $) survenus dans l’état de New-York entre 1992 et 1993. Les auteurs ont constitué deux groupes de conducteurs : le groupe des cas ayant eu au moins un accident dans les deux dernières années (N=60) et le groupe des témoins (N=77) sélectionnés aléatoirement n’ayant pas eu d’enregistrement d’accident dans les dix dernières années. Un questionnaire qui portait sur 18 comportements associés à une possible inattention a été envoyé par courrier à chacun des sujets.
Les conducteurs qui utilisent leur téléphone au moins 50 minutes par mois ont 5,6 plus de risque d’être impliqués dans un accident que les autres. Cet odds-ratio (OR) est significativement différent de 1, y compris en tenant compte dans le même modèle de régression logistique, de l’expérience de conduite, et d’indicateurs d’activités motrices et cognitives en conduisant.
Cependant, ces résultats ont été obtenus sur seulement 14 utilisateurs de téléphone, et les auteurs précisent bien qu’ils ignorent si les conducteurs utilisaient leur téléphone à l’instant de l’accident.

Wilson et coll. (2003renvoi vers)

L’échantillon d’étude est constitué de deux groupes de conducteurs observés en 1999 dans le district de Vancouver ayant été vus téléphonant au volant (environ la moitié de l’effectif) ou non (l’autre moitié de l’effectif). Les données d’assurance, d’infractions et d’accidents ont ensuite été reliées pour 3 869 de ces conducteurs par l’intermédiaire des plaques minéralogiques de leurs véhicules, en respectant un protocole strict d’anonymisation. Les conducteurs retenus sont ceux pour lesquels l’âge et le sexe du conducteur observé correspondent aux caractéristiques du propriétaire du véhicule. Un conducteur impliqué dans un accident déclaré est considéré « en faute », à partir des déclarations de sinistres, si sa responsabilité est égale ou supérieure à 50 % par les assurances. Cette démarche d’analyse « en responsabilité », consiste à comparer les conducteurs considérés « en faute » aux conducteurs non « en faute », c’est-à-dire impliqués dans un accident « par hasard », et en cela considérés comme représentatifs de l’ensemble des conducteurs circulants. Si l’on admet ce principe et si on considère la détermination de la responsabilité comme suffisamment fiable, cette méthode permet de bénéficier, pour les deux groupes à comparer, d’informations de même qualité, puisque issues des mêmes sources d’information.
Le résultat principal de l’étude montre que les conducteurs observés en train de téléphoner ont un risque plus élevé d’être « en faute » dans un accident que les conducteurs non observés en train de téléphoner. L’odds-ratio estimé à 1,16 (IC 95 % [1,00-1,33]) est ajusté sur l’âge, le sexe, la mesure d’une alcoolémie illégale, le nombre de déclarations de sinistres considérés sans responsabilité engagée et le fait d’avoir eu des amendes pour infractions considérées par les auteurs comme associées à une conduite de type agressive. Par ailleurs, les utilisateurs de téléphone ont plus souvent commis des infractions liées à une vitesse excessive, au non port de ceinture, à une alcoolémie illégale ou une conduite agressive.
La faiblesse principale de l’étude vient du manque de spécificité de l’exposition au téléphone, à la fois parce que l’on ignore si les conducteurs téléphonaient à l’instant de l’accident, et également parce qu’une partie (inconnue) des conducteurs sont considérés à tort comme non utilisateurs de téléphone simplement parce qu’ils ne téléphonaient pas au moment où ils sont passés devant les observateurs. A contrario, les utilisateurs de téléphone ont été vus en train de téléphoner au volant et ne sont pas de simples possesseurs de téléphone comme dans d’autres études. Le sur-risque significatif est peut-être faible en raison du manque de spécificité de l’exposition au téléphone. Il peut aussi n’être que le reflet d’un comportement généralement plus à risque des utilisateurs du téléphone au volant, même si son estimation est ajustée sur un certain nombre de facteurs pertinents quant à ce type de comportement.

Sullman et Baas (2004renvoi vers)

L’objectif principal de cette recherche était d’établir un profil des conducteurs utilisateurs de téléphone mobile en Nouvelle-Zélande, mais une estimation du risque d’accident a été également produite. Il s’agit d’une enquête par questionnaires distribués dans des stations service en zone urbaine en 2003.
Parmi les conducteurs interrogés, 57 % des conducteurs ont déclaré utiliser le téléphone en conduisant. Ces utilisateurs au moins occasionnels étaient plus souvent des hommes, des gros rouleurs, disposant de voitures récentes, et des jeunes. Le risque d’être impliqué dans un accident au cours des trois dernières années est plus élevé pour un conducteur utilisant le téléphone en conduisant, mais ce résultat n’est plus significatif après ajustement sur les différents co-facteurs cités plus haut (OR= 1,16 ; IC 95 % [0,98-1,36]).
Comme dans l’article précédent, le risque associé au téléphone au volant, sans savoir si son utilisation était effective au moment de l’accident, apparaît peu élevé, et ce d’autant plus que les utilisateurs sont aussi des conducteurs semblant avoir davantage de comportements à risque que les non utilisateurs.

Laberge-Nadeau et coll. (2003renvoi vers)

Plus de 175 000 détenteurs de permis de conduire ont été contactés par questionnaire postal au Québec dans les années 1996 à 2000. Ils ont été 36 078 à signer une lettre de consentement et à renseigner de façon complète des questions portant sur leur exposition à la conduite, leurs habitudes de conduite, leur opinion concernant certains facteurs estimés à risque pour l’activité de conduite et la survenue éventuelle d’accidents dans les 24 derniers mois. Ces données ont ensuite été reliées aux données des quatre opérateurs téléphoniques du Québec, pour disposer des consommations des téléphones portables « en continu » sur les deux ans, aux informations des fichiers d’assurance de la SAAQ (qui réunit toutes les déclarations d’accident du Québec, y compris des accidents matériels), et aux rapports d’accidents de la police. Le risque d’avoir un accident matériel ou corporel est significativement plus élevé pour les possesseurs de téléphone portable que pour les non possesseurs (RR=1,38 ; IC 95 % [1,28-1,50]). Ce risque relatif est égal à 1,11 pour les hommes et 1,21 pour les femmes une fois ajusté sur les kilomètres parcourus et sur des facteurs associés aux habitudes de conduite. D’après les auteurs, le résultat le plus remarquable de cette étude est la mise évidence d’une relation dose-effet entre la fréquence d’utilisation du téléphone et le risque d’accident.
De par son ampleur, la qualité des données disponibles et le soin apporté à leur analyse, cette étude est incontestablement une des plus importantes sur la question du téléphone au volant. Cependant, comme les précédentes, elle porte sur la différence entre les possesseurs de téléphone et les non possesseurs, sans savoir si les possesseurs de téléphone l’utilisaient au moment de l’accident. Une analyse complémentaire de ces données a été ensuite effectuée, et est détaillée plus loin, car utilisant l’analyse en case crossover dont le principe est expliqué pour les études de Redelmeier et McEvoy.

Nabi et coll. (2007renvoi vers)

La cohorte Gazel est constituée d’employés et de jeunes retraités des compagnies EDF et GDF. Dans cette cohorte, 13 447 (68 %) des participants ont répondu à un questionnaire en 2001 portant sur leur comportement sur la route en termes de vitesses pratiquées habituellement selon le lieu, sur le fait de conduire après avoir bu ou dans un état assoupi, sur la fréquence de violation de certaines règles ou sur leur utilisation du téléphone au volant. Trois réponses étaient possibles pour cette dernière question : jamais, oui mais dans des circonstances « appropriées » ou en s’arrêtant pour appeler, oui quelles que soient les circonstances. Un nouveau questionnaire a été envoyé en 2004 comportant notamment des informations sur leurs éventuels accidents de la route survenus dans l’intervalle. Les réponses indiquent que 337 des participants ont eu un accident corporel dans les trois ans. Le risque d’avoir un accident est estimé multiplié par 1,73 (IC 95 % [1,09-2,74]) pour les conducteurs déclarant utiliser leur téléphone au volant quelles que soient les circonstances de conduite en comparaison avec les non utilisateurs, alors que ce risque n’est pas significativement différent de 1 pour ceux déclarant s’arrêter ou ne répondre qu’en cas de circonstances qu’ils estiment appropriées. Ces risques relatifs sont ajustés sur les co-facteurs trouvés significatifs tels que les vitesses pratiquées en zones urbaines, rurales ou sur autoroute, la tendance au comportement infractionniste et le fait de conduire parfois dans un état somnolent.
Les conducteurs interrogés dans cette étude étant relativement âgés, ils ne font pas partie de la population la plus à risque d’avoir un accident de la route, et la plus utilisatrice de téléphone portable. Cependant, le sur-risque d’accident, déterminé sur un échantillon assez important, présente l’intérêt de distinguer deux types de comportements quant à l’utilisation du téléphone, d’être évalué de façon prospective (les questions sur le comportement ont précédé la survenue d’accidents), d’être ajusté sur de nombreux facteurs pertinents, et d’être évalué sur une population française.

Violenti (1998renvoi vers)

Cette étude a été effectuée dans l’état de l’Oklahoma pour les années 1992-1995, à partir de recueils d’accidents de la police dans lesquels ont été notées la présence d’un téléphone portable à bord du véhicule accidenté, et son utilisation éventuelle au moment de l’accident évaluée par la police. L’étude compare les conducteurs tués (65 cas) et les conducteurs non tués (1 483 témoins) impliqués dans les accidents mortels. Parmi l’ensemble des conducteurs, 65 d’entre eux avaient un téléphone à bord et 5 l’utilisaient lors de l’accident. Une fois ajusté par régression logistique sur le sexe, l’âge, l’alcoolémie, l’infraction à la vitesse, un indicateur de l’inattention et le fait de ne pas tenir sa droite, le risque d’être tué dans un accident mortel est plus élevé pour un conducteur ayant un téléphone à bord (OR=2,11 ; IC 95 % [1,64-2,71]), et beaucoup plus pour un conducteur estimé en communication téléphonique au moment de l’accident (OR=9,0 ; IC 95 % [3,7-23]).
L’auteur précise que l’hypothèse à l’origine de l’étude n’est pas que le fait de téléphoner affecte directement le risque d’être tué, mais que le téléphone accroît la probabilité de présence de certaines caractéristiques de l’accident en association avec sa gravité.
Le point fort de cette étude est la connaissance de l’utilisation du téléphone au moment de l’accident. Cependant cette information, obtenue par la police, est sans doute une sous-évaluation de la réalité. Par ailleurs, les utilisateurs de téléphone étaient, à cette époque, en petit nombre. Le fait de travailler à partir des accidents mortels est un gage de meilleure qualité de l’information recueillie, mais le risque relatif d’être tué plutôt que blessé pour un conducteur impliqué dans un accident mortel n’est pas celui qui présente le plus d’intérêt. Il permet, néanmoins, de se poser la question de savoir si, en plus de jouer sur la survenue d’un accident, le fait de téléphoner au volant modifie ou non les conséquences de l’accident en termes de gravité.

Sagberg (2001renvoi vers)

À partir des fichiers des deux plus grandes compagnies d’assurance norvégiennes, un questionnaire a été envoyé aux propriétaires des voitures accidentées courant 2001. Les questions portaient sur les caractéristiques de leur dernier accident et sur l’éventuelle utilisation d’un téléphone portable au cours de cet accident. Les questionnaires anonymes étaient adressés au TOI (Institut d’économie des transports). Comme pour l’étude de Wilson et coll. (2003renvoi vers), la responsabilité dans l’accident était déterminée par les assureurs. Suivant la démarche dite de « quasi exposition induite » (Stamatiadis et Deacon, 1997renvoi vers; Lenguerrand et coll., 2008renvoi vers), l’analyse compare les 3 340 conducteurs considérés responsables aux 2 966 non responsables, en testant si la proportion de ceux qui téléphonaient lors de l’accident est différente dans ces deux groupes. Ajusté sur de nombreux facteurs tels que le kilométrage annuel, le sexe, l’âge ou le fait d’avoir un passager dans le véhicule, le risque pour un conducteur d’être responsable d’un accident était multiplié par 2,37 (IC 95 % [1,02-5,48]) quand il téléphonait au moment de l’accident. Le risque associé au seul téléphone tenu à la main est plus élevé, mais la puissance statistique de l’étude empêche de conclure clairement quant à une éventuelle différence selon le type de téléphone utilisé.
L’auteur reconnaît qu’il est possible que la proportion de conducteurs se déclarant en train de téléphoner lors de l’accident soit sous-évaluée, mais que cette sous-déclaration est sans conséquence sur les conclusions de l’étude puisqu’elle est indépendante de la responsabilité attribuée par ailleurs. Il est également possible que des conducteurs considérés comme non responsables et qui téléphonaient aient eu une part de responsabilité, l’usage du téléphone ayant diminué leurs capacités à éviter un accident dans lequel un autre conducteur est tenu responsable, ou l’usage du téléphone ayant entraîné un comportement dangereux difficilement pris en compte par les autres usagers (ralentissement subit sans raisons apparentes). Ceci irait dans le sens d’une sous-estimation du risque attaché à l’usage du téléphone.
Cette étude a l’avantage de s’appuyer sur la connaissance, que l’on peut estimer fiable, de l’utilisation du téléphone au moment de l’accident, mais est basée sur un nombre peu élevé de conducteurs téléphonant. À noter qu’une étude similaire réalisée par la même équipe de recherche vient d’être publiée (Backer-Grondahl et Sagberg, 2011renvoi vers), et donne des résultats proches, mais ne porte que sur des accidents impliquant plusieurs véhicules.

Young et Schreiner (2009renvoi vers)

Une cohorte de véhicules équipés d’un système téléphonique sans fil « On-Star system » intégré au véhicule a été suivie de juin 2001 à novembre 2003. La base de données constituée comprenait les décomptes, instants et durées de toutes les communications entrantes et sortantes ainsi que les appels lancés en cas de déclenchement de l’airbag frontal équipant chaque voiture. Durant les 30 mois de suivi d’environ 200 000 véhicules, 14 déploiements d’airbag pour 276 millions de minutes de conduite ont été enregistrés alors que les conducteurs étaient en train de téléphoner, à comparer aux 2 023 pour 24,7 milliards de minutes de conduite correspondant aux conducteurs ne téléphonant pas à l’instant de l’accident. Le rapport de ces deux taux d’incidence, l’IRR, est ainsi estimé à 0,62 (IC 95 % [0,37-1,05]), c’est-à-dire non significativement différent de 1.
La grande force de cette étude est de connaître simultanément et avec une très bonne précision l’activité téléphonique avec le système embarqué et l’instant de survenue de l’accident avec déclenchement d’airbag frontal. Le temps passé à téléphoner à bord du véhicule est également connu, et le temps passé sans téléphoner est estimé à partir du kilométrage et de la vitesse moyenne de la flotte des véhicules équipés du système On-Star.
En revanche aucune donnée n’est disponible sur une utilisation éventuelle d’un téléphone portable personnel.
Les auteurs indiquent que l’étude de cette cohorte de trois millions de conducteurs sur 30 mois ne montre pas de sur-risque d’accident déclenchant un airbag frontal. Constatant que leur étude produit des résultats différents de toutes les autres, ils ne prétendent pas que leurs conclusions peuvent s’appliquer sans précaution à l’effet des téléphones portables, et suggèrent qu’il est possible que cette absence de sur-risque vienne d’un comportement particulièrement prudent sur la route des conducteurs quand ils utilisent leur système téléphonique embarqué.
À noter également que les auteurs de cet article à la méthodologie très rigoureuse faisaient partie de la compagnie General Motors pour l’un et de la compagnie On-Star pour l’autre au moment de l’étude.

Redelmeier et Tibshirani (1997arenvoi vers et brenvoi vers)

Les personnes de la région de Toronto venant dans un centre de déclaration des accidents matériels de la route entre juillet 1994 et août 1995 ont été sollicitées pour être incluses dans l’étude. Les sujets consentants ont rempli un questionnaire sur leurs caractéristiques et les circonstances de leur accident. Le détail des communications par téléphone portable de chaque conducteur a été fourni par les opérateurs pour le jour de l’accident et les sept jours précédents (moments, durées, appels entrants ou sortants, appels vers la police ou des services d’urgence). L’instant de l’accident a été estimé à partir de la déclaration des conducteurs, du rapport de police et des relevés des appels d’urgence éventuels. En cas d’incohérence entre ces estimations, l’instant le plus précoce a été retenu, pour éviter le plus possible d’attribuer à la période précédant l’accident un appel intervenu après, confondant ainsi cause potentielle et conséquence. Une variation de l’étude cas-témoin, dite case crossover, a été utilisée pour analyser ces données. Le principe est de comparer l’exposition au téléphone de chaque conducteur pendant la période juste avant l’accident à une période de temps équivalente à distance de l’accident. Chaque sujet est ainsi considéré comme son propre témoin, ce qui permet un ajustement sur l’âge, le sexe, l’acuité visuelle, l’expérience, la personnalité et toutes les caractéristiques des conducteurs invariables à court terme. En utilisant les techniques d’analyse des données appariées comme la régression logistique conditionnelle, l’analyse en case crossover permet ainsi de tester un éventuel accroissement du risque d’accident si le nombre d’appels téléphoniques immédiatement avant l’accident est plus élevé qu’il ne l’est dans d’autres périodes comparables. La période précédant l’accident de 10 minutes est ainsi comparée à la même période la veille (même heure, mêmes minutes). Quatre autres périodes témoins sont également utilisées : le dernier jour de la semaine précédant l’accident (hors week-end), le même jour de la semaine précédente, le jour le plus récent de la semaine précédente si une activité téléphonique est avérée, la journée parmi les trois précédentes au cours de laquelle l’activité téléphonique était la plus forte.
Une des difficultés de la méthode est que, si l’activité de conduite est certaine pendant la période précédant l’accident (même si elle peut ne pas recouvrir toute cette période), ce n’est pas vrai pour les périodes témoins. Pour le prendre en compte, les auteurs ont fait une enquête complémentaire sur 100 sujets, à partir desquels ils déduisent qu’en moyenne les périodes témoins sont des périodes de conduite dans 65 % des cas. Les estimations des risques relatifs sont donc divisées par 1,5 (1/0,65) pour tenir compte de l’intermittence de la conduite. À noter que cette correction conduit les auteurs à fournir des intervalles de confiance des risques relatifs par la méthode du bootstrap.
L’étude porte ainsi sur 699 conducteurs pour lesquels toute l’information pertinente est disponible. En utilisant la période témoin « principale », l’odds ratio est estimé à 4,3 (IC 95 % [3,0-6,5]) en appliquant la correction pour l’intermittence de la conduite, et à 7,0 (IC 95 % [3,7-15,5]) pour un sous-échantillon de conducteurs déclarant être certains d’avoir conduit pendant la période témoin. Les estimations sont peu différentes de 4 en utilisant les quatre autres périodes témoins. L’OR est significativement plus élevé (5,4) pour les accidents sur grandes routes que pour les accidents sur parkings (1,6). L’OR associé au téléphone mains-libres (5,9 ; IC 95 % [2,9-24]) n’est pas significativement différent de celui du téléphone tenu à la main (3,9 ; IC 95 % [2,7-6,1]). Enfin, l’OR est égal à 3,0 en n’utilisant que les appels entrants, et à 3,8 en n’utilisant que les appels sortants.
Le protocole de cette étude est particulièrement adapté au type d’événement d’intérêt, caractérisé par une exposition intermittente au facteur présumé à risque, l’utilisation du téléphone portable, et un effet immédiat sur la survenue de l’événement, l’accident, sans temps de latence ni effet rémanent. L’appariement des données permet de prendre en compte une grande partie des caractéristiques des conducteurs sans les mesurer explicitement. Les risques estimés sont ainsi plus spécifiques de l’éventuel effet « téléphone au volant » en éliminant une partie importante de la variabilité due au conducteur. Le point faible de l’étude est la prise en compte de l’intermittence de la conduite qui paraît assez grossière. Un gros effort a été fait par les auteurs pour connaître l’instant précis de l’accident, sans toutefois être certain d’éviter l’écueil majeur consistant à classer avant l’accident des appels postérieurs, d’autant plus que le nombre d’appels postérieurs à l’accident est montré comme très élevé (ce qui peut clairement être classé comme un bénéfice du téléphone). En cela, le résultat n’utilisant que les appels entrants évite en grande partie cette possible confusion.
Enfin, un dernier point pose question : la conversation téléphonique des participants à l’étude était en moyenne de 2,3 minutes, et 75 % de ces communications n’ont pas dépassé 2 minutes (ce qui correspond à la moyenne des durées de conversations téléphoniques de l’époque hors contexte de conduite). La figure 5.1Renvoi vers représente les OR selon le temps écoulé entre l’appel et la collision.
Figure 5.1 Risque relatif d’accident en fonction du temps écoulé entre l’appel téléphonique et la collision
Cette figure montre que le risque d’accident associé au téléphone augmente avec la probabilité que le conducteur téléphonait réellement à l’instant de l’accident. L’analyse proposée fait ainsi un compromis entre deux biais possibles :
• attribuer à tort au téléphone la survenue de l’accident alors que le conducteur avait déjà raccroché ;
• attribuer à tort un appel téléphonique postérieur à l’accident, fait d’autant plus probable que la période prise en compte avant l’accident est de courte durée.
Si l’on considère que les auteurs ont évité presque complètement le deuxième biais par le soin particulier qu’ils y ont porté, ils n’ont certainement pas pu éviter le premier qui est intrinsèque à la méthode. Ce biais de classement entraîne une sous-estimation du risque (Redelmeier et Tibshirami, 1997renvoi vers), sous-estimation d’autant plus forte que le nombre de conducteurs considérés à tort comme téléphonant est élevé (Greenland, 1982renvoi vers; Greenland et Kleinbaum, 1983renvoi vers). À noter que les forces et faiblesses des études en case crossover ont largement été discutées par les auteurs dans d’autres articles plus méthodologiques (Redelmeier et Tibshirani, 1997renvoi vers et 2001renvoi vers; Tibshirani et Redelmeier, 1997renvoi vers).

McEvoy et coll. (2005renvoi vers)

Dans la région de Perth en Australie, entre avril 2002 et juillet 2004, des conducteurs impliqués dans des accidents de gravité modérée ont été recrutés lors de leur passage dans un service d’urgence. Parmi les accidentés, 744 conducteurs ont donné leur accord pour répondre à un questionnaire et permettre l’accès à leurs données sur l’accident et sur leurs consommations téléphoniques. Seuls les 456 conducteurs qui ont déclaré avoir conduit au cours des périodes témoins sont finalement inclus dans l’étude en case crossover. L’instant de l’accident est déterminé à partir de la déclaration du conducteur, des données des services d’urgence et des données médicales. En cas de non cohérence, l’instant le plus précoce est retenu. La période « cas » est constituée des 10 minutes précédant l’accident, les périodes témoins sont constituées des « mêmes » 10 minutes le jour d’avant, 72 heures avant et une semaine avant.
Le risque d’être impliqué dans un accident corporel pour un conducteur qui avait une forte probabilité d’être en train de téléphoner, comparé à un conducteur qui ne téléphonait pas, est estimé multiplié par 3,7 (IC 95 % [1,5-9,0]) en prenant le jour d’avant (J-1) comme période témoin, 4,7 (IC 95 % [1,3-16]) en prenant J-3 et 4,5 (IC 95 % [1,9-11]) en prenant J-7. Ces estimations étant très proches, l’OR retenu est de 4,1 (IC 95 % [2,2-7,7]) en utilisant l’ensemble des périodes témoins pendant lesquelles chaque sujet a déclaré avoir conduit. Le risque associé à l’utilisation du téléphone mains-libres est de 3,8 (IC 95 % [1,8-8,0]), non significativement différent de celui associé au téléphone tenu à la main, 4,9 (IC 95 % [1,6-15]).
Cette étude comporte les mêmes forces et faiblesses que l’étude en case crossover de Redelmeier. L’appariement des données permet d’obtenir une estimation de risque relatif plus spécifique à l’utilisation du téléphone, puisque ajustée sur une grande partie des facteurs individuels des conducteurs. Les auteurs ont, de plus, pris en compte le délai éventuellement plus court que 10 minutes avant l’accident (et ajusté les périodes témoins en conséquence). En revanche, comme dans l’étude de Redelmeier, seuls des volontaires ayant été inclus dans l’étude, il est possible que ceux qui ont refusé aient des comportements différents vis-à-vis de la conduite et de l’utilisation du téléphone au volant que ceux qui ont consenti à participer. Il est également possible que certains conducteurs se trompent quand ils affirment avoir conduit dans les périodes témoins. Là encore, les auteurs ont été très attentifs à éviter de classer des appels postérieurs à l’accident comme effectués avant l’accident, sans toutefois écarter ce risque complètement. Enfin, l’utilisation du téléphone tel que défini dans ces deux études comprend à la fois la numérotation, la conversation et l’utilisation de SMS. Cette dernière pratique étant peu courante à l’époque de la réalisation de ces deux enquêtes, la pratique du SMS a vraisemblablement peu de poids dans les estimations de risques.
Alors que pendant les 8 ans qui séparent ces deux études, l’utilisation du téléphone portable au volant s’est considérablement accrue en Australie comme aux États-Unis, les odds ratios estimés sont du même ordre de grandeur, que ce soit celui qui concerne le sur-risque pour un conducteur téléphonant au volant d’être impliqué dans un accident matériel, ou celui d’être impliqué dans un accident corporel « léger ».
On peut également remarquer que beaucoup plus d’appels ont été enregistrés dans la période avant l’accident dans l’étude de Redelmeier que dans celle de McEvoy. Il est possible que cela soit dû au fait qu’en Australie en 2002, une loi interdisait l’usage du téléphone à la main, ce qui n’était pas le cas au Canada en 1995.

Laberge-Nadeau et coll. (2006renvoi vers)

Une re-analyse des données des utilisateurs de téléphone citées plus haut (Laberge-Nadeau et coll., 2003renvoi vers) a été proposée en utilisant la méthodologie case crossover. La période « cas » va de 10 minutes à 1 minute avant l’accident, la période témoin correspond à la même période de temps le jour d’avant. Les appels d’urgence ne sont pas pris en compte car pouvant être consécutifs à l’accident. Un total de 407 accidents (dont un quart corporels) ont été rapportés par la police durant les deux ans pendant lesquels les relevés téléphoniques étaient disponibles. Le risque relatif est de 5,13 (IC 95 % [3,13-8,43]), sans correction pour l’intermittence de la conduite dans les périodes témoins.
Les auteurs attirent particulièrement l’attention sur le problème posé par le manque de précision de l’instant de l’accident, pour lequel le temps indiqué semble souvent arrondi à 5 minutes près, ce qui peut conduire à une surestimation importante du risque estimé à cause de la prise en compte possible d’appels postérieurs à l’accident.

Tableau 5.II Principales études estimant les risques associés à l’utilisation du téléphone en conduisant

Références
Type d’étude
Années de recueil
Lieu
Populations comparées
Effectifs
Source
Estimations des risques relatifs associés [Intervalles de confiance à 95 %]
Connaissance de l’utilisation du téléphone au moment de l’accident
Points faibles
Points forts
Violanti et Marshall, 1996renvoi vers
Cas-témoin
1992-1993
État de New-York
Accidentés versus non accidentés
60/77
Recueil accident Police + assurance + enquête par téléphone pour facteurs de risque
OR=5,59 [1,19-37,3]
Non
Seulement 14 utilisateurs du téléphone, sur-risque avec années d’expérience
Analyse appariée sur lieu de résidence, ajusté sur autres activités au volant
Wilson et coll., 2003renvoi vers
Cohorte exposé–non exposé
1999
Canada, Vancouver
Conducteur estimé responsable versus non responsable
1 876/
1 993
Assurance pour les accidents et observation bord de route pour le téléphone
OR=1,16 [1,00-1,33]
Non
Manque de spécificité de l’exposition au téléphone, Dépendant de la qualité de la détermination de la responsabilité
Groupes passant aux même lieux et heures, conducteurs « en faute », ajustement sur nombreux co-facteurs, y compris « conduite agressive »
Sullmann et Baas, 2004renvoi vers
Transversale
2003
Nouvelle Zélande
Impliqués dans un accident dans les cinq dernières années versus les autres
344/517
Enquête par questionnaires distribués
OR= 1,16 [0,98-1,36]
Non
Manque de spécificité de l’exposition au téléphone
Surtout description des utilisateurs ou non du téléphone, y compris de l’usage du « mains-libres »
Laberge-Nadeau et coll., 2003renvoi vers
Cohorte exposé–non exposé
1996-2000
Québec
Utilisateurs téléphone versus non utilisateurs
12 681 /23 387 pour 141 350 personnes-années)
Enregistrements opérateurs tél + Assurance (accidents matériels et corporels)
RR hommes =1,11 [1,02-1,22]
RR femmes = 1,21 [1,03-1,40]
Pour téléphone à la main versus téléphone mains-libres :
RR hommes=1,23 [0,86-1,78]
RR femmes= 1,24 [0,37-4,15]
Non
Manque de spécificité de l’exposition au téléphone, Consentement des participants, d’où possible biais
Mesure objective du téléphone, accès direct au RR, ajustement sur nombreux co-facteurs, y compris km parcourus, risque plus fort pour les gros utilisateurs par rapport aux faibles (relation dose-effet)
Nabi et coll., 2007renvoi vers
Cohorte prospective
2001
France
Conducteurs impliqués dans un accident corporel entre 2001 et 2003 versus non accidentés
328/
13 447
Cohorte de 19 894 employés de EDF-GDF recrutés à partir de 1989
RR appel ou réponse quelles que soient les circonstances de conduite=1,73 [1,09-2,74]
Non
Attitude face au risque, et non pas risque en téléphonant
Les participants ont plus de 50 ans, ce qui réduit les prévalences
Ajustement sur comportements à risque
Suivi de la survenue d’accidents dans les trois ans suivant les déclarations sur les comportements
Violanti, 1998renvoi vers
Cas-témoin
1992-1995
État de l’Oklahoma
Conducteurs tués dans accident versus non tués
65/1 483
Recueil accident Police
OR présence téléphone=2,1 [1,6-2,7]
OR téléphone lors accident=9,3 [3,7-23]
Oui (d’après police)
Risque d’être tué parmi les accidentés, et non pas d’être accidenté (intéressant, mais différent), très peu d’utilisateurs du téléphone
Nombreux ajustements
Sagberg, 2001renvoi vers
Cas-témoin (quasi exposition induite)
2001
Norvège
Conducteur estimé responsable versus non responsable
3 340/
2 966
Questionnaire
OR=2,37 [1,02-5,48]
Oui (déclaration conducteurs)
Faible nombre de conducteurs téléphonant (31)
Dépendant de la qualité de la détermination de la responsabilité
Réponse anonyme au questionnaire, permettant des réponses de bonne qualité a priori sur l’usage du téléphone
Ajustements pertinents
Détermination de la responsabilité par les assurances
Young et Schreiner, 2009renvoi vers
Cohorte
2001-2003
États-Unis
Téléphone lors de l’accident versus non téléphone lors de l’accident, parmi utilisateurs service de téléphone mains-libres
14 /2 023 (pour 250 M minutes conduites)
Véhicules équipés du système téléphone mains-libres « On-Star », recueil en continu, accidents si déclenchement airbag frontal
IRR=0,62 [0,27-1,05]
Oui (mesure objective)
Faible nombre d’événements, population très particulière, indépendance des auteurs questionnable, type d’accident particulier, pas d’ajustements co-facteurs
Mesure parfaite du moment de l’accident et de l’utilisation du téléphone « On-star », accès direct au rapport des taux d’incidences
Redelmeier et Tibshirani, 1997arenvoi vers et brenvoi vers
Case-crossover
1994-1995
Région de Toronto, Canada
Téléphone dans les 10 min précédant l’accident versus mêmes conducteurs, une autre période de 10 min
699 (170 appelants avant l’accident)
Enregistrements opérateurs téléphonie + Assurance (accidents matériels et corporels)
OR=4,3 (3,0-6,5)
À la main=3,9 (2,7-6,1) ; mains-libres=5,9 (2,9-24,0)
Appels entrants=3,0 Appels sortants=3,8
Oui, avec le problème de précision du moment de l’accident
Prise en compte de l’intermittence assez grossière, non certitude de l’action de téléphoner au moment de l’accident, inclusion des seuls volontaires
Distinction appels rentrants et sortants, gros effort pour connaître l’instant de l’accident et éviter erreur de classification, stabilité des résultats en variant la période de comparaison, cohérence des sous-analyses, prise en compte d’éventuels autres facteurs (non mesurés) de distraction
McEvoy et coll., 2005renvoi vers
Case-crossover
2002-2004
Perth, Australie
Téléphone dans les 10  min précédant l’accident versus mêmes conducteurs, une autre période de 10 min
456 (32 appelants avant l’accident)
Enregistrements opérateurs téléphonie + services de soin (accidents corporels)
OR=4,1 [2,2-7,7]
OR à la s=4,9 [1,6-15,5]
OR mains-libres=3,8 [1,8-8,0]
Oui, avec comparaison différentes sources et prise en compte si cohérentes
Biais de souvenance possible sur conduite effective pendant les périodes témoin. Non certitude de l’action de téléphoner au moment de l’accident, inclusion des seuls volontaires
Stabilité des résultats en variant la période de comparaison, cohérence des sous-analyses, prise en compte d’éventuels autres facteurs (non mesurés) de distraction. Prise en compte du délai éventuellement plus court que 10 min avant l’accident (63 % des conducteurs conduisaient depuis 10 min ou moins au moment de l’accident)
Laberge-Nadeau et coll., 2006renvoi vers
Case-crossover
Re-analyse
Mêmes données
Téléphone dans les 10 min précédant l’accident versus mêmes conducteurs, une autre période de 10 min
407 accidentés
 
OR=5,1 [3,1-8,4]
Oui, avec le problème de précision du moment de l’accident
Pas de correction sur l’intermittence de conduite. Important doute exprimé par les auteurs sur la précision de l’instant de l’accident, entraînant une probable surestimation.
 

Études de suivi de flottes de véhicules en circulation

Entre les études expérimentales et les études épidémiologiques, les études de suivi de flottes de conducteurs en situation de conduite « naturelle » peuvent apporter des éléments d’interprétation des risques associés au téléphone en conduisant. Quatre études américaines ont retenu notre attention.
L’étude de Klauer et coll. (2006renvoi vers) est celle dont les résultats sont le plus souvent repris dans les revues de la littérature citées par ailleurs. Il s’agit d’une étude de suivi pendant 12 mois de 109 voitures équipées de façon à pouvoir observer le comportement des conducteurs et la survenue d’accidents, de « presque accidents » et d’incidents. L’intérêt de ce type d’étude est qu’il permet d’observer les nombreuses tâches secondaires (la première étant la tâche de conduite) accomplies par les conducteurs, en situation réelle de conduite. Ainsi sont produits les risques d’être impliqué dans un accident ou un « presqu’accident » associés aux différentes tâches secondaires. Une hiérarchie des différentes tâches est proposée, les plus risquées étant par exemple celles d’atteindre un objet éloigné, de gérer la présence d’un insecte, de regarder un objet extérieur, de lire ou de composer un numéro de téléphone sur son dispositif tenu à la main. L’odds ratio associé à la conversation téléphonique est supérieur à 1, mais n’est pas significatif.
L’étude de Olson et coll. (2009renvoi vers) utilise la même méthodologie pour 203 conducteurs de poids-lourds en rassemblant les données de deux études de suivi. Là aussi, un classement des tâches selon leur dangerosité est proposé, la tâche la plus risquée étant celle d’écrire un message sur son téléphone portable, la conversation téléphonique n’étant pas significativement estimée à risque.
Deux difficultés essentielles se posent cependant quant à l’interprétation de ces résultats. La première est que l’événement considéré n’est pas la survenue d’un accident, car le phénomène est trop rare dans les deux études pour pouvoir obtenir des estimations de risques fiables, mais l’accident ou le « presqu’accident » dans la première étude, et l’accident, le « presqu’accident », ou une déviation non intentionnelle importante de la trajectoire dans la deuxième. Si l’intention des auteurs d’augmenter la puissance statistique apparaît légitime, considérer le presque accident, voire la modification non intentionnelle de trajectoire comme des événements précurseurs d’un accident n’est pas direct, et surtout doit dépendre de nombreux facteurs dont le type d’activité secondaire. À noter qu’une étude décrivant l’effet de l’utilisation des presqu’accidents à la place des accidents vient d’être publiée par la même équipe de recherche (Guo et coll., 2010renvoi vers). L’autre défaut est calculatoire : les auteurs ne prennent pas en compte dans les calculs de leurs intervalles de confiance la corrélation existant entre les mesures effectuées sur le même individu, ce qui produit une sous-estimation des variances et peut amener à conclure à tort que certains effets sont significatifs.
L’étude de Sayer et coll. (2005renvoi vers) évite ce dernier écueil, mais manque également de puissance statistique en ne portant que sur 36 véhicules. Il est cependant intéressant de noter que l’action de téléphoner ne semble pas modifier sensiblement la tenue de la trajectoire, mais qu’elle apparaît augmenter les temps de réaction au freinage, ce qui est conforme aux résultats expérimentaux.
L’étude de Hickman et coll. (2010renvoi vers) publiée très récemment inclut un nombre de véhicules beaucoup plus élevé. L’analyse porte en effet sur 13 306 véhicules suivis pendant 3 mois. Dans cette étude, 1 085 véhicules impliqués dans des accidents matériels et corporels sont observés, mais l’essentiel des estimations produites concerne les risques associés aux évènements définis comme critiques et non à la survenue d’accidents. Les résultats obtenus sont cohérents avec l’étude d’Olson, la composition d’un numéro ou la prise en main du téléphone ou des oreillettes étant associées à un sur-risque de survenue d’un « événement de sécurité critique » (odds ratios significatifs estimés à 3,5), alors que la conversation téléphonique en mains-libres est associée à un risque d’événement critique significatif pour les conducteurs de cars (OR=1,3) et à un effet protecteur pour les conducteurs de semi-remorques (OR=0,6).
Les deux difficultés d’interprétation relevées pour les autres études ci-dessus existent là aussi. On peut notamment observer que parmi les 37 708 événements identifiés comme pouvant provoquer un accident, seuls 1 064 (2,8 %) sont réellement associés à la survenue d’un accident. Autrement dit, l’énorme majorité des événements considérés pour le calcul des odds ratios ne se traduisent pas en la survenue d’un accident. De plus, comme l’indiquent les auteurs eux-mêmes, la définition des niveaux de référence des risques relatifs est assez peu satisfaisante et peut conduire à leur sous estimation. Enfin, cette étude porte sur une population très particulière, des conducteurs professionnels de cars et poids-lourds, qui ont accepté d’être sous surveillance vidéo lors de l’ensemble de leurs déplacements. La généralisation des résultats obtenus sur des conducteurs professionnels américains de véhicules lourds ne peut pas être directe.
En l’état actuel des publications, il apparaît que ces études en « naturalistic driving » ont le grand avantage sur les études épidémiologiques précédemment mentionnées de permettre une distinction des différentes tâches pouvant distraire le conducteur de sa tâche de conduite, en particulier lors de l’utilisation du téléphone (composer le numéro, converser, atteindre le téléphone...), de proposer des estimations de risques de survenue d’événements critiques (dont certains peuvent être considérés associés à la survenue d’un accident) et surtout de les hiérarchiser, la composition d’un SMS apparaissant, par exemple, comme associée à un très fort risque. Il est en revanche difficile d’en déduire des estimations fiables de risques d’accidents associés à l’utilisation du téléphone au volant en situation réelle de conduite pour l’ensemble des usagers.

Approche méthodologique des études  et proposition d’un risque estimé

Les quatre revues récentes de la littérature (Caird et coll., 2004renvoi vers; McCartt et coll., 2006renvoi vers; Brace et coll., 2007renvoi vers; INSPQ, 2007renvoi vers) qui s’intéressent à l’effet du téléphone en conduisant, ou plus largement aux facteurs de « distraction » de la conduite, s’appuient principalement sur les mêmes études que celles analysées dans ce travail, à l’exception de l’article de Sagberg paru dans une revue assez marginale au domaine et de celui de Young et Schreiner qui n’est paru qu’en 2009. À noter également que toutes les recherches incluses portent sur l’utilisation du téléphone au volant essentiellement par des conducteurs de véhicules particuliers, plus rarement des conducteurs de poids lourds ou de véhicules utilitaires. Aucune ne porte sur l’effet du téléphone sur la conduite pour des conducteurs d’autres types de véhicules ou sur le comportement des piétons en traversée de chaussée. La plupart de ces études ont été réalisées avant l’entrée en vigueur de certaines lois pénalisant l’usage du téléphone tenu à la main.
Les études de Wilson et coll. (2003renvoi vers), Sullmann et Baas (2004renvoi vers) et Laberge-Nadeau et coll. (2003renvoi vers) répondent à la question « les possesseurs de téléphone ont-ils plus tendance à avoir des accidents que les autres ? ». Elles ont été réalisées à une époque de faible taux d’équipement, et les personnes qui possédaient alors un téléphone portable avaient certainement des caractéristiques socio-économiques différentes des autres, et donc des façons différentes d’utiliser leurs véhicules. Les auteurs de ces travaux ont produit des estimations des risques relatifs ajustées sur une partie de ces caractéristiques. Ainsi, pour tenter d’isoler l’effet propre du téléphone, les estimations des odds-ratios sont ajustées, entre autres, sur le sexe, l’âge et le kilométrage parcouru dans les études de Laberge-Nadeau et de Sullmann. Comme attendu, cet ajustement fait baisser les estimations brutes de départ, et les sur-risques trouvés sont faibles, entre 1,10 et 1,20, mais significatifs. L’étude de Laberge-Nadeau montre de plus que les conducteurs utilisant fréquemment le téléphone avaient un risque d’accident plus élevé que ceux qui l’utilisent peu, ce qui constitue un élément en faveur d’une possible interprétation causale. Dans l’étude de Wilson, l’OR estimé est du même ordre de grandeur alors qu’il n’est pas ajusté sur le kilométrage mais sur un indicateur de conduite dite agressive, défini à partir des infractions relevées. Autre différence, il compare des conducteurs considérés « en faute » à des conducteurs qui sont considérés comme impliqués par « manque de chance », constituant en cela des témoins de conducteurs circulants. Si l’inconvénient de la démarche est de passer par la définition d’une responsabilité souvent difficile à établir, elle présente l’avantage de comparer les conducteurs « en faute » à des conducteurs témoins soumis aux mêmes conditions de circulation quand ils sont impliqués dans le même accident.
De ces différentes études, on peut retenir que le risque d’accident associé à la possibilité de téléphoner au volant est estimé compris entre 1,10 et 1,20, sachant qu’il s’agit d’une valeur moyenne pour l’ensemble des conducteurs qui utilisent leur téléphone au volant, certains ne l’utilisant que très rarement, d’autres une grande partie de leurs trajets. L’étude de Nabi et coll. (2007renvoi vers) apporte une précision supplémentaire en distinguant, d’une part, les conducteurs qui déclarent n’utiliser le téléphone au volant que quand les conditions de conduite s’y prêtent et, d’autre part, les conducteurs déclarant l’utiliser quelles que soient les circonstances. Le risque de 1,7 associé aux deuxièmes comparé aux non utilisateurs, concerne moins de 10 % des utilisateurs de téléphone. Si l’on considère que les premiers n’ont pas d’augmentation significative du risque d’accident par rapport aux non utilisateurs, la valeur du risque associée à l’ensemble des utilisateurs de téléphone, c’est-à-dire 1,7x10 %+1x90 %, soit 1,07, est du même ordre de grandeur que dans les études précédentes.
Au contraire des précédentes recherches, les études en case crossover de Redelmeier et Tibshirani (1997arenvoi vers et brenvoi vers) et de McEvoy et coll. (2005renvoi vers) s’attachent à estimer le risque d’accident pour un conducteur en train de téléphoner relativement à un conducteur ne téléphonant pas. Il est donc naturel que les risques trouvés soient plus élevés que les précédents, compris entre 3 et 5 selon les études et les sous-groupes étudiés. À noter que ces études ne font pas la différence entre les conversations téléphoniques et l’envoi de SMS. Cette dernière pratique était quasi inexistante à l’époque du recueil des données de l’étude canadienne, et encore peu courante pour l’étude australienne, et cet amalgame n’a sans doute que peu d’effet sur les résultats.
Le principal problème lié à ce type d’étude est le risque d’attribution des appels téléphoniques survenus après l’accident à la période précédant l’accident, en raison de la connaissance imprécise de l’instant de l’accident. Cette confusion entre la cause et l’effet prêterait d’autant plus à conséquence que toutes les études montrent que le nombre d’appels après l’accident est très élevé. Dans l’étude de McEvoy, par exemple, la moitié des accidentés utilisent leur téléphone après l’accident. De plus, et bien qu’il s’agisse d’accidents corporels, les appels s’adressent principalement à des membres de la famille (65 %), à des amis, au lieu de travail, les appels aux services d’urgence (31 %) venant ensuite. Ceci signifie que la précaution d’exclure les appels d’urgence est nécessaire mais n’est pas suffisante pour éviter complètement de prendre en compte les appels dus à l’accident. Cependant, les études de Redelmeier et de McEvoy ont tout fait pour éviter ce biais de classement : les deux études excluent les appels d’urgence et ne conservent les conducteurs qu’en cas de cohérence entre les sources d’information concernant l’instant de l’accident. Surtout, l’OR attaché aux appels entrants est le même que celui attaché aux appels sortants pour Redelmeier, ce qui est un argument très fort pour penser que ce biais de classement a été évité en grande partie.
Un autre point à considérer est que l’association statistique mise en évidence peut ne pas être causale : les conditions de conduite (le mauvais temps, une conduite sous forte contrainte temporelle ou émotionnelle...) peuvent contribuer à la fois à la survenue d’un accident et à l’usage du téléphone. Le fait de comparer un conducteur à lui-même permet d’ajuster les estimations de risques sur les caractéristiques « stables » d’un individu, mais ne permet pas d’ajuster sur les conditions de conduite qui peuvent être différentes entre les périodes comparées, aussi bien concernant l’environnement du conducteur que ses facultés du moment. Il est par exemple impossible d’ajuster sur l’alcoolémie, qui ne peut être estimée qu’au moment de l’accident, alors que le fait de conduire sous l’emprise alcoolique peut avoir une influence à la fois sur le risque d’accident et sur l’utilisation du téléphone. Là encore, le résultat de Redelmeier ne prenant en compte que les appels entrants est d’une grande importance. Et bien sûr la vraisemblance d’une relation causale vient des résultats des études expérimentales qui donnent une explication au mécanisme créant un trouble de l’attention défavorable à la tâche de conduite.
Enfin, la méthode appliquée consiste à comparer des périodes pendant lesquelles le conducteur a déclenché ou reçu un appel, sans savoir s’il téléphonait encore lors de l’accident. L’éventualité d’une mauvaise classification introduit un biais non différentiel si l’on admet que l’erreur de classement est la même pour les périodes juste avant l’accident et les périodes témoins. Ce biais entraîne vraisemblablement une sur-estimation des risques qui n’est pas discutée par les auteurs.
Avec une méthodologie très différente basée sur la comparaison des conducteurs estimés « en faute » et ceux qui ne le sont pas, Sagberg arrive à une estimation du risque relatif de 2,4, qui est sans doute une sous-estimation étant donné la méthode employée. Ainsi, si l’on considère que les études en case crossover ont tendance à sur-estimer le risque, le choix d’une valeur autour de 3 paraît raisonnable pour la suite des calculs.
Par ailleurs, dans la plupart des travaux qui ont étudié les caractéristiques des accidents associés à l’usage du téléphone, il a été montré une légère sur-représentation des accidents avec choc arrière, le conducteur téléphonant venant percuter l’arrière d’un autre véhicule par « distraction ». Ce type d’accident pourrait présenter certaines spécificités en termes de gravité, les risques associés étant alors différents selon le critère de gravité auquel on s’intéresse (matériel, corporel, mortel). En faveur de cette hypothèse, la seule étude disponible est celle de Violenti de 1998renvoi vers, mais elle comporte beaucoup de faiblesses. Les études de Redelmeier et de McEvoy, l’une expliquant la survenue d’accidents matériels, et l’autre d’accidents corporels, donnant des résultats proches, les risques d’être impliqués dans un accident corporel ou matériel selon qu’on téléphone au volant ou pas ne seront pas distingués.
Enfin, et avant de proposer des estimations de risques à retenir, il faut noter que nous n’avons pas pris en compte les résultats de deux études : celle de Violenti conduite en 1996renvoi vers qui, malgré un protocole pertinent, a une puissance statistique trop faible, et l’étude de Young et Schreiner (2009renvoi vers), qui bénéficie de données d’exposition d’une grande précision, mais qui concerne un système mains-libres produit par un fabriquant unique, qui ignore l’éventuelle utilisation d’un téléphone portable personnel et qui présente des estimations de risques non ajustées sur des facteurs importants.
Par ailleurs, si cette dernière étude pourrait être avancée comme un argument en faveur des systèmes mains-libres, aucune des études épidémiologiques qui comparent les deux modes d’utilisation ne montre une différence significative entre le risque associé au téléphone tenu à la main et celui associé aux différents dispositifs mains-libres existants. Le téléphone tenu à la main représente un risque toujours supérieur, mais pas assez pour présenter une différence statistiquement significative dans les différentes études. Les études dites « naturalistic driving » semblent indiquer un risque plus élevé associé à la composition d’un numéro sur un téléphone tenu à la main, ce qui est très cohérent avec les études expérimentales. Les études épidémiologiques ne permettent pas de distinguer les phases de discussion des phases de numérotation, les risques relatifs estimés portant donc sur l’ensemble des phases d’utilisation du téléphone.

Estimation du risque relatif et du risque attribuable à l’usage du téléphone au volant

Finalement, deux estimations de risques relatifs peuvent être retenues :
• la première, entre 1,1 et 1,2, représente le risque moyen d’accident pour un conducteur susceptible de téléphoner au volant, autrement dit téléphonant pendant une partie de son temps de conduite ;
• la deuxième estimation, autour de 3, représente le risque d’être impliqué dans un accident matériel ou corporel pour un conducteur téléphonant par rapport à un conducteur ne téléphonant pas, ceci quel que soit le système utilisé (mains-libres ou non). C’est le sur-risque pris par le conducteur au moment où il téléphone dans son véhicule. Dès lors, il est important de savoir quelle proportion de ses trajets est concernée par cette augmentation de risque.
Deux façons d’approcher cette valeur sont employées. D’après un certain nombre d’enquêtes (détaillées dans d’autres chapitres), entre 2 et 6 % des conducteurs ont été aperçus en train de téléphoner au volant. Ce chiffre est évidemment dépendant de plusieurs facteurs, tels que le taux d’équipement en téléphone qui a considérablement évolué, la loi en vigueur plus ou moins respectée ou le taux d’équipement en systèmes mains-libres qui échappent à l’observation. D’après l’enquête réalisée en France en 2007 (Onisr, 2008renvoi vers), 2,4 % des conducteurs ont été aperçus avec un téléphone en main au volant. D’après d’autres éléments de cette enquête, 41 % des conducteurs utilisant parfois le téléphone au volant le tiennent à la main, les 59 % autres utilisant un système mains-libres, y compris des oreillettes. Si on fait l’hypothèse que les temps de communication sont similaires quelque soit le système utilisé, aux 2,4 % de conducteurs aperçus avec le téléphone à la main correspondraient 3,5 % de conducteurs téléphonant en mains-libres. La prévalence globale de l’utilisation du téléphone au volant serait donc de l’ordre de 6 %.
Au vu de ces estimations, en moyenne pour un trajet donné, un conducteur téléphone environ 6 % du temps de parcours, temps pendant lequel il multiplie son risque par 3, alors que pendant les 94 % du temps restants, il est au risque de base (par définition égal à 1). Autrement dit, son risque relatif moyen est de 6 %x3+94 %x1, soit 1,1, qui est la valeur trouvée pour le risque relatif associé aux possesseurs du téléphone. Si on prend plutôt les valeurs hautes, avec un conducteur qui téléphone 10 % du trajet et un risque relatif de 4, on obtient 1,3 pour le RR moyen. Ces estimations montrent qu’il y a cohérence entre les risques relatifs estimés dans les deux grands types d’études passées en revue.
À partir de ces valeurs, on peut estimer également un risque attribuable (RA), autrement dit la proportion d’accidents dus à l’exposition, PE étant la prévalence de l’usage du téléphone :


Avec PE=6 % et RR=3, on obtient RA=10,5 %. Si l’on considère que l’accident est survenu du fait de l’utilisation du téléphone, cela signifie qu’avec ces données de prévalence, l’utilisation du téléphone au volant expliquerait environ 10 % des accidents.
On peut également faire le calcul en utilisant comme valeur du RR le risque associé au possesseur de téléphone, qui peut donc potentiellement l’utiliser en conduisant, et la prévalence correspondante, 44 % (Chapelon et Sibbi, 2007renvoi vers). En prenant RR=1,2, on obtient RA=8,1 %. Au vu des hypothèses faites sur la pratique non observée du téléphone mains-libres pour la première estimation de risque attribuable, le fait que cette deuxième estimation soit du même ordre de grandeur est un élément très important.
En conclusion, l’estimation à 3 du risque d’accident associé à l’utilisation du téléphone au volant paraît assez consistante compte tenu des résultats des études épidémiologiques et aussi des résultats expérimentaux. On peut également penser que ce risque est relativement indépendant des populations d’étude. La prévalence de l’exposition au téléphone au volant est en revanche plus fluctuante dans le temps et dépendante des populations observées. Comme le montre le calcul ci-dessus, cette valeur de prévalence est déterminante dans l’estimation du nombre d’accidents ou de victimes que l’on peut associer à la pratique du téléphone au volant.

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