2011


ANALYSE

6-

Perception du risque lié au téléphone au volant chez les conducteurs

Comme les précédents chapitres de cet ouvrage l’ont mis en évidence, les résultats des études expérimentales et des études épidémiologiques sont convergents et montrent que le fait de téléphoner au volant est susceptible d’augmenter le risque d’accident, que le téléphone soit mains-libres ou tenu à la main. Ce sont à la fois les capacités du conducteur à prélever et traiter les informations pertinentes de la scène routière, à évaluer correctement la situation en cours et son évolution ainsi que ses capacités à réagir à temps et de manière adaptée aux exigences de la situation qui se trouvent altérées. En France, c’est près de 9 % des accidents corporels et matériels qui seraient liés au fait de téléphoner en conduisant.
Si le risque pris en téléphonant en conduisant a été identifié par les chercheurs, comment ce risque est-il perçu par les automobilistes ? Comment les conducteurs évaluent-ils l’importance du risque pris en téléphonant au volant ? Est-ce que cette perception du risque varie en fonction de l’usage fait du téléphone au volant ? Comment ce risque est-il jugé par rapport à l’ensemble des risques liés à la téléphonie mobile ? Comment ce risque se caractérise-t-il ? Dans quelle mesure, la perception du risque pris va-t-elle amener les conducteurs à réguler leur usage du téléphone au volant ?

Évaluation de l’importance du risque pris en téléphonant au volant par les conducteurs

Plusieurs auteurs se sont intéressés à la perception qu’ont les automobilistes du risque associé à l’usage du téléphone au volant. C’est ainsi que le fait de téléphoner au volant (avec un téléphone mains-libres ou non) a été comparé, dans le cadre de l’enquête européenne Sartre, à une série d’autres causes possibles d’accident de la route (Vanlaar et Yannis, 2006renvoi vers). Cette enquête visait à étudier les attitudes et les comportements déclarés des automobilistes européens envers le risque routier. Elle a été menée dans 23 pays européens de septembre 2002 à avril 2003. Au total, plus de 24 000 conducteurs ont été interrogés. Quinze situations de conduite liées à l’état du conducteur, à l’état du véhicule ou aux conditions de circulation étaient proposées aux personnes interrogées qui devaient estimer avec quelle fréquence chaque situation était la cause d’accidents. Les conducteurs ont jugé le fait de téléphoner au volant, que celui-ci soit tenu ou non à la main, comme un comportement présentant un risque d’accident faible tout en présentant une forte prévalence dans le cas du téléphone tenu à la main. Comparativement, le fait de conduire en ayant consommé de l’alcool ou des drogues et le fait de conduire avec une direction ou des freins défectueux, ou des pneus lisses ont été jugés comme présentant un risque d’accident élevé en ayant une prévalence forte pour la première série de situations et faible pour la seconde.
Le risque lié au téléphone au volant a également été comparé aux risques engendrés par différentes activités que les conducteurs peuvent être amenés à réaliser en conduisant.
En 2003, McEvoy et coll. (2006renvoi vers) ont mené une enquête par questionnaire sur la distraction des conducteurs auprès de 1 347 conducteurs australiens. Les personnes interrogées devaient estimer dans quelle mesure certains comportements au volant augmentaient le risque d’accident (tableau 6.Irenvoi vers).

Tableau 6.I Perception par les conducteurs de l’augmentation du risque d’accident associé à différents comportements au volant (d’après McEvoy et coll., 2006renvoi vers) (N=1 347)

Prise de risque
Nombre (N)
Aucune
Faible
Modérée
Élevée
Extrême
Écrire et envoyer un SMS
1 314
0,3 (0,2)
1,8 (0,4)
9,7 (0,9)
33,7 (1,6)
54,5 (1,6)
Conduire avec une alcoolémie supérieure à 0,8 g/l
1 296
0,9 (0,3)
3,6 (0,6)
13,4 (1,1)
34,0 (1,6)
48,1 (1,6)
Récupérer un objet sur le siège arrière de la voiture
1 339
0,5 (0,2)
4,2 (0,7)
17,4 (1,2)
42,4 (1,6)
35,5 (1,5)
Lire une carte routière
1 339
1,0 (0,4)
4,1 (0,6)
25,4 (1,4)
43,6 (1,6)
25,9 (1,4)
Utiliser un téléphone tenu à la main
1 326
1,5 (0,4)
7,0 (0,8)
21,6 (1,3)
38,2 (1,6)
31,7 (1,5)
Conduire à 80 km/h dans une zone limitée à 60 km/h
1 332
3,5 (0,6)
8,8 (0,9)
30,4 (1,5)
38,8 (1,6)
18,5 (1,2)
Conduire avec une alcoolémie supérieure à 0,5 g/l
1 293
5,0 (0,7)
10,8 (1,0)
24,3 (1,4)
30,5 (1,5)
29,4 (1,5)
Être perdu dans ses pensées
1 337
5,3 (0,8)
20,3 (1,3)
38,1 (1,6)
27,2 (1,4)
9,1 (0,9)
Conduire sans s’arrêter pendant 2 heures
1 338
12,6 (1,0)
15,2 (1,1)
39,4 (1,6)
24,5 (1,4)
8,3 (0,9)
Observer le paysage
1 344
12,4 (1,1)
26,6 (1,4)
44,0 (1,6)
14,7 (1,1)
2,3 (0,5)
Utiliser un téléphone mains-libres
1 311
14,7 (1,2)
30,0 (1,5)
39,6 (1,6)
11,2 (1,0)
4,4 (0,7)
Parler à ses passagers
1 344
30,7 (1,5)
38,7 (1,6)
27,6 (1,5)
2,3 (0,5)
0,7 (0,3)

Les chiffres donnés correspondent au pourcentage par ligne pondéré, l’erreur standard est entre parenthèses.

Le fait d’écrire et d’envoyer un SMS, de conduire avec une alcoolémie supérieure à 0,8 g/l, de récupérer un objet sur le siège arrière de la voiture, de lire une carte et d’utiliser un téléphone tenu à la main ont été jugés par plus de 70 % des conducteurs comme augmentant fortement le risque d’accidents. Les jeunes conducteurs (entre 18 et 30 ans) ont globalement évalué les situations de distraction comme moins risquées que les conducteurs plus âgés alors qu’ils déclaraient plus souvent être engagés dans des tâches secondaires en conduisant.
Ces résultats sont confirmés par l’enquête sur l’usage par les conducteurs des nouvelles technologies, menée au niveau de 9 pays (Australie, Autriche, Espagne, Finlande, France, Pays-Bas, Portugal, République Tchèque et Royaume-Uni) par le projet Européen Interaction1 . Au total, 7 677 personnes ont répondu à cette enquête Internet. Une question de l’enquête concerne le niveau de dangerosité de 23 actions pouvant être réalisées pendant la conduite et pouvant distraire le conducteur de sa tâche de conduite (Britschgi et coll., 2010renvoi vers). Les situations de distraction étudiées étaient liées à l’usage du téléphone, à l’usage de technologies en lien avec le divertissement ou la conduite, à la présence de passagers, à l’environnement extérieur et au fait de lire/écrire et d’être perdu dans ses pensées (tableau 6.IIrenvoi vers).

Tableau 6.II Sources de distraction étudiées par le projet européen Interaction

Usage du téléphone
Usage de technologies à des fins de divertissement
Composer un numéro de téléphone
Répondre à un appel téléphonique
Parler au téléphone tenu à la main
Parler au téléphone avec un kit mains-libres
Écrire un SMS
Lire un SMS
Écouter la radio, un CD, une cassette ou tout autre support de musique
Écouter un livre audio
Manipuler les commandes de la radio ou du lecteur CD
Manipuler les commandes d’un lecteur de musique portable (iPod par exemple)
Usage de technologies en lien avec la conduite
Présence de passagers
Manipuler les commandes du véhicule (climatisation, rétroviseurs)
Regarder l’affichage du GPS
Manipuler les commandes du GPS
Manipuler les commandes du régulateur de vitesse, du limiteur de vitesse ou de l’avertisseur de dépassement de vitesse
Parler avec des passagers
Se disputer avec des passagers
Interagir avec les enfants
Conduire pendant qu’un passager regarde un film à l’arrière
Environnement extérieur
Autres distractions
Regarder un panneau publicitaire fixe
Regarder un panneau publicitaire déroulant ou un écran publicitaire passant des vidéos
Lire
Écrire
Être perdu dans ses pensées
Le fait d’écrire une note ou un SMS et le fait de lire une note ont été jugés comme des activités extrêmement dangereuses par environ 60 % des conducteurs, viennent ensuite le fait de lire un SMS (48 %), d’être perdu dans ses pensées (44 %) et de téléphoner avec un téléphone tenu à la main qu’il s’agisse de composer le numéro (43 %) ou de converser (38 %). Les conducteurs ont également identifié comme présentant un risque le fait de décrocher le téléphone (27 %), de regarder des panneaux publicitaires dynamiques (24 %), de se disputer avec ses passagers (22 %) de manipuler un lecteur de musique (19 %) ou un système de navigation (18 %), de regarder des panneaux publicitaires statiques (16 %) et d’interagir avec des enfants (15 %). Les autres actions ont été jugées par moins de 10 % des personnes interrogées comme extrêmement dangereuses. Ce sont donc les actions nécessitant un contrôle visuo-manuel long telles que l’écriture et la lecture d’une note ou un SMS, qui ont été identifiées comme les plus dangereuses par les personnes interrogées. Les actions entraînant une charge cognitive ou émotionnelle forte ont été également identifiées comme présentant un risque d’accidents, mais dans une moindre mesure.
De manière systématique, téléphoner avec un téléphone mains-libres est jugé comme une activité beaucoup moins risquée que le fait de manipuler le clavier du téléphone, de prendre la ligne et de converser avec un téléphone tenu à la main (Wogalter et Mayhorn, 2005renvoi vers ; McEvoy et coll., 2006renvoi vers ; Britschgi et coll., 2010renvoi vers). Le fait que téléphoner avec un système mains-libres ne soit pas interdit est certainement à l’origine de cette sous-évaluation du risque.
Ainsi, si les distractions de type visuo-manuelle sont jugées comme les plus risquées, la distraction cognitive liée à la conversation téléphonique est sous-estimée. Ce constat est confirmé lorsque l’on interroge les conducteurs sur les différentes actions qu’ils peuvent réaliser avec leur téléphone portable. Écrire ou lire un SMS, composer un numéro, manipuler le clavier ou lire l’écran sont des actions jugées les plus risquées (Brusque et Alauzet, 2006renvoi vers ; McEvoy et coll., 2006renvoi vers ; Britschgi et coll., 2010renvoi vers).

Perception du risque en fonction de l’usage du téléphone au volant

La perception du risque lié à l’usage du téléphone au volant varie suivant l’habitude ou non de téléphoner en conduisant, les non-utilisateurs jugeant le niveau de risque plus élevé que les utilisateurs. Wogalter et Mayhorn (2005renvoi vers) ont ainsi montré que parmi les conducteurs, ceux qui se déclarent non utilisateurs de téléphone portable, sont plus convaincus que le fait de téléphoner en conduisant affecte de manière négative la performance de conduite et que parler au téléphone peut potentiellement être à l’origine d’accident. Ils sont également plus en faveur de législations interdisant l’usage du téléphone au volant ou le limitant aux appels d’urgence.
La conscience du risque pris en téléphonant au volant diffère également suivant les usages qu’ont les conducteurs du téléphone portable au volant. Sullman et Baas (2004renvoi vers) ) et Hallett et coll. (sous presse)renvoi vers ont mis en évidence une corrélation négative entre la fréquence avec laquelle les conducteurs utilisent leur téléphone au volant et la perception que ceux-ci ont du caractère dangereux de cette pratique. C’est-à-dire que plus les conducteurs utilisent leur téléphone au volant, moins ils jugent cela dangereux.
L’analyse des pratiques d’utilisation du téléphone portable au volant, ne peut se limiter à une simple analyse des fréquences d’utilisation. Il faut également s’intéresser aux éventuels comportements de régulation mis en Ĺ“uvre par les conducteurs (limitation aux appels entrants, prise en compte du contexte de conduite pour prendre la décision de s’engager dans une conversation). Brusque et Alauzet (2006renvoi vers) ont ainsi identifié quatre grands groupes d’utilisateurs du téléphone au volant : les non utilisateurs, les utilisateurs prudents, les utilisateurs régulateurs et les utilisateurs insouciants. Les trois premiers groupes sont d’importance équivalente (respectivement 32 %, 37 % et 27 % des personnes interrogées) tandis que le dernier groupe, des utilisateurs insouciants, ne représente qu’une faible proportion de l’échantillon (4 %). Au niveau de la perception du risque d’accidents, les « non utilisateurs » considèrent que le risque pris est très important (pour 83 % d’entre eux), les utilisateurs « insouciants » ne sont que 17 % à le trouver très important. Les deux autres groupes d’utilisateurs ont des jugements intermédiaires : 76 % des utilisateurs « prudents » jugent le risque très important contre 40 % des utilisateurs « régulateurs ». Et pourtant, plus les personnes téléphonent en conduisant, plus elles déclarent avoir déjà été confrontées à une situation dite « critique » en téléphonant au volant (Pöysti et coll., 2005renvoi vers ; Brusque et Alauzet, 2006renvoi vers). Les situations critiques les plus communément citées sont : des moments d’inattention en situation de suivi de véhicule, des déviations de trajectoire, des non perceptions de la signalisation routière et des ralentissements gênants pour les autres automobilistes (Lamble et coll., 2002renvoi vers).
La population des conducteurs qui utilisent un système mains-libres est assez spécifique. Il s’agit de conducteurs ayant une fréquence d’usage du téléphone au volant élevée et ayant une perception du risque pris en téléphonant au volant plus importante que les conducteurs non équipés, ce qui peut expliquer leur choix de s’équiper d’un système mains-libres afin de poursuivre leur pratique avec une sécurité qu’ils estiment maximale et en ne risquant pas de contravention (Sullman et Bass, 2004renvoi vers). En analysant les effets de la loi finlandaise de 2003 interdisant le téléphone tenu à la main au volant, Rajalin et coll. (2005renvoi vers) ont montré que ce sont les utilisateurs occasionnels du téléphone au volant qui ont en majorité décidé d’arrêter de téléphoner en conduisant suite à cette interdiction, les utilisateurs les plus fréquents ayant décidé de s’équiper d’un système mains-libres, les conducteurs ayant une fréquence d’utilisation intermédiaire continuant à utiliser leur téléphone tenu à la main.

Perception du risque routier par rapport à l’ensemble des risques liés à la téléphonie mobile

Martha et coll. (2006renvoi vers) ont étudié la représentation médiatique des risques liés au téléphone portable, qu’il s’agisse des risques « sociaux » relatifs aux nuisances sonores et aux incivilités, des risques physiques inhérents aux ondes électromagnétiques émises par les téléphones portables et les antennes-relais et du risque d’accidents lié à l’utilisation du téléphone au volant d’un véhicule. Ce sont les risques liés aux ondes électromagnétiques qui ont focalisé l’intérêt des journalistes, bien avant les risques d’accidents de la route, dans un rapport de 3 sur 1 sur les 120 articles publiés dans Le Monde, Le Figaro et Libération de 1995 à 2002 et analysés par les auteurs. Parmi l’ensemble des risques liés à la téléphonie mobile, celui lié à l’usage du téléphone au volant apparaît comme un danger librement accepté et individuellement contrôlable, tandis que celui lié à l’exposition aux ondes électromagnétiques émises par les antennes-relais apparaît comme un péril, c’est-à-dire un danger non choisi et soustrait au contrôle de l’individu. Les émissions des téléphones portables suscitent moins de crainte que celles des antennes-relais qui restent pourtant inférieures. Les auteurs expliquent cette différence par le fait que dans le cas du téléphone portable, il s’agit d’un usage privé, choisi et produisant un avantage individuel direct, par opposition aux antennes-relais qui sont dédiées à un usage collectif, subies, et dont l’utilité n’est pas immédiatement perçue. En résumé, on peut dire qu’avec le risque d’accident lié à l’utilisation du téléphone en conduisant, on est en présence d’un risque familier que les conducteurs choisissent de prendre car ils en tirent un avantage et pensent le maîtriser.
White et coll. (2004renvoi vers) se sont intéressés au risque perçu de l’usage du téléphone mobile tenu à la main en conduisant, et plus particulièrement à ses caractéristiques en termes de détectabilité, probabilité, sévérité et de caractères équitable et immédiat. Leurs résultats sont basés sur une enquête menée en 2001 sur 13 200 britanniques. Ceux-ci ont jugé le risque sévère (les effets du téléphone sur la conduite ne sont pas considérés comme négligeables), inéquitable (les personnes qui téléphonent au volant ne font pas courir un risque uniquement à elles) et probable (les personnes interrogées sont facilement convaincues que téléphoner en conduisant est dangereux). Les personnes interrogées ont été pour une grande partie d’entre elles, convaincues que le risque perdure après que le téléphone ait été raccroché (les effets ne sont pas uniquement immédiats mais peuvent être différés dans le temps). Cette opinion suppose une certaine conscience de la charge émotionnelle ou cognitive que peut véhiculer une conversation téléphonique et qui ne s’estompe pas une fois la conversation terminée. La dernière caractéristique du risque étudiée était sa détectabilité, c’est-à-dire la facilité avec laquelle un conducteur peut détecter si sa conduite est altérée lorsqu’il téléphone. Les personnes interrogées ont eu des avis très partagés sur ce point, certains validant l’assertion et d’autres l’infirmant, ce qui n’a pas permis de caractériser le risque du téléphone au volant en terme de détectabilité.
Plusieurs auteurs ont mis en évidence un « biais d’optimisme » au niveau de la perception du risque d’accidents lié à l’usage du téléphone au volant (White et coll., 2004renvoi vers ; Wogalter et Mayhorn, 2005renvoi vers). Le risque d’accidents est jugé plus élevé pour les autres que pour soi. Ce biais correspond à une erreur systématique dans la perception qu’a un individu sur ce qui peut lui arriver personnellement par comparaison à ce qui peut arriver à ses pairs. Dans le cas d’un évènement positif, un individu va estimer que celui-ci aura plus de chance de lui arriver que d’arriver à ses pairs et inversement dans le cas d’évènement négatif, ce dernier aura plus de chance d’arriver à ses pairs qu’à lui. Ce biais de perception a été mis en évidence dans différents domaines, en particulier dans le domaine de la santé. Il est d’autant plus important que le risque étudié peut être considéré comme contrôlable par l’individu (Klein et Helweg-Larsen, 2002renvoi vers) et qu’il existe des stéréotypes sur les groupes de population les plus concernés par ce risque (Weinstein, 1980renvoi vers). Ce biais d’optimisme a également été montré pour les risques liés aux ondes électromagnétiques émises par les téléphones portables et les antennes-relais (White et coll., 2007renvoi vers). L’impression qu’il est plus facile de maîtriser l’exposition aux ondes émises par les téléphones que par les antennes-relais entraîne un biais d’optimisme plus élevé pour le risque induit par les téléphones que par les antennes-relais. White et coll. (2007renvoi vers) ont également mis en évidence un biais d’utilité : l’utilité du téléphone mobile est jugée plus élevée pour soi que pour les autres. Les biais d’optimisme et d’utilité sont respectivement modulés à la baisse et à la hausse par la fréquence d’utilisation du téléphone.

Perception du risque et régulation de l’usage du téléphone au volant par les conducteurs

Plusieurs travaux récents se sont intéressés aux facteurs expliquant l’intention des conducteurs à s’engager ou non dans l’utilisation du téléphone portable au volant. White et coll. (2010renvoi vers) ont utilisé comme cadre théorique, le modèle d’intention proposé par la théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991renvoi vers). Selon cette théorie, tout comportement qui nécessite une certaine planification peut être prédit par l’intention d’avoir ce comportement, l’intention étant une résultante de 3 facteurs : les attitudes vis-à-vis du comportement, les normes subjectives associées et la perception du contrôle sur le comportement.
Les attitudes vis-à-vis du comportement désignent les opinions favorables ou défavorables qu’une personne a du comportement étudié. Les normes subjectives décrivent la perception qu’a l’individu de la pression sociale exercée par ses proches, sa famille ou ses ami(e)s pour qu’il adopte ce comportement. Le contrôle comportemental perçu correspond à la facilité ou la difficulté perçue pour adopter ou non ce comportement.
Afin d’étudier les intentions des conducteurs de téléphoner au volant, White et coll. (2010renvoi vers) ont interrogé, en 2006, 796 conducteurs australiens en leur demandant :
• dans quelle mesure, le fait de téléphoner en conduisant la semaine prochaine pourrait avoir les conséquences suivantes : optimiser son temps, être distrait, être impliqué dans un accident, rester informé, être secouru en cas d’accident, être pris et verbalisé par la police ?
• dans quelle mesure, les personnes suivantes approuveraient-elles que vous téléphoniez en conduisant la semaine prochaine : ami(e)s, famille, compagnon(ne), collègues de travail, autres conducteurs, police ?
• dans quelle mesure, les facteurs suivants vous pousseraient-ils à éviter de téléphoner en conduisant la semaine prochaine : le risque de contravention, la demande de la situation routière, le risque d’accident, la présence de la police, l’absence de système mains-libres, l’intensité du trafic ?
Les conducteurs étaient également interrogés sur leur fréquence d’utilisation du téléphone au volant et sur leur utilisation d’un téléphone tenu à la main ou d’un système mains-libres.
Les utilisateurs fréquents et les utilisateurs occasionnels du téléphone au volant diffèrent en termes d’attitudes, de normes subjectives et de perception du contrôle (tableau 6.IIIrenvoi vers). Ces différences varient suivant le type de téléphone au volant, ce qui suggère que les facteurs à l’origine de l’intention de téléphoner en conduisant ne sont pas les mêmes pour le téléphone tenu à la main et le téléphone mains-libres.
Pour les utilisateurs de téléphone mains-libres, ce sont l’avantage procuré par le téléphone en terme d’optimisation du temps, la pression sociale des proches (ami(e)s, famille et collègues de travail) ainsi qu’une perception moindre des barrières à l’usage du téléphone au volant (contexte de conduite, risque d’accident et présence de la police), qui permettent de différencier les utilisateurs fréquents et occasionnels. Le risque de contravention et la présence de la police sont cités comme facteurs influant sur l’intention de téléphoner au volant. Ceci laisse supposer que les conducteurs n’ont pas un usage exclusif de leur système mains-libres ou qu’ils passent des SMS au volant. Enfin, le risque d’accident n’est pas jugé comme une conséquence possible de l’usage du téléphone au volant, on peut supposer que du fait de son autorisation, le fait de téléphoner avec un système mains-libres n’est pas jugé dangereux.

Tableau 6.III Opinions des conducteurs selon le type de téléphone et la fréquence d’utilisation du téléphone (usage quotidien ou moindre) (d’après White et coll., 2010renvoi vers)

 
Téléphone mains-libres
Téléphone tenu à la main
Échelle utilisée : de 1 pour extrêmement improbable à 7 pour extrêmement probable
Usage fréquent
Usage occasionnel
Significativité de la différence
Usage fréquent
Usage occasionnel
Significativité de la différence
Attitudes
n=145
n=36
 
n=288
n=270
 
Dans quelle mesure le fait de téléphoner en conduisant la semaine prochaine pourrait avoir les conséquences suivantes ?
Optimiser son temps
5,37
3,31
0,000
4,56
2,36
0,000
Être distrait
3,73
3,53
0,581
4,50
3,68
0,000
Être impliqué dans un accident
2,46
3,08
0,060
3,49
3,17
0,075
Rester informé
4,12
3,22
0,023
4,34
2,75
0,000
Être secouru en cas d’accident
3,28
3,33
0,890
3,48
3,28
0,248
Être pris et verbalisé par la police
2,07
2,58
0,121
3,63
2,98
0,000
Normes subjectives
n=145
n=34
 
n=288
n=270
 
Dans quelle mesure les personnes suivantes approuveraient-elles que vous téléphoniez en conduisant la semaine prochaine ?
Ami(e)s
4,50
3,35
0,006
3,98
2,33
0,000
Famille
4,37
3,06
0,002
3,26
1,99
0,000
Compagnon/compagne
4,34
3,24
0,009
3,67
2,11
0,000
Collègues de travail
4,77
3,26
0,000
3,95
2,29
0,000
Autres conducteurs
3,78
3,18
0,128
3,24
1,94
0,000
Police
2,99
2,62
0,371
2,21
1,58
0,000
Contrôle perçu
n=146
n=34
 
n=285
n=274
 
Dans quelle mesure les facteurs suivants vous pousseraient-ils à éviter de téléphoner en conduisant la semaine prochaine ?
Le risque de contravention
3,90
5,71
0,000
4,46
5,38
0,000
La demande de la situation routière
4,90
6,06
0,005
5,42
5,82
0,018
Le risque d’accident
4,74
5,91
0,005
5,06
5,80
0,000
La présence de la police
4,53
5,88
0,002
5,76
5,75
0,954
L’absence de système mains-libres
5,08
5,24
0,735
3,91
5,06
0,000
L’intensité du trafic
4,31
5,47
0,006
4,67
5,47
0,000
Pour les utilisateurs de téléphone tenu à la main, optimiser le temps de voyage et rester informés sont les deux avantages apportés par le téléphone qui justifient son usage fréquent en conduisant. Bien que les utilisateurs fréquents soient conscients du risque pris en termes de distraction et de contravention, cette conscience du risque n’est pas suffisante pour contrebalancer les avantages apportés. Enfin, si la pression sociale de l’environnement est moins marquée pour les utilisateurs de téléphone tenu à la main que pour les utilisateurs de téléphone mains-libres, elle est plus importante pour les utilisateurs fréquents que pour les utilisateurs occasionnels du téléphone tenu à la main. Les utilisateurs occasionnels sont eux plus sensibles à la désapprobation des autres conducteurs et de la police. Les utilisateurs fréquents sont globalement moins conscients que les utilisateurs occasionnels des barrières à l’usage du téléphone au volant. Pour les deux types d’utilisateurs, la présence de la police et la demande de la situation routière sont deux facteurs considérés comme susceptibles de limiter l’usage du téléphone au volant.
Walsh et coll. (2008renvoi vers) ont également utilisé la théorie du comportement planifié d’Ajzen pour expliquer l’intention des conducteurs d’utiliser leur portable au volant en fonction d’une part, des attitudes, des normes subjectives et du contrôle comportemental du conducteur et d’autre part, de sa perception du risque d’accident et de verbalisation par la police. L’intention d’appeler et de passer des SMS a été étudiée pour 4 scénarios de conduite (fonction de la vitesse de la voiture et de la pression temporale à laquelle est soumis le conducteur).
L’intention d’utiliser le téléphone en conduisant s’explique par la jeunesse du conducteur, son usage professionnel de la voiture, ses croyances sur les avantages procurés par le fait de téléphoner au volant et la pression sociale qu’il subit de son environnement. C’est l’attitude favorable vis-à-vis du téléphone au volant qui a le plus fort pouvoir explicatif de l’intention de téléphoner.
Les résultats obtenus sur l’intention d’appeler et de passer des SMS diffèrent en fonction du scénario considéré. Il n’est donc pas possible de proposer des prédicteurs de l’intention de téléphoner valables pour les différents scénarios. On peut néanmoins noter que l’usage professionnel du véhicule prédit l’intention d’appeler mais pas celle de passer des SMS, le SMS restant une pratique à caractère privé. La pression sociale contribue à expliquer l’intention d’appeler dans les scénarios incluant une pression temporelle dans un souci de rassurer l’entourage. Le risque de verbalisation par la police pour les conducteurs passant des SMS est connu mais ne limite pas leur intention d’échanger des SMS au volant.
La population des jeunes conducteurs a bénéficié d’une attention particulière car il s’agit de la tranche de la population la plus fortement équipée de téléphone mobile ainsi que de celle qui déclare, dans sa grande majorité, téléphoner ou échanger des SMS en conduisant (Nelson et coll., 2009renvoi vers ; Atchley et coll., 2011renvoi vers). Nelson et coll. (2009renvoi vers) se sont intéressés à une population d’étudiants de l’Université du Kansas et ont étudié dans quelle mesure la perception du risque pris en téléphonant au volant et l’importance perçue de l’appel affectaient l’intention du conducteur d’initier un appel ou de répondre à un appel en conduisant. Ce travail a montré que le risque perçu avait un effet négatif sur l’intention du conducteur à téléphoner, mais que celui-ci reste limité. L’effet est surtout marqué dans le cas d’un appel entrant, comme s’il était plus facile pour le conducteur d’ignorer l’appel. Dans le cas des appels sortants, c’est l’importance perçue de l’appel qui va être le meilleur prédicateur de l’intention du conducteur à initier un appel. Les auteurs ont également mis en évidence que si le risque perçu pouvait moduler l’intention du conducteur à téléphoner, l’effet restait trop faible pour affecter la fréquence d’utilisation du téléphone au volant.
Les pratiques des étudiants de l’Université du Kansas en termes d’échanges de SMS au volant ont également été étudiées en distinguant le fait de lire un SMS, d’y répondre ou d’initier un SMS (Atchley et coll., 2011renvoi vers). Les proportions de jeunes conducteurs rapportant ces 3 types de comportement au volant sont respectivement égales à 92 %, 81 % et 70 %. Les personnes interrogées sont néanmoins parfaitement conscientes du risque pris en échangeant des SMS au volant et elles jugent même ce risque beaucoup plus élevé que celui de téléphoner au volant. Le fait d’écrire un SMS, en réponse à un SMS reçu ou en initiant un SMS, est jugé comme une action très dangereuse. En revanche, le risque perçu a un effet significatif uniquement sur l’intention du conducteur à initier un SMS. Dans le cas de l’intention du conducteur à répondre à un SMS, aucun effet n’a été mis en évidence alors que la tâche distractive est comparable, comme si la pression sociale de rester en contact avec ses pairs était plus importante que la perception du risque pris.
L’importance du groupe des pairs et des normes sociales associées à l’appartenance au groupe a été démontrée par Nemme et White (2010renvoi vers) qui ont cherché à prédire l’intention et le comportement de jeunes conducteurs australiens vis-à-vis de l’écriture et de la lecture de SMS au volant à partir de différents facteurs psychosociaux. En effet, plus une personne est convaincue que ses pairs approuvent le fait d’échanger des SMS au volant et qu’ils échangent eux-mêmes des SMS au volant, plus son intention de reproduire ce comportement sera importante. L’opinion du jeune conducteur sur les attitudes et les comportements de ses pairs a une influence sur son intention mais également sur son comportement en termes d’écriture et de lecture de SMS au volant.
Les résultats de ces travaux visant à mieux comprendre les déterminants de l’intention de téléphoner au volant sont importants si l’on souhaite mettre en place des campagnes de sensibilisation mieux ciblées.
En conclusion, les conducteurs apprécient mal le risque qu’ils prennent en téléphonant au volant. Si la distraction visuo-manuelle générée par l’écriture ou la lecture de SMS est bien perçue, ce n’est pas le cas pour la distraction cognitive générée par la conversation téléphonique. L’usage d’un téléphone mains-libres en conduisant est jugé comme une activité beaucoup moins risquée que l’usage d’un téléphone tenu à la main.
La perception du risque lié à l’usage du téléphone au volant varie en fonction des usages qu’ont les conducteurs du téléphone portable au volant :
• les non-utilisateurs du téléphone au volant jugent le risque pris plus élevé que les utilisateurs ;
• les conducteurs qui téléphonent au volant le plus fréquemment et de manière systématique le jugent moins élevé que les conducteurs occasionnels ;
• les conducteurs qui utilisent un système mains-libres le jugent plus élevé que les conducteurs non équipés, ce qui peut être à l’origine de leur choix de s’équiper d’un système mains-libres.
Le risque lié à l’usage du téléphone au volant apparaît comme un risque familier pris librement car il procure des avantages et il semble facilement maîtrisable. Les conducteurs considèrent que le risque d’accident est plus important pour les autres conducteurs que pour eux-mêmes.
Si la perception du risque d’accidents et de contraventions existe bien chez la majorité des conducteurs, elle n’est en revanche pas suffisante pour contrebalancer les avantages procurés par le téléphone portable et la pression sociale de l’entourage qui pousse à l’utiliser en conduisant.
Une meilleure connaissance des facteurs influençant l’intention des conducteurs de s’engager ou non dans l’utilisation du téléphone portable au volant semble une piste intéressante pour mieux cibler les futures campagnes de sensibilisation des conducteurs au risque du téléphone en conduisant.

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