2011


→ Aller vers ANALYSE→ Aller vers SYNTHESE
ANALYSE
La téléphonie mobile a connu un développement exponentiel au cours de la dernière décennie et l’apparition de multiples fonctions associées. Son usage dans toutes les situations de la vie courante (professionnelle, sociale ou familiale) évolue très rapidement. Les enquêtes montrent que la fréquence de son usage au volant varie en fonction de différents facteurs comme le genre, l’âge et le fait d’être ou non sur la route pour le travail.
De nombreuses études expérimentales ont montré la dégradation des performances de conduite lors d’une conversation téléphonique, que le téléphone soit mains-libres ou tenu à la main. Cette dégradation est particulièrement visible en termes d’allongement du temps de réponse à un événement. Ce délai est d’autant plus long que la conversation est plus complexe. Comparativement à une conversation avec un passager, la conversation téléphonique exigerait davantage de ressources attentionnelles de la part du conducteur, et serait donc plus préjudiciable à la qualité de la conduite. Numéroter, lire ou écrire un SMS est encore plus perturbateur pour la conduite.
Par ailleurs, des études épidémiologiques ont permis de mettre en évidence une multiplication du risque d’accident de l’ordre de trois du fait de l’utilisation d’un téléphone en conduisant, ceci quel que soit le système utilisé (mains-libres ou non).
La France, comme presque tous les pays de l’Union européenne, a interdit l’usage du téléphone tenu en main en conduisant depuis 2003. De même, « le fait de placer dans le champ de vision du conducteur d’un véhicule en circulation un appareil en fonctionnement doté d’un écran et ne constituant pas une aide à la conduite ou à la navigation est interdit. » depuis 2008. Or, on assiste à une diversification des possibilités d’usage de la téléphonie mobile dans un véhicule routier à partir de systèmes embarqués ou non et comportant un écran.
L’impact de cette législation sur les comportements des usagers est peu documenté à ce jour dans les pays concernés. De même, peu de données existent sur la répression du non-respect de ces réglementations.
S’il n’est pas du ressort de ce groupe d’experts de se prononcer sur l’évolution de la réglementation en matière de téléphone en situation de conduite, les recommandations effectuées visent à accompagner au mieux l’action publique, que la loi évolue rapidement ou non. Ces recommandations proposent d’améliorer la connaissance sur les relations entre usage du téléphone et accidentologie et de développer des mesures concrètes intégrées dans un programme d’actions.
Ainsi, l’évolution des connaissances sur le risque réel associé à l’utilisation de systèmes télématiques au volant, sur l’influence des éléments distracteurs et des éventuelles stratégies de compensation mises en œuvre par les conducteurs devrait conduire à une réadaptation des mesures de sécurité routière. Un programme cohérent d’actions devrait prendre en considération :
• la réglementation, qu’il pourrait convenir de faire évoluer en fonction des connaissances sur les conséquences en termes de risque routier et des impacts socio-économiques des nouveaux usages de la télématique ;
• le développement de dispositifs accompagnant les technologies embarquées, susceptibles de faciliter la mise en application de la réglementation sur les conditions d’usage du téléphone ;
• l’information du public et la formation des conducteurs sur les risques associés à l’usage du système mains-libres et des autres systèmes susceptibles d’agir sur les comportements pendant la conduite.
L’évaluation de l’impact social et économique des mesures doit permettre de les adapter et de les réorienter régulièrement comme une « chaîne de sécurité intégrée » dans le cadre de la politique de sécurité routière.

Mesures réglementaires et technologiques

Depuis 2003, la législation française interdit « l’usage d’un téléphone tenu en main par le conducteur d’un véhicule en circulation ». Cette interdiction peut implicitement suggérer que l’utilisation d’un dispositif mains-libres en conduisant est moins dangereuse puisqu’elle n’est pas interdite.
Les résultats scientifiques ne permettent pas de différencier les deux situations, même si tenir le téléphone en main ajoute une distraction visuo-manuelle liée à la manipulation du téléphone. Que le téléphone soit tenu en main ou non, le risque d’accident lié à la distraction cognitive induite par une conversation téléphonique est comparable (risque multiplié par un facteur de l’ordre de 3).
Par ailleurs, la législation actuelle ne limite pas le développement de systèmes à commande vocale permettant de multiplier les usages et services apportés par les nouvelles technologies de communication et d’information, autant d’opportunités qui peuvent entraîner une augmentation de l’exposition aux risques de distraction au volant.
Ces constats ont conduit le groupe d’experts à orienter leurs propositions d’actions sur les aspects réglementaires, les dispositifs embarqués susceptibles d’accompagner ces mesures réglementaires, les processus délibératifs d’appropriation des connaissances scientifiques par les acteurs concernés permettant d’améliorer et d’adapter les réglementations.

Systématiser le recueil d’information par les forces de l’ordre de l’usage du téléphone au volant lors d’un accident de la route

Le fait qu’actuellement l’usage du téléphone au volant n’est pas systématiquement renseigné lors d’un accident en France ne permet pas de connaître précisément la part des accidents dans lesquels l’usage de ces technologies pourrait être impliqué. Dès lors, il est difficile d’en évaluer l’enjeu.
La pertinence et l’évaluation d’une réglementation spécifique sur l’usage du téléphone au volant exigent que les pouvoirs publics possèdent des données suffisamment précises sur l’implication de cet usage dans la survenue d’un accident. Or, les travaux existants insistent sur le caractère sporadique de ce recueil d’information. Il est nécessaire que les forces de l’ordre documentent systématiquement l’utilisation du téléphone comme cause possible d’accident. Les procès verbaux d’accident et le fichiernational des accidents de la circulation routière doivent être aménagés en conséquence.
Le groupe d’experts recommande de systématiser et de normaliser le recueil d’informations sur l’usage du téléphone par le conducteur dans le cadre des procès verbaux d’accident établis par les unités d’intervention des forces de l’ordre. Mieux connaître l’utilisation du téléphone et des autres technologies embarquées dans les rapports d’accident établis par les forces de l’ordre représenterait une donnée fondamentale à la fois pour évaluer le risque lié à leur usage et pour définir des actions de prévention routière.

Déployer à court terme des solutions technologiques de gestion des communications en relation avec la réglementation

Les données scientifiques montrent qu’une conversation téléphonique menée par un conducteur même avec un téléphone « mains-libres » constitue une distraction cognitive qui perturbe ses capacités de conduite. Les systèmes à commande vocale, par exemple, ne pallient pas cette distraction. D’après les estimations, s’appuyant sur des données épidémiologiques, le risque associé d’accident est multiplié par 3 quel que soit le système utilisé. Ce risque est à resituer parmi les autres risques d’accident connus et quantifiés pour définir une réglementation en cohérence avec un plan de sécurité routière.
Pour accompagner la réglementation sur les conditions d’usage du téléphone dans un véhicule, des solutions technologiques pourraient être recherchées afin d’induire une « sécurité passive » (transfert des appels entrants sur répondeur, temps de communication limité, prise en compte du contexte routier...).
Le groupe d’experts recommande de promouvoir le développement et la diffusion d’outils technologiques permettant de faciliter la mise en application de la réglementation.

Rendre obligatoire une information sur les risques dans les notices d’utilisation des dispositifs embarqués dans les véhicules automobiles

La législation actuelle indique que « Le fait de placer dans le champ de vision du conducteur d’un véhicule en circulation un appareil en fonctionnement doté d’un écran et ne constituant pas une aide à la conduite ou à la navigation est interdit. » (article 412-6-2 du Code de la route). Or, on assiste à une diversification des possibilités d’usage de la téléphonie mobile dans un véhicule routier à partir de systèmes embarqués ou non et comportant un écran.
Ainsi, la normalisation et le développement de technologies permettant de limiter l’usage des systèmes de téléphonie mobile pendant la conduite nécessitent un partenariat avec des acteurs dont les choix technologiques et commerciaux peuvent avoir un impact sur cet usage, notamment les constructeurs automobiles et les opérateurs et fabricants de téléphonie mobile.
Le groupe d’experts recommande que les pouvoirs publics imposent aux constructeurs (d’automobiles et de dispositifs de téléphonie mobile) de diffuser une information sur les conditions d’un bon usage des dispositifs de téléphonie et des systèmes embarqués en voiture. Les constructeurs doivent commencer par rappeler la législation existante.

Mettre en place un processus délibératif s’appuyant sur les données scientifiques pour une éventuelle évolution de la règlementation existante

L’évolution très rapide des technologies de l’information et de la communication susceptibles d’être utilisées en conduisant nécessite d’adapter régulièrement la législation en tenant compte des connaissances acquises sur l’impact de ces technologies en termes de sécurité routière.
La mise en œuvre d’un processus de concertation et de délibération regroupant les acteurs très divers concernés par l’enjeu de sécurité routière (autorités publiques, constructeurs, opérateurs, experts, assureurs, employeurs, salariés...), permettrait la mise en commun d’informations en vue d’une prise de décision et d’une meilleure acceptabilité.
Le groupe d’experts recommande d’engager une démarche concertée visant à améliorer la réglementation existante et notamment à mieux l’adapter aux nouveaux usages de la téléphonie mobile. Cette réflexion pourrait être menée dans le cadre d’un processus délibératif permettant de rechercher un consensus sur ce sujet au sein des acteurs concernés.

Actions d’éducation des conducteurs et des professionnels

Au moins un conducteur sur trois, ne serait-ce qu’occasionnellement, fait usage de son téléphone mobile en conduisant. Ce sont les hommes, les jeunes et les personnes qui roulent le plus, notamment pour des raisons professionnelles, qui ont des taux d’utilisation du téléphone portable au volant les plus élevés. En outre, ces utilisateurs habituels se caractérisent par une perception moindre du risque encouru.
Ces données suggèrent que des actions publiques qui ne relèvent pas de la sanction et de la répression, mais qui interviennent sur les représentations du risque et sur les contextes d’utilisation (situations professionnelles), sont à renforcer, notamment à travers des campagnes d’information et des actions d’éducation.
Trois publics peuvent être ciblés : la population générale des conducteurs, les conducteurs inexpérimentés et les conducteurs utilisant leur véhicule pour des motifs professionnels.

Poursuivre la mise en place régulière de campagnes de communication en direction des conducteurs

Si les conducteurs sont généralement conscients des effets négatifs sur la conduite d’une distraction visuo-manuelle, ils ne sont pas toujours conscients de la distraction cognitive liée à la conversation au téléphone. Les données des enquêtes montrent la nécessité de sensibiliser les conducteurs aux risques encourus par une conversation téléphonique lorsqu’ils sont au volant même lorsqu’ils sont en possession d’un système mains-libres.
Ces actions de communication permettront d’informer les conducteurs sur l’augmentation de leur temps de réaction et par conséquent de leur prise de décision lorsqu’ils téléphonent, sur les difficultés rencontrées pour prélever et traiter les informations routières.
Le groupe d’experts recommande que les campagnes de communication mettent l’accent sur le fait que les capacités d’attention nécessaires pour téléphoner (y compris avec un système mains-libres) altèrent la capacité de conduite en entraînant une difficulté à explorer l’environnement et à détecter les changements dans la scène routière ainsi que l’augmentation du temps de réaction et de prise de décision.

Intégrer un enseignement sur les risques liés à l’usage du téléphone et des autres dispositifs embarqués dans la formation des conducteurs

Les jeunes (18-24 ans) sont les plus gros utilisateurs de téléphonie mobile dans la vie courante puisque, plus de 70 % d’entre eux l’utilisent tous les jours ou presque. Lors de l’apprentissage de la conduite, il est important de mener des actions de sensibilisation au danger du téléphone pour les nouveaux conducteurs. L’information donnée aux élèves conducteurs doit faire état du fait que l’utilisation des systèmes  « mains-libres » n’empêche pas le phénomène de distraction cognitive et constitue ainsi un facteur de risque d’accident.
Le groupe d’experts recommande, dans le cadre d’une information sur les principaux risques liés aux comportements du conducteur, d’intégrer un module sur les risques liés à l’usage du téléphone et des autres technologies d’information et de communication en conduisant dans la formation des nouveaux conducteurs.

Promouvoir une démarche de sécurité routière dans les entreprises

Le téléphone mobile est considéré comme un outil de travail par les personnes qui se déplacent dans le cadre de leur profession. Il permet de mieux organiser ses déplacements, et de pouvoir avertir son employeur, ses clients ou ses proches si un incident vient perturber le trajet, voire de « gagner » du temps sur sa journée de travail en cumulant conduite et autre charge de travail (planning, commandes, négociations, rapports...). Toutefois, son usage pendant la conduite constitue un risque avéré. Ce risque doit être pris en compte par les partenaires sociaux afin que les entreprises ou les branches professionnelles développent des politiques adaptées de l’usage du téléphone dans le véhicule et diffusent les bonnes pratiques dans ce domaine impliquant éventuellement une démarche globale de réorganisation du travail.
Le risque routier constituant la première cause de mortalité au travail (en incluant les accidents de trajets domicile travail, assimilés à des accidents de travail), les partenaires sociaux de la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) ont adopté le 5 novembre 2003, un code de bonnes pratiques relatif à la prévention du risque routier en mission intitulé « Prévention du risque routier au travail ». Ce code rappelle les dangers liés à l’usage du téléphone en déplacement, en préconisant de proscrire son usage au volant d’un véhicule et ce quel que soit le dispositif technique utilisé. Pour maintenir la relation « entreprise-salarié », il est recommandé aux entreprises de mettre en place un protocole permettant de gérer sans danger les communications téléphoniques nécessaires.
L’action prioritaire des services d’inspection du travail prévue en 2011 sur le risque routier pourrait être l’occasion de recueillir suffisamment d’éléments de terrain et de réfléchir à l’introduction d’une réglementation spécifique dans le Code du travail.
Le groupe d’experts recommande de valoriser les initiatives privées visant à définir les bonnes pratiques de l’utilisation du téléphone lors des déplacements professionnels, qu’elles proviennent des assureurs, des entreprises ou de branches professionnelles et de rappeler les risques juridiques liés à la responsabilité civile et pénale tant du salarié que de l’employeur. Il s’agit de faire prendre conscience de l’intérêt d’un usage raisonné de l’outil téléphone et des systèmes de communications embarqués, lors des déplacements professionnels, inscrit dans un protocole défini par l’entreprise. Constituant un enjeu de sécurité au travail, cette question doit être intégrée dans les plans d’action réglementaires élaborés par les entreprises et issus de l’évaluation des risques professionnels, mais également dans les Plans de déplacement des entreprises (PDE) quand ils existent.

Études sur les risques liés à l’usage du téléphone et des autres technologies de communication

La grande majorité des études épidémiologiques ayant permis de mettre en évidence l’existence d’un risque associé à l’usage du téléphone mobile au volant ont été menées dans d’autres pays que la France avec un contexte routier différent (véhicules, infrastructures...). Ces études déjà anciennes ne permettent pas, d’une part de connaître l’évolution des usages, d’autre part d’évaluer tant les risques liés aux autres technologies de l’information et de la communication que les risques pour les autres usagers de la route que les automobilistes.

Évaluer l’évolution des différents usages du téléphone et des autres dispositifs embarqués

La téléphonie mobile est un secteur où la diffusion des innovations est très rapide. Des nouveaux concepts téléphoniques avec de nouveaux services arrivent sur le marché. L’appropriation et l’utilisation au volant de ces produits pourront s’avérer différentes selon les caractéristiques des conducteurs. Une meilleure connaissance des usages du téléphone et de leur évolution dans le temps permettra de répondre aux questions fondamentales que sont : « pourquoi, quand, où et comment les conducteurs utilisent leur téléphone au volant ? » afin d’évaluer l’exposition des conducteurs à la distraction liée à ces usages.
Par ailleurs, les études concernant l’usage combiné du téléphone avec d’autres systèmes embarqués font défaut. En effet, les systèmes d’aide à la conduite se multiplient, qu’il s’agisse de régulateur/limiteur de vitesse adaptatifs ou non, de dispositifs d’évitement de sortie de voie, d’anticollision... On peut s’interroger sur le fait que ces systèmes, qui facilitent la tâche de conduite, puissent également encourager les conducteurs à utiliser davantage leur téléphone au volant.
Afin de mieux connaître les pratiques réelles et leurs conséquences, deux méthodes d’observation de la prévalence des usages existent : l’observation par un enquêteur à des points stratégiques routiers et l’enquête par questionnaire réalisée sur des échantillons aléatoires. La première méthode donne une prévalence instantanée de l’usage du téléphone tenu à la main, la deuxième permet d’obtenir une prévalence habituelle et de préciser les caractéristiques des utilisateurs et les types d’usages du téléphone.
Le groupe d’experts recommande de suivre l’évolution de la prévalence en France de l’usage du téléphone mobile et des autres technologies de l’information et de la communication, en situation de conduite ainsi que les différents modes d’usage (éventuellement combinés avec les systèmes d’aide à la conduite) en termes de fréquence, de type d’usage (appel, réponse, SMS, Internet), de situations d’usage et de motif d’appel.

Évaluer l’enjeu accidentel associé à l’usage du téléphone et des technologies de l’information et de la communication en France

L’utilisation du téléphone et des technologies de l’information et de la communication au volant est par nature, et relativement à la situation de conduite, une activité intermittente. Son possible effet perturbateur sur la conduite l’est donc également. La façon de mesurer cette exposition détermine en grande partie le type de recherche à mettre en place afin d’obtenir des estimations fiables des risques associés à cette pratique.
Ainsi, seules des informations accidentologiques telles que la part de responsabilité du conducteur et le moment et la durée des appels téléphoniques passés au volant relativement au moment de l’accident (obtenus soit auprès des opérateurs de téléphonie mobile, soit auprès des conducteurs eux-mêmes) permettraient des comparaisons entre « période exposée » et « périodes témoins » pour un même conducteur ou encore entre conducteurs « responsables » et conducteurs « témoins », et donc d’obtenir les estimations des risques.
Le groupe d’experts recommande la réalisation d’études permettant de mesurer en France le risque d’accident lié à l’usage du téléphone et des autres technologies de l’information et de la communication et d’estimer le nombre de victimes attribuable à ce risque.

Estimer le risque lié à l’usage du téléphone et des autres technologies de l’information et de la communication par les piétons et les deux-roues

Le caractère nomade du téléphone le rend utilisable à tout moment de la vie quotidienne, quel qu’en soit le contexte. De fait, les conducteurs de tout type de véhicule, y compris les deux-roues (motorisés ou non) sont concernés par l’usage du téléphone sur la route, ainsi que les piétons, usagers non pris en compte dans le cadre de cette expertise. Les études manquent sur les risques encourus par ces populations lorsqu’elles font usage d’un téléphone lors de leurs déplacements.
Les différentes méthodologies d’étude évoquées pour les conducteurs de voiture peuvent être utilisées pour ces catégories d’usagers de la route.
Le groupe d’experts recommande de faire des études ciblées sur les accidents impliquant des piétons, des cyclistes et des deux-roues motorisés sur la voie publique, de façon à estimer le risque d’accident lié à l’usage du téléphone et des autres technologies de l’information et de la communication par ces usagers de la route.

Impact des technologies d’information et de communication sur l’activité de conduite

Si l’impact sur la conduite de l’utilisation du téléphone pour converser a été bien étudié, en revanche les effets des nouveaux usages qui se développent (écrire des SMS, interroger Internet...) ne sont pas connus. Sachant que le fait de manipuler un téléphone ou un clavier pour numéroter, décrocher/raccrocher, lire ou écrire des SMS... ajoute à la distraction cognitive un détournement du regard de la scène routière (entraînant de fait l’interruption momentanée du traitement des informations en provenance de l’environnement routier), on peut s’interroger sur les perturbations engendrées par les nouveaux services de téléphonie mobile.
Certaines théories sur les processus attentionnels mis en jeu dans la conduite d’un véhicule supposent que le conducteur va adapter son comportement à la situation, par exemple en ralentissant lorsqu’il téléphone. Les données sont actuellement insuffisantes pour valider cette hypothèse.
Par ailleurs, des outils technologiques qui permettraient de gérer les communications téléphoniques en fonction de la situation de conduite doivent faire l’objet d’une évaluation quant à leur impact sur les capacités attentionnelles du conducteur avant leur mise sur le marché.

Étudier les performances de conduite avec les nouveaux usages possibles du téléphone et des autres technologies d’information et de communication

Les recherches sont encore peu nombreuses sur l’impact des divers types d’usage du téléphone (envoi et réception de SMS, accès Internet...) sur les performances de conduite. De même, peu de données sont disponibles sur les effets, sur la tâche de conduite, de la réception des informations vocales ou visuelles données par un système de navigation ainsi que sur l’utilisation simultanée du téléphone et de différents types d’appareils et systèmes d’aide à la conduite (GPS, limiteur de vitesse...).
Il est intéressant de comprendre comment la tâche de conduite se réalise dans un environnement où les technologies d’information et de communication constituent de multiples sources de distraction susceptibles d’interagir, voire de se renforcer.
Le groupe d’experts recommande d’évaluer, dans des études expérimentales, l’impact sur les performances de conduite de l’usage des nouvelles applications de la téléphonie mobile ainsi que l’usage simultané de différents systèmes.

Mieux comprendre les stratégies d’adaptation des conducteurs en fonction de la conscience du risque

La littérature scientifique actuelle ne permet pas de déterminer en quoi l’usage du téléphone est lié à des ajustements comportementaux de la tâche de conduite, de façon à réduire le risque ou à ne pas déborder ses ressources attentionnelles (par exemple réduction de la vitesse ou augmentation des inter-distances). Elle ne permet pas non plus de comprendre s’il existe des différences individuelles dans la mise en œuvre de ces éventuels ajustements comportementaux, liés par exemple à l’âge, l’expérience de conduite, le genre ou la personnalité des conducteurs.
Les travaux scientifiques sur ce sujet restent limités et les quelques résultats obtenus sont divergents notamment sur la mise en évidence de comportements d’adaptation permettant de compenser les effets négatifs du téléphone sur la conduite. Un effort de recherche est nécessaire, notamment à travers des études en situation réelle, pour valider ou infirmer ces hypothèses.
Le groupe d’experts recommande de réaliser des études sur les stratégies d’adaptation des conducteurs en situation de conversation téléphonique et d’analyser les différences individuelles dans leur mise en œuvre.

Développer des recherches technologiques de gestion des communications

Toute source de distraction est potentiellement néfaste du point de vue de la conduite, en association avec la complexité des situations traversées, la multiplicité des variables à traiter et la sollicitation consécutive des ressources attentionnelles de l’individu. Si l’on fait l’hypothèse que l’usage du téléphone a un impact sur la sécurité de la conduite lorsqu’il se combine avec d’autres paramètres, et notamment avec la rencontre d’une situation critique inattendue, il peut être intéressant de tester des outils qui permettraient de limiter les appels ou d’alerter le conducteur lorsque la situation routière nécessite toutes ses capacités attentionnelles ou lorsque son comportement de conduite dénote un défaut d’attention.
Le groupe d’experts recommande de réaliser des études pour la mise au point de technologies qui pourraient permettre : le filtrage des appels entrants en fonction d’un diagnostic en temps réel du contexte de conduite ; l’alerte du conducteur en approche d’une situation critique ;  le diagnostic des défauts d’attention du conducteur pouvant conduire à un désinvestissement prolongé de la conduite.

Évaluation socio-économique de différentes mesures

Peu de travaux ont été réalisés sur l’évaluation des mesures prises contre l’usage du téléphone au volant. Les rares travaux existants ont été menés dans les pays anglo-saxons (États-Unis, Canada, Australie). Or, il est problématique de transférer des résultats d’un espace à un autre, compte tenu du rôle important joué par les contextes socio-culturels en matière de conduite. Par ailleurs, beaucoup de ces travaux sont déjà anciens et font donc référence à des usages du téléphone qui ont beaucoup évolué depuis, tant en volume qu’en type d’usage. Des évaluations économiques et d’impact sur les comportements des mesures réglementaires de l’usage du téléphone au volant sont donc nécessaires en France et plus largement en Europe.

Évaluer l’impact de la législation et des autres mesures de sécurité routière sur l’usage du téléphone au volant

Faute d’études ad hoc sur l’impact de la législation sur les comportements des conducteurs, il est difficile de concevoir une réorientation de l’action publique existante. Mais, pour prendre pleinement la mesure de l’action publique développée dans ce domaine, il ne suffit pas d’évaluer l’impact de la loi actuelle. Il convient de réinsérer la réglementation existante dans une gamme d’actions plus large, alliant le contrôle-sanction, l’éducation à la conduite et les équipements existants.
Le groupe d’experts recommande d’engager des évaluations a posteriori des dispositifs réglementaires existants, notamment de l’impact de la réglementation et de l’ensemble des mesures concomitantes visant à pallier les comportements à risque (campagnes de communication, application des sanctions par les forces de l’ordre, éducation...). Des outils tels que les méthodes d’évaluation pluraliste ou d’évaluation participative peuvent être utiles pour cela.

Étudier la faisabilité et l’acceptabilité sociale des mesures concernant l’usage des technologies d’information et de communication au volant

S’il est souhaitable d’évaluer les mesures existantes et envisagées au regard de leur impact sur les comportements des usagers, sur l’accidentologie ou sur l’économie globale, il convient également d’évaluer l’acceptabilité de ces mesures par ceux qui en sont les destinataires intermédiaires (policiers de la route, par exemple) et finaux (les conducteurs et plus largement l’opinion publique). On sait que l’efficacité d’une politique publique et sa pérennité dépendent de l’acceptation de ceux à qui elle est destinée comme de la motivation de ceux qui sont chargés de la mettre en œuvre.
Le groupe d’experts recommande de développer des études sur la « faisabilité » et l’« acceptabilité » individuelle, sociale et professionnelle des mesures réglementaires envisagées, des solutions technologiques restreignant les appels en voiture et des chartes professionnelles.
Différentes méthodologies d’études peuvent alors être utilisées : des expérimentations in situ (y compris des technologies sociales, par exemple à travers l’analyse des conditions de travail des professionnels sur la route et de leur besoin de communiquer) ou des approches de type « économie expérimentale ».

Étudier les aspects économiques des différentes mesures concernant le téléphone au volant

Quelques études réalisées à la fin des années 1990 et au début des années 2000 (États-Unis) ont évalué un rapport coût-bénéfice de l’usage du téléphone et montrent au mieux qu’il y a équilibre entre les gains (au sens de la valorisation économique des accidents évités) et les pertes (au sens de la valorisation économique des appels téléphoniques non réalisés). Toutefois, une étude réalisée au Canada (Alberta) en 2009 suggère qu’à certaines conditions, une interdiction du téléphone au volant pourrait être intéressante d’un point de vue socio-économique.
Dans tous ces travaux, les incertitudes et les biais sont nombreux et donc les résultats sont à prendre avec précaution. Mais, tous pointent que le résultat final dépend de fait d’un seul paramètre : la valorisation des appels téléphoniques.
Les études socio-économiques ont porté sur le téléphone à la main et pas sur le système mains-libres. Une étude particulière sur la valeur des appels passés depuis un système mains-libres constituerait une référence internationale. L’hypothèse sous-jacente est que la valeur des appels passés depuis un appareil plus coûteux serait aussi plus élevée.
Le groupe d’experts recommande de réaliser en France un bilan socio-économique des réglementations concernant l’utilisation du téléphone pendant la conduite, ce qui suppose de réaliser une évaluation de la valeur économique des appels passés pendant la conduite.

Étudier la faisabilité et l’intérêt de réglementer l’usage du téléphone au volant par différentes stratégies financières d’incitation

Un instrument usuel d’orientation des pratiques de déplacements est la régulation par les prix. Renchérir un itinéraire ou un mode de transport conduit à changer son choix de mode ou d’itinéraire. À l’inverse, réduire le tarif des péages autoroutiers ou des tarifs aériens et ferroviaires aux heures creuses conduit une partie des usagers potentiels à se déplacer sur ces créneaux moins contraints.
Ainsi, un renchérissement du coût des appels téléphoniques, s’il n’est pas marginal, doit conduire à une baisse de l’usage du téléphone. Or, les évolutions de la tarification en matière de téléphone portable sont au contraire à la baisse.
Une tarification spéciale des communications émises ou reçues à partir d’un véhicule en mouvement devrait conduire à une moindre utilisation du téléphone au volant, voire à une utilisation limitée aux appels « juste nécessaires ». Cela suppose également qu’il serait techniquement possible de différencier les appels émis et reçus par le conducteur de ceux des passagers.
Le groupe d’experts recommande de mettre à l’étude différentes stratégies d’incitation au bon usage (par exemple une régulation par les prix), afin d’orienter les pratiques vers plus de sécurité. Une des pistes est de limiter l’utilisation aux appels « utiles », à travers un renchérissement des appels passés ou reçus dans un véhicule en mouvement. Une autre piste serait une charte entre assureur et conducteur avec incitation financière pour bonne conduite.

Copyright © 2011 Inserm