Évolutions temporelles des altérations de la fonction de reproduction humaine
2011
2-
Qualité du sperme
Dès les années 1970 aux États-Unis, certains médecins se sont inquiétés d’une éventuelle diminution de la qualité du sperme (Nelson et Bunge, 1974

), cette question ne suscitant par la suite que de très rares commentaires ou recherches. En 1992, une méta-analyse de 61 articles publiés entre 1938 et 1990 rapporte l’évolution séculaire des valeurs de la concentration spermatique de près de 15 000 hommes en bonne santé et/ou fertiles (Carlsen et coll., 1992

). Il ne s’agit pas d’un suivi de cohorte mais d’une analyse écologique d’études qui ont chacune décrit les caractéristiques spermatiques d’hommes recrutés à une période donnée. Pendant la période considérée, la concentration des spermatozoïdes diminuait de 1 % environ par an, de 113 millions par ml en moyenne dans les années 1930 à 66 millions par ml en moyenne 50 ans plus tard. Cette étude a été très discutée ; de multiples biais concernant la sélection des sujets, l’hétérogénéité géographique des populations considérées (biais de confusion), l’erreur de mesure sur les caractéristiques spermatiques, ainsi que des aspects concernant la méthodologie statistique ont été évoqués (revue dans Jouannet et coll., 2001

).
L’étude fut par la suite réactualisée selon une méthodologie légèrement différente avec l’inclusion de 40 publications supplémentaires portant sur une période plus longue (Swan et coll., 1997

). Selon l’auteur de cette étude, l’ajout de ces publications et le traitement des données permettant de prendre en compte l’origine géographique des sujets, rendant moins probable un biais de confusion lié aux caractéristiques géographiques, confirmait la baisse de la concentration spermatique aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe.
Données en France
Une des conséquences majeures de ces travaux est d’avoir stimulé un effort de recherche sans précédent dans le domaine. Ainsi, par exemple, de nombreuses équipes ont analysé les données dont elles disposaient pour confirmer ou non la baisse de la qualité du sperme. En 1994, par exemple, une équipe française, l’équipe du Cecos (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain) de Bicêtre, entreprit l’analyse des caractéristiques du sperme des hommes qui avaient été candidats à un don de sperme depuis 1973 dans ce centre ; l’intérêt de cette approche était de pouvoir étudier une population moins sélectionnée et homogène d’hommes féconds d’âge pas trop éloignés et recrutés dans les mêmes conditions au fil des ans. Les résultats concluaient à une baisse significative des caractéristiques du sperme dans cette population d’hommes féconds vivant en région parisienne (tableau 2.I

). De 1973 à 1994, la chute de la concentration des spermatozoïdes était de l’ordre de 1,6 % par an en moyenne, le nombre total de spermatozoïdes dans l’éjaculat, meilleur reflet de la production testiculaire, avait diminué d’un tiers pendant la même période, enfin, il existait une diminution significative du pourcentage de spermatozoïdes mobiles et morphologiquement normaux (Auger et coll., 1995

). À l’inverse dans une population de même type, une telle diminution séculaire n’était pas retrouvée dans le sud de la France mais la production moyenne de spermatozoïdes était plus basse qu’à Paris dès le début de l’étude mettant en évidence l’existence de différences régionales (Bujan et coll., 1996

).
Données dans le monde
Depuis la moitié des années 1990, une trentaine d’autres études rétrospectives longitudinales ont été réalisées dans divers laboratoires. Certaines ont confirmé la baisse, d’autres non (tableau 2.I

). L’interprétation des résultats est difficile pour la majorité d’entre elles.
Tableau 2.I Aperçu des études rétrospectives sur la qualité du sperme publiées depuis 1995 : lieux, périodes d’étude, populations étudiées, facteurs d’ajustement, résultats principaux
Étude
Lieu
|
Période
|
Nombre d’hommes (nb moyen/an)
|
Type de population
|
Prise en compte des covariables âge, délai d’abstinencea
|
Concentration spermatozoïdesb
|
Autres caractéristiquesc
|
Années 1960/1970
| | | | | | |
Auger et coll., 1995
Paris (France)
|
1973-1992
|
1 351 (68)
|
CDSNS, pères
|
2
|
↓d
|
NSvol ↓mob ↓morph
|
Bujan et coll., 1996
Toulouse (France)
|
1977-1992
|
302 (19)
|
CDSNS, pères
|
1
|
NS
|
ND
|
Vierula et coll., 1996
Turku (Finlande)
|
1967-1994
|
5 481 (196)
|
SFI et INF
|
2
|
NS
|
↓vol
|
Menchini Fabris et coll., 1996
Pise (Italie)
|
1970-1990
|
4 518 (215)
|
INF
|
0
|
↓
|
ND
|
Adamopoulos et coll., 1996
Athènese (Grèce)
|
1977-1993
|
2 385 (88)
|
INF
|
1
|
↓j
|
ND
|
Van Waeleghem et coll., 1996
Gand (Belgique)
|
1977-1995
|
416 (22)
|
CDSNS, SFI
|
0
|
↓
|
NSvol ↓mob ↓morph
|
Nieschlag et Lerchl., 1996
Münster (Allemagne)
|
1977-1993
|
187 (11)
|
DR
|
0
|
NS
|
ND
|
Fisch et coll., 1996
New York (EU)
|
1972-1994
|
400 (17)
|
PREV, pères et SFI
|
2
|
↑
|
NSvol NSmob
|
Fisch et coll., 1996
Los Angeles (EU)
|
1978-1994
|
221 (13)
|
PREV, SFI
|
2
|
↑
|
NSvol NSmob
|
Paulsen et coll., 1996
Seattle (EU)
|
1972-1993
|
510 (23)
|
DR
|
0
|
NS
|
NSvol NSmorph
|
Zheng et coll., 1997
Danemark
|
1968-1992
|
8 608 (344)
|
INF
|
2
|
↓d
|
NSvol ↓morph
|
Itoh et coll., 2001
Sapporo (Japon)f
|
1975-1998
|
711 (30)
|
SFI++ et pères
|
0
|
NS
|
NSvol
|
Années 1980
| | | | | | |
De Mouzon et coll., 1996
Franceg
|
1989-1994
|
7 714 (482)
|
PFOT
|
0
|
↓
|
ND
|
Irvine et coll., 1996
Edimbourg (RU)
|
1984-1995
|
577 (48)
|
DR, pères et SFI
|
0
|
↓d
|
ND
|
Berling et Wolner-Hanssen, 1997
Suède sud
|
1985-1995
|
718 (65)
|
INF
|
1
|
↑
|
↓vol ↑mob ↑morph
|
Benshushan et coll., 1997
Jérusalem (Israel)
|
1980-1995
|
188 (12)
|
CDSNS, SFI
|
0
|
NS
|
↑vol ↓mob
|
Handelsman 1997
Sydney (Australie)
|
1980-1995
|
509 (32)
|
CDSNS, pères
|
0
|
NS
|
ND
|
Younglai et coll., 1998
Canadah
|
1984-1996
|
48 968 (3 766)
|
INF
|
0
|
↓
|
ND
|
Seo et coll., 2000
Corée
|
1989-1998
|
22 249 (2 225)
|
INF
|
0
|
NS
|
NSvol NSmob
|
Années 1990
| | | | | | |
Rasmussen et coll., 1997
Odense (Danemark)
|
1990-1996
|
1 055 (151)
|
PFOT
|
0
|
NS
|
NSvol
|
Almagor et coll., 2003
Jérusalem (Israel)
|
1990-2000
|
2 638 (240)
|
INF
|
0
|
↓
|
↓mob
|
Sripada et coll., 2007
Écosse nord (RU)
|
1994-2005
|
4 832 (403)
|
INFi
|
2
|
↓
|
NSmob
|
Feki et coll., 2009
Sfax (Tunisie)
|
1996-2007
|
2 940 (245)
|
INF
|
2
|
↓
|
NS mob ↓ morph
|
CDSNS : candidats au don de spermatozoïdes non sélectionnés ; SFI : statut de fertilité inconnu ; INF : infécond ; DR : Donneur de sperme pour la recherche ; PREV : pré-vasectomie ; PFOT : partenaires de femmes avec obstruction tubaire.
a 0 : aucun ajustement, 1 : ajustement sur âge ou délai d’abstinence, 2 : ajustement sur âge et délai d’abstinence ; b ↓ diminution significative, ↑ augmentation significative, NS pas de différence significative ; c vol : volume de l’éjaculat, mob : % de spermatozoïdes progressifs, morph : % de spermatozoïdes morphologiquement normaux ; d baisse avec année naissance plus récente ; e Nombre total de spermatozoïdes mesuré dans 3 laboratoires différents à Athènes ; f Comparaisons de deux périodes 1975-80 vs 1998 ; g Résultats de 77 centres ; h Résultats de 11 centres d’exploration des infertilités du couple ; i sélection des hommes ayant plus de 20 millions/ml spermatozoïdes ; j Nombre total de spermatozoïdes par éjaculat
Différences géographiques
La confrontation des résultats des études portant sur les variations séculaires de la qualité du sperme indique des variations notables de la qualité moyenne du sperme humain d’une région du monde à l’autre dans des sous-populations grossièrement comparables (Carlsen et coll., 1992

; Swan et coll., 1997

). Ces différences ont fait émerger le postulat qu’indépendamment de facteurs génétiques ou ethniques, ces variations pouvaient aussi être liées à des facteurs environnementaux. Des études épidémiologiques de type transversal ont été menées afin de rechercher s’il existe des variations géographiques de la production des spermatozoïdes et de la qualité du sperme en relation avec un certain nombre de facteurs relatifs aux antécédents, au style de vie, à l’environnement général ou professionnel des hommes. La première recherche programmée de manière spécifique sur le sujet a été financée par l’Union Européenne. Elle a été menée dans 4 villes européennes : Turku (Finlande), Copenhague, Edimbourg et Paris. Les hommes recrutés étaient tous partenaires de femmes enceintes (donc ayant en principe fait récemment la preuve de leur fertilité). Les méthodes d’analyse de sperme utilisées dans les 4 centres étaient standardisées et ont fait l’objet d’un contrôle de qualité. Les principaux facteurs susceptibles de biaiser les résultats comme l’âge ou le délai d’abstinence sexuelle précédant l’examen, ont pu être pris en compte dans l’analyse. Cette étude a mis en évidence des différences importantes de la quantité des spermatozoïdes ; elle était la plus faible à Copenhague et la plus élevée à Turku (Jorgensen et coll., 2001

). En procédant à une analyse détaillée ville par ville, il a été trouvé que par rapport à Turku le nombre de spermatozoïdes était significativement plus bas dans les trois autres villes ; en revanche, la mobilité des spermatozoïdes était plus faible à Paris que dans les autres villes. Depuis, plusieurs études fondées sur une méthodologie similaire ont été publiées (tableau 2.II

). La majorité d’entre elles indique des différences géographiques de la production et de la qualité spermatique d’une part avec des niveaux de productions spermatiques assez faibles lorsqu’il s’agit des sujets étudiés les plus jeunes, notamment au Danemark. Pour l’essentiel ces études en dépit de questionnaires très détaillés ne rapportent pas d’associations avérées avec des facteurs de l’environnement.
Tableau 2.II Principales études sur les variations géographiques de la production et/ou de la qualité spermatique publiées depuis 1995 : lieux, périodes d’étude, populations étudiées, facteurs d’ajustement, résultats
Étude
Lieux
|
Période
|
Type d’étude
|
Type de population
|
Prise en compte de covariables âge, délai d’abstinence
|
Différences
|
Auger et Jouannet, 1997  France
Lille/Rennes/Caen/Paris/ Bordeaux/Grenoble/ Toulouse
|
1973-1992
|
Rétrospective
|
CDSNS, pères
N=
|
oui
|
≠vol ≠conc
≠mob (morphND)
|
Fisch et coll., 1996
États-Unis
Californie/Minnesota / New York
|
1972-1994
|
Rétrospective
|
CDSNS, PREV, SFI
N=400
|
non
|
≠conc
|
Jorgensen et coll., 2001
Europe
Edimbourg/Turku/ Copenhague/ Paris
|
1977-1992
|
Transversale
|
PFEa
N=1 082
|
oui
|
ND
|
Iwamoto et coll., 2006
Japon (Kawasaki/Yokohama vs Europe (étude précédente)
|
1998
|
Transversale
|
PFE
N=324
|
oui
|
≠conc ≠ntot
≠mob ≠morph
|
Swan et coll., 2003
États-Unis
|
1999-2001
|
Transversale
|
PFE
N=512
|
oui
| |
Jorgensen et coll., 2002
Danemark/Norvège/ Finlande/Estonie
|
1997-2000
|
Transversale
|
Cb, HPG
N=968
|
oui
|
≠conc ≠ntot
(gradient est-ouest)
|
Punab et coll., 2002
Lithuanie/Estonie vs étude précédente
|
1997-1999
|
Transversale
|
C+HPG
N=393
|
oui
|
≠conc ≠ntot
conc et ntot > valeurs dans l’étude précédente
|
Tsarev et coll., 2005
Lettonie vs études précédentes
|
2004
|
Transversale
|
C
N=133
|
non
|
=conc études précédentes sauf vs Danemark
|
Dhooge et coll., 2007
Flandres
Anvers (ville)
Peer (campagne)
|
1970-1990
|
Transversale
|
HPGc, SFVd
N=100
|
non
|
=vol =conc ≠ntot ≠morph
|
Paasch et coll., 2008
Allemagne
Hambourg/Liepzig
|
2003-2005
|
Transversale
|
C? SFI
N=811
|
non
|
=conc ≠mob
≠morph
|
a PFE : volontaires, partenaires de femme enceinte ; b C : Conscrits ; c HPG : hommes volontaires de la population générale 20-40 ans tirés au sort contactés par courrier ; d SFV : statut de fertilité variable ; SFI : statut de fertilité inconnu
CDSNS : candidats au don de spermatozoïdes non sélectionnés ; PREV : pré-vasectomie ; vol : volume de l’éjaculat ; conc : concentration du sperme ; mob : % de spermatozoïdes progressifs ; morph : % de spermatozoïdes morphologiquement normaux ; ntot : nombre total de spermatozoïdes
Limites des études rétrospectives et transversales portant sur la qualité du sperme
Les tableaux précédents montrent bien la diversité des populations d’hommes étudiés, ainsi que la variabilité dans les choix méthodologiques ou encore la taille des échantillons. Quelles que soient les populations étudiées, il existe de possibles biais de sélection. Par exemple, il peut s’agir de la modification du recrutement du à la mise en place de nouvelles pratiques d’AMP (assistance médicale à la procréation), telle que l’ICSI
(Intra Cytoplasmic Sperm Injection), dans les laboratoires analysant le sperme d’hommes inféconds ou bien, existence d’antécédents génito-urinaires chez des hommes féconds les incitant à être volontaires pour participer à des études sur le sperme (Eustache et coll., 2004

; Muller et coll., 2004

). Il est à noter que dans ce dernier cas les taux de participation sur le nombre d’hommes informés est faible, entre 15 et 40 % au mieux, selon les études. Dans bien des cas, les sujets sont auto-sélectionnés et on ne dispose pas de l’estimation du taux de participation.
D’autre part, il faut souligner que les données portant sur le sperme et provenant de laboratoires différents ne peuvent être considérées ni comme des données exactes ni comme des données strictement comparables. En effet, l’analyse du sperme correspond à un ensemble de procédures de laboratoire complexes dont la plupart repose sur l’évaluation microscopique dépendant de la compétence des équipes. Les formations initiales et continues des professionnels ont un rôle capital tout comme le degré d’expérience pour la qualité des résultats produits (Auger et coll., 2000

; Eustache et Auger, 2003

). De plus, du fait du caractère manuel de la plupart des procédures au laboratoire de biologie de la reproduction, le contrôle de qualité (CQ) des analyses biologiques est encore plus indispensable que pour les autres actes de biologie médicale essentiellement effectués à l’aide d’automates. Enfin, les conclusions d’une analyse doivent absolument tenir compte de l’erreur de mesure. En effet les valeurs produites de concentration (en millions/ml), mobilité ou morphologie typique se fondent sur une évaluation d’un nombre limité de spermatozoïdes (de l’ordre d’une ou plusieurs centaines quand cela est possible). En raison de ce petit nombre et également de l’hétérogénéité du sperme, le postulat que le petit échantillon de spermatozoïdes à partir desquels ces caractéristiques ont été évaluées est représentatif de l’ensemble de l’échantillon ne peut s’appliquer : en fonction du nombre de spermatozoïdes évalués il y a une erreur de comptage plus ou moins importante et une incertitude plus ou moins grande autour de la valeur fournie.
Il existe d’autres facteurs de variation, facteurs peu contrôlables lorsqu’ils sont liés à la situation dans laquelle les éjaculats sont produits. Pour des conditions données de recueil, des facteurs tels que l’âge, le délai d’abstinence sexuel, sont des covariables contrôlables qui devraient systématiquement être collectées et prises en compte dans les analyses statistiques ce qui n’a pas été le cas pour un certain nombre d’études publiées (voir tableaux 2.I

et 2.II

).
Qu’est-ce qui pourrait expliquer une détérioration temporelle des caractéristiques spermatiques ?
Dans une lettre au journal
Epidemiology, Czeizel et Rothman (2002)

avaient suggéré qu’une telle diminution de la pression de sélection envers les couples peu fertiles était plausible, du fait de la diminution de la taille de la descendance souhaitée par les couples au cours du 20
e siècle ; la diminution de la taille des familles (fécondité) des couples fertiles pourrait entraîner une baisse du nombre total de nouveau-nés et donc, mécaniquement, une augmentation de la proportion d’enfants nés de couples peu fertiles dans la population. Si on suppose que l’hypofertilité a une composante héréditaire forte, cette augmentation de la proportion d’enfants nés de couples peu fertiles entraînerait une augmentation de la proportion de sujets ayant eux-mêmes des troubles de la fertilité (Czeizel et Rothman, 2002

). Il a été montré, à partir des données de fécondité française, que cette hypothèse n’était pas compatible avec les données sur l’évolution de la fécondité (descendance finale) en France au cours du 20
e siècle, et que l’évolution de la pression de sélection sur les couples peu fertiles ne pouvait expliquer qu’une très faible part de la diminution de la concentration spermatique décrite dans la seconde moitié du 20
e siècle (Slama et Leridon, 2002

).
De nombreuses études épidémiologiques se sont attachées à mettre en évidence l’impact de facteurs environnementaux sur la concentration spermatique, avec parfois comme objectif affiché d’identifier celui susceptible d’expliquer une diminution de la médiane de la concentration spermatique d’environ 50 % en 50 ans. Les résultats les plus probants concernent notamment des expositions professionnelles (Jensen, et coll., 2006

), et notamment l’exposition professionnelle au pesticide DBCP (dibromochloropropane), à des doses probablement élevées, dans les années 1970, qui s’est révélée susceptible d’accroître fortement le risque d’azoospermie (Whorton, et coll., 1977

; Whorton et Foliart, 1988

), l’exposition professionnelle au plomb inorganique (Bonde, et coll., 2002

), à la chaleur, aux rayonnements ionisants ou à d’autres composés chimiques comme les éthers de glycol, le dibromure d’éthylène (autrefois utilisé comme additif dans l’essence et comme pesticide), le disulfide de carbone ou certains pesticides (Perry, 2008

). En population générale, beaucoup de facteurs sont suspectés mais peu de facteurs ont été clairement identifiés ; le surpoids (Jensen, et coll., 2004

), qui peut avoir en partie une origine environnementale (Karmaus et coll., 2009

), et aussi l’exposition au tabac durant la vie intra-utérine. Cette exposition a été associée à une diminution d’environ 20 % de la concentration spermatique à l’âge adulte, par rapport à des hommes dont la mère ne fumait pas lorsqu’elle était enceinte (Jensen et coll., 2005

, Ramlau-Hansen et coll., 2007

). Plus récemment, une étude chez des fœtus a mis en évidence une diminution du nombre de cellules germinales et somatiques dans le testicule lorsque la mère fumait (Mamsen et coll., 2010

).
Un calcul simple (Slama, non publié) peut permettre de considérer ces résultats dans la perspective de la détérioration temporelle de la concentration spermatique. Plaçons-nous dans le cas d’un facteur environnemental apparu au cours du 20
e siècle, auquel aucune femme n’était exposée en 1920 et auquel 40 % des femmes enceintes étaient exposées en 1970 ; supposons de plus que l’exposition intra-utérine à ce facteur entraîne systématiquement une diminution de 20 % de la concentration spermatique, que la concentration spermatique des hommes âgés de 30 ans en 1950 était de 100 millions/ml. Ces hypothèses sont proches des connaissances actuelles sur l’effet de l’exposition intra-utérine au tabac. Supposons enfin que la prévalence d’aucun autre facteur influençant la concentration spermatique ne varie au cours du 20
e siècle. On peut alors estimer que la concentration spermatique moyenne des hommes âgés de 30 ans en 2000 serait de 92 millions/ml (tableau 2.III

). Ceci correspond à une diminution de 8 % de la concentration spermatique moyenne en 50 ans.
Tableau Tableau 2.III Exemple hypothétique de la variation de la concentration spermatique moyenne entre 1950 et 2000 chez les hommes de 30 ans (nés en 1920 et 1970) du fait de l’augmentation de la prévalence d’un facteur environnemental chez les femmes enceintes
Année
|
Prévalence de l’expositiona
(%)
|
Concentration spermatique (millions/ml)
|
Non exposés
|
Exposés
|
Ensemble
|
1920
|
0
|
100
|
80
|
100 × 1 + 0 × 80 =100
|
1970
|
40
|
100
|
80
|
100 × 0,6 + 80 × 0,4=92
|
a Fréquence de l’exposition chez les femmes enceintes l’année considérée. Le facteur est supposé diminuer de 20 % la concentration spermatique chez tous les hommes exposés in utero (Slama, communication personnelle)
Cet exemple fait apparaître qu’un facteur ayant une influence conséquente sur la concentration spermatique au niveau individuel (–20 %) et dont la prévalence aurait fortement augmenté durant 50 ans (+40 %) ne pourrait entraîner qu’une relativement faible diminution de la concentration spermatique. Il faut donc supposer l’existence d’un nombre important de facteurs dont la prévalence aurait fortement augmenté sur la même période pour attendre une diminution de la concentration spermatique de l’ordre de grandeur de 50 %. Ceci illustre d’une part qu’à moins de supposer l’existence d’un facteur ayant un impact majeur au niveau individuel (par exemple une oligozoospermie quasi-systématique) et dont la prévalence aurait considérablement augmenté au cours des dernières décennies, c’est plutôt un ensemble de facteurs ayant chacun un impact limité au niveau individuel et agissant simultanément, voire en synergie, qui pourrait expliquer une diminution conséquente de la concentration spermatique au sein de la population. D’autre part, cet exemple incite à adopter une approche réellement multifactorielle en épidémiologie, c’est-à-dire qui ne se contenterait pas de prendre en compte des facteurs de risque connus de l’événement étudié comme facteurs d’ajustement, mais qui viserait à estimer l’effet simultané d’un ensemble de facteurs environnementaux. La toxicologie est en train de prendre un tel virage (Kortenkamp, 2007

et 2008

; Kortenkamp et coll., 2007

) ; pour l’épidémiologie, les défis posés par une telle approche concernent bien sûr en premier lieu l’estimation des expositions, mais aussi l’augmentation considérable de la taille de la population étudiée qu’une caractérisation précise de l’effet du mélange impliquerait probablement.
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