Bisphénol A
2011
ANALYSE |
29-
Mécanismes d’action
Le bisphénol A (BPA) est un agoniste faible des œstrogènes pouvant se lier aux récepteurs nucléaires des œstrogènes α et β (ERα et β) et activer une réponse qui a été largement considérée comme la source de ses « effets » indésirables dans (certaines) études animales. Cependant, le BPA présente plusieurs milliers de fois moins d’affinité pour ERα et β que l’œstradiol. Certaines études in vitro ont montré également que le BPA a des effets anti-androgéniques et peut se lier au récepteur des androgènes (AR) (Sun et coll., 2006), mais les preuves d’effets antiandrogéniques in vivo chez l’animal sont rares ou absentes (Kobayashi et coll., 2002 ; Tyl et coll., 2002 ; Howdeshell et coll., 2008). Plus récemment, des liaisons du BPA à d’autres récepteurs nucléaires ou membranaires ont été démontrées.
Récepteurs nucléaires des œstrogènes alpha et bêta
Le BPA avec ses deux noyaux phénoliques a un mode de liaison à ERα et β similaire à celui de l’œstradiol (E2) (figure 29.1). Cependant son affinité est 10 000 fois plus faible que celle de l’œstradiol et est similaire pour les deux récepteurs (Kuiper et coll., 1998).
Figure 29.1 Structures chimiques de l’œstradiol (E2), du diéthylstilbestrol (DES) et du bisphénol A (BPA) |
Le BPA est considéré comme un Selective Estrogen Receptor Modulator (SERM). Les SERM sont souvent des molécules à activité agoniste partielle. Cette activité varie selon le promoteur du gène étudié, selon le contexte cellulaire (in vitro) ou l’organe considéré (in vivo). Cet agonisme partiel a été étudié par Gould (Gould et coll., 1998) qui a par exemple montré qu’in vitro le BPA est moins actif que E2 sur ERα délété de son domaine d’activation constitutive AF-1. Les travaux de Sumpter (Routledge et coll., 2000) ont montré que le recrutement de co-facteurs transcriptionnels différait entre E2 et BPA. Enfin, en lien avec cette activité d’agoniste partiel, certaines réponses in vivo de l’œstradiol dans l’utérus de souris ne sont pas observées avec le BPA comme l’augmentation du poids de l’utérus alors que d’autres sont maintenues comme une activité peroxydase ainsi qu’une augmentation de l’expression du récepteur de la progestérone (Gould et coll., 1998). Ces résultats ont été confortés par les travaux de Nagel qui ont montré qu’un traitement au BPA augmentait peu la croissance utérine et en revanche activait l’expression d’un gène rapporteur (Nagel et coll., 2001). Au contraire, d’autres SERM comme l’hydroxy-tamoxifène utilisé pour le traitement du cancer du sein est actif sur la croissance utérine et sans effet sur l’activation du gène rapporteur. Le fait que le BPA soit un SERM peut expliquer pourquoi certaines études n’ont pas pu montrer d’effets in vivo de ce composé. Ainsi, le BPA présente à peu près les mêmes effets que E2 au niveau de la prostate de fœtus murins (Timms et coll., 2005). En revanche, ces effets diffèrent beaucoup de ceux de E2 dans l’utérus (Markey et coll., 2001).
Enfin, la faible affinité du BPA pour ERα et β ne permet pas d’expliquer les effets observés à faible dose à la fois in vitro et in vivo. De plus, certaines études ont montré des réponses au BPA qui suivent des courbes non monotones et qui ne peuvent pas être expliquées par une action sur un seul type de récepteur. C’est pour ces raisons que plusieurs groupes de scientifiques ont cherché à identifier d’autres médiateurs des effets du BPA. La liaison du BPA avec des affinités variées à plusieurs récepteurs ayant des actions différentes pourrait expliquer d’une part des effets à faible dose (plus faible que celle permettant la liaison à ERα et β) et d’autre part des effets particuliers suivant la dose. Les différents récepteurs pouvant médier les effets du BPA sont décrits ci-dessous.
Récepteurs des œstrogènes membranaires
Des études récentes ont montré que le BPA pouvait d’une part avoir des effets à des concentrations plus faibles que celles auxquelles il se lie à ERα et β et d’autre part agir très rapidement (quelques minutes) ce qui exclut une action médiée par des récepteurs nucléaires. Des effets dits « non génomiques » pourraient faire intervenir des récepteurs localisés dans le cytoplasme, dans la mitochondrie ou dans la membrane cytoplasmique. Deux types de récepteurs ont été décrits.
Les premiers pourraient être des formes membranaires de ERα et β (mERα et β). La localisation à la membrane de ces récepteurs n’est pas clairement expliquée mais elle pourrait être due à des modifications post-traductionnelles comme la palmitoylation (Hammes et Levin, 2007). Le groupe de Watson a proposé que le BPA pourrait médier une partie des effets par ce type de récepteurs (Watson et coll., 2007a et b, 2010). Les auteurs ont montré que le BPA à des doses très faibles (1 picomolaire) induisait rapidement (en moins d’une minute) l’augmentation de calcium intracellulaire puis la sécrétion de prolactine dans la lignée pituitaire GH3/B6. Ces réponses ne peuvent pas être représentées par une courbe monotone. Egalement observés avec E2, ces effets sont inhibés par un co-traitement avec du fulvestrant (un anti-œstrogène). L’augmentation de calcium intracellulaire à des doses faibles de BPA (0,1-1 nM) a également été observée dans des cellules pancréatiques (Quesada et coll., 2002) ainsi que dans la lignée de cancer du sein MCF-7 (Walsh et coll., 2005). La liaison à des récepteurs des œstrogènes membranaires permet d’expliquer certains des effets rapides (ou non génomiques) du BPA. En revanche, elle ne permet pas d’expliquer les effets à faible concentration. En effet, il est supposé que ces formes membranaires ont la même affinité pour le BPA que les formes nucléaires.
Un deuxième médiateur des effets non génomiques du BPA pourrait être le récepteur transmembranaire couplé aux protéines G, GPR30. Ce récepteur différent des récepteurs nucléaires des œstrogènes est localisé dans le réticulum endoplasmique et il pourrait lier le BPA à faible concentration. Les travaux du groupe de Fénichel (Bouskine et coll., 2008 et 2009) ont montré que le BPA stimulait la prolifération des cellules testiculaires JKT-1. Cet effet est observable aux faibles doses (1 picomolaire) et s’atténue aux fortes doses (courbe en U inversé). Une augmentation de la prolifération des cellules testiculaires JKT-1 est également observée avec de l’œstradiol couplé à de la BSA (dans ce cas, l’œstradiol ne peut pas pénétrer dans la cellule) alors qu’une inhibition est observée avec l’œstradiol non couplé à la BSA. Les cellules testiculaires JKT-1 expriment GPR30 et le récepteur nucléaire des œstrogènes ERβ. ERβ contrairement au récepteur nucléaire ERα inhibe généralement la prolifération cellulaire (Hartmann et coll., 2006 ; Williams et coll., 2008). Dans cette étude, les auteurs proposent que le BPA à faibles concentrations (inférieures au nM) active la prolifération à travers GPR30. En revanche, à fortes concentrations (>1 nM), le BPA se lie également à ERβ qui ayant une action antiproliférative bloquerait les effets activateurs de GPR30 sur la croissance cellulaire. Ainsi, E2 qui se lie avec une bonne affinité aux deux récepteurs (ERβ et GPR30) est plutôt antiprolifératif. Au contraire, l’œstradiol modifié ne pouvant pas pénétrer dans la cellule (couplé à la BSA) se lie uniquement à GPR30 et présente un effet prolifératif. Cette étude illustre bien comment le BPA peut exercer des effets différents en fonction de sa concentration. Il agirait sur au moins deux récepteurs (ici GPR30 et ERβ) en se liant avec des affinités différentes (fortes pour GPR30, faible pour ERβ) qui ont des actions opposées sur une même réponse cellulaire (ici la prolifération).
Le rôle de GPR30 dans la prolifération cellulaire a été confirmé par d’autres études comme celles du groupe de Maggiolini (Albanito et coll., 2007 ; Sirianni et coll., 2008). Ces travaux ont montré dans la lignée spermatogonique GC-1 que E2 ou un ligand sélectif de GPR30 (ligand G1) activait la prolifération cellulaire par un mécanisme non génomique (Sirianni et coll., 2008). Cette équipe a également montré que GPR30 pouvait médier certains des effets de E2 dans des lignées de cancer de l’ovaire ou du sein ER alpha positives ou négatives (Albanito et coll., 2007).
Le rôle de GPR30 dans l’effet de E2 ou du BPA n’est cependant pas admis par l’ensemble de la communauté scientifique. Les travaux d’Otto notamment s’opposent vivement à l’hypothèse que GPR30 puisse médier des effets œstrogéniques (Otto et coll., 2008 et 2009 ; Langer et coll., 2010). Cette équipe a montré in vitro que GPR30 ne liait pas E2, que le ligand spécifique de GPR30, G-1 n’induisait pas de réponses œstrogéniques. De plus, leurs études in vivo ont montré que les souris déficientes en GPR30 (GPR30-/-) ne présentaient pas d’anomalies au niveau du développement des organes cibles de la reproduction (ovaires, utérus, glandes mammaires), de problèmes de fertilité ni de perturbation des réponses œstrogéniques dans l’utérus ou dans la glande mammaire.
Malgré cette controverse, ces résultats indiquent que des effets rapides ou non génomiques du BPA pourraient être médiés par des formes membranaires de récepteurs aux œstrogènes. Le médiateur de ces effets pour les faibles concentrations n’est pas identifié de façon certaine. Les récepteurs membranaires ERα et β sont supposés avoir la même affinité que leurs équivalents nucléaires et l’interaction entre GPR30 et bisphénol A (ainsi qu’avec E2) n’a pas pu être démontré par des techniques biochimiques classiques. L’identification récente de ligands agonistes (Revankar et coll., 2005) et antagonistes (Dennis et coll., 2009) de GPR30 ne se liant pas aux récepteurs nucléaires des œstrogènes α et β et l’étude des effets de ces molécules dans davantage de modèles cellulaires (exprimant ou pas ERα, ERβ nucléaire et membranaire et GPR30) permettra certainement de répondre à ces questions.
Récepteur des androgènes (AR)
Les autres hypothèses pouvant expliquer les effets faibles doses ainsi que les effets non monotones du BPA sont sa liaison à d’autres types de récepteurs nucléaires. Plusieurs études ont montré que le BPA se liait au récepteur nucléaire des androgènes (AR) (Sohoni et Sumpter, 1998 ; Paris et coll., 2002 ; Lee et coll., 2003 ; Xu, 2005 ; Li, 2010). Contrairement aux ERs, le BPA est un antagoniste pour AR et son affinité est de l’ordre du micromolaire. Les effets observés à faible dose pourraient en partie s’expliquer par des action synergiques à travers les récepteurs ER (action agoniste et féminisante) et le récepteur AR (action antagoniste donc antagoniste de l’effet masculinisant). D’autre part, il est à noter que le BPA a une activité agoniste à faibles concentrations (1 à 10 nanomolaire) sur une forme mutée de AR (AR-T877A) associée à des cancers de la prostate résistants aux anti-androgènes (Wetherill et coll., 2002, 2005).
Récepteur relié aux œstrogènes gamma (ERRγ)
Très récemment, le BPA a également été identifié comme un ligand du récepteur ERRγ (Abad et coll., 2008 ; Okada et coll., 2008 ; Li et coll., 2010). Son affinité est de l’ordre de 5 nanomolaire. ERRγ est un récepteur constitutivement activé qui est légèrement activé par le BPA. Bien que les fonctions physiologiques de ERRγ ne soient pas bien connues, le fait que ERRγ puisse se lier sur les mêmes promoteurs de gènes que les récepteurs des œstrogènes (Vanacker et coll., 1999) pourrait expliquer en partie les effets de perturbation endocrine du BPA.
Liaison à d’autres récepteurs nucléaires potentiellement non impliqués dans les effets reprotoxiques du BPA
Des études ont montré que des dérivés halogénés du BPA, le tétra bromo-BPA (TBBPA) et le tétra chloro-BPA (TCBPA) (mais pas le BPA) se liaient aux récepteurs des hormones thyroïdiennes (Kitamura et coll., 2002). Cette étude a également montré que comme l’hormone thyroïdienne T3, le TBBPA et le TCBPA avaient un effet activateur sur la prolifération des cellules pituitaires GH3. Curieusement, l’étude de Sun a plutôt classé ces dérivés comme ayant un effet antagoniste (Sun et coll., 2009) dans un test de gènes rapporteurs. Ces molécules qui semblent se lier aux TR mais avec des niveaux d’activation différents selon les types cellulaires ou les réponses étudiées pourraient être des molécules à activité agoniste partielle ou SnuRM (modulateurs sélectifs des récepteurs nucléaires). Il faut souligner que ces effets (anti)thyroïdiens ne sont observés qu’à fortes concentrations (de 1 à 10 mM).
Les mêmes dérivés halogénés du BPA (Balaguer communication personnelle) ainsi que le BADGE (Wright et coll., 2000 ; Seimandi et coll., 2005) sont des ligands du récepteur PPARγ (Balaguer, communication personnelle) avec une affinité de l’ordre du mM. De nombreuses études ont établi un lien entre exposition au BPA et obésité (Rubin et coll., 2001 ; Masuno et coll., 2005 ; Miyawaki et coll., 2007 ; Somm et coll., 2009). Ces effets pourraient être médiés par PPARγ et être dus au BPA ou à un de ses métabolites. Dans l’étude de Kwintkiewicz et coll. (2010), il est à noter que le BPA induit l’expression de PPARγ. PPARγ comme d’autres gènes impliqués dans la différenciation adipocytaire sont sous le contrôle de ce récepteur. Cependant, cet effet est observable uniquement à forte concentration (1 à 100 mM).
Enfin, le BPA a été identifié comme étant capable d’activer les récepteurs RXR dans un test de gène rapporteur incluant du métabolisme (Li et coll., 2008) et d’augmenter l’expression du récepteur nucléaire Nur77 (Song et coll., 2002 ; Ahn et coll., 2008) qui est impliqué dans la stéroïdogénèse.
En conclusion, l’ensemble de ces résultats indiquent que le bisphénol A et/ou des molécules dérivées sont capables de se lier à différents récepteurs nucléaires ou membranaires. Les affinités de liaison ne sont pas très fortes (excepté pour GPR30 si l’interaction est confirmée) mais des synergies d’action entre récepteurs nucléaires (récepteurs ERα, ERβ et AR) peuvent expliquer des effets à faible dose. D’autre part, le fait que le BPA se lie à des formes membranaires des récepteurs des œstrogènes indique qu’il pourrait également se lier à des formes membranaires d’autres récepteurs nucléaires comme AR (Bonaccorsi et coll., 2008) ou TRα ou β (Iordanidou et coll., 2010).
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