Bisphénol A

2011


ANALYSE

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Conclusions et perspectives de recherche

En dépit de sa faible persistance environnementale, le BPA est présent dans les tissus d’une large majorité de la population générale comme en attestent les mesures effectuées dans les échantillons de plasma ou d’urine. Cette contamination ubiquiste s’explique par les niveaux très élevés de production mondiale de cet agent chimique ainsi que par sa très large utilisation dans les emballages alimentaires, les produits ménagers ou industriels. Une fois absorbé, le BPA est distribué dans l’ensemble de l’organisme et rapidement métabolisé en conjugués inactifs, avant d’être éliminé. Le BPA est capable de franchir les barrières placentaires et hémato-encéphaliques. Les agences d’évaluation du risque considèrent que l’exposition au BPA provient principalement de la contamination des aliments ingérés. L’analyse des données de toxicocinétiques réalisées chez le rongeur, le singe ou l’homme, d’une part et les concentrations observées dans les urines ou le plasma de la population générale d’autre part, font cependant apparaître certaines incohérences, suggérant une sous-estimation de l’exposition ou une surestimation des résidus plasmatiques et/ou urinaires mesurés dans la population humaine.
Les études épidémiologiques portant sur les effets du BPA sur la fonction de reproduction sont peu nombreuses et généralement réalisées à partir d’un effectif modeste. Celles qui ont été conduites chez la femme portent sur les taux d’hormones, l’endométriose, le cancer du sein et la survenue de fausses couches spontanées, et reposent sur des approches rétrospectives. Elles ne permettent pas de tirer de conclusions claires sur l’éventualité d’un lien entre ces pathologies (ou modifications physiologiques) et l’exposition au BPA. Les travaux réalisés à partir de sujets masculins mettent en évidence une corrélation entre les taux urinaires de métabolites du BPA et les niveaux circulants d’hormones gonadotropes et gonadiques, les dysfonctionnements sexuels, ou encore les caractéristiques spermatiques. En dépit de contradictions observées entre les études et d’approches transversales, peu adaptées à ce type d’étude, les résultats obtenus justifient la réalisation de travaux supplémentaires sur les effets du BPA sur la qualité du sperme et l’activité sexuelle. Pour tenir compte des enseignements de l’expérimentation animale et de l’importance de la période d’exposition in utero, il conviendrait de réaliser à partir des populations de taille importante, un suivi régulier des expositions chez la femme enceinte puis un suivi sanitaire de sa descendance.
De nombreuses études fondées sur de faibles doses (< NOAEL) ont été réalisées chez les rongeurs en privilégiant une fenêtre d’exposition prenant en compte la vie in utero et la période de lactation. Plusieurs d’entre elles partent de l’hypothèse que le mode d’action du BPA passe par son activité œstrogénomimétique et utilisent des estrogènes naturels ou de synthèse comme témoin positif. Chez les mâles, alors que des effets nuls ou limités sont observés sur la plupart des paramètres morphométriques pris en compte dans les études de reprotoxicité, plusieurs études montrent des effets significatifs du BPA à faibles doses sur les niveaux hormonaux ou la qualité du sperme de la génération F1, voire sur la fertilité des générations suivantes. Chez les femelles, les publications récentes sont hétérogènes en matière de mode d’administration, de période d’exposition ou de contrôle des facteurs confondants tels que la présence d’œstrogènes dans l’aliment. Elles montrent néanmoins que le BPA administré à faibles doses pendant des périodes critiques de développement a des effets sur l’âge de la puberté, le tractus génital, la fonction ovarienne, et le comportement des animaux. Il faut cependant s’interroger sur la pertinence du modèle rongeur pour l’extrapolation à l’homme de tels effets, compte tenu des spécificités du modèle rongeur en matière de placentation, de cyclicité sexuelle et de régulation de l’axe hypothalamus-hypophyse-gonade, ou encore de la mise en place de la spermatogénèse. Il conviendrait donc de pouvoir disposer d’études réalisées chez d’autres espèces animales plus proches de l’Homme et de mettre en œuvre des approches permettant d’avoir accès à des paramètres plus fins que ceux basés sur la morphogenèse.
Les travaux menés chez les rongeurs sur l’impact tissulaire et cellulaire du BPA font état de lésions pré-néoplasiques de la prostate ou de la glande mammaire chez des animaux traités en période prénatale ou néonatale. Ces lésions témoignent d’une altération durable de la programmation de ces tissus et relèvent, au moins pour partie, de mécanismes liés à l’expression des récepteurs ER ou AR. De façon plus générale, le lien qui pourrait exister entre l’exposition au BPA et certains cancers hormonaux dépendant est mal documenté. Cela tient pour beaucoup au fait que les études de cancérogénèse ne prennent que très rarement en compte des expositions in utero ou au cours des premières semaines de la vie. Comme cela est suggéré dans le rapport récent FAO/OMS, la sensibilité particulière au BPA durant la période prénatale ou néonatale impose de revoir ces protocoles afin de réaliser une étude de long terme avec une exposition commençant au cours de la gestation et se poursuivant pendant 2 ans pour évaluer l’impact sur la glande mammaire et la prostate. Un suivi de la dose interne chez ces animaux est également indispensable si l’on veut pouvoir extrapoler les données à l’Homme.
Beaucoup de travaux se sont orientés vers les propriétés œstrogéniques du BPA pour en expliquer les effets. Ces propriétés largement démontrées in vitro et in vivo indiquent une liaison de faible affinité (plusieurs milliers de fois inférieure à celle de l’œstradiol) pour les récepteurs nucléaires ERα et β, peu compatibles avec des effets observés à faible dose et parfois avec des temps de réponse très courts. Les études récentes indiquent que le BPA se lie à des formes membranaires des récepteurs des œstrogènes (GPR30, mbER) ainsi qu’à d’autres récepteurs nucléaires (ERRγ) avec une affinité bien plus importante que pour ERα et β. Cette voie de recherche innovante, pourrait conduire à expliquer les effets à faibles doses du BPA ainsi que certaines courbes dose-réponse non monotones. Des études utilisant des animaux dont ces récepteurs seraient invalidés permettraient de déterminer l’implication de ces autres cibles du BPA dans ses effets de perturbation endocrine.
La question de la nocivité pour l’Homme du BPA à faible dose reste donc posée et si des travaux récents ont fait progresser les connaissances sur le mode d’action de cette substance et ouvert de nouvelles voies de recherche, ils ne permettent en dépit de leur nombre important de cerner de façon précise le risque encouru par la population générale. Si les alternatives existent pour la plupart des utilisations du BPA, plusieurs d’entre elles reposent sur des analogues du BPA tels que les bisphénols B, E, F, S, qui sont déjà utilisés. Si leur propriétés œstrogéniques ont été étudiées, montrant également des effets faiblement œstrogéniques, les études de reprotoxicité sont très fragmentaires, voire inexistantes. Il parait donc urgent de disposer de données comparées pour les différents bisphénols afin d’éclairer les instances d’évaluation et de gestion du risque sur l’opportunité d’un recours à ces alternatives.

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