Phtalates

2011


ANALYSE

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Études chez les poissons et autres espèces de vertébrés

Outre les mammifères, les effets des phtalates ont été étudiés chez de nombreuses espèces de vertébrés comme par exemple plusieurs espèces de poissons téléostéens (le zebrafish et le medaka, mais aussi : la truite arc-en-ciel, Oncorhynchus mykiss ; le saumon, Salmo salar ; le loup de mer, Dicentrarchus labrax ; l’épinoche, Gasterosteus aculeatus ; la carpe, Cyprinus carpio ; le vairon, Pimephales promelas ; le guppy, Poecilia reticulata), des amphibiens (le xénope et la grenouille Rana rugosa) ou des oiseaux comme la caille ou le poulet. Beaucoup de ces études décrivent simplement les effets de telle ou telle molécule sur des critères assez disparates, ce qui rend une description globale des effets quelque peu difficile vu la diversité des molécules testées. En outre, de nombreuses études de toxicité aiguë ont été menées et ces travaux indiquent des effets toxiques variables en fonction du poids moléculaire des différentes molécules, les phtalates de bas poids moléculaire ayant des effets toxiques plus prononcés que les molécules de haut poids moléculaire. Un petit nombre d’études ont des implications en ce qui concerne les mécanismes d’action, qu’il est intéressant de comparer avec ce qui est connu chez les mammifères. Des recherches ont également été menées sur certains invertébrés (moule, copépodes...) mais ne seront pas décrites ici même s’il apparaît que certains invertébrés comme les mollusques et les crustacés sont sensibles à des doses significativement plus faibles que les poissons téléostéens. Ces différences d’effets semblent être reliées à des variations importantes de bioconcentration de ces molécules au sein des organismes. Une revue générale de l’impact des phtalates sur la vie sauvage a été publiée récemment (Oehlmann et coll., 2009renvoi vers).

Effets sur des paramètres liés à la reproduction

Chez le mâle

Les effets des phtalates ont été surtout étudiés chez le medaka, un poisson téléostéen pour lequel le mécanisme de détermination du sexe mâle est connu et qui constitue donc un excellent modèle. Ces études menées sur les medaka n’ont pas observé d’effets majeurs sur des paramètres globaux en traitant à des doses faibles. Ainsi, Shioda et Wakabayashi (2000renvoi vers) en traitant pendant deux semaines des médaka mâles adultes à des doses de DEHP de 0,1, 0,3 ou 1 μM n’ont pas observé d’effet sur le nombre d’œufs fécondés par ces mâles. Des résultats similaires ont été obtenus par Kim et coll. (2002renvoi vers) qui ont traité des animaux au DEHP de la naissance à l’âge de 3 mois à des doses allant jusqu’à 50 μM/l et n’ont observé aucune anomalie histologique de la gonade. Ce dispositif expérimental produit un effet chez les femelles (voir ci-dessous) mais pas chez les mâles, ce qui pourrait suggérer une différence de sensibilité entre les sexes. Par ailleurs, il est intéressant de noter que dans une étude multigénérationelle menée chez le medaka, Patyna et coll. (2006renvoi vers) observent une induction de plusieurs métabolites de la testostérone après un traitement avec du DINP à 1 μg/g/j même si cette étude est très difficilement comparable aux précédentes puisque la molécule testée, le mode d’exposition et le dispositif expérimental sont très différents.
Le même type de résultat a été observé chez le zebrafish après des traitements au DBP à 100 μg/l (Ortiz-Zarragoitia et Cajaraville, 2005renvoi vers). Cependant, récemment il a été montré par Uren-Webster et coll. (2010renvoi vers) que des traitements au DEHP à des doses plus élevées (0,5, 50 et 5 000 mg/kg) chez le zebrafish mâle induisent une réduction du succès de fécondation d’œufs pondus par des femelles non traitées, des anomalies de la spermatogenèse (suggérant que la progression de la méiose pourrait être perturbée) et une augmentation de l’expression de plusieurs gènes cibles connus des PPAR (acox1, ehhadh). De même, Oehlmann et coll. (2009renvoi vers décrivent une altération de la qualité (motilité, forme) du sperme induite chez le zebrafish par un traitement au BBP à 15 μg/l. Chez le saumon, l’étude de Norman et coll. (2007renvoi vers) indique que des traitements chroniques au DEHP à de hautes doses (1 500 mg/kg pendant 4 semaines) produisent une faible quantité d’ovotestis chez 3 % des animaux traités. Cependant, cet effet n’est pas retrouvé dans une étude similaire (Metcalfe et coll., 2001renvoi vers). De tels effets ont également été observés par Lee et Veeramachaneni (2005renvoi vers) chez le xénope puisque des traitements tout au long de la spermatogenèse (stades 52 à 66) à des doses de 1 à 10 mg/l permettent d’observer des anomalies histologiques de la gonade mâle (vacuolisation des cellules de Sertoli, dénudation des cellules germinales, dysmorphologie des tubules séminifères...).
Chez la grenouille Rana rugosa, des traitements à 1 et 10 μM de DBP induisent des anomalies de la différenciation des testicules dans respectivement 7 et 17 % des animaux traités (Ohtani et coll., 2000renvoi vers). Ces données suggèrent que des effets à haute dose, sans doute médiés par les PPAR, pourraient affecter la gonade mâle. Les différences de sensibilité observées entre les modèles poissons et le xénope ne sont pas expliquées et peuvent sans doute être liées à un métabolisme différent des phtalates selon les organismes.
Il faut noter que des mesures de la capacité des phtalates (DBP) à induire dans le foie, chez le mâle traité, des protéines impliquées dans la vitellogenèse (vitellogénine, choriogénine) ont été également effectuées et se sont révélées négatives chez le medaka (Nozaka et coll., 2004renvoi vers) comme chez le zebrafish (Ortiz-Zarragoitia et Cajaraville, 2005renvoi vers). Dans le cas des travaux de Ortiz-Zarragoitia et Cajaraville (2005renvoi vers), un effet positif sur la prolifération des peroxysomes et l’induction hépatique de l’acyl CoA oxydase, une enzyme impliquée dans la b-oxydation peroxysomale, a été observé. Là encore, ces effets évoquent plutôt une action via les PPAR.

Chez la femelle

Les effets observés chez la femelle sont plus évidents que ceux décrits chez le mâle. Ainsi, dans la même série d’expériences (traitement au DEHP de la naissance à l’âge de 3 mois à des doses allant jusqu’à 50 μg/l) que celle décrite ci-dessus où aucun effet n’a été observé chez le mâle, Kim et coll. (2002renvoi vers) ont mis en évidence des effets clairs sur la gonade femelle. Le niveau de vitellogénine chez ces femelles traitées baisse à partir de 10 μg/l, le rapport gonadosomatique est diminué d’un tiers chez ces animaux et une diminution forte du nombre d’ovocytes matures est observée. Ces résultats ont été confirmés récemment chez le zebrafish par Carnevali et coll. (2010renvoi vers) qui ont traité des femelles à des doses faibles (de 0,02 à 40 μg/l) de DEHP. En étudiant les effets sur l’expression de différents marqueurs de la différenciation ovocytaire, ces auteurs démontrent qu’à des doses de 2 à 40 μg/l, le DEHP affecte la croissance des ovocytes, leur maturation, l’ovulation elle-même et plus généralement la capacité à produire des embryons. Un effet inducteur sur la vitellogénine plasmatique a également été observé dans cette étude, ce qui est en contradiction avec l’étude de Kim et coll. (2002renvoi vers). Ces différents travaux s’accordent toutefois sur un effet clair du DEHP sur la gonade femelle. Cependant, certaines études comme celle de Oehlmann et coll. (2009renvoi vers) montrent qu’un traitement au BBP à 15 μg/l n’induit pas d’effet sur le nombre d’œufs pondus ni sur la viabilité précoce (8 h post-fécondation) des embryons. Harries et coll. (2000renvoi vers) rapportent le même type de résultats négatifs avec le BBP chez le vairon.

Effets sur les embryons

Les effets des phtalates sur la reproduction ont été étudiés en ce qui concerne la production d’embryons et les anomalies éventuelles que ces molécules peuvent engendrer au cours du développement embryonnaire. Le zebrafish a été l’espèce la plus utilisée mais des études ont été menées chez le medaka, le saumon et le guppy ainsi que chez un amphibien, le xénope.
L’ensemble de ces études montre, lors de traitements embryonnaires ou larvaires, que les phtalates induisent une diminution de taille des animaux. Ainsi, chez le zebrafish, Lin et coll. (2008renvoi vers) observent après un traitement des parents au DBP à une dose de 625 μg/l une diminution de taille des embryons produits ainsi qu’une augmentation de la mortalité des embryons à 72 h de développement et logiquement, une diminution du pourcentage d’éclosion des embryons. Les anomalies morphologiques éventuelles présentes chez ces embryons ne sont pas décrites. Une diminution de taille est également observée par Lee et coll. (2005renvoi vers) chez des embryons de xénopes traités au DBP à 0,1 mg/l. Une augmentation de la mortalité est décrite à des doses plus fortes (5 mg/l). Enfin chez le guppy, des traitements de larves au DEHP à 1 μg/l induisent une diminution de la taille et du poids des animaux ce qui indique que la croissance de ces animaux est fortement perturbée.
La gamme des effets morphologiques observée est vaste et aucune piste claire de mécanisme d’action ne peut en être dégagée. Chez le medaka, dans leur étude multigénérationelle, Patyna et coll. (2006renvoi vers) n’ont pas montré d’effet du DINP à 1 μg/g/j sur la production d’œufs mais ont noté un délai dans la mise en place de la pigmentation des hématies. Chez le zebrafish, Ortiz-Zarragoitia et coll. (2006renvoi vers) rapportent un effet embryonnaire du DBP à 100 μg/l en traitement continu après la fécondation. Les embryons montrent des malformations de la moelle épinière ainsi qu’une hypertrophie du sac vitellin. Cet effet sur le sac vitellin ou sur la morphogénèse n’est pas retrouvé par Raldua et coll. (2008renvoi vers) lorsque des embryons sont traités au DEHP à des doses allant jusqu’à 100 mg/l. La variété des effets morphologiques observés est sans doute à mettre en lien avec la variété des molécules testées et des espèces utilisées. Il manque clairement une étude plus complète sur ces effets embryonnaires.
Il faut noter que des effets sur le comportement des poissons traités (nage en banc, prise alimentaire) ont été décrits à de fortes concentrations (100 μg/l) chez l’épinoche (Wibe et coll., 2004renvoi vers) et chez la carpe (Barse et coll., 2007renvoi vers).
En conclusion, chez les poissons, les effets des phtalates sur les paramètres de la reproduction chez le mâle, ont surtout été étudiés chez le medaka. Aucun effet majeur n’a été rapporté pour des doses faibles. Chez les poissons femelles, un effet clair du DEHP sur la gonade femelle a été observé (baisse du niveau de vitellogénine, diminution forte du nombre d’ovocytes matures). En ce qui concerne la production d’embryons et les anomalies éventuelles, une diminution de taille des embryons produits ainsi qu’une augmentation de la mortalité ont été rapportés lors des traitements durant la phase embryonnaire.

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