Phtalates
2011
ANALYSE |
39-
Effets épigénétiques
Plusieurs études rapportent des effets de divers phtalates (BBP, DBP, DEHP, MBP) et de leurs métabolites actifs (MEHP) sur l’expression de gènes impliqués dans des fonctions de reproduction et sur les profils de méthylation génomiques.
In vivo, une attention particulière a été portée à la dissection moléculaire des effets anti-stéroïdiens connus des phtalates à forte dose. Ainsi, une exposition in utero à des doses de 100 à 950 mg/kg/j de DEHP en seconde moitié de gestation réduit le taux d’expression du récepteur stéroïdien nucléaire MR (mineralocorticoid receptor) et de ses cibles dans les cellules de Leydig d’animaux analysés dès la naissance, mais aussi à l’âge adulte (60 jours) (Martinez-Arguelles et coll., 2009
). Cette persistance à 60 jours d’une réduction de l’expression de MR est associée à des anomalies des profils de méthylation du promoteur de ce gène mais cependant dans le sens inattendu d’une perte de méthylation. Malgré cette ambiguïté, les auteurs suggèrent que la baisse de production de testostérone associée à une exposition forte aux phtalates pourrait être médiée par des effets épigénétiques ciblant le récepteur stéroïdien MR. Une autre étude montre que la cryptorchidie pourrait augmenter la susceptibilité du testicule fÅ“tal à une exposition au DBP (Johnson et coll., 2008
). Il s’agit là d’un modèle intéressant d’étude des effets synergiques gène/environnement sur l’apparition de malformations du tractus génital mâle.


Une autre étude des effets potentiels épigénétiques des phtalates a été réalisée après suplémentation chez la souris à 20 000 mg de DBP par kg de nourriture pendant 6 jours (Ge et coll., 2002
). Une hypométhylation du proto-oncogène c-myc a été observée dans le foie des animaux exposés, sans pourtant induire de modification d’expression de ce gène. Ceci pose donc la question de l’impact biologique d’une telle observation. L’effet sur c-myc a été plus récemment confirmé chez le rat, où une exposition à des doses plutôt fortes de DBP (1 800 mg/kg/j) induit aussi une déméthylation rapide du gène c-myc et semble précéder le phénotype d’hyperprolifération du foie (Kostka et coll., 2010
). Le niveau d’expression de c-myc n’a cependant pas été analysé. Le rapport entre exposition aux phtalates, anomalies de méthylation et carcinogenèse a été étudié par d’autres équipes. Cependant, Pogribny et coll. (2008
) ne détectent pas de différences du statut global de méthylation des cellules de foie d’animaux exposés au DEHP (1,2 % (w/w)), alors qu’il existe une baisse significative de méthylation après exposition à d’autres proliférateurs du peroxysome tels que WY-14,643.



Ces premières analyses des effets potentiels des phtalates sur le statut de méthylation d’un organe métabolique, le foie, ont été suivies d’une étude plus directement liée aux fonctions reproductives, ciblée sur le testicule. L’effet du DEHP en exposition prénatale sur le taux global de méthylation testiculaire a fait l’objet de deux publications, d’après des études menées par le groupe de G. Wei (Wu et coll., 2010a
et b
). L’exposition a été réalisée par gavage à 500 mg/kg/j de femelles en seconde moitié de gestation (de 12 à 19 jpc – jours post coïtum –) et les testicules de souriceaux ont été analysés au jour 19 de gestation, et suivis à divers stades postnatals (3, 21, 56 et 90 jpp – jours post partum –). En réaction rapide après l’exposition, des taux augmentés de méthylation sont détectés à 19 jpc et 3 jpp, mais ces différences sont perdues à des stades plus tardifs (21, 56 et 90 jpp). Bien que l’augmentation précoce soit corrélée à une augmentation de deux fois le niveau d’expression des ADN-méthyltransférases responsables de la mise en place (Dnmt3A et Dnmt3B) et du maintien (Dnmt1) des profils de méthylation, l’augmentation du taux de méthylation reste peu significative par rapport à des animaux témoins (de 3,35 à 3,82 %). Des réductions du niveau d’expression du taux de testostérone sont observées en phase précoce et perdurent également à des stades plus tardifs, en accord avec les effets de dysgenèse testiculaire induite par le DEHP. Gray et coll. (2009
) ne montrent pas si les diverses anomalies de différenciation sexuelle induites par le DEHP sont transmises aux générations suivantes non exposées et donc si les phtalates sont susceptibles d’engendrer des aberrations épigénétiques héréditaires.



En conclusion, les études menées sur les effets épigénétiques des phtalates (DEHP, DBP) en reproduction sont plutôt anecdotiques en termes de nombre et ne permettent pas de se forger une opinion tranchée. De plus, in vivo, des résultats contradictoires existent entre les effets que les phtalates peuvent avoir in utero sur des tissus à fonction reproductive, et des tissus avec des fonctions métaboliques, comme le foie.
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