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Med Sci (Paris). 2003 October; 19(10): 920–925.
Published online 2003 October 15. doi: 10.1051/medsci/20031910920.

La voie de signalisation PATCHED/Sonic Hedgehog dans le cancer superficiel de la vessie

Hélène LaRue, Maryse Simoneau, Tahar O. Aboulkassim, Patricia Lemieux, Johanne Girard, Sahar Hamed, Hélène Hovington, Lucie Jeannotte, and Yves Fradet*

Centre de recherche en cancérologie de l’Université Laval, CHUQ-L’Hôtel-Dieu de Québec, 10, rue MacMahon, G1R 2J6 Québec, Canada
Corresponding author.
 

Le cancer de la vessie se situe au cinquième rang, en terme d’incidence, dans les sociétés occidentales. Son étiologie est principalement associée à la présence de produits carcinogènes dans l’environnement, notamment ceux de la fumée de cigarette et des émanations d’origine industrielle. Lors du diagnostic initial, 75 à 80 % des patients présentent un cancer superficiel papillaire (stade TA ou T1) et pour plus de 60% de ces patients, l’évolution sera marquée par des récidives parfois fréquentes avec progression vers l’infiltration musculaire dans 10% des cas. Le reste des patients présentent un cancer d’emblée infiltrant (stade T2-T4) dérivant d’un carcinome in situ (CIS) de grade élevé et d’une dysplasie. Bien que la mortalité associée au cancer de la vessie soit due aux tumeurs infiltrantes, la morbidité provient principalement des tumeurs superficielles récidivantes et de leur traitement par résection transurétrale et chimiothérapie ou immunothérapie intravésicale.

Anomalies du chromosome 9 dans le cancer de la vessie

Les différentes expressions cliniques des cancers de la vessie ont pu être associées à des voies moléculaires distinctes [ 1]. Alors que l’on retrouve souvent des mutations du gène p53 dans les CIS et les tumeurs infiltrantes, des anomalies du chromosome 9 sont fréquentes dans les tumeurs superficielles. Diverses études ont montré des pertes d’hétérozygotie (LOH, loss of heterozygosity) sur ce chromosome dans plus de la moitié des cancers de vessie et il s’agit souvent de l’unique altération génétique observée dans les tumeurs à un stade peu avancé. Ces données suggèrent la présence d’un ou plusieurs gènes suppresseur de tumeur (GST) sur le chromosome 9, intervenant dans les phases précoces de la cancérogenèse vésicale. Plusieurs études ont suggéré que les locus en 9p22-23, 9p21-22, 9p11-13, 9q12-13, 9q21-22, 9q31, 9q33 et 9q34 seraient susceptibles de porter des GST [14]. Lors d’une recherche de LOH au niveau de 28marqueurs microsatellites du chromosome 9 dans 139 tumeurs initiales de stade TA ou T1, nous avons répertorié 67 tumeurs (48%) présentant une ou plusieurs LOH sur le chromosome 9, ce qui nous a conduit à proposer 4 locus au niveau du bras 9q, 9q22.3, 9q31-32, 9q33 et 9q34 comme étant des sites potentiels de GST[ 2]. Quelques GST candidats ont été associés à certains locus du chromosome 9 tels CDKN2A à 9p21, PATCHED (PTC) à 9q12-31, DBCCR1 à 9q32-33 et TSC1 à 9q34 [1, 4]. La présence de LOH sur le chromosome 9 a de plus été associée à un risque élevé de récidive [ 5] et nous avons observé que des patients porteurs des tumeurs superficielles contenant des délétions dans les régions 9ptr-p22, 9q22.3, 9q33 et 9q34 avaient une survie sans récidive significativement plus courte que des patients dont les tumeurs étaient exemptes de délétions (Figure 1) [ 6], ce qui est compatible avec la présence de GST au niveau de ces locus.

Dans le but d’identifier le GST de la région 9q22.3, nous avons poursuivi notre cartographie du chromosome 9 en analysant 11 marqueurs microsatellites additionnels danscette région, sur 139 tumeurs de stade peu avancé [ 7]. Cette étude a permis de définir une région minimale de délétion de 0,5Mb incluant, le gène PTC, candidat GST précédemment proposé. Dans 46% de l’ensemble des tumeurs analysées, nous avons observé la perte d’un marqueur microsatellite situé dans l’intron 1 du gène PTC [7]. Ces données nous ont conduit à proposer que PTC soit effectivement un GST candidat de la région 9q22.3 dont la délétion serait un événement précoce de la cancérogenèse vésicale.

Voie de signalisation PTC/Hedgehog chez la drosophile

Le gène PTC humain est l’orthologue du gène ptc de la drosophile, d’abord identifié comme étant un gène important au cours du développement embryonnaire [ 8]. Chez la mouche, le gène ptc joue un rôle dans l’élaboration de l’axe antéro-postérieur des embryons et dans la polarité des segments. Il code pour une protéine possédant 12 domaines transmembranaires, deux boucles extracellulaires et un domaine intracellulaire. Cette protéine agit comme récepteur de la protéine sécrétée hedgehog (hh) (Figure 2). En l’absence de hh, ptc inhibe la voie de signalisation en formant un complexe avec une seconde protéine membranaire, smoothened (smo), et en réprimant l’activité de cette dernière. D’autres protéines engagées dans cette voie de signalisation ont également été décrites chez la drosophile, la protéine costal-2 (cos-2), la sérine-thréonine kinase fused (fu), le suppresseur de fused (su[fu]) et le facteur de transcription à doigts de zinc cubitus interruptus (ci). Ces protéines forment un complexe cytoplasmique lié aux microtubules. Lorsque la voie est inactive, ci subit un clivage qui libère un fragment amino-termi- nal de 75 kDa. Ce fragment pénètre dans le noyau où il agit comme répresseur transcriptionnel. La liaison de hh à ptc libère smo, ce qui entraîne une dissociation du complexe cytoplasmique et l’inhibition du clivage de ci. La protéine ci intacte subit alors une maturation qui la transforme en un activateur transcriptionnel labile de divers gènes dont ptc, decapentaplegic (dpp), un membre de la famille TGFβ, et wingless (wg), orthologue des gènes Wnt des vertébrés [ 9].

Voie de signalisation PTC/SHH chez les vertébrés

Des homologues de plusieurs membres de cette voie ont été identifiés chez les vertébrés où celle-ci, bien que présentant un niveau plus élevé de complexité, semble fonctionner de façon similaire à celle de la drosophile [ 10, 11]. Deux homologues de ptc, PTC1 et PTC2, ont été décrits comme pouvant tous les deux interagir avec HH et smo [9, 11]. Cependant, bien que PTC1, dont le gène est situé sur le chromosome 9, soit bien caractérisé, on connaît peu le rôle de PTC2. Trois homologues de hh ont également été identifiés, Sonic (SHH), Indian (IHH) et Desert (DHH) Hedgehog [9]. Ces trois ligands utilisent la même voie de signalisation. Un seul homologue de smo a été identifié jusqu’à présent, mais trois facteurs de transcription à doigts de zinc, GLI-1, GLI-2 et GLI-3 occupent la position de ci [8, 12]. GLI-1 semble agir essentiellement comme activateur et serait le principal effecteur transcriptionnel de cette voie tandis que GLI-2 et GLI-3 possèdent des domaines activateurs et répresseurs de la transcription et sont modifiées par clivage protéolytique comme ci. Cependant, des incertitudes importantes subsistent quant à la transduction du signal SHH par les protéines GLI et la plupart des études suggèrent un équilibre complexe entre des fonctions divergentes. Une seule protéine cytoplasmique agissant en amont de GLI, l’homologue de su(fu), a été identifiée dans des cellules humaines [11].

Voie de signalisation PTC/SHH et prolifération cellulaire

Bien que les mécanismes sous-jacents au fonctionnement de la voie PTC/SHH demeurent encore mal compris, il apparaît que son activation se traduit principalement par une prolifération accrue. Le haut degré de conservation de cette voie chez la drosophile et les vertébrés permet de supposer que l’activation de la prolifération implique la participation des membres des familles TGFβ et WNT, ces dernières possédant un large spectre de fonctions. De plus, des données récentes ont permis d’établir un lien direct entre l’activation par hh et l’augmentation de la transcription des cyclines D et E, protéines directement engagées dans l’activation du cycle cellulaire [ 13]. Enfin, la transfection de cellules rénales de rat avec le gène Gli-1 entraîne des modifications du profil génique compatibles avec un accroissement de la prolifération par des voies diverses comme l’augmentation de la division cellulaire, la diminution de l’adhérence cellulaire et de l’apoptose. Des sites de reconnaissance de la protéine Gli-1 dans le promoteur d’au moins quatre des gènes modulés (cycline D2, IGFBP-6, osteopontine et plakoglobine) ont pu être identifiés [ 14].

Voie de signalisation PTC/SHH et cancer

Le rôle du gène PTC en tant que GST a été initialement démontré pour le carcinome basocellulaire de la peau [9]. En effet, des mutations du gène PTC sont fréquem- ment détectées, tant pour la forme familiale que pour la forme sporadique de ces carcinomes. En outre, comme pour les tumeurs superficielles de la vessie, on observe une perte d’hétérozygotie de marqueurs du locus PTC dans la région 9q dans environ 50% des carcinomes basocellulaires. La surexpression de GLI-1, ainsi que la présence de mutations dans les gènes SHH ou Smo peuvent aussi induire un carcinome basocellulaire, suggérant que toute anomalie menant à une surexpression de GLI-1 dans des cellules de la couche basale de la peau peut induire un carcinome [8, 9]. La capacité de GLI-1 à transformer des cellules en coopération avec le gène E1A de l’adénovirus a d’ailleurs confirmé sa nature oncogénique [12]. Des mutations des gènes PTC et Smo ont également été identifiées dans des médulloblastomes et des tumeurs primitives neuroectodermales [8]. Finalement, des souris porteuses d’un allèle inactivé du gène Ptc développent fréquemment des rhabdomyosarcomes [8].

Voie de signalisation PTC/SHH et cancer de la vessie

Il semble donc bien établi que des altérations de la voie PTC/SHH peuvent induire divers cancers. Les délétions fréquentes observées au locus 9q22 dans des tumeurs de la vessie par diverses équipes, dont la nôtre, amènent naturellement à suspecter le gène PTC comme un élément clé dans la progression conduisant au cancer de la vessie. Afin de vérifier cette hypothèse, la présence de mutations dans le gène PTC a été recherchée dans des tumeurs de la vessie. McGarvey et al. ont détecté des mutations du locus PTC dans deux tumeurs infiltrantes sur 54 tumeurs analysées [ 15]. Par ailleurs, dans cette étude, l’expression des gènes PTC, Smo et GLI-3 dans l’urothélium normal et dans des lignées cellulaires vésicales a permis de conclure que la voie PTC/SHH pourrait jouer un rôle dans le contrôle de la prolifération urothéliale et contribuerait à la genèse d’au moins un sous-groupe de carcinomes transitionnels de la vessie. En revanche, aucune mutation n’a été trouvée dans trois autres études [ 1618]. Étant donné que le modèle initialement admis pour un GST suppose l’inactivation des deux allèles du gène, souvent par délétion d’une copie et mutation de l’autre, nous avons séquencé l’ADNc de 15 tumeurs TA ou T1 ayant perdu un allèle de PTC, sans trouver la moindre mutation [7]. La perte d’une copie d’un GST sans altération de l’autre copie ou haploinsuffisance, a été récemment rapportée comme suffisante pour promouvoir le cancer. Diverses études ont, en effet, rapporté l’haploinsuffisance du gène PTEN dans le carcinome rénal à cellules claires [ 19], du gène SMAD4 dans des cancers gastriques [ 20], du gène p27 dans divers cancers [ 21] et du gène PTC lors de l’induction de médulloblastome chez la souris [ 22]. Nous avons analysé l’expression du gène PTC par la technique de RT-PCR semiquantitative dans 21 tumeurs superficielles de la vessie et 4 échantillons d’urothélium normal humain et avons observé une diminution significative de l’expression de ce gène dans les tumeurs ayant perdu une copie de PTC par rapport à son expression dans l’urothélium normal (Figure 3) [7]. Des fluctuations marquées de l’expression de PTC sont aussi constatées dans les tumeurs possédant les deux allèles de PTC suggérant que des mécanismes autre que l’haplo-insuffisance pourraient également contribuer à l’altération de l’expression de ce gène. Des données préliminaires suggèrent la diminution de l’expression d’autres gènes de la voie PTC/SHH.

Conclusions

L’ensemble de ces données est compatible avec l’hypothèse de la perturbation de la voie de signalisation PTC/SHH au cours des phases précoces de la cancérogenèse vésicale, possiblement en rapport, dans environ la moitié des cas, avec la perte d’une copie du gène PTC. Les carcinomes basocellulaires de la peau et les carcinomes papillaires superficiels de la vessie partageant plusieurs caractéristiques comme une croissance locale, une induction par des carcinogènes environnementaux et un faible potentiel métastatique, il est plausible que des altérations génétiques semblables soient retrouvées dans ces deux types de cancers. Une étude plus approfondie des mécanismes en cause permettra éventuellement l’élaboration de thérapies permettant de ralentir et même de bloquer la prolifération des cellules cancéreuses dans la vessie.

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