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Med Sci (Paris). 2003 November; 19(11): 1101–1110.
Published online 2003 November 15. doi: 10.1051/medsci/200319111101.

Dualité fonctionnelle des récepteurs des kinines en physiopathologie

Bichoy H. Gabra,1 Réjean Couture,2 and Pierre Sirois1*

1Institut de Pharmacologie de Sherbrooke, Faculté de Médecine, Université de Sherbrooke, 3001, avenue Nord, Sherbrooke, Québec, J1H 5N4 Canada
2Département de Physiologie, Faculté de Médecine, Université de Montréal, CP 6128, succursale centre-ville, Montréal, Québec, H3C 3J7 Canada
Corresponding author.
 

Le système kallicréinekinine (SKK) est un système peptidergique complexe comprenant les enzymes de synthèse, appelées kallicréines, leurs substrats, les kininogènes et les peptides vasoactifs, appelés kinines. Ces derniers sont des médiateurs importants impliqués dans une variété d’effets biologiques incluant l’homéostasie cardiovasculaire, l’inflammation et la nociception [ 1, 2]. En effet, ces peptides autacoïdes sont parmi les premiers médiateurs libérés dans les tissus lésés à partir des kininogènes sous l’action de la kallicréine plasmatique (activée tôt dans la cascade de coagulation) ou de la kallicréine tissulaire (activée par des protéases produites au sein de la lésion) [ 3]. Les kinines peuvent également être produites à la suite de stimulus nocifs, et des données expérimentales suggèrent qu’elles sont emmagasinées dans des neurones du système nerveux central au niveau duquel elles pourraient jouer le rôle de neuromédiateurs dans certaines fonctions cérébrales, en particulier dans le contrôle des informations nociceptives et de la pression artérielle [ 4].

Métabolisme des kinines
Formation des kinines
Les kinines appartiennent à une petite famille de peptides possédant 9 à 11 acides aminés, incluant la bradykinine (BK), la kallidine (KD; Lys-BK), la T-kinine (Ile-Ser-BK) et leurs métabolites actifs dépourvus de l’arginine en position carboxy-terminale (→) (Tableau I). La BK et la KD sont les produits de deux voies biochimiques, l’une sanguine et l’autre tissulaire (Figure 1A). La formation de BK est amorcée par l’activation du facteur de Hageman (facteur XII de la coagulation) lorsque le sang entre en contact avec des surfaces possédant des charges négatives telles que les composantes de la matrice cellulaire (collagène, protéoglycanes et héparine) ou d’autres particules chargées négativement (urate, phospholipides acides, sulfate de cholestérol, sulfate de chondroïtine, carragénine et lipopolysaccharides). La pré-kallicréine plasmatique, associée au kininogène de haut poids moléculaire (KHPM, 110 kDa), est convertie par le facteur de Hageman activé en kallicréine. Le traitement du KHPM par la kallicréine ainsi active libère la BK (Figure 1A). Dans les tissus, des enzymes protéolytiques activent la kallicréine tissulaire qui agit sur le kininogène de bas poids moléculaire (KBPM, 70 kDa) pour former la KD, sauf chez le rat où la BK et non la KD est produite [3].

(→) m/s 1996, n°5, p. 582

Un seul gène code pour la kallicréine plasmatique, tandis que la kallicréine tissulaire est codée par une famille multigénique [3]. La T-kinine a été identifiée exclusivement chez le rat où elle est produite par une enzyme de synthèse encore inconnue. Le T-kininogène se présente sous deux isoformes de protéines, T-I et T-II kininogènes, possédant une homologie de 96 % et codées par deux gènes différents. Les KHPM et KBPM proviennent d’un seul gène, le gène K, et résultent de la transcription de deux ARNm différents. Les gènes K et T des kininogènes proviennent d’une duplication d’un gène ancestral, suivie dans le cas du rat par une duplication additionnelle aboutissant à la formation des deux gènes des T-kininogènes [4] (Figure 1B).

Dégradation des kinines
Les kinines subissent une dégradation métabolique rapide par des amino-, carboxy- et endopeptidases appelées kininases, trouvées dans le sang, les tissus et les liquides biologiques, qui aboutit à la production de plusieurs métabolites actifs et inactifs (Figure 2A). La demi-vie de la BK est inférieure à 30 secondes dans le plasma [ 5]. Les enzymes les plus importantes dans le métabolisme des kinines sont les kininases I et II. La kininase I est représentée par la carboxypeptidase N du plasma (CPN) et la carboxypeptidase M de la membrane cellulaire (CPM), qui clivent l’arginine en position carboxy-terminale pour produire la desArg9-BK (DBK), la desArg10-KD ou la desArg11-Tkinine. Ces enzymes sont particulièrement importantes, car elles produisent les seuls métabolites de la BK, de la KD ou de la T-kinine ayant une activité biologique significative. Il existe également deux types de kininase II, l’enzyme de conversion de l’angiotensine-I (ECA) et l’endopeptidase neutre 24.11 (EPN, également appelée enképhalinase). Les deux enzymes clivent le dipeptide Phe8-Arg9 en position carboxy-terminale de la BK pour produire le métabolite inactif BK-(1-7). L’ECA enlève également le dipeptide Ser6- Pro7 de la BK-(1-7) pour donner la BK-(1-5), qui est le métabolite final de la BK et de la DBK. L’ECA peut également transformer la DBK en BK-(1-5) dans le plasma humain [ 6] (Figure 2B). Enfin, la KD et la T-kinine sont transformées en BK en présence des aminopeptidases [4, 6].
Récepteurs des kinines

Les kinines causent leurs effets biologiques, incluant la vasodilatation, l’augmentation de la perméabilité vasculaire, la stimulation de terminaisons nerveuses sensorielles et sympathiques et la contraction de muscles lisses par l’activation de deux types de récepteurs, B1 et B2. Ces récepteurs ont été définis, sur la base de critères pharmacologiques, par l’usage d’agonistes et d’antagonistes peptidiques et non peptidiques [ 79]. La BK, la KD et la Tkinine sont des agonistes endogènes des récepteurs B2, tandis que la DBK et la desArg10-KD sont les agonistes préférentiels des récepteurs B1.

Ces récepteurs possèdent sept domaines transmembranaires et appartiennent à la grande famille des récepteurs couplés aux protéines G (Gαq/11 et Gαi). La séquence des acides aminés du récepteur B1 humain (353 acides aminés) n’est identique qu’à seulement 36% de celle du récepteur B2 humain (364 acides aminés), tandis que l’homologie n’est que de 30 % entre les récepteurs B2 (366 acides aminés) et B1 (334 acides aminés) chez la souris [4] (Tableau II).

Mécanismes de signalisation des récepteurs des kinines
La transduction des signaux pour les récepteurs des kinines est relayée par des systèmes de seconds messagers différents selon le type cellulaire, et implique l’activation de protéines G. Parmi les mécanismes de transduction de signaux, notons l’activation directe ou indirecte de l’adénylate cyclase et de la guanylate cyclase, menant à la formation de l’adénosine monophosphate cyclique (AMPc) et de la guanosine monophosphate cyclique (GMPc), l’activation de canaux ioniques et l’activation des phospholipases A2, C et D (Figure 3). La phospholipase C (PLC) stimule la formation d’inositol 1,4,5-triphosphate (IP3) et du diacylglycérol (DAG), impliqués respectivement dans la libération du calcium intracellulaire et dans l’activation de la protéine kinase C (PKC). L’acide arachidonique peut également être produit à partir des phospholipides membranaires, via l’activité de la phospholipase A2 (PLA2) et à partir du DAG sous l’action d’une lipase, ce qui conduit à la production de prostaglandines (PG). À la suite d’une dépolarisation de la membrane, le calcium peut stimuler la formation de l’AMPc, du GMPc et du monoxyde d’azote (NO). Outre ces voies classiques, des travaux récents suggèrent que le récepteur B2 est également lié à d’autres voies de transduction de signaux, incluant l’activation de protéines à activité tyrosine kinase cytoplasmiques [ 10] et l’activation de la MAP-kinase, qui succède à l’activation directe de la PKC et de Raf (une sérine/thréonine kinase) ou à la phosphorylation de la tyrosine des récepteurs du facteur de croissance épidermique (EGF) suivie de l’activation de la Ras kinase [4, 11]. Le récepteur B1 est principalement associé à l’activation de la PLC et à la voie des phosphoinositols, bien que l’on y retrouve aussi la PLA2 et la MAPkinase [9].
Récepteur B2 des kinines
Le récepteur B2 est constitutif, et responsable de la majorité des réponses pharmacologiques des kinines observées dans la phase aiguë de l’inflammation et de la douleur [2, 12]. Cette fonctionnalité aiguë des récepteurs B2 est probablement le résultat des mécanismes rapides d’association et de dissociation du ligand au récepteur B2, de la désensibilisation du récepteur et de son internalisation, et de la régulation négative du récepteur lors du maintien à long terme de la stimulation [2]. Le récepteur B2 est distribué de façon ubiquitaire et est présent notamment sur les cellules endothéliales, les cellules musculaires lisses, les fibroblastes, les cellules mésangiales et épithéliales, certains neurones, les astrocytes et les polynucléaires neutrophiles [3]. Plusieurs excellents agonistes et antagonistes sélectifs du récepteur B2, de nature peptidique ou non, ont été développés [4, 7, 8] (Tableau III).

Fonction du récepteur B2 vasculaire Dans le traitement de l’hypertension et de plusieurs maladies cardiovasculaires, dont l’insuffisance cardiaque, l’infarctus du myocarde et la néphropathie diabétique, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA) tels que l’énalapril ou le ramipril sont utilisés, avec de bons résultats. Ces inhibiteurs empêchent non seulement la transformation de l’angiotensine I en angiotensine II, qui est un vasoconstricteur puissant, mais aussi la dégradation des kinines endogènes, connues pour leurs effets vasodilatateur, cardioprotecteur, natriurétique et diurétique [ 13]. Bien que le rôle des kinines endogènes dans le maintien de la pression artérielle normale soit encore mal défini, leur implication dans les effets cardioprotecteurs et antihypertenseurs des inhibiteurs de l’ECA est aujourd’hui bien accepté, tant dans des modèles expérimentaux que chez l’homme [13, 14]. Notons que les souris dont le gène du récepteur B2 a été invalidé ont une pression sanguine de base plus élevée que les souris de type sauvage, et développent une hypertension artérielle quand elles sont soumises à un régime riche en sel [ 15].
Fonction du récepteur B2 dans l’inflammation neurogénique Les récepteurs B2 sont impliqués dans la plupart des signes cardinaux de l’inflammation, dont la dilatation artérielle, la veinoconstriction, l’augmentation de la perméabilité vasculaire, l’oedème et la douleur [2]. L’activation du récepteur B2 cause une vasodilatation en raison de la stimulation de la NO-synthase et de la PLA2, menant à la production de monoxyde d’azote (NO) et de prostacycline (PGI2) par les cellules endothéliales des vaisseaux précapillaires (vascularisation artérielle) (Figure 4) [3]. Sur les vaisseaux postcapillaires (veines et veinules), la BK cause une vasoconstriction par une action directe sur le muscle lisse (Figure 5). La vasodilatation des artérioles précapillaires et la contraction des veinules postcapillaires favorisent l’augmentation de la pression hydrostatique dans les capillaires, cause de l’extravasation plasmatique de fluides et de protéines. De plus, la BK augmente la perméabilité vasculaire par l’activation et la contraction des cellules endothéliales vasculaires. Ce mécanisme conduit à une fenestration de la paroi des microvaisseaux, principalement des veinules, favorisant encore l’extravasation plasmatique.

La BK facilite la libération de neuropeptides pro-inflammatoires tels que la substance P (SP) et le CGRP (calcitonine- gene related peptide) par les neurones sensoriels de rat [2]. La SP contribue à l’inflammation en induisant une contraction des veinules, produisant ainsi une extravasation plasmatique. La SP produit également une vasodilatation via la libération de NO par les cellules endothéliales. Le CGRP contribue à l’inflammation neurogénique en empêchant la dégradation de la SP et en produisant une dilatation des artérioles, ce qui augmente le flux sanguin. L’augmentation de la libération de neuropeptides sensoriels induite par la BK est généralement favorisée par les prostaglandines et réduite par les inhibiteurs de la cyclooxygénase [2] (→).

(→) m/s 1998, n°6-7, p. 805 et 2000, n°8-9, p.959

Fonction du récepteur B2 dans la douleur inflammatoire L’application de BK sur la peau humaine et dans les tissus de rat cause la douleur en stimulant les récepteurs B2. La stimulation des récepteurs B2 présents sur les afférences sensitives primaires induit l’activation des récepteurs nociceptifs polymodaux et l’hyperalgésie par la production de DAG et l’activation de la PKC [2, 12]. De plus, la BK peut sensibiliser les nocicepteurs en stimulant la formation de prostaglandines (PG), de cytokines et de NO par les neurones sensoriels, les cellules endothéliales ou immunitaires, ou encore par les fibroblastes, outre son interaction avec les médiateurs d’origine mastocytaire comme l’histamine et la sérotonine [2, 12]. La stimulation des nerfs sympathiques peut également induire la libération de PG ou d’autres médiateurs qui sensibilisent les nocicepteurs, et contribuent ainsi à l’hyperalgésie induite par la BK. Ces résultats expérimentaux pourraient expliquer l’effet antinociceptif des antagonistes du récepteur B2 dans des modèles d’hyperalgésie aiguë d’origine inflammatoire [ 16], et justifier les changements de réponses nociceptives chez les souris dont le gène du récepteur B2 est invalidé [2].
Fonction du récepteur B2 central dans la modulation de la douleur Le système nerveux central contient toutes les composantes du système kallicréine-kinine. Les récepteurs B2 ont été identifiés dans diverses régions du cerveau et de la moelle épinière de mammifères [4]. La majorité des sites de liaison identifiés par autoradiographie dans la moelle épinière sont situés dans les couches superficielles de la corne dorsale, en particulier sur les terminaisons nerveuses des fibres sensorielles Aδ et C, et des fibres bulbospinales noradrénergiques [2, 4]. Après administration dans les ventricules cérébraux, la BK cause un effet antinociceptif via un mécanisme noradrénergique chez le lapin, la production de NO chez la souris ou l’activation des récepteurs B2 dans le cerveau de rat [4]. L’administration intrathécale de la BK chez le rat éveillé cause une brève excitation comportementale suivie par une plus longue période de tranquillité et par une réponse analgésique à un stimulus thermique nociceptif. La réponse nociceptive serait due à une activation des récepteurs B2 sur les terminaisons nerveuses sensorielles dans les couches superficielles de la moelle épinière, alors que la réponse antinociceptive serait tributaire d’une libération de noradrénaline par des neurones inhibiteurs descendants qui projettent à la corne dorsale, avec activation subséquente des récepteurs α2-adrénergiques [2]. La stimulation centrale des récepteurs B2 de la BK peut être un événement important dans la composante douloureuse de la migraine et dans d’autres désordres cérébrovasculaires, ainsi que dans l’inflammation neurogénique observée dans diverses formes de traumatismes cérébraux.
Récepteur B1 des kinines
Le récepteur B1 est généralement absent dans les tissus d’animaux sains, et exprimé chez les animaux atteints d’une infection. Il est induit et surexprimé à la suite de lésions tissulaires ou de l’exposition à des endotoxines bactériennes ou à des cytokines telles que l’interleukine- 1βet le facteur de nécrose tumorale α(TNF-α). De plus, le récepteur B1 ne se désensibilise pas en présence de son agoniste [9]. Toutefois, chez le chien, le récepteur B1 semble être constitutif et son activation cause une hypotension, une natriurèse et une vasodilatation rénale [ 17, 18]. Des agonistes et des antagonistes peptidiques spécifiques de B1 ont été développés [79] (Tableau IV). Des antagonistes non peptidiques du récepteur B1 ne sont pas encore disponibles commercialement.

Induction du récepteur B1 Une synergie semble exister entre le ligand du récepteur B1 et l’interleukine-1β pour augmenter l’expression des récepteurs B1 [ 19]. L’induction du récepteur B1 par les cytokines est contrôlée par la MAP-kinase, le facteur de transcription nucléaire (NF-κB) et la protéine kinase p38 activée par le stress [ 2022]. Des études menées in vivo dans un modèle d’hyperalgésie inflammatoire suggèrent que les récepteurs B1 peuvent également être induits par l’activation du récepteur B2 (via la production autocrine des cytokines) et/ou sa désensibilisation par séquestration [2]. Par ailleurs, l’activation des récepteurs B2 peut directement activer le NF-κB, qui à son tour induit l’expression des récepteurs B1 [19]. En outre, l’invalidation du gène du récepteur B2 chez la souris entraîne une surexpression des récepteurs B1 [15, 23]. Malgré ces observations, l’existence d’un mécanisme d’autorégulation réciproque entre les récepteurs B1 et B2 n’est pas admise de façon consensuelle. En effet, des études réalisées in vivo et in vitro, chez le lapin et sur des cellules en culture, montrent que ni la stimulation des récepteurs B1 et B2 par des ligands exogènes ou endogènes, ni leur blocage chronique par des antagonistes n’ont d’effet significatif sur leur expression mutuelle [ 24].

Contrairement aux récepteurs B2, les récepteurs B1 participent à la phase chronique de la réponse inflammatoire et de la douleur [2, 12]. Ils produisent des réponses et des signaux persistants, avec une faible désensibilisation et une internalisation limitée associée à une dissociation lente du ligand. L’activation chronique des récepteurs B1 peut probablement être amplifiée par l’accumulation de la DBK (desArg9-BK) au site d’inflammation [2]. L’induction de la CPM (carboxypeptidase M de la membrane cellulaire ou kininase I) peut également augmenter le niveau des métabolites actifs sur le récepteur B1 dans le processus d’inflammation [2].

Rôle du récepteur B1 dans l’oedéme Les récepteurs B1 et B2 semblent être impliqués dans le développement des réponses inflammatoires locales dans des modèles d’arthrite aiguë et chronique chez le rat (oedème de la patte, extravasation des protéines menant à l’oedème de l’articulation) [2, 25]. L’induction du récepteur B1 par les cytokines ou le lipopolysaccharide (LPS) a été étudiée dans l’oedème de la patte chez le rat [ 26]: cette réponse inflammatoire relayée par le récepteur B1 a été attribuée à la libération de SP et de CGRP à partir des fibres sensorielles de type C, à la production de sérotonine des mastocytes et à la synthèse de PG.
Rôle du récepteur B1 dans la composante cellulaire de la réponse inflammatoire Les effets pro-inflammatoires du récepteur B1 incluent également la stimulation de la migration des leucocytes sanguins. Outre les récepteurs B1, les kallicréines et les kininogènes sont retrouvés à la surface des neutrophiles circulants et synoviaux, et représentent une façon efficace de délivrer les kinines aux sites d’inflammation [25].

L’activation du récepteur B1 induit les trois phases du processus de recrutement des leucocytes: roulement, adhérence et migration des cellules [2]. Il semble que les agonistes B1 agissent directement sur les neurones sensoriels pour libérer la SP et le CGRP, lesquels influencent à leur tour la chimio- attraction des neutrophiles via des récepteurs peptidiques de l’endothélium [2]. La SP et le CGRP induisent l’expression rapide des molécules d’adhérence des cellules endothéliales vasculaires (Esélectine, P-sélectine et la molécule d’adhérence intercellulaire- 1 ou ICAM-1), lesquelles jouent un rôle fondamental dans le roulement et l’adhérence des neutrophiles circulants [2]. Alternativement, les récepteurs B1 peuvent activer indirectement les fibres sensorielles de type C par libération de PG, des médiateurs des mastocytes et des cytokines, particulièrement l’interleukine-1.

Le récepteur B1 a été détecté, en immunocytochimie, sur des cellules endothéliales et périvasculaires inflammatoires issues d’échantillons de cerveau prélevés à l’autopsie chez des patients atteints de sclérose en plaques [ 27]. Le récepteur B1 est induit par l’interféron-γ sur les cellules endothéliales en culture provenant de cerveau humain. Son activation entraîne une inhibition de la libération d’interleukine-8 par les cellules endothéliales et une augmentation de la perméabilité aux grosses molécules (albumine) d’une membrane artificielle hématoencéphalique intégrant des cellules endothéliales. De plus, une corrélation a été observée entre l’activité du récepteur B1 et son expression sur des lymphocytes T dérivés du sang de patients atteints de sclérose en plaques [ 28]. Les cytokines pro-inflammatoires (interféron-γ, TNF-α), dont la concentration plasmique est élevée dans la sclérose en plaques, potentialisent l’expression du récepteur B1 à la surface des lymphocytes T. Dans cette même étude, l’activation du récepteur B1 des cellules T empêche leur migration à travers une membrane hématoencéphalique artificielle. Ces résultats suggèrent un rôle protecteur du récepteur B1 dans cette maladie: en effet, le récepteur B1 réduirait l’infiltration des cellules immunes dans le cerveau, par l’intermédiaire d’une réduction de la sécrétion d’interleukine-8 par les cellules endothéliales et par un effet direct anti-migratoire sur les lymphocytes T. Or, ces cellules immunes jouent un rôle important dans le déclenchement du processus inflammatoire de démyéliniation observé dans la sclérose en plaques.

Rôle du récepteur B1 dans la douleur d’origine inflammatoire Des études récentes en immunohistochimie ont montré une expression basale des récepteurs B1 dans les ganglions sensoriels et dans les terminaisons nerveuses centrales et périphériques des neurones sensoriels (fibres Aδ et C) chez le rat, de même que dans la corne dorsale chez l’homme [2]. Le groupe de J.B. Pesquero [ 29] a également montré la présence de récepteurs B1 dans la moelle épinière de la souris, leur activation facilitant un réflexe nociceptif (une réaction à la douleur). Chez la souris dont le gène du récepteur B1 est invalidé, il y a une réduction du phénomène de sensibilisation aux stimulus nociceptifs, mesurée au niveau de la moelle épinière, et une perte de sensibilité aux stimulus chimiques et thermiques dans les essais comportementaux de nociception [29]. De plus, J. Ferreira et al. [ 30] ont rapporté une diminution de l’hyperalgésie dans un modèle de douleur inflammatoire persistante chez le même type de souris.

Malgré cette expression basale des récepteurs B1, leur rôle physiologique dans le contrôle des informations douloureuses en situation normale, chez l’animal sain, demeure encore incertain. En effet, les agonistes du récepteur B1 des kinines n’ont pas d’effet sur la nociception chez des rats normaux ou dans des modèles aigus d’inflammation [16], et n’entraînent ni la production de seconds messagers, ni la libération de neuropeptides, ni la survenue d’événements électrophysiologiques dans des neurones sensoriels soumis en conditions témoins ou inflammatoires aiguës [2, 12]. Les antagonistes pharmacologiques du récepteur B1 induisent une analgésie seulement dans des modèles animaux d’hyperalgésie mécanique et thermique persistante, d’origine inflammatoire, ou dans la douleur persistante viscérale. Ces résultats peuvent être expliqués par l’induction des récepteurs B1 sur des cellules autres que les neurones sensoriels (macrophages, fibroblastes ou les cellules endothéliales), où ils peuvent être responsables de la libération de médiateurs (PG, cytokines et NO) sensibilisant ou activant les nocicepteurs [2, 12].

Dans un modèle d’hypersensibilité neuropathique causée par une lésion des nerfs périphériques chez le rat, les antagonistes des récepteurs B1 ont un effet analgésique mesurable seulement 14 jours après la lésion, alors que les antagonistes du récepteur B2 induisent une analgésie mesurable 48 h et 14 jours après [ 31]. Dans l’étude précédente, ainsi que dans deux études semblables, une augmentation de l’expression (ARNm) des récepteurs B1 et B2 des kinines a été mise en évidence dans les ganglions sensoriels de la racine dorsale deux jours après ligature du nerf sciatique chez le rat, augmentation qui pourrait contribuer à l’hyperalgésie consécutive à une douleur inflammatoire [2]. Ainsi, une activation directe du récepteur B1 des neurones sensoriels par les kinines endogènes est possible; cet effet peut être sensibilisé par l’action des PG ou de médiateurs libérés à partir d’autres cellules par l’activation de l’un ou l’autre type de récepteurs de la BK.

Les données expérimentales actuelles suggèrent donc que les récepteurs B1 sont principalement impliqués dans la douleur persistante inflammatoire, leur rôle potentiel dans le contrôle de la douleur aiguë chez l’homme restant à démontrer.

Rôle du récepteur B1 dans le diabéte Des données expérimentales suggèrent que le diabète est une autre condition pathologique pouvant entraîner l’induction des récepteurs B1. D’après les connaissances actuelles, le diabète sucré de type 1, ou insulinodépendant, est dû à une réponse auto-immune impliquant la surproduction de cytokines, dont l’interleukine-1β et le TNF- α, qui mène à la destruction des cellules β des îlots pancréatiques [ 32]. L’hyperglycémie et le stress oxydatif en résultant peuvent aussi activer NF-κB [ 33], que l’on sait capable d’induire le récepteur B1 [9]. Ainsi, la surproduction de cytokines et l’hyperglycémie pourraient déclencher, au cours du diabète, l’expression du récepteur B1 par l’intermédiaire du NF-κB.

Le modèle de diabète induit par la streptozotocine (STZ) est le plus couramment utilisé pour étudier les complications cardiovasculaires et neuropathiques du diabète. La STZ est un antibiotique extrait de Streptomyces acromogenes, sélectivement toxique pour les cellules β des îlots pancréatiques où il cause une inflammation impliquant la libération de cytokines [ 34]. Des données pharmacologiques suggèrent que le récepteur B1 intervient dans la pathogénie du diabète induit par la STZ chez les souris, et que l’insulinite est une réaction inflammatoire lente relayée par l’activation des récepteurs B1 [34]. Les antagonistes du récepteur B1 normalisent l’hyperglycémie et les anomalies rénales, dont l’augmentation du volume d’urine et d’excrétion de protéines, de nitrite et de kallicréine chez la souris STZ [34]. Le récepteur B1 est induit dans le rein et la moelle épinière de rats traités trois semaines plus tôt par la STZ. Dans les glomérules isolés, le récepteur B1 participe à la réduction de l’activation de la MAP-kinase par un inhibiteur de l’ECA [ 35], tandis que, dans la moelle épinière, l’activation du récepteur B1 cause une réponse vasopressive tributaire des prostaglandines et de l’activation du système nerveux sympathique [ 36].

L’activation intraspinale du récepteur B1 chez des rats traités par la STZ entraîne une réponse biphasique sur la nociception dans le test de la douleur thermique, avec une hyperalgésie transitoire suivie d’un effet antinociceptif [2]. Les deux réponses sont bloquées par des antagonistes B1, l’effet hyperalgésique étant également bloqué par un antagoniste de la SP et par des inhibiteurs de la NO synthase ou de la cyclo-oxygénase-2, suggérant que l’activation des récepteurs B1 dans la moelle épinière est associée à la libération de la SP et à la production de NO et de prostaglandines [2].

Conclusions

Les récepteurs B2 et B1 des kinines seraient impliqués respectivement dans les phases aiguë et chronique de la douleur et de la réponse inflammatoire. Le récepteur B1, de nature inductible, semble jouer un rôle stratégique dans les maladies inflammatoires comportant une composante immune (arthrite rhumatoïde, sclérose en plaques, choc septique, diabète). De plus, le récepteur B1 exercerait une dualité fonctionnelle se manifestant, selon la maladie, par une action protectrice (sclérose en plaques et choc septique) ou délétère (douleur, oedème et infiltration des neutrophiles). Par ailleurs, le rôle bénéfique des kinines dans les effets cardioprotecteurs et antihypertenseurs des inhibiteurs de l’ECA et leur utilisation dans le traitement d’autres maladies incluant le diabète sont bien documentés. Enfin, une dimension souvent ignorée est celle des effets centraux des kinines, dont des données récentes ont souligné l’importance et qui sont souvent opposés aux effets périphériques dans la régulation cardiovasculaire et la douleur.

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