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Med Sci (Paris). 2003 February; 19(2): 132.
Published online 2003 February 15. doi: 10.1051/medsci/2003192132.

Ève

Gérard Friedlander, Rédacteur en chef*

Inserm U.426 et Département de physiologie, UFR de Médecine Xavier Bichat, BP 416, 16, rue Henri Huchard, 75870 Paris Cedex 18, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Éthique médicale, Fécondation in vitro, Génétique, Humanisme, Humains, Politique

 

Iahvé Elohim fait tomber une torpeur sur le glébeux. Il sommeille. Il prend une de ses côtes et ferme la chair dessous. Elohim bâtit la côte, qu’il avait prise du glébeux, en femme. Il la fait venir vers le glébeux. Le glébeux dit: « Celle-ci, cette fois, c’est l’os de mes os, la chair de ma chair, à celle-ci il sera crié femme - Isha -: oui, de l’homme – Ish – celle-ci est prise. »

Genèse II, 21-23

Le glébeux crie le nom de sa femme: Hava – Vivante. Oui, elle est la mère de tout vivant.

Genèse III, 20 La Bible. Traduction André Chouraqui. Éditions Desclée de Brouwer, 1985

Sois sans peur, Macbeth. Aucun homme, né d’une femme, n’aura de pouvoir sur toi.

William Shakespeare. Macbeth Acte V, Scène III Traduction Jean-Michel Déprats. La Pléiade, Éditions Gallimard, 2002

A comme Amandine, B comme bébé (-éprouvette), C comme clonage, D comme Dolly, et E Comme Ève. Le F… comme fécondation n’est pas ici de mise.

Amandine, premier enfant né en France grâce à la fécondation in vitro, a 20 ans. Six ans nous séparent de la naissance de Dolly, première brebis clonée. Si la naissance du premier être humain cloné est avérée, il n’aura fallu que deux décennies pour passer de l’émerveillement de l’aide médicale à la procréation, des premières fivettes, à la négation même de la fécondation par l’introduction de la parthénogenèse comme mode de reproduction de l’espèce humaine.

La question n’est plus de savoir aujourd’hui si cela est fait, si cela est sûr. Les preuves seront apportées ou ne le seront pas, cette fois-ci en tous cas. La faisabilité du clonage d’êtres humains sera une réalité demain, ou après-demain. La technique le permet, le fantasme de reproduire à l’identique un individu qui sera le jumeau de son « père » ou de sa « mère », fantasme vieux comme le monde, qui a abondamment nourri la littérature, peut devenir réalité. Il peut prendre corps. Spectaculaire dissociation (une de plus…) entre un bond en avant technologique et un aveuglement éthique.

La perpétuation de l’espèce est fondée sur la fécondation qui implique le brassage des génomes et ladiversité. Dans le clonage reproductif, les cartes ne sont plus battues. Que les chromosomes restent de taille inchangée ou que les télomères raccourcissent, que le vieillissement de ces clones soit accéléré, ralenti ou inchangé, que le clonage donne naissance à de jeunes vieillards ou qu’il soit la clé de l’éternelle jeunesse, là n’est pas la question. Aucun refuge scientifique ou technique ne permet de se mettre à l’abri de l’interrogation sur la finalité de ce virage.

Le transfert de noyau d’une cellule somatique dans un ovocyte ouvrait deux perspectives enthousiasmantes, l’une cognitive par l’approche des mécanismes fondamentaux du développement précoce, l’autre thérapeutique par la production de cellules souches embryonnaires génétiquement identiques, susceptibles d’être différenciées in vitro en différents types cellulaires. L’absence de décision politique visant à interdire le clonage reproductif et à encadrer le clonage à visée thérapeutique aboutirait nécessairement à sacrifier tout clonage sur l’autel du principe de précaution. Le spectre de la « fabrication » d’êtres humains utilisables comme sources d’organes de remplacement parfaitement compatibles ne manquerait pas alors, avec quelque raison, d’être agité.

Puisque la référence des Raéliens à la Bible est explicite, deux remarques s’imposent. En premier lieu, Ève est un cas de parthénogenèse atypique puisque c’est d’un homme - le premier - qu’est « née » une femme. Ensuite, ce n’est qu’après avoir été chassé du jardin d’Eden - un aller simple, à ce jour… - qu’Adam nomme sa femme Ève, en prélude à sa fécondation. Étrange contresens donc de faire d’une petite Ève l’emblème de la reproduction non sexuée.

L’intervention de l’homme sur les conditions de sa naissance puis de sa procréation fait aujourd’hui partie de notre univers. C’est à une réflexion sur la redéfinition de la condition humaine que l’irruption du clonage nous incite.