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Med Sci (Paris). 2003 February; 19(2): 246–247.
Published online 2003 February 15. doi: 10.1051/medsci/2003192246.

Sur les sentiers escarpés des montagnes de bioéthique
Épisode 1 : les aiguilles du clonage

Hervé Chneiweiss*

Inserm U.114, Collège de France, 11, place Marcellin Berthelot, 75231 Paris Cedex 05, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Questions de bioéthique, Clonage d'organisme, Europe, Politique de santé, Humains, Coopération internationale, Religion, Techniques de reproduction assistée, Conditions sociales, États-Unis d'Amérique

 

Le 7 novembre 2002, les États-Unis d’Amérique, suivis par 36 pays, bloquaient aux Nations-Unies une proposition franco-allemande visant à l’interdiction internationale du clonage reproductif humain. Dans les salles feutrées du siège new-yorkais de l’ONU venait de se dérouler un nouvel épisode de la lutte entre la raison scientifique et l’idéologie d’inspiration religieuse. D’un côté, les partisans d’une distinction claire entre clonage reproductif et clonage thérapeutique1, de l’autre les militants d’une conception de l’homme dès la fécondation. Ce 7 novembre, la bataille se terminait par un refus d’une distinction rationnelle entre embryon porteur d’un projet d’être humain et cellules cultivées sous forme de lignées. Un point était gagné par ceux qui usent et abusent du vocabulaire pour confondre une lignée de cellules et un embryon, une greffe de noyau à des fins de recherche thérapeutique et l’avenir d’une humanité condamnée à perdre son âme dans la reproduction à l’identique de l’enfant génétiquement parfait.

L’histoire avait en fait commencé le 19 novembre 2001 lorsque, sur proposition de la France et de l’Allemagne, l’Assemblée Générale des Nations-Unies avait décidé la création d’un Comité spécial, au sein de la 6e Commission, chargé « d’étudier la possibilité d’élaborer une convention internationale contre le clonage d’êtres humains à des fins de reproduction ». Pourquoi une telle convention alors que bien d’autres déclarations ou textes internationaux existaient déjà?

De fait, les progrès des techniques de reproduction médicalement assistée, et les travaux sur le séquençage du génome humain, avaient conduit à la « Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme », tout d’abord adoptée par l’UNESCO, puis reprise en 1997 par l’Assemblée générale des Nations-Unies. Cette Déclaration condamne explicitement le clonage à des fins reproductives. Et il s’agissait déjà d’une initiative française ! Mais cette Déclaration était une proclamation politique, sans aucune valeur juridique contraignante. Il en est de même de la Charte des droits fondamentaux, adoptée dans le cadre de l’Union européenne, qui mentionne « l’interdiction du clonage reproductif des êtres humains » dans son article 3.

Tout autre est le Protocole additionnel à la convention d’Oviedo « pour la protection des droits de l’homme et de la dignité humaine à l’égard des applications de la biologie et de la médecine » du 12 janvier 1998. Ce protocole donne une définition du clonage humain mais ne restreint pas explicitement son interdiction à la seule reproduction. Du coup, le Protocole que la France a cautionné, mais n’a pas ratifié, interdirait également le transfert nucléaire à des fins thérapeutiques. Notons que 8 pays seulement, sur les 29 signataires d’Oviedo, ont ratifié à ce jour le Protocole, et aucun grand pays scientifique.

En accord avec les termes du Protocole additionnel d’Oviedo, les États-Unis exigeaient l’interdiction de toute forme de clonage, y compris à visée de recherche et de thérapeutique. Une position défendue également par le Vatican, qui ne tarit pas d’éloge à ce sujet envers l’administration américaine. Seul résultat garanti: le renvoi à septembre 2003 de la discussion et l’absence de règle internationale dans ce domaine durant cette période. Même si les annonces raéliennes sont tout aussi fantaisistes que les promesses du Dr Antinori, cette absence de règle internationale alimente tous les fantasmes et entretient la confusion dans les esprits sur les travaux menés sur les cellules souches embryonnaires.

Le raidissement de la position américaine correspond à l’attitude générale de l’administration Bush. Par exemple, le 30 octobre 2002, la charte du Comité de Protection sur les Recherches chez l’Homme, qui organise la recherche en clinique humaine aux États-Unis, avait été amendée pour y inclure l’embryon en tant que personne humaine. De nombreux observateurs pensent qu’il s’agit d’un prélude à l’interdiction de toute recherche sur l’embryon aux États-Unis. Rappelons que depuis l’été 2001 les chercheurs n’ont accès qu’aux 64 lignées de cellules souches embryonnaires humaines théoriquement disponibles dans le monde, mais que tout financement fédéral leur est interdit concernant la production de nouvelles lignées. Encore est-il utile de noter que sur ces 64 lignées potentielles, seulement 5 sont réellement utilisées. De plus, une loi votée par la Chambre des représentants (majorité républicaine) interdit toute forme de clonage, qu’il ait un but reproductif ou de recherche. Cette loi n’avait pas été votée par le Sénat tant que la majorité était démocrate. Mais après le changement de majorité à l’automne 2002 en faveur des Républicains, le sénateur Sam Brownback présentera maintenant prochainement cette loi, avec l’appui du président Bush et celui du leader du Sénat, William Frist, un chirurgien cardio- vasculaire jusque-là connu pour ses positions favorables aux biotechnologies.

À l’appui de ces positions radicales, largement appuyées sur des positions de principe de groupes républicains d’inspiration religieuse, on trouve souvent une justification scientifique reposant sur l’affirmation que les cellules souches adultes peuvent aisément être substituées aux cellules souches embryonnaires, tant en termes de sujet de recherche qu’en ce qui concerne une future utilisation thérapeutique.

Mais ne sommes-nous pas ici dans une situation où le principe de précaution devrait jouer en faveur de l’ouverture de la recherche? En effet, au-delà d’affirmations d’autant plus fermes que les certitudes sur lesquelles elles s’appuyaient étaient faibles, l’enthousiasme concernant les cellules souches adultes, et leur possible utilisation thérapeutique rapide, n’a cessé d’être mis en cause par les découvertes et travaux effectués tout au long de l’année 2002.

En situation d’incertitude, l’ignorance est le pire des maux. C’est la raison pour laquelle la poursuite des recherches sur les cellules souches embryonnaires trouve d’ailleurs des défenseurs au-delà de la seule communauté scientifique et aux États-Unis même. Ainsi, l’État de Californie a autorisé le développement de nouvelles lignées de cellules souches embryonnaires humaines, passant outre l’interdiction fédérale, et le New Jersey semble prêt à suivre la même voie. Il sera intéressant de suivre le débat juridique lorsque la loi fédérale, votée par le Sénat, s’inscrira en contradiction claire avec la loi californienne. Pendant ce temps, des pays heureux comme la Grande-Bretagne, Israël ou Singapour, accueilleront les meilleurs chercheurs du domaine pour leur permettre d’explorer les potentialités de cellules souches embryonnaires humaines fraîchement préparées, voire même de produire des cellules après transfert nucléaire. Même nos voisins allemands, il y a peu si prudents, ont autorisé dès décembre 2002 l’importation de cellules souches embryonnaires humaines à des fins de recherche. Et voici la France dans une situation bien curieuse. Tandis que les lenteurs parlementaires nous font languir sur une révision des lois de bio-éthique qui semble de plus en plus restrictive, les associations de « défense des droits de la vie » mènent la bataille juridique pour interdire la recherche sur des lignées de cellules souches embryonnaires humaines dont la loi autorise l’importation. À l’importation, il s’agit de cellules. Puis soudain arrivées sur notre sol, et dans nos laboratoires, ces cellules deviendraient des embryons (→). Le Conseil d’État a rendu fin novembre un arrêt en ce sens, suspendu l’autorisation, et renvoyé les plaideurs au tribunal administratif. Le jugement au fond vient d’être rendu : l’autorisation est légale. Cette décision suffirat- elle à permettre enfin les recherches ? À suivre.

(→) m/s 2002, n° 2, p. 169 ; n°4, p. 503 ; n°5, p. 635

 
Footnotes
1 Rappelons que les deux approches partagent une étape technique initiale de transfert d’un noyau somatique dans un ovocyte activé pour former ultérieurement un blastocyste.