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Med Sci (Paris). 2003 April; 19(4): 393–395.
Published online 2003 April 15. doi: 10.1051/medsci/2003194393.

Fentes et brides : une même étiologie pour deux syndromes a priori bien différents

Gilgenkrantz Simone*

9, rue Basse, 54330 Clerey-sur-Brenon, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Fente labiale, Fente palatine, Humains, Jambe, Mutation faux-sens, Facteurs de transcription

 

Les gènes IRF (interferon regulatory factor), au nombre de 9, codent pour une famille de facteurs de transcription qui contrôlent l’expression de l’interféron après une infection virale. Mais il est probable qu’ils interviennent aussi dans bien d’autres domaines, en particulier dans le contrôle du développement embryonnaire, comme en atteste la récente implication d’IRF6 dans deux maladies à transmission autosomique dominante: le syndrome de van der Woude et le syndrome du pterygium poplité [ 1].

Le syndrome de van der Woude (VWS)

Parmi les syndromes associés à des fentes labio-palatines, le VWS a été très tôt individualisé car il est caractérisé par la présence de deux petits pertuis symétriques au niveau de la lèvre inférieure (Figure 1A) qui permettent d’identifier cette variété de fente palatine pouvant s’accompagner de fente labiale - mais jamais l’inverse - et de pouvoir affirmer son caractère autosomique dominant (pénétrance de 96,7 %). Les analyses de ségrégation familiale ont montré que le locus se situe en 1q42-q41 [ 2]. La recherche du gène fut rendue difficile par la présence de nombreux polymorphismes (single nucleotide polymorphism) à ce locus (environ 1 pour 1900 pb). C’est finalement grâce à une paire de jumeaux monozygotes discordants pour le VWS que la preuve fut faite de l’implication d’IRF6 dans la maladie [1]. En effet, seul le jumeau atteint était porteur d’une mutation non-sens dans l’exon 4, absente chez le jumeau sain et chez les parents. Par la suite, l’équipe ayant fait cette constatation a retrouvé des mutations dans 45 familles avec VWS. Comme on pouvait s’y attendre du fait des variations phénotypiques intrafamiliales rapportées depuis longtemps (en particulier la coexistence dans une même famille de fentes palatines et de fentes labio-palatines), l’étude moléculaire a confirmé qu’une même mutation peut causer les deux types de malformations.

Le syndrome des pterygium poplités (PPS)

Il se caractérise par une bride cutanée généralement bilatérale située dans la région postérieure des membres inférieurs et s’étendant de l’ischion au talon (Figure 1D et E). Celle-ci empêche l’extension normale du membre inférieur. Une correction chirurgicale peut être obtenue, en prenant soin de respecter le nerf sciatique qui est souvent situé dans le pterygium. Dans le PPS, au contraire de la maladie des pterygium multiples, il n’est jamais observé de pterygium des bras ou du cou [ 3]. En revanche, une fente palatine ou labiopalatine, accompagnée des pertuis pathognomoniques du VWS, peut accompagner le pterygium, ainsi que d’autres anomalies: scrotum bifide et cryptorchidie chez le garçon, hypoplasie des grandes lèvres chez la fille, ankyloblépharon1 (Figure 1F), et syndactylies [ 4].

Le locus du PPS, syndrome également autosomique dominant, ayant été situé dans la même région que celui du VWS, il était logique de faire une étude moléculaire du gène IRF6 chez des malades avec PPS. Des mutations furent trouvées chez 13 familles permettant donc d’affirmer que ces deux maladies génétiques sont alléliques.

Le gène IRF6

Il code pour un facteur de transcription possédant un domaine HLH (helix-loop-helix) de fixation à l’ADN très conservé au cours de l’évolution, ainsi qu’un domaine de liaison protéique appelé SMIR (smad interferon regulatory factor-binding domain). Des études sur IFR3 et IFR7 montrent que le domaine SMIR est nécessaire pour l’association des smad en homo- et hétérodimères. Ceux-ci passent dans le noyau où ils s’associent à d’autres facteurs de transcription pour se lier aux séquences spécifiques de l’ADN.

Presque toutes les mutations se situent dans l’un ou l’autre de ces deux domaines qui semblent donc essentiels pour la fonction d’IRF6, Mais, tandis que les mutations de VWS se répartissent également dans les deux domaines, les mutations de PPS se trouvent presque exclusivement dans le domaine de liaison à l’ADN, et concernent des acides aminés essentiels à la fixation à l’ADN. À cet égard, la substitution Arg84 par une cystéine ou une histidine (dans 7 familles) est exemplaire car seule l’arginine est capable de former un pont hydrogène avec la guanine de la séquence reconnue sur l’ADN. L’incapacité d’IRF6 de se fixer à l’ADN tout en conservant son pouvoir de liaison avec d’autres protéines produirait donc un effet dominant négatif. En revanche, les mutations observées dans le VWS, mutations tronquantes le plus souvent, aboutissent à une perte de fonction complète d’IRF6 conduisant à une haplo-insuffisance. Celle-ci agirait essentiellement sur le développement oro-facial. Toutefois, les variations phénotypiques sont en réalité plus complexes, avec chevauchement des deux syndromes. Ainsi, dans 4 familles de PPS, on trouve des sujets ayant uniquement des malformations oro-faciales de type VWS et dans 32 familles étiquetées VWS, on trouve toutes sortes de malformations oro-faciales. D’où l’hypothèse de gènes modificateurs modulant la fonction de la protéine IRF6, comme ce variant Val274Ile observé dans une région très conservée de SMIR que l’on trouve assez fréquemment dans la population générale (3 % chez les Européens, 20 % chez les Asiatiques).

Études d’expression d’IRF6

En analysant par RT-PCR et hybridation in situ l’expression d’IRF6 dans des tissus murins embryonnaires et adultes, on la trouve maximale dans le palais secondaire des embryons de 14,5 et 15 jours. Sa courbe se superpose à celle de TGFβ3 qui, conjointement à d’autres facteurs de transcription de la même famille, est indispensable à la fermeture du palais. Elle est très forte juste avant et au moment de la fusion palatine, ainsi que dans les bourgeons dentaires, les follicules pileux, le canal thyréoglosse et les organes génitaux externes.

Conclusions

Les fentes labiales et palatines sont associées à plusieurs centaines de maladies mendéliennes dont les causes moléculaires ont été peu à peu mises en évidence [ 5]. Mais les nombreuses étiologies des fentes non syndromiques restent encore à trouver. Il est possible que des fentes palatines isolées, sans pertuis à la lèvre inférieure, soient dues à des mutations d’IRF6, Mais surtout, la découverte de l’implication de ce gène dans des fentes palatines et des brides comme le pterygium poplité ou l’ankyloblépharon offre de nouvelles perspectives de recherche dans l’étude du développement cutanéo-muqueux au cours de l’embryogenèse.

 
Footnotes
1 Fusion congénitale des deux paupières par un ou plusieurs ponts filamenteux.
References
1.
Kondo S, Schutte BC, Richardson RJ, et al. Mutations in IRF6 cause Van der Woude and popliteal pterygium syndromes. Nat Genet 2002; 32: 285–9.
2.
Houdayer C, Soupre V, Karcenty B, et al, Linkage analysis of 5 novel van der Woude syndrome kindreds to 1q32-41 markers further supports locus homogeneity of the disease trait. Ann Genet 1999; 42: 69–74.
3.
Froster-Iskenius UG. Popliteal pterygium syndrome. J Med Genet 1990; 27: 320–6.
4.
Lees MM, Winter RM, Malcolm S, et al, Popliteal pterygium syndrome: a clinical study ot three families and report of linkage to the Van der Woude syndrome locus on 1q32. J Med Genet 1999; 36: 888–92.
5.
Muenke M. The pit, the cleft and the web. Nat Genet 2002; 32: 219–20.