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Med Sci (Paris). 2003 April; 19(4): 408–411.
Published online 2003 April 15. doi: 10.1051/medsci/2003194408.

Un nouveau rebondissement dans la quête de l’origine des interneurones GABAergiques du cortex cérébral?

Nicolas Narboux-Nême* and Marion Wassef

École Normale Supérieure, Cnrs UMR 8542, Équipe régionalisation nerveuse, 46, rue d’Ulm, 75230 Paris Cedex 05, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Cortex cérébral, Humains, Interneurones, Souris, Synapses, Télencéphale, Acide gamma-amino-butyrique

 

Les neurones du cortex cérébral adulte des mammifères peuvent être répartis en deux catégories en fonction du neurotransmetteur qu’ils utilisent. Les neurones utilisant le glutamate sont excitateurs et projettent leurs axones à longue distance dans d’autres régions corticales ou à l’extérieur du cortex. Les neurones GABAergiques utilisent le GABA (acide γ- amino-butyrique), sont locaux et ont une fonction inhibitrice qui leur permet de moduler l’activité des neurones glutamatergiques.

On savait depuis longtemps, chez la souris, que les cellules GABAergiques et glutamatergiques du cortex cérébral ne proviennent pas des mêmes cellules progénitrices du neuro-épithélium [ 1]. On pensait néanmoins que les cellules progénitrices de tous les types cellulaires du cortex cérébral se trouvaient dans la zone ventriculaire corticale (ZV), où se trouvent les cellules en phase proliférative. Après avoir quitté le cycle cellulaire, les précurseurs des neurones migrent selon un axe radial à travers la zone sous-ventriculaire adjacente (ZSV) (→) pour coloniser l’ébauche corticale en formation [ 2]. Des cellules migrant tangentiellement à la surface du cortex cérébral avaient été observées, mais ce phénomène était tenu pour marginal. On a cependant découvert que ces cellules à migration tangentielle proviennent des éminences ganglionnaires latérales et médianes du télencéphale basal [ 3], qui formeront le striatum et le pallidum. De plus, loin d’être marginale, cette migration d’origine extracorticale fournit au cortex la quasi-totalité de ses futurs interneurones GABAergiques (Figure 1B).

(→) m/s 2003, n° 3, p. 263

Les cellules du télencéphale basal se distinguent des cellules corticales notamment par l’expression de gènes spécifiques. Parmi ceux-ci, les gènes codant pour les neurogénines et Mash1, des facteurs de transcription à domaine bHLH (basic helix loop helix), spécifient l’identité neurale par opposition à l’identité gliale. Si les gènes Neurogénine 1 et 2 sont exprimés spécifiquement dans les progéniteurs du cortex cérébral, Mash1 (mammalian achaete-scute homolog-1) a un profil d’expression complémentaire, restreint aux progéniteurs du télencéphale basal. Il y spécifie l’identité des neurones des éminences ganglionnaires en induisant l’expression des gènes Dlx1/2 (distal- less homeobox 1/2) [ 4]. L’expression des gènes Dlx induit à son tour la production de GABA par ces cellules [ 5]. Par la suite, lorsque les neurones GABAergiques quittent la région ventriculaire dans laquelle ils sont produits, ils cessent d’exprimer Mash1, mais la transcription de Dlx et la production de GABA persistent tout au long de leur migration [3].

Mais qu’en est-il chez l’homme? C’est la question à laquelle K. Letinic et al. ont tenté de répondre dans un article paru il y a quelques mois dans Nature [ 6]. La question est moins anecdotique qu’il n’y paraît pour deux raisons. La première est qu’un certain nombre de maladies humaines comme l’épilepsie ou la schizophrénie sont en partie associées à des dysfonctionnements de ces cellules. L’étude des anomalies de migration des interneurones au cours du développement pourrait aider à comprendre les facteurs prédisposant à ces maladies. Par ailleurs, d’un point de vue évolutif, cette question se révèle pertinente. En effet, une des caractéristiques des primates est l’énorme accroissement de la taille de leur cortex cérébral par rapport à celle des autres régions du cerveau. La région produisant les cellules destinées à coloniser le cortex, dont les cellules GABAergiques, ne s’étant pas accrue dans les mêmes proportions, on pourrait craindre une pénurie de cellules. Par ailleurs, des études récentes du même groupe ont montré que les interneurones peuplant le thalamus humain ont un comportement différent chez le rongeur et chez l’homme: chez tous les mammifères étudiés, les interneurones GABAergiques du thalamus sont exclusivement produits localement dans le diencéphale. Cependant, chez l’homme, un contingent de cellules GABAergiques du thalamus provient des éminences ganglionnaires du télencéphale basal [ 7] qui est pourtant situé dans une autre division du cerveau (flèche verte de la Figure 1A). In vitro, le thalamus dorsal humain a une action attractive sur les cellules GABAergiques du télencéphale basal alors que cette action est répulsive dans les autres espèces de mammifères, primates y compris. Dans ces conditions, qu’en est-il, chez l’homme, des cellules GABAergiques du cortex cérébral qui, chez les rongeurs, proviennent par migration du télencéphale basal?

Les auteurs utilisent pour cette étude des cultures organotypiques de tranches de cerveaux de foetus humains. Ils observent que la majorité des cellules reconnues par un anticorps anti-GABA comme par un anticorps anti-Dlx ont une orientation tangentielle et sont situées dans les zones ventriculaires et sous-ventriculaires corticales. Grâce à un colorant lipophile fluorescent, le DiI, les auteurs marquent sur du tissu vivant toutes les cellules situées dans certaines régions ciblées des zones ventriculaires et sous-ventriculaires corticales. Ils peuvent ainsi suivre en temps réel, par une technique de vidéomicroscopie, les cellules qu’ils ont observées précédemment par immunohistochimie. Ils observent qu’à dix semaines de gestation, presque toutes les cellules migrent dans une direction radiale, la proportion de cellules qui migrent tangentiellement augmentant avec l’âge. Les auteurs transfectent ensuite dans les cellules de ces tranches de cerveau une construction d’ADN permettant d’exprimer une protéine fluorescente, EYFP (enhanced yellow fluorescent protein), spécifiquement dans les neurones. Ils observent alors une importante migration tangentielle des neurones marqués, indiquant que les cellules marquées par le DiI dans les régions ventriculaires et sousventriculaires corticales sont bien des neurones et non un autre type cellulaire, glial par exemple. Il existe donc une catégorie de neurones se trouvant dans la région proliférative corticale, capables de migrer tangentiellement, et dont tout laisse penser qu’il s’agit de neurones GABAergiques.

Observées en microscopie électronique, les cellules GABA immunoréactives à orientation tangentielle présentes dans la zone sous-ventriculaire corticale forment un réseau compact interagissant étroitement avec d’autres neurones, ce qui suggère une migration groupée en contact étroit avec d’autres neurones présents dans le cortex cérébral.

Les auteurs ont voulu, par une approche de culture d’explants in vitro, vérifier chez l’homme les propriétés migratoires des cellules GABAergiques corticales. Chez la souris, les cellules GABAergiques migrent tangentiellement dans la zone proliférative corticale puis radialement dans l’ébauche corticale le long de la glie radiaire pour coloniser les couches corticales en formation [ 8]. Chez l’homme, les cellules GABAergiques des explants de ZV et de ZSV migrent en chaînes sans établir de contact avec la glie, mimant la migration en réseau observée au microscope électronique. En revanche, les cellules GABAergiques qui migrent hors des explants provenant d’ébauches corticales ne migrent qu’au contact d’une cellule gliale. Il n’y a donc pas de discordance entre les rongeurs et l’homme dans le mécanisme de migration des cellules GABAergiques: elles colonisent le cortex par migration tangentielle dans la zone proliférative corticale, suivie d’une migration radiale le long de la glie pour rejoindre l’ébauche corticale et s’y différencier.

L’originalité des cellules GABAergiques corticales humaines réside dans les gènes qu’elles expriment. Comme celles de la souris, les cellules GABAergiques du cortex cérébral humain expriment les gènes Dlx. Cependant, contrairement à la souris, les deux tiers d’entre elles expriment aussi Mash1. De plus, Mash1 est exprimé par 85 % des cellules en division de la ZSV chez l’homme. Tout indique donc que la majorité des interneurones GABAergiques humains sont en fait produits dans la région proliférative corticale et ne proviennent pas du télencéphale basal. Cette prolifération locale a été vérifiée en infectant les cellules des tranches organotypiques de cortex avec un virus porteur d’un transgène codant pour la GFP (green fluorescent protein), qui ne s’intègre que dans les cellules en division. L’observation dans le cortex juste après l’infection de cellules fluorescentes indique que certaines cellules ont proliféré. Une partie de ces cellules migrent tangentiellement et d’autres continuent à proliférer tout en produisant des cellules à migration tangentielle. La grande majorité de ces cellules migrant tangentiellement sont reconnues par un anticorps anti-GABA, toutes expriment Dlx, et toutes - celles qui prolifèrent comme celles qui migrent - expriment Mash1. Mash1 est donc exprimé par les cellules GABAergiques produites localement par les progéniteurs corticaux. En effet, les auteurs ont exclu que l’expression du gène Mash1 par les cellules GABAergiques corticales reflète la migration de progéniteurs Mash1 positifs à partir des éminences ganglionnaires. In vitro, les cellules migrant hors d’explants issus d’éminences ganglionnaires n’expriment jamais Mash1 et ne prolifèrent pas. On peut donc conclure que, chez l’homme, à la différence de ce qui se passe chez le rongeur, la majorité des interneurones humains sont produits par le cortex et non par le télencéphale basal. De plus, ces cellules trouvent leur origine dans la région sous-ventriculaire corticale, qui est, chez la souris, principalement impliquée dans la production de cellules gliales [ 9]. Le tiers restant des cellules GABAergiques du cortex humain proviennent des éminences ganglionnaires et ont un comportement semblable à celui qui est observé chez la souris (Figure 1C). Une hypothèse finaliste pourrait justifier l’originalité du comportement des neurones GABAergiques humains produits localement par le cortex, par la nécessité de prévoir une seconde source d’interneurones chez les primates, compte tenu de l’accroissement de la taille du néocortex. Ces résultats nécessitent toutefois quelques précisions. En effet, alors que la formation du cortex dure 10 jours chez la souris, elle dure 200 jours chez l’homme. Les auteurs admettent que leur période d’analyse, qui s’étend de 10 à 25 semaines in utero, visualise « la principale vague de production et de migration des neurones corticaux dans le cerveau humain », sans exclure que les cellules GABAergiques observées dans le cortex à dix semaines, et considérées comme produites localement, aient en réalité migré préalablement depuis les éminences ganglionnaires. Certaines cellules GABAergiques tardives sont connues chez la souris [ 10] pour se diviser dans la zone proliférative corticale après leur migration depuis l’éminence ganglionnaire latérale, mais on ignore si elles expriment Mash1. Il demeure possible que, chez l’homme, certaines cellules ayant migré précocement puissent à nouveau se diviser et exprimer Mash1.

Bien que faisant l’objet de nombreuses études, un grand nombre de questions sur les cellules GABAergiques corticales restent sans réponse même chez la souris. Les résultats de cette étude pourraient apporter de nouvelles perspectives de recherche. En effet, bien que l’on sache que l’énorme majorité des interneurones GABAergiques corticaux proviennent du télencéphale basal, personne n’a jamais réussi à obtenir un cortex cérébral totalement dépourvu d’interneurones. Il persiste 10 % d’interneurones dans le cortex de souris dont les gènes Dlx1/2 (nécessaires aux cellules GABAergiques en migration) ont été invalidés [5]. Nous avons nous-mêmes observé qu’in vitro les cultures de cellules corticales, ou d’explants de neuroépithélium cortical, même très précoces, contiennent des interneurones en l’absence de toute éminence ganglionnaire. Ces neurones pourraient, là encore, être originaire des éminences ganglionnaires et avoir migré très précocement. On sait par ailleurs que Mash1, très majoritairement exprimé dans le télencéphale basal, est aussi faiblement exprimé par certains progéniteurs corticaux [4]. Peut-être existe-t-il dans le cortex cérébral murin une sous-population d’interneurones GABAergiques exprimant Mash1, produits localement, mais difficilement décelables in situ.

Alors, mécanisme inédit dans la production de cellules GABAergiques corticales humaines ou amplification d’un phénomène commun à tous les mammifères? Dans les deux cas, ces travaux sont remarquables par la qualité des expériences menées sur des foetus humains, avec des techniques habituellement réservées aux modèles plus faciles d’accès. Ces travaux permettent d’avoir une meilleure idée de la divergence des mécanismes employés par différents organismes pour peupler leur cortex d’interneurones. Comprendre ce phénomène est crucial pour comprendre le fonctionnement cérébral et, par extension, ses dysfonctionnements pathologiques. Dans le prolongement de cette étude, la manière dont ces cellules procèdent ensuite pour se répartir et se différencier harmonieusement dans l’espace cortical demeure mal comprise.

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