La génomique a également mis en valeur un sujet qui restait jusqu’ici dans l’ombre, en particulier dans les organismes publics de recherche: la propriété intellectuelle. Depuis le milieu des années 1970, les offices de brevet ont délivré des milliers de licences à des chercheurs ou à des institutions aussi bien publiques que privées, sans règles adaptées à la spécificité de l’information génétique. L’ADN n’était alors considéré que comme une molécule chimique analogue aux autres molécules produites par l’industrie chimique et pharmaceutique (→).
(→) m/s 1990, n° 8, p. 807 1992, n° 10, p. 1102
Il en découle actuellement plusieurs interrogations qu’il est important de ne pas confondre car elles se réfèrent à des champs d’activité différents: le brevet, en tant que moteur de stimulation de l’innovation au service du bien public, continue-t-il à jouer son rôle lorsqu’il inclut une séquence génétique ? Les offices de brevets ont-ils respecté les critères de brevetabilité? Une conception restrictive des revendications n’est-elle pas nécessaire en matière de génomique ? Des règles de protection de la Santé publique ne sont-elles pas nécessaires ?
La brevetabilité, quel que soit son domaine d’application, est fondée sur trois critères qui doivent être simultanément satisfaits. Le premier est la nouveauté, qui fait de l’objet du brevet un élément qui ne devait pas être antérieurement caractérisé. Dans le domaine de la recherche fondamentale, où la rapidité de publication d’une découverte est essentielle, une discussion est engagée entre Europe et États-Unis sur le délai de grâce: combien de temps après sa révélation un objet est-il encore nouveau. Aucun délai, diton sur le vieux continent; 18 mois, demande le nouveau monde. Le second critère est l’inventivité. Par invention, il est entendu que l’objet du brevet ne doit pas avoir un caractère d’évidence pour les professionnels du secteur. Elle est jugée d’après l’appréciation de l’état de l’art par des spécialistes des brevets ayant, en principe, une double compétence dans le domaine juridique de la propriété intellectuelle et dans le champ technique disciplinaire concerné par le brevet. Enfin, l’Europe exige l’applicabilité industrielle. Aux États-Unis, c’est la notion d’utilité qui est retenue. Ainsi, en Europe, on ne peut pas breveter une idée, par exemple un programme d’éducation, tandis que ceci est possible outre-Atlantique.
Depuis les révolutions américaine et française, le brevet est synonyme de progrès. C’est une contrepartie donnée à l’inventeur pour une durée limitée, en échange de l’apport durable de son invention au bien commun. La loi américaine, votée par le Congrès le 10 avril 1790, et la loi française, adoptée par l’Assemblée Constituante le 7 janvier 1791, sont les véritables points de départ de la législation sur la propriété intellectuelle. Ces deux textes repoussent toute idée de privilège; ils considèrent que la protection des droits des inventeurs est un dû et que la loi doit donc leur garantir la pleine et entière jouissance de leurs inventions pour une durée déterminée. Cette protection est octroyée en échange de la publication des informations sur l’invention, ce qui permet la diffusion des techniques. L’alternative au brevet est en général le secret: la formule magique du Coca-Cola®, les codes sources des logiciels de Microsoft®, etc.
Mais le vivant est-il « inventable »? Les procédés biotechnologiques recèlent une activité inventive incontestable. C’est à ce titre que des méthodes de fermentation sont brevetées à la fin du XIXe siècle, notamment l’utilisation d’une levure de bière dépourvue de contamination bactérienne par Louis Pasteur, en 1873, en France et aux États-Unis. En 1930, le Plant Act aux États-Unis distingue, parmi les variétés végétales, celles qui n’auraient jamais existé sans l’intervention de l’inventivité humaine, et sont donc brevetables, et les autres, qui ne le sont pas. En 1980, est jugée par la cour suprême des États-Unis la demande contestée d’Ananda Chakrabarty devant l’US Patent and Trademark Office (USPTO), qui porte sur une bactérie mutée destinée à métaboliser le pétrole, et donc à dépolluer les surfaces souillées par les hydrocarbures. Par une seule voix de majorité (5 voix contre 4), la cour suprême décida que ce microorganisme, produit de l’ingéniosité humaine, nouveau et manifestement utile, pouvait faire l’objet d’un brevet. En 1985, la cour d’appel de l’USPTO déclare que tout ce qui pousse et vit sous le soleil grâce à l’ingéniosité humaine peut être breveté.
Qu’en est-il des gènes ? Fin 1991, deux dépôts de brevets furent successivement adressés à l’USPTO par Craig Venter, alors responsable d’une équipe du NIH, et la présidente des NIH, Bernadine Healey. Ces dépôts portent sur quelques milliers de séquences partielles d’ADN complémentaires. Les ARN messagers utilisés étant ceux de cerveau humain, le brevet revendiquait l’utilisation des sondes ADN afin de caractériser des gènes potentiellement impliqués dans des maladies neurologiques. Accorder de tels brevets revenait à donner aux NIH un droit de propriété industrielle sur toutes les utilisations ultérieures du génome humain qui se seraient trouvées dépendantes de ces premiers brevets. En effet, un brevet peut porter sur le produit lui-même, ou uniquement sur sa méthode d’obtention ou encore sur son application. Le premier, brevet de produit, est le plus large et couvre toute possibilité d’usage du produit breveté, quels que soient son mode d’obtention, son procédé de fabrication ou son utilisation.