II. Épidémiologie
2013
14-
Maladie d’Alzheimer
La maladie d’Alzheimer est une affection neurologique caractérisée par une atrophie cérébrale accompagnée de plaques séniles (dépôts extracellulaires de peptide β-amyloïde) et de dégénérescence neuro-fibrillaire (accumulation de protéine Tau phosphorylée) (Inserm, 2007

). Elle est la cause la plus fréquente de démence chez le sujet âgé, et affecte jusqu’à 40 % des sujets de 85 ans et plus. En dehors de l’âge et du sexe féminin, le seul facteur de risque reconnu de la maladie est l’allèle
epsilon 4 du gène codant pour l’apolipoprotéine E (
APOE4). D’autres facteurs de risque sont suspectés parmi lesquels les traumatismes crâniens, la dépression, l’âge des parents, les antécédents familiaux de démence, les déficits en vitamine B12 ou en folates, les niveaux plasmatiques élevés en homocystéine ou encore les facteurs de risque vasculaires tels que l’hypertension artérielle. La proportion de cas familiaux est faible (de l’ordre de 10 %), ce qui suggère la possible contribution de facteurs environnementaux parmi lesquels les solvants, les champs électromagnétiques, le plomb, l’aluminium et les pesticides (Santibanez et coll., 2007

).
C’est le plus souvent au stade de démence, parfois avancée, que la maladie est identifiée. De nombreux critères de maladie d’Alzheimer ont été proposés. Parmi ceux-ci, les critères de la Classification internationale des maladies (CIM-10, Organisation Mondiale de la Santé, 1993) sont peu utilisés. Il n’en n’est pas de même des critères du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV,
American Psychiatric Association, 1994) et du NINCDS-ADRDA (
National Institute of Neurological and Communicative Diseases and Stroke/Alzheimer’s Disease and Related Disorders Association, 1984). Ces derniers critères ont une sensibilité globalement satisfaisante (80 % en moyenne) mais une spécificité moindre (de l’ordre de 70 %) pour le diagnostic de maladie d’Alzheimer probable avec confirmation
post-mortem. En effet, le diagnostic clinique de la maladie d’Alzheimer demeure probabiliste et repose sur une démarche en deux temps avec mise en évidence, dans un premier temps, d’un syndrome démentiel puis mise en évidence des arguments en faveur d’une maladie d’Alzheimer. Le DSM-IV-TR (
American Psychiatric Association, 2000) a proposé une série de critères permettant d’opérationnaliser le diagnostic de démence : troubles de la mémoire et perturbation d’au moins une autre fonction cognitive (langage, praxie, gnosie, fonctions exécutives…) suffisamment sévères pour retentir sur les activités de la vie quotidienne (Inserm, 2007

).
Exposition aux pesticides et maladie d’Alzheimer
Dans une revue critique menée sur les études publiées jusqu’à juin 2003, 24 articles portant sur le rôle possible de facteurs professionnels dans la survenue de la maladie d’Alzheimer ont été synthétisés (Santibanez et coll., 2007

). Parmi ces articles, six abordent les expositions professionnelles aux pesticides et sont globalement jugés de meilleure qualité que ceux portant sur les autres facteurs de risque, sur la base de critères standardisés et systématiques (Santibanez et coll., 2007

). Cette revue critique conclut que les pesticides sont le facteur de risque professionnel pour lequel il existe les arguments les plus convaincants concernant un lien avec la maladie d’Alzheimer. Depuis cette revue, trois études sont venues compléter les connaissances disponibles : une cohorte prospective dans l’Utah aux États-Unis (Hayden et coll., 2010

), une étude cas-témoins aux États-Unis (Park et coll., 2005

), et une étude écologique en Espagne (Parron et coll., 2011

) (tableau 14.I

). Une étude transversale portant sur la mortalité par pathologies neuro-dégénératives en lien avec les pesticides aux États-Unis peut être ajoutée à ce bilan (Schulte et coll., 1996

), portant à 10 le nombre d’études sur la relation entre exposition aux pesticides et maladie d’Alzheimer publiées entre 1985 et 2011.
Tableau 14.I Études épidémiologiques portant sur le lien entre exposition aux pesticides et maladie d’Alzheimer
Référence Pays
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Population étudiée Méthodologie de l’étude
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Définition de la pathologie
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Fréquence/Probabilité/Durée d’exposition
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Méthode d’estimation de l’exposition
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Facteurs d’ajustement
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Résultats (IC 95 %)
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Études de cohorte prospective
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Tyas et coll., 2001
Canada
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Âge ≥65 ans Province de Manitoba N=694 Entretien en face à face et questionnaire postal (suivi) Suivi à 5 ans
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Diagnostic clinique Critères du NINCDS–ADRDA Cas incidents sur 5 ans : N=36
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Défoliants/fumigants (4,1 %) soit 3 cas et 18 témoins exposés Pesticides/engrais (27 %) soit 8 cas et 101 témoins exposés
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Pas de précision : questions directes aux personnes ?
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Âge Sexe Niveau d’études
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Défoliants ou fumigants
RR=4,35 [1,05-17,90]
Être agriculteur
RR=2,59 [1,05-6,40]
association disparaissant après ajustement sur défoliants/fumigants Pesticides/engrais RR=1,45 [0,57-3,68]
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Baldi et coll., 2003
France
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Âge ≥65 ans Gironde N=1 507 Suivi à 5 ans Entretien en face à face
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Diagnostic clinique Critères du DSM-III-R et du NINCDS-ADRDA 71 femmes 25 hommes
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320 sujets professionnellement exposés (21,2 %) 414 sujets environnementalement exposés
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Exposition professionnelle : calendriers professionnels, expertise ≥ matrice emploi exposition, expositions agricoles et non agricoles Scores cumulés/quartiles Exposition environnementale : Urbain/Rural, % SAU en vigne
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Âge Sexe Tabac Niveau d’études
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Hommes/exposition professionnelle aux pesticides
RR=2,4 [1,0-5,6]
Pas de lien chez les femmes Pas de lien avec exposition résidentielle
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Hayden et coll., 2010
États-Unis
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Âge ≥65 ans Communauté agricole de l’Utah N=3 084 analysés Durée de suivi : 7 ans (moyenne) Entretien en face à face
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MMSE et Questionnaire démence Diagnostic clinique Critères du DSM-III-R et du NINCDS-ADRDA 500 démences incidentes, 344 maladies d’Alzheimer
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572 exposés aux pesticides (18,5 % dont 40 % dans une profession principale agricole)
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Calendriers professionnels Questionnaires spécifiques/pesticides Questions sur les pesticides en général puis auto-déclaration sur les OP, carbamates, OC (DDT) et méthyl bromide
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Âge Sexe Niveau d’études ApoE4 e4
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Démences/pesticides Tous RR=1,38 [1,09-1,76]
OP RR=1,31 [0,96-1,78] OC RR=1,33 [0,96-1,85] Alzheimer/pesticides Tous RR=1,42 [1,06-1,91]
OP RR=1,53 [1,05-2,23]
OC RR=1,49 [0,99-2,24]
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Études cas-témoins
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French et coll., 1985
États-Unis
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Cas hospitaliers et témoins du même hôpital de Minneapolis (N=76 +76) + témoins proches des cas (N=48)
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Critères cliniques, exclusion de démences avec étiologie définie Diagnostic autopsique (16 cas) 76 cas (hommes) 124 témoins
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Non précisée
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Interrogatoire auprès de proches : questions directes « Oui/Non » ? Non précisé
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Appariement sur âge, sexe, race
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Pesticides professionnels OR=0,80 [0,29-2,19]
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Canadian Study on Health and Aging, 1994
Canada
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Âge ≥65 ans Ensemble des provinces canadiennes (sauf Ontario) Bases de l’assurance maladie Étude multicentrique (36 villes)
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MMSE (score=78 %) et diagnostic clinique Critères du DSM-III-R et du NINCDS-ADRDA 258 cas 535 témoins
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33 cas et 30 témoins exposés aux pesticides (11,5 %) 29 cas et 29 témoins exposés aux engrais (11,1 %)
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Pas de précision : questions directes aux personnes ?
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Appariement de fréquence sur résidence (institution/domicile), âge, centre Ajustement sur sexe, niveau d’études
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Exposition professionnelle aux pesticides
OR=2,17 [1,25-3,70]
Pas de relation dose-effet Exposition professionnelle aux engrais OR=1,58 [0,81-3,10] Pas de relation dose-effet
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Gun et coll., 1997  Australie
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Cas hospitaliers Témoins hospitaliers
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Diagnostic clinique Critères du NINCDS-ADRDA 170 cas (64 hommes et 106 femmes) 170 témoins
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2,9 % chez les cas et 1,2 % chez les témoins
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Exposition professionnelle aux OP : calendriers professionnels, matrice emploi exposition du NIOSH, expertise par 3 hygiénistes des expositions par emploi (probabilité et intensité), index d’exposition cumulée
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Appariement sur sexe et âge
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OP professionnels OR=2,54 [0,41-27,06]
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Gauthier et coll., 2001
Canada
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1 924 participants (programme de santé de province de Québec) 70 ans et plus
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MMSE (Score=78 %) et diagnostic clinique Critères du DSM-IV et du NINCDS-ADRDA 122 cas 244 témoins mais seules 67 paires sont analysées (données manquantes)
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Non précisée
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Contexte de la sylviculture (arsenicaux, DDT, phosphamidon, fenithrotion, novathion, diméthoate, matacil) et de l’agriculture Exposition environnementale : données des recensements agricoles (RA) (surface traitée par des insecticides ou des herbicides dans la commune de résidence) Exposition professionnelle : calendriers professionnels auprès des proches + matrice emploi-exposition du NIOSH concernant neurotoxiques + expertise concernant les pesticides
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ApoE Niveau d’études Antécédents familiaux Exposition professionnelle à des neurotoxiques
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Pesticides professionnels Pas de lien Herbicides/RA OR=1,07 [0,39-2,54] Insecticides/RA OR=1,62 [0,64-4,11] Pesticides/RA OR=0,97 [0,38-2,54]
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Park et coll., 2005
États-Unis
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22 États 1992-1998
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Cause de mortalité Code 331.0 pour maladie d’Alzheimer et 290.1 pour démence présénile (CIM 9) Cas : décès/ces causes Témoins : autres décès
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Non précisé
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Profession principale relevée sur certificats de décès Professions agricoles (1) Employés agricoles avec exposition probable aux pesticides (2) Chefs d’exploitation (3)
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Âge Race Sexe Région Statut socioéconomique
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Elévation significative du risque de mortalité seulement pour les les décès avant 65 ans Démence présénile (1) OR=1,86 [1,02-3,13]
(2) OR=1,59 [0,84-2,76] (3) OR=2,22 [1,10-4,05]
Maladie d’Alzheimer (1) OR=1,16 [0,70-1,80] (2) OR=1,23 [0,75-1,91] (3) OR=1,76 [1,04-2,81]
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Étude transversale
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Schulte et coll., 1996  États-Unis
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27 États Certificats de décès (PMR)
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Cause de mortalité Code 331.0 pour maladie d’Alzheimer et 290.1 pour démence présénile (CIM 9) 130 420 décès
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Non précisée
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Profession principale relevée sur certificats de décès
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Sexe Ethnie
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Excès de démence présénile chez les horticulteurs (hommes, blancs), dans les métiers liés à l’agriculture (femmes blanches). Pas d’excès dans les professions agricoles pour la maladie d’Alzheimer
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Étude écologique
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Parron et coll., 2011
Espagne
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Données d’hospitalisation Andalousie
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Prévalence de diverses maladies neurologiques (dont maladie d’Alzheimer) (N=3 529)
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Pas de donnée individuelle d’exposition
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Exposition environnementale : surface agricole et quantités de pesticides vendues dans chaque zone ; deux classes de zones (forte utilisation de pesticides vs basse)
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Ajustement sur sexe, âge Interaction sexe x exposition
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Maladie d’Alzheimer
OR=1,65 [1,52-1,80]
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Abréviations : CIM-9 : Classification internationale des maladies, neuvième révision ; DSM-III-R : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Third Edition, Revised ; MMSE : Mini-Mental State Examination ; NINCDS-ADRDA : National Institute of Neurological and Communicative Diseases and Stroke/Alzheimer’s Disease and Related Disorders Association ; NIOSH : National Institute for Occupational Safety and Health ; OC : Organochlorés ; OP : Organophosphorés ; PMR : Proportionate Mortality Ratio ; SAU : Surface agricole utile
Cinq de ces études ont un schéma cas-témoins, une étude est transversale, trois sont des cohortes prospectives et une étude est de type écologique. La grande majorité de ces études a été menée en Amérique du Nord : trois sont canadiennes (
Canadian Study on Health and Aging, 1994

; Gauthier et coll., 2001

; Tyas et coll., 2001

) et quatre ont été réalisées aux États-Unis (French et coll., 1985

; Schulte et coll., 1996

; Park et coll., 2005

; Hayden et coll. 2010

). Une étude a été conduite en Australie (Gun et coll., 1997

), et deux en Europe, l’une en France (Baldi et coll., 2003

) et l’autre en Espagne (Parron et coll., 2011

).
Études cas-témoins et transversales
Deux études, l’une cas-témoins (Park et coll., 2005

) et l’autre transversale (Schulte et coll., 1996

) reposent sur des informations succinctes et de validité incertaine, extraites des certificats de décès dans une vingtaine d’États des États-Unis. Elles cherchent à mettre en relation des professions agricoles avec la survenue de décès par maladies neuro-dégénératives, notamment la démence présénile et la maladie d’Alzheimer. Elles n’ont pu mettre en évidence de lien. Cependant, dans l’étude cas-témoins, réalisée entre 1992 et 1998, Park et coll. (2005

) ont observé des OR proches de 2 et statistiquement significatifs pour certaines catégories agricoles (chefs d’exploitations), en restreignant les analyses aux décès survenus avant 65 ans.
Les autres études cas-témoins ont analysé les expositions aux pesticides de cas de maladie d’Alzheimer disposant d’un diagnostic clinique, à partir de critères internationaux validés. Parmi les deux études cas-témoins menées au Canada, l’une (
Canadian Study on Health and Aging, 1994

) était multicentrique et disposait d’un recrutement principalement urbain (populations de 65 ans et plus, recrutées dans 36 villes dans l’ensemble des provinces canadiennes), tandis que l’autre s’est mise en place dans la province de Québec, région fortement sylvicole (Gauthier et coll., 2001

). La première apprécie l’exposition professionnelle à l’aide d’un questionnaire en oui/non auprès de 258 cas et 535 témoins. Elle retrouve une élévation du risque de maladie d’Alzheimer de l’ordre du doublement pour les expositions aux pesticides (OR=2,17 [1,25-3,70]) et une élévation de 58 % non significative pour les expositions aux engrais. La seconde étude définit l’exposition aux pesticides de 122 cas et 244 témoins principalement à partir des données des recensements agricoles canadiens concernant les quantités de pesticides épandus annuellement par zone géographique. Aucun lien n’est statistiquement significatif bien qu’une élévation du risque de maladie d’Alzheimer de 62 % pour les expositions aux insecticides ait été observée. De la même manière aux États-Unis, une étude cas-témoins menée dans la région de Minneapolis ne trouve pas d’augmentation de risque auprès de 78 cas et de 124 témoins, en interrogeant des proches sur l’exposition aux pesticides des participants (en oui/non) (French et coll., 1985

). Enfin, l’étude australienne portant sur 170 cas et 170 témoins rapporte une élévation de risque non statistiquement significative pour l’exposition aux organophosphorés estimée à l’aide d’une matrice emploi-exposition et de l’avis d’experts (Gun et coll., 1997

).
En résumé, la plupart des études cas-témoins ne s’intéresse pas spécifiquement aux pesticides et n’approche les facteurs de risque qu’avec des indicateurs sommaires. De plus, ces études sont confrontées au biais d’information relatif à l’interrogatoire de personnes souffrant de troubles de mémoire. En effet, la reconstitution historique des expositions aux pesticides, complexe pour des patients ne souffrant pas de troubles de mémoire, devient le plus souvent impossible pour les patients atteints d’Alzheimer. La récupération de cette information auprès de proches (en général les conjoints) est également difficile si ceux-ci n’ont pas été eux-mêmes impliqués dans l’activité agricole du patient, et plus spécifiquement dans les opérations de traitement. Une seule étude (canadienne), parmi les cinq, rapporte un excès de risque significatif pour les expositions aux pesticides.
Études de cohortes
Au cours de la dernière décennie, trois cohortes prospectives ont été menées chez des sujets de 65 ans et plus au Canada (N=694) (Tyas et coll., 2001

), en France (N=1 507) (Baldi et coll., 2003

) et aux États-Unis (N=3 084) (Hayden et coll., 2010

). Elles disposent de diagnostics cliniques de la maladie reposant sur des critères validés. Le nombre de cas incidents identifiés au cours du suivi de ces cohortes (5 à 7 ans selon l’étude) varie entre 36 et 344 cas. L’étude canadienne dispose d’une définition élémentaire de l’exposition fondée sur la déclaration des individus (être agriculteur, avoir utilisé des pesticides ou des engrais, avoir utilisé des défoliants ou des fumigants) (Tyas et coll., 2001

). Les deux autres études ont relevé des calendriers professionnels, complétés soit par une expertise (Baldi et coll., 2003

) soit par des questions spécifiques auprès des sujets sur les pesticides en général et sur des familles en particulier (organophosphorés, organochlorés dont le DDT, carbamates, méthylbromides) (Hayden et coll., 2010

). Les analyses sont ajustées sur l’âge, le sexe, le niveau d’études ainsi que sur l’
ApoE4 ε
4 dans l’étude américaine et le tabagisme dans l’étude française. Dans ces trois cohortes, il a été mis en évidence un risque de maladie d’Alzheimer plus élevé chez les personnes exposées aux pesticides. L’étude canadienne observe un quadruplement du risque pour les utilisateurs de défoliants et de fumigants (RR=4,35 [1,05-17,90]), et plus d’un doublement de risque pour les agriculteurs (Tyas et coll., 2001

). L’étude française trouve un doublement du risque de maladie d’Alzheimer chez les hommes exposés aux pesticides au cours de leur vie professionnelle (RR=2,4 [1,0-5,6]), mais ne trouve pas d’élévation de risque chez les femmes exposées (Baldi et coll., 2003

). Dans la plupart des secteurs agricoles, les tâches de traitement des cultures sont dévolues aux hommes. Même si les femmes sont également exposées aux pesticides par la réalisation d’autres tâches (désherbage des cours et des talus, travail au contact des cultures traitées,…), les variations des modes d’exposition des femmes et des hommes pourraient expliquer en partie les différences de résultats. La cohorte américaine met en évidence une élévation de l’ordre de 30 % du risque de démence chez les personnes exposées aux pesticides en général, aux organophosphorés ou aux organochlorés, et de 40 % à 50 % pour ces mêmes expositions en considérant plus spécifiquement les démences d’Alzheimer (Hayden et coll., 2010

).
En résumé, trois cohortes rapportent un excès de risque significatif chez les personnes exposées aux pesticides. Dans la cohorte française, le risque est supérieur à 2 uniquement chez les hommes exposés. Ce risque est plus élevé chez les utilisateurs de défoliants et de fumigants que chez les agriculteurs dans l’étude canadienne. Cet excès de risque est de 40 % à 50 % pour les pesticides en général, significatif pour les organophosphorés ou à la limite du seuil de significativité pour les organochlorés dans l’étude américaine.
Étude écologique
Enfin, la récente étude écologique menée en Andalousie (Parron et coll., 2011

) et fondée sur la comparaison des données d’hospitalisation pour maladie d’Alzheimer dans des régions à forte et à faible utilisation de pesticides observe également une élévation significative du risque de cette maladie en relation avec les pesticides (OR=1,65 ; IC 95 % [1,52-1,80].
En conclusion, le nombre d’études explorant l’hypothèse d’un lien entre pesticides et maladie d’Alzheimer reste aujourd’hui limité, de l’ordre d’une dizaine. Les résultats des études cas-témoins, qui reposent sur des définitions de l’exposition très basiques, ne sont généralement pas concluants. Cependant, trois cohortes prospectives, canadienne, américaine et française, ont identifié une élévation significative du risque pour les utilisations professionnelles de pesticides. Les études ont majoritairement concerné le milieu agricole. Elles n’ont cependant pu conclure pour des substances actives spécifiques. Compte tenu de l’impact des organophosphorés sur l’acétylcholine, neurotransmetteur impliqué dans les processus de mémorisation, deux études ont exploré plus particulièrement cette famille de pesticides : la première trouvait une élévation de risque avec les organophosphorés, mais identique à celle des pesticides dans leur globalité (Hayden et coll., 2010

), et la seconde n’explorant que les organophosphorés, ne permettait pas de comparaison avec d’autres pesticides (Gun et coll., 1997

). L’utilisation de matrice emploi-exposition ou culture-exposition, qui ne nécessite pas une reconstitution des pesticides fondée sur la mémoire des sujets, pourrait permettre d’évaluer des expositions à des molécules ou des familles spécifiques. D’autres familles de pesticides que les organophosphorés mériteraient également d’être explorées.
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