Pesticides : Effets sur la santé

2013


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Synthèse

Le mot « pesticide », terme générique dérivé des termes latins « caedere » (tuer) et « pestis » (fléau), intégré à la langue anglaise dès les années 1940, puis à la langue française à la fin des années 1950 est utilisé aussi bien dans le langage courant que scientifique. Les pesticides ont comme caractéristique principale de lutter contre des organismes nuisibles (animaux, végétaux, champignons) mais ils peuvent aussi réguler la croissance des végétaux, avoir des propriétés défoliantes ou dessicantes, ou encore améliorer le stockage ou le transport des produits de culture. Leurs définitions précises et leurs classifications sont diverses en fonction des contextes d’utilisation et des réglementations. Ainsi, les pesticides peuvent être regroupés selon leurs cibles principales : les herbicides ou désherbants, les fongicides (pour lutter contre les champignons), les insecticides ou produits anti-parasitaires, les acaricides, les rodenticides (contre les petits rongeurs), les nématicides (contre les vers), les mollusciscides (limaces)… Les pesticides peuvent être également regroupés selon les usages auxquels ils sont destinés : cultures végétales, entretiens d’espaces verts, plantes ornementales, voiries, traitement du bois, élevage… Selon leur structure moléculaire et leurs propriétés, ils appartiennent à différentes familles chimiques.
Au niveau réglementaire, les produits habituellement regroupés sous le terme « pesticides » sont définis selon quatre réglementations européennes distinctes : les produits phytopharmaceutiques, les biocides, les médicaments et produits à usage humain, et ceux à usage vétérinaire. Ces réglementations ont été mises en place afin de se doter d’un cadre juridique harmonisé au sein de l’Union européenne. Une même substance peut être soumise à plusieurs réglementations existantes.
Les pesticides tels qu’ils sont considérés dans la présente expertise collective et par la communauté scientifique internationale, s’affranchissent des définitions réglementaires (variables au cours du temps au sein d’un même pays ou selon les pays) ainsi que de leur origine, naturelle ou issue de la transformation de produits ou de la chimie de synthèse.

Présentation des pesticides

La grande majorité des pesticides utilisés en France, sont des produits phytopharmaceutiques, principalement utilisés en milieu agricole. En considérant les utilisations passées et actuelles, ils sont représentés par plus d’un millier de substances actives ayant des caractéristiques physico-chimiques très diverses. Celles-ci sont habituellement classées par famille en fonction de leur structure chimique : organochlorés, organophosphorés, carbamates, thiocarbamates, pyréthrinoïdes, urées substituées, phénoxyherbicides, triazines, phtalimides, pyridines… Elles peuvent être également regroupées selon leurs cibles principales qui sont pour la majorité d’entre elles des végétaux, des champignons ou des insectes considérés comme nuisibles à l’agriculture.
Il est à noter que plusieurs familles chimiques peuvent être utilisées pour une même cible et qu’une même famille chimique peut regrouper des substances dont les cibles, les modes et les mécanismes d’action sont différents : par exemple les carbamates peuvent être des insecticides, des herbicides ou des fongicides alors que les dithiocarbamates sont des fongicides.
Les produits commerciaux contenant des pesticides sont présentés à l’utilisateur sous différentes formes : liquides, poudres, granulés, gels de contact, fumigènes… et selon différents conditionnements : bidons, sacs, sprays, pièges, plaquettes pour diffuseur… Outre la ou les substances actives ayant une action pesticide, les produits commerciaux contiennent des adjuvants (solvants, tensioactifs, conservateurs), et parfois des impuretés de fabrication. Les métabolites de la substance active, les adjuvants et les impuretés peuvent posséder leur propre toxicité ou interférer avec la substance active. Des informations légales les concernant sont disponibles dans les fiches de données de sécurité, en fonction du degré de toxicité et de la quantité présente dans le produit final. La composition exacte du produit final peut donc ne pas être mentionnée dans son intégralité.

Quelques familles chimiques de pesticides et leurs cibles principales

Familles chimiques
Exemples de substances actives
Classement selon cible
Organochlorés
DDT, Chlordane, Lindane, Dieldrine, Heptachlore
Insecticides
Organophosphorés
Malathion, Parathion, Chlorpyrifos, Diazinon
Insecticides
Pyréthrinoïdes
Perméthrine, Deltaméthrine
Insecticides
Carbamates
Aldicarbe, Carbaryl, Carbofuran, Méthomyl
Insecticides
 
Asulame, Diallate, Terbucarbe, Triallate
Herbicides
 
Benthiavalicarbe
Fongicides
Dithiocarbamates
Mancozèbe, Manèbe,
Thirame, Zinèbe
Fongicides
Phtalimides
Folpel, Captane, Captafol
Fongicides
Triazines
Atrazine, Simazine,
Terbutylazine
Herbicides
Phénoxyherbicides
MCPA, 2,4-D, 2,4,5-T
Herbicides
Chloroacétamides
Alachlore, Métolachlore
Herbicides
Pyridines-bipyridiliums
Paraquat, Diquat
Herbicides
Aminophosphonates glycine
Glyphosate
Herbicides
La mise sur le marché de la grande majorité des pesticides utilisés en agriculture (pour la protection des cultures, y compris pendant leur stockage), ou en zone non agricole (ex : désherbage des voiries) et pour le jardin et le domicile des particuliers dépend du règlement européen (CE) n° 1107/20091 des produits phytopharmaceutiques, entré en vigueur le 14 juin 2011 et qui succède à la directive 91/414/CEE, précédent texte de référence en application en France depuis 1993. En 2012, au niveau européen, 416 substances actives phytopharmaceutiques sont approuvées, 74 sont en cours d’évaluation et 779 n’ont pas été inscrites en tant que substances autorisées. En France, 309 substances actives phytopharmaceutiques sont autorisées en 2012. Une même substance peut être réglementée par plusieurs directives. C’est le cas par exemple de la perméthrine, non approuvée en Europe depuis 2000 sur culture en tant que produit phytopharmaceutique mais autorisée dans les usages insecticides domestiques comme biocide, ou encore en tant que produit vétérinaire ou pour les usages médicaux dans des lotions anti-poux.

Substances actives phytopharmaceutiques autorisées en 2012 en France selon leur cible principale

Catégorie de pesticides
Nombre de substances actives autoriséesa
Herbicide
106
Fongicide
91
Insecticide
59
Régulateur de croissance des plantes
26
Acaricide
20
Attractant
9
Répulsif
9
Nématicide
5
Rodenticide
4
Molluscicide
3
Bactéricide
2
Eliciteurb
2
Algicide
1
Produit déshydratant
1
Activateursc
1
Traitement des sols
1

a Certaines substances actives ont plusieurs cibles principales et peuvent donc être comptées plusieurs fois ; b Substances qui déclenchent les mécanismes de défense des plantes avec production de substances défensives ; c Substances qui induisent des réponses de défense des plantes, certaines d’entre elles peuvent augmenter leur croissance.

Les substances actives et leurs métabolites n’ont pas tous le même devenir après épandage. Ainsi, leur rémanence sur les cultures ou dans les différents compartiments de l’environnement (sol, air, eau) varie fortement selon la molécule, de l’ordre de quelques heures ou jours à plusieurs années. Cette rémanence dépend également des conditions environnementales, géochimiques et climatiques. Par exemple, le glyphosate a une vitesse de dégradation au champ de 1 à 130 jours. En revanche, les insecticides organochlorés définis comme des polluants organiques persistants, et pour la plupart interdits aujourd’hui, sont encore retrouvés plusieurs décennies après leur utilisation, dans l’environnement et dans les organismes vivants, y compris chez l’homme, l’un des derniers maillons de la chaîne trophique.
Les pesticides regroupent donc des substances très hétérogènes, tant au niveau des caractéristiques physico-chimiques, du devenir dans l’environnement, que des mécanismes d’action toxique et des nuisibles visés. La caractérisation des expositions professionnelles et environnementales à ces produits est donc un exercice intrinsèquement difficile tant au niveau qualitatif que quantitatif, en raison de l’évolution permanente du nombre de substances depuis les années 1950 mais aussi de leur nature (mise sur le marché de nombreuses nouvelles molécules et interdictions d’autres).

Utilisation des pesticides en France

La France est le premier pays agricole de l’Union européenne, aussi bien en termes de surface agricole utile ou utilisée (SAU2 ) (29 millions d’hectares en 2010), qu’en termes de chiffres d’affaires de production agricole (69 milliards d’euros en 2011). La SAU représente un peu plus de la moitié de la superficie du territoire métropolitain avec des différences importantes selon les départements. Les terres arables représentent 18 millions d’hectares (62 % de la SAU), les prairies, 10 millions d’hectares (34 % de la SAU), la vigne et autres cultures permanentes, 1 million d’hectares (4 % de la SAU). La surface agricole a diminué de 5 millions d’hectares (soit de 15 %) au cours des 60 dernières années avec un grand changement de l’assolement. Par exemple, la culture du maïs s’est développée sur la majeure partie du territoire, couvrant environ 9 % de la SAU. Depuis 2000, la surface occupée par la vigne a globalement diminué de 11 %, mais de façon variable selon les régions.
Parallèlement, les rendements de production agricole ont augmenté de façon spectaculaire. Ainsi, les rendements en blé tendre sont passés d’une moyenne de 15 quintaux à l’hectare après la seconde guerre mondiale à 70 quintaux à l’hectare aujourd’hui. Cette évolution est due à la culture de variétés de blé plus productives, mais également à l’intensification de l’agriculture française : mécanisation des exploitations, engrais, développement des traitements pesticides par la mise à disposition constante de nouvelles molécules.
Les rendements en maïs ont augmenté de 60 % entre 1980 et 2010, ceux de la betterave sucrière ont plus que doublé entre 1975 et 2007. Cette augmentation est aussi sensible pour d’autres cultures agricoles : pomme de terre, tournesol, oléagineux…
Actuellement, la France est l’un des premiers utilisateurs mondiaux de pesticides, avec des ventes comprises entre 80 000 et 100 000 tonnes par an depuis une trentaine d’années, à l’exception d’un pic de ventes à la fin des années 1990 (120 000 tonnes en 1999). Depuis 2002, les ventes se situent légèrement en dessous de 80 000 tonnes.
L’usage des pesticides est fortement corrélé aux types de cultures et aux pratiques culturales locales. Ainsi, aux États-Unis, où les grandes cultures (maïs, blé, soja) prédominent largement, les herbicides constituent la principale catégorie des pesticides utilisés. En France, les fongicides représentent environ la moitié des tonnages vendus. L’usage important des fongicides inorganiques (soufre, cuivre, et dérivés) dans les cultures pérennes, notamment la vigne, explique pour partie ce phénomène. En tonnages vendus, les herbicides arrivent en deuxième position devant les insecticides. L’évolution la plus marquée concerne les insecticides, la vente de ces derniers ayant diminué de près de 70 % entre les années 1990 et 2000 : 11 000 tonnes ont été vendues en 1990, et moins de 3 000 tonnes par an aujourd’hui. Cette baisse importante s’explique en partie par la mise sur le marché de substances actives utilisées à des quantités plus faibles, de l’ordre de quelques grammes à l’hectare.
En France, quatre cultures (céréales à paille, maïs, colza et vigne) utilisent près de 80 % des quantités de pesticides pour moins de 40 % de la surface agricole utile. Dans les cultures pérennes, l’utilisation des pesticides est importante alors que la surface totale consacrée à ce type de culture est relativement faible. Ainsi, la vigne, qui représente moins de 3 % de la surface agricole utile, consomme environ 20 % des pesticides. À l’inverse, les grandes cultures ont une pression d’usage des pesticides plus faible alors qu’elles occupent des surfaces beaucoup plus importantes.

Tonnages vendus en France en 2007 par catégorie de pesticides et principales cultures concernées (d’après Eurostat)

Pesticides
Tonnages vendus
en France
Principales cultures concernées
Exemples de substances actives très utilisées
Fongicides
36 920
Vignes, céréales (blé tendre), arboriculture fruitière, maraîchage, pois, betteraves
Soufre, cuivre, folpel, captane, manèbe, mancozèbe
Herbicides
26 800
Maïs, colza, céréale, pois, pomme de terre
Glyphosate, alachlore, 2,4-D, isoproturon
Insecticides
2 100
Arboriculture fruitière, viticulture
Huiles minérales
Le pesticide le plus utilisé aujourd’hui en France est le soufre (principalement sur la vigne et les arbres fruitiers), même si une baisse importante des quantités commercialisées a été observée ces dernières années : plus de 25 000 tonnes en 2001 contre 15 000 tonnes en 2005. Le glyphosate est la deuxième substance active la plus vendue ; c’est un herbicide non sélectif utilisé couramment sur de nombreuses cultures agricoles avec une intensité d’usage relativement élevée. Ces deux substances sont les seules répertoriées au-delà de 5 000 tonnes de commercialisation annuelle entre 2001 et 2005.
Pour la période 2001-2003, la densité moyenne d’usage de pesticides en France a été de 2,9 kg de substance active à l’hectare de SAU. Cette densité se situe dans la moyenne européenne, elle est supérieure à celle des États-Unis et inférieure à celle du Japon (respectivement 0,8 et 13,7).
En France, les données sur les usages actuels ou passés de pesticides en milieu agricole sont parcellaires. Il n’existe pas de bases de données rétrospectives et exhaustives de ces usages, qui puissent être mises à la disposition de la recherche ou du public. Cette absence de données est l’une des difficultés rencontrées dans l’évaluation des expositions qui est pourtant indispensable aux études épidémiologiques.

Sources d’exposition aux pesticides

L’exposition aux pesticides peut se produire directement dans le cadre de leur fabrication ou de leurs utilisations professionnelles ou domestiques, mais aussi indirectement par l’air, le contact de surfaces contaminées ou la consommation des eaux et denrées alimentaires. Selon les circonstances, ce sont soit des populations professionnellement exposées, soit la population générale qui seront concernées.
En 2012, l’exposition professionnelle aux pesticides, présente ou passée, touche en France une population très large. Aux 5,6 millions de personnes touchant actuellement une prestation à la Mutualité Sociale Agricole (salariés, exploitants, ayants droit dont enfants, retraités) qui ont ou ont été potentiellement exposées (directement ou indirectement, sur des périodes plus ou moins longue de leur vie), il convient d’ajouter de nombreux autres professionnels tels que les personnes en charge de l’entretien des voiries et voies ferrées, des espaces communaux, des terrains de sports et de loisirs, de la désinsectisation des locaux, de l’hygiène publique ou des soins vétérinaires, les jardiniers et les paysagistes, ou encore les personnes intervenant dans le traitement des bois ou dans la manipulation de bois traités. Le nombre de personnes concernées par des expositions non professionnelles, liées à des activités et usages domestiques ou à une exposition environnementale (résidence au voisinage de zones traitées par des pesticides, contamination du sol, de l’air extérieur et à l’intérieur de la résidence), et de l’alimentation est, sans conteste, plus important encore.
Dans le secteur agricole, les sources potentielles de contamination sont nombreuses et difficilement quantifiables. L’exposition aux pesticides peut se produire dès l’achat du produit, durant son transport et son stockage. La phase de préparation de la bouillie (il s’agit en général de la dilution du produit commercial dans une cuve d’épandage) est considérée comme une phase critique d’exposition : produit concentré, risques d’accidents de manipulation. Le risque de contamination lors de l’épandage des pesticides (en milieu ouvert ou fermé) est quant à lui très dépendant du type de matériel utilisé et des caractéristiques du produit (liquide, poudre…). Le nettoyage du matériel après utilisation est aussi une phase où les contaminations peuvent être relativement fortes. Plusieurs études ont montré que l’usage des équipements de protection individuelle (EPI) ne garantit pas une protection absolue de l’opérateur et qu’il existe des différences majeures d’exposition entre individus indépendamment de l’usage d’EPI. Les contaminations accidentelles liées au débouchage des buses en cours de traitement ou à des débordements de cuve semblent être des sources d’expositions majeures. Ces circonstances d’exposition sont néanmoins difficiles à prendre en compte. Enfin, les travaux dans les champs traités, tâches dites de ré-entrée, ont été peu étudiés alors que le risque d’exposition est potentiellement élevé : fréquence de ces tâches dans certaines cultures (viticulture, arboriculture), moindre conscience du risque, absence de protection individuelle.
Dans les autres secteurs professionnels que l’agriculture, les phases de risque d’exposition aux pesticides sont globalement les mêmes : transport, stockage, préparation, épandage, nettoyage.
L’évaluation des expositions environnementales aux pesticides doit prendre en compte les usages au domicile (traitement des jardins, des plantes d’intérieur, des logements, du bois, anti-parasitaires, anti-poux ou traitements vétérinaires) mais également la pollution de l’environnement (air, poussières, surfaces…) ainsi que l’ingestion de résidus de pesticides présents dans les aliments et les boissons. Cette ingestion est souvent considérée comme la principale source d’exposition aux pesticides en population générale.

Voies d’exposition aux pesticides

Qu’il s’agisse d’expositions professionnelles ou environnementales, les substances pénètrent dans l’organisme selon trois voies : la voie cutanée, la voie digestive (ou orale) et la voie respiratoire.
En milieu professionnel agricole, l’exposition cutanée est démontrée comme la voie majeure de pénétration des pesticides. La voie de contamination dépend toutefois des caractéristiques du produit utilisé (par exemple, le risque d’exposition respiratoire est accru pour une poudre). Les solvants incorporés dans les produits commerciaux ont une influence sur le passage des substances à travers la peau mais ils sont rarement pris en compte dans les études. L’utilisation de traceurs fluorescents a permis de montrer les variations de l’exposition cutanée selon les zones corporelles, chez des applicateurs en serres et dans des vergers. Cette méthode peut être utilisée à des fins de sensibilisation et de prévention. Des méthodes de mesure utilisant soit des patchs répartis sur le corps ou une combinaison en coton, permettent une estimation quantitative de la contamination externe cutanée des opérateurs. Mais ces méthodes ne peuvent refléter les propriétés de rétention et d’absorption de la peau qui dépendent d’une part, des propriétés physico-chimiques des substances actives, de la formulation des produits commerciaux, et d’autre part, des caractéristiques physiologiques individuelles (sudation, dilatation des vaisseaux sanguins par fortes chaleurs, lésions cutanées).
La voie orale ou digestive est liée au contact de la bouche avec les mains, les gants ou du matériel souillés, à l’onychophagie, au fait de manger ou fumer sur le lieu de travail.
L’exposition aux pesticides par inhalation concerne plus particulièrement certaines conditions spécifiques, comme la fumigation, la préparation ou l’application dans les milieux fermés (serres, silos, bâtiment d’élevage…). L’importance de la voie respiratoire dépend des caractéristiques individuelles (respiration, activité physique…) et des caractéristiques physico-chimiques des substances actives ainsi que des formulations, qui faciliteront plus ou moins le passage des pesticides dans les alvéoles pulmonaires (aérosol solide, liquide, lipophilie, granulométrie…).
En population générale, la voie orale est souvent considérée comme la voie d’exposition la plus importante. Elle est due à l’ingestion d’aliments ou de boissons contenant des résidus de pesticides ainsi qu’à l’ingestion non alimentaire (poussières), surtout chez les enfants (onychophagie, comportement exploratoire et oralité des enfants…).
Dans le cadre de l’Étude de l’Alimentation Totale française (EAT2-2006-2010) visant à surveiller l’exposition alimentaire des populations à des substances d’intérêt en termes de santé publique, 283 pesticides différents ont été recherchés. Un certain nombre de résidus ont été retrouvés dans les échantillons. Cependant, aucun dépassement de la valeur toxicologique de référence (VTR) n’a été signalé pour les substances analysées.
En France métropolitaine, en 2007, la présence de pesticides dans les eaux de surface et souterraines (eaux brutes) est avérée dans 91 % des points de contrôle des cours d’eau et 59 % des points de contrôle des eaux souterraines. La norme réglementaire (annexe 13-1 du Code de la Santé Publique) fixe à 0,1 µg/l la concentration maximale pour chaque pesticide pris isolément et à 0,5 µg/l pour l’ensemble des pesticides mesurés dans les eaux brutes. Environ 18 % des points de contrôle des eaux de surface et 3,8 % de ceux des eaux souterraines ne respectent pas le taux maximal de 0,5 µg/l de pesticides. Les régions les plus touchées sont les zones viticoles et de grande culture céréalière. Les pesticides les plus fréquemment rencontrés dans les cours d’eau comme dans les eaux souterraines sont, dans la quasi-totalité des cas, des herbicides. La substance active la plus souvent retrouvée, encore aujourd’hui, est l’atrazine et son principal métabolite l’atrazine déséthyl, ainsi que la simazine et son métabolite (utilisé pour le désherbage total des voiries et en agriculture). L’atrazine, interdite depuis septembre 2003, a été longtemps utilisé pour le désherbage du maïs.
Les réglementations européenne et française fixent également à 0,1 µg/l la concentration maximale pour chaque pesticide3 et à 0,5 µg/l la concentration maximale de l’ensemble des pesticides dans l’eau du robinet. En 2010, 96 % de la population en France, soit 60,5 millions d’habitants, ont été alimentés par de l’eau en permanence conforme aux limites de qualité. Pour 2,51 millions d’habitants (soit un peu moins de 4 % de la population française), l’eau du robinet a été au moins une fois non conforme au cours de l’année 2010 mais sans jamais dépasser la valeur sanitaire maximale supposée indiquer des effets néfastes sur la santé4 . L’atrazine et ses métabolites (notamment l’atrazine-déséthyl) sont principalement à l’origine des dépassements de la limite de qualité de l’eau potable.
En population générale, la voie respiratoire est relativement peu étudiée. Il n’existe pas de recueil systématique et exhaustif des pesticides présents dans l’air extérieur. Néanmoins, l’exposition à proximité des lieux d’épandage est considérée comme non négligeable. L’analyse de l’ensemble des mesures réalisées par les Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) au début des années 2000 a montré une importante saisonnalité de la présence de pesticides dans l’air, plus faible en hiver, et plus forte au printemps et en arrière-saison. Ces résultats suggèrent un lien important entre les activités d’épandage agricole et la présence de pesticides dans l’air extérieur. Des pesticides interdits en France depuis de nombreuses années, comme le lindane, sont retrouvés dans les mesures effectuées sur certains sites. L’utilisation de pesticides à domicile apparaît également comme une source possible d’exposition par voie respiratoire, notamment les formes aérosols, pulvérisées, ainsi que les poudres.

Estimation de l’imprégnation des populations

Le dosage des substances actives ou de leurs métabolites dans une matrice biologique (sang, urine, tissu adipeux…) permet de disposer d’une estimation de l’imprégnation, intégrant l’ensemble des voies de contamination. On admet que la concentration d’une substance dans cette matrice est un indicateur de la charge corporelle de la substance à un instant donné.
La plupart des substances actives ont une demi-vie d’élimination relativement courte, et les dosages doivent donc être effectués peu de temps après l’exposition. Par exemple, la mesure d’une substance (ou de son métabolite) à demi-vie courte excrétée par les urines sera représentative de l’exposition si elle est effectuée en fin de poste de travail ou d’une période venant d’exposer à la substance considérée. Cette caractéristique restreint les mesures aux expositions récentes ou aux expositions chroniques. Hors d’un contexte professionnel, une mesure ponctuelle n’est pertinente que lorsque l’exposition est quotidienne ou régulière. Pour des substances à durée de vie prolongée, comme celles appartenant à la famille des organochlorés, une mesure d’imprégnation peut être effectuée longtemps après la période d’exposition car les métabolites restent présents dans les tissus adipeux, qui sont des lieux de stockage. Les substances mères ou le plus souvent les métabolites sont libérés dans la circulation sanguine et excrétés en particulier lors des pertes en masses grasses (allaitement, amaigrissement…).
Ce type de mesures peut être réalisé lors de programmes de surveillance des populations, dans certaines campagnes de prévention ou d’études épidémiologiques à visée étiologique.
En France, dans le cadre d’un programme national de biosurveillance, l’InVS a étudié l’imprégnation de la population française à certaines substances actives appartenant à trois familles d’insecticides : les organochlorés, les organophosphorés et les pyréthrinoïdes. Les mesures de concentrations sériques et urinaires (molécules mères et métabolites) indiquent que les organochlorés tels que le HCB, βHCH, αHCH (isomères du lindane), le DDT et le DDE, sont présents à l’état de traces chez la quasi-totalité des sujets de l’étude. Le γHCH ou lindane est détecté chez 7 % des individus. Les dialkylphosphates, métabolites communs à de nombreux insecticides organophosphorés, sont présents dans plus de 90 % des échantillons urinaires. Les métabolites des pyréthrinoïdes (5 métabolites mesurés) sont trouvés dans plus de 80 % des échantillons. Comme l’utilisation de la plupart des molécules d’organochlorés a pratiquement disparu en France et en Europe dans les usages agricoles et domestiques, l’imprégnation de la population générale est essentiellement d’origine alimentaire via la consommation de poissons, viandes, lait et produits laitiers par suite de la bioaccumulation de ces molécules dans les graisses animales.
En Bretagne, une région à forte activité agricole, la cohorte Pélagie a pour objectif de mesurer le niveau d’imprégnation des femmes enceintes aux pesticides et d’étudier leur impact sur le fœtus et son développement. Les pesticides recherchés sont des herbicides de la famille des triazines (atrazine, simazine…) et des insecticides organophosphorés d’usage agricole ou non agricole. Les résultats indiquent la présence de traces de ces pesticides dans la majorité des urines des femmes enceintes (44 molécules identifiées et quantifiées dans 1 à 84 % des échantillons). Les 10 molécules les plus fréquentes sont des métabolites d’insecticides organophosphorés. Des traces d’atrazine (molécule mère et métabolites) sont trouvées dans les prélèvements d’une minorité de femmes (5 %), reflétant la persistance environnementale des produits de dégradation de l’atrazine (interdite depuis 2003).
En Guadeloupe, le chlordécone, un pesticide organochloré employé pour lutter contre le charançon du bananier jusqu’en 1993, est retrouvé très fréquemment (jusqu’à 90 % des échantillons chez des hommes adultes). La pollution persistante des sols par le chlordécone est à l’origine de la contamination de nombreuses denrées alimentaires locales, animales et végétales, expliquant l’imprégnation de la population dans son ensemble. Bien que ce pesticide ne soit plus employé, les anciens travailleurs de la banane ayant été en contact professionnel avec le chlordécone, présentent de nos jours les concentrations plasmatiques les plus élevées. Cela témoigne du caractère persistant de ce pesticide dans l’organisme.
Les contraintes dues aux méthodes analytiques et le choix des molécules à analyser font qu’aujourd’hui l’exposition en France à de nombreuses substances est encore inconnue. Il en est ainsi pour les fongicides qui sont très peu recherchés, pour le glyphosate qui nécessite une méthode de prélèvement et d’analyse dédiée, et pour les nouvelles molécules pour lesquelles aucune méthode analytique n’est validée à l’heure actuelle.
En milieu professionnel, relativement peu d’études ont été développées pour évaluer les niveaux de contamination réels des populations lors des traitements ou après les traitements (contact avec les cultures traitées par exemple). Il s’agit pourtant d’un élément essentiel à la définition de l’exposition au cours de la vie professionnelle et à la recherche de relations dose-effet. En France, l’étude Pestexpo a produit des mesures de contamination cutanée, à partir de journées d’observation en grande culture, viticulture et maraîchage, associées à un grand nombre de caractéristiques des opérateurs, des exploitations, du matériel et de la culture traitée. Ces mesures montrent l’importance de certaines tâches, rarement prises en compte dans l’estimation de l’exposition des individus, telles que les opérations de nettoyage, les phases de ré-entrée dans les cultures en période de traitement et jusqu’à la récolte.

Méthodes et outils de mesure de l’exposition dans les études épidémiologiques

Un grand nombre d’études épidémiologiques réalisées en milieu professionnel se sont contentées de distinguer les individus en « exposés » et « non exposés » aux pesticides de manière globale, sans précision sur la famille de composés ou la substance active. Cette distinction peut s’appuyer sur des éléments simples concernant l’activité professionnelle, comme les intitulés de professions, parfois disponibles dans une base informatisée (données administratives, registres ou certificats de décès dans certains pays), ou recueillis à partir d’un questionnaire succinct. De manière plus fine, l’information concernant des emplois exposants peut être extraite de calendriers professionnels détaillés et complets sur l’ensemble de la carrière des individus, spécifiant les noms précis de l’ensemble des emplois et des secteurs d’activité, les dates d’exercice des emplois et d’éventuels détails sur les tâches réalisées.
Les outils et méthodes les plus répandus permettant d’évaluer les expositions dans les études épidémiologiques sont des questionnaires (auto-questionnaires, entretiens en face à face ou par téléphone) portant sur des questions fermées ou ouvertes sur les emplois, les tâches, les cultures, les produits, le matériel, les fréquences d’utilisation. Ils peuvent être analysés et complétés par une expertise de médecins, d’hygiénistes ou d’épidémiologistes. Cette expertise peut consister à rechercher de manière directe ou indirecte des données sur l’utilisation concrète des pesticides (par exemple en interrogeant des bases de données médico-administratives, ou les registres de l’exploitation agricole). Si les agriculteurs sont généralement capables de citer un certain nombre de molécules, probablement les plus communes ou celles qui ont été le plus longtemps commercialisées, l’exhaustivité paraît difficile à atteindre par des questions directes en raison du nombre total de molécules utilisées au cours d’une vie professionnelle. Il apparaît par ailleurs que la mémorisation des substances varie avec l’importance de la menace agronomique que représente leur cible. Les salariés qui ne sont pas en charge de la commande des pesticides, ni de la planification de leur utilisation, ne sont généralement pas en mesure de citer les molécules qu’ils ont appliquées. Une autre possibilité est de proposer aux agriculteurs une liste préétablie de produits potentiellement utilisés. C’est ainsi qu’il a été procédé pour la grande cohorte américaine, l’Agricultural Health Study, en sélectionnant une cinquantaine de molécules à partir des données de vente dans les deux États de l’étude (Iowa et Caroline du Nord), précédant l’inclusion.
Les matrices emplois ou cultures ou tâches/exposition représentent des alternatives aux questionnaires auprès des utilisateurs. Une matrice peut être schématiquement décrite comme une table de correspondance dont les lignes contiennent des intitulés d’emplois/tâches/cultures, et dont les colonnes correspondent aux nuisances. Elles permettent d’obtenir des indicateurs d’exposition, qui peuvent être des indicateurs binaires (absence ou présence de l’exposition), semi-quantitatifs (faible, moyenne ou forte exposition) ou quantitatifs (probabilité, fréquence, intensité d’exposition…). Ces informations peuvent être données pour les pesticides en général, pour les familles chimiques ou pour les substances actives. Ces outils sont très hétérogènes, aussi bien pour les variables d’entrée que pour les indicateurs de sortie, et surtout utilisables pour des contextes locaux bien définis.
En France, trois matrices différentes peuvent être signalées. Une matrice concernant la viticulture a été réalisée dans le département de l’Hérault par une équipe de l’Université de Montpellier. Les données sont issues du recueil de registres d’utilisation des pesticides obtenus auprès de 85 propriétaires viticulteurs du département. Au total, 238 produits commerciaux et 117 substances actives ont été pris en compte. Des informations sur les quantités appliquées par hectare et par an, sur la forme du produit (liquide ou poudre) et sur une période de 1950 à 1988 ont été saisies. Cette période a été scindée en cinq durées plus petites considérées comme homogènes en termes de disponibilité des pesticides. Un groupe d’experts (ingénieurs spécialistes) a validé les données de la matrice. Cette matrice a été ensuite mise à jour sur la période 1990-2000 et étendue aux départements du Gard et de l’Aude.
Une autre matrice, appelée Pestimat, a été initiée au début des années 2000 par des équipes de l’Université de Caen et de Bordeaux dans l’objectif de reconstituer les expositions aux pesticides des utilisateurs agricoles de pesticides en France depuis 1950. Elle s’appuie sur des sources multiples de données (données du Ministère de l’Agriculture sur l’homologation des substances, index phytosanitaires édités par l’Acta, avertissements agricoles émis par les Services régionaux de la protection des végétaux, données d’un panel d’agriculteurs transmises par l’UIPP, calendriers de traitement tenus par les agriculteurs, questionnaires dirigés pour les années anciennes) qui ont été exploitées par culture et par année pour chaque matière active. À partir des informations recueillies, la matrice attribue au sein d’une culture, pour une matière active donnée et pour chaque année à partir de 1950, la proportion d’agriculteurs l’ayant utilisée, le nombre de traitements annuels et une notion d’intensité (dose par hectare).
Enfin, la matrice cultures-expositions aux produits phytosanitaires, Matphyto, est développée actuellement par le Département santé travail de l’InVS (en association avec une équipe de recherche de l’université Claude Bernard de Lyon 1 et de l’Ifsstar5 ). Elle détaille l’utilisation rétrospective des pesticides (herbicides, fongicides, insecticides, familles chimiques et principales substances actives) selon les principales cultures agricoles et selon un découpage géographique national large. Elle se base sur des données bibliographiques à dominante technique (index Acta, revue spécialisée, rapports techniques), des statistiques agricoles et l’expertise de professionnels. Les trois variables annuelles d’exposition fournies par cette matrice sont une probabilité, une fréquence et une intensité d’exposition. Elle a vocation à couvrir l’ensemble du territoire pour les principales cultures agricoles au cours des cinquante dernières années et à être largement diffusée.
Outre la mesure directe de la présence de pesticides dans l’air ou les poussières, l’évaluation des expositions environnementales de proximité liées aux usages agricoles de pesticides fait souvent appel aux systèmes d’informations géographiques (SIG). Cette approche prend en compte l’occupation des sols à proximité du lieu de résidence et l’utilisation agricole des pesticides en fonction des cultures de manière géolocalisée. Les expositions peuvent être pondérées par des données météorologiques (orientation du vent par exemple) et des caractéristiques physicochimiques des pesticides (comme la tension de vapeur). Cependant, cette méthode nécessite la connaissance géographique des usages de pesticides, pour laquelle les données demeurent aujourd’hui lacunaires en France.
L’ensemble des informations recueillies et traitées par les différents outils fait souvent l’objet de calcul de scores d’exposition. Ces opérations permettent la quantification des expositions et le classement des sujets étudiés selon leur niveau d’exposition. Ces calculs dépendent des informations préalablement recueillies et analysées. Les algorithmes utilisés sont très variables d’une étude à une autre. Ils sont généralement construits sous une forme de multiplication des indicateurs (par exemple probabilité x fréquence x intensité), mais l’usage d’une pondération devient plus fréquent (nombre de jours de traitement, nombre d’années travaillées, facteur X pour les fortes expositions, facteur Y pour l’usage d’un type de matériel ou d’EPI…). Ces algorithmes permettent d’attribuer individuellement une valeur quantitative d’exposition, nécessaire à l’estimation de relations dose-effet dans les études épidémiologiques.

Exposition aux pesticides et effets sur la santé

Les pesticides sont, par définition, des substances destinées à lutter contre des organismes vivants considérés comme nuisibles pour d’autres organismes vivants. Ils agissent chimiquement sur des effecteurs qui sont souvent impliqués dans des fonctions vitales ou la reproduction. Ils perturbent la signalisation nerveuse ou hormonale, la respiration cellulaire, la division cellulaire ou la synthèse de protéines, permettant le contrôle efficace du nuisible. Autrement dit, un pesticide est toujours un toxique pour la cible pour lequel il a été développé.
Il n’existe pas de pesticide totalement spécifique d’un nuisible. Les organismes vivants partagent, quel que soit leur rang taxonomique, des processus et mécanismes physiologiques partiellement communs. De ce fait, un pesticide, destiné à lutter contre un nuisible, présente un potentiel toxique plus ou moins étendu pour d’autres organismes qu’il ne cible pas.
De même, un pesticide peut agir, en première intention, sur un effecteur directement relié à l’action recherchée, tout en ayant la capacité d’agir sur d’autres effecteurs. Ces derniers n’étant pas, ou peu impliqués, dans le contrôle du nuisible, sont souvent méconnus ou découverts bien après que le pesticide considéré ait commencé à être employé. Les insecticides organochlorés agissant en première intention sur la transmission du signal nerveux illustrent bien cette situation, leur propriété hormonale ayant été découverte de nombreuses années après le début de leur utilisation.
De par leur emploi, généralement en circuit ouvert, et de par leur capacité à se disperser au-delà de la cible visée, les pesticides constituent un risque pour les organismes « non cibles ». L’Homme est évidemment concerné, et en premier lieu les utilisateurs de pesticides dans un contexte d’usage professionnel. C’est ainsi que l’emploi inadéquat de ces produits peut entraîner à très court terme (heures, jours) des troubles de la santé. Ces troubles, le plus souvent reliés au même mécanisme mis en jeu par le pesticide dans son action contre le nuisible, sont regroupés sous le terme d’intoxications aiguës. Dans certains cas, ces troubles peuvent se manifester à moyen terme, en particulier en cas d’expositions répétées. Le profil toxicologique aigu de la plupart des pesticides est assez bien connu. Des intoxications systémiques, pouvant conduire à la mort, mais aussi des effets allergisants, dermatologiques et respiratoires sont fréquemment rapportés chez les utilisateurs professionnels de pesticides.
Les principales interrogations concernent aujourd’hui les effets à long terme des expositions aux pesticides sur la santé, y compris à des faibles doses d’exposition. Des maladies susceptibles d’être liées à des expositions répétées et chroniques ont été étudiées, principalement dans des populations professionnellement exposées. Les connaissances épidémiologiques sont généralement issues de comparaisons entre, par exemple, les agriculteurs exposés aux pesticides, et la population générale ou différents groupes définis en fonction de leur niveau d’exposition. Plus récemment, des études ont été menées en population générale, potentiellement exposée via l’environnement (la contamination de l’air extérieur, l’habitat en zone rurale, les usages domestiques de pesticides, la consommation d’eau et de denrées alimentaires contaminées) ainsi que parmi des populations dites sensibles (femmes enceintes, nourrissons, jeunes enfants), en particulier lorsque l’exposition a lieu in utero.
Les pathologies les plus étudiées sont les maladies et troubles neurologiques, les atteintes de la fonction de reproduction, les altérations du développement et les cancers.
De nombreux pesticides agissent sur leurs organismes cibles en interférant sur la transmission du signal nerveux, expliquant ainsi les pathologies neurologiques qu’ils pourraient entraîner à long terme.
Des effets toxiques sur la spermatogenèse humaine ont été observés, sans ambiguïté, chez les professionnels appliquant différents produits actuellement interdits d’usage. Cependant, d’autres pesticides classés comme toxiques pour la reproduction en catégorie 2 (sur la base de données expérimentales chez l’animal) justifient leur surveillance et la recherche d’effets chez l’homme. Le développement de l’enfant, tant au cours de sa vie intra-utérine que postnatale, est connu pour être extrêmement sensible, d’une manière générale, aux xénobiotiques, parmi lesquels figurent les pesticides.
Les effets cancérogènes de certains pesticides ont été mis en évidence expérimentalement chez l’animal. Partant de ces données, et en les complétant dans certains cas d’études épidémiologiques, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a évalué et classé la cancérogénicité de certains pesticides. La découverte de propriétés hormonales de plusieurs pesticides a notamment suscité des recherches sur les cancers dits hormono-dépendants.
Les études épidémiologiques des effets à long terme de l’exposition aux pesticides reposent sur l’évaluation rétrospective des expositions individuelles à des substances ou des familles chimiques, parfois plusieurs dizaines d’années en arrière. Les incertitudes associées à ces évaluations, ainsi que le petit nombre de sujets exposés à chaque substance ou famille, nuisent à la précision des estimations de risque obtenues. Ceci explique la difficulté à aboutir le plus souvent à des conclusions fermes à partir d’une seule étude, ou lorsque les résultats sont apparemment discordants entre études, et justifient le recours aux méta-analyses.
Pour chacune des pathologies examinées dans cette expertise collective, les résultats de l’analyse des études épidémiologiques sont synthétisés sous forme de tableaux ; la présomption d’un lien entre l’exposition aux pesticides et la survenue d’une pathologie est appréciée à partir des résultats des études mentionnées en dessous de chacun des tableaux : présomption forte (++), présomption moyenne (+) et présomption faible (±).

Exposition aux pesticides et lymphomes non-hodgkiniens

Les lymphomes non-hodgkiniens (LNH) résultent de proliférations malignes initialement extramédullaires des cellules lymphoïdes (B ou T). En raison de l’hétérogénéité fonctionnelle des cellules lymphoïdes et de leur distribution anatomique ubiquitaire, ces affections se développent au sein de n’importe quel organe avec une expression clinique très hétérogène.
En France, avec 11 700 nouveaux cas par an estimés en 20116 , les LNH représentent un peu plus de 3 % de l’ensemble des cancers incidents, et se situent, par leur fréquence, au 7e rang chez l’homme et au 5e chez la femme. Les estimations des taux d’incidence standardisés (monde) étaient de 12,5 chez l’homme pour 100 000 personnes-années et de 8,3 chez la femme avec un sex-ratio de 1,2. L’incidence qui présentait une forte augmentation entre 1980 et 2005 (taux annuels moyens d’évolution de 2,7 % chez les hommes et de 2,9 % chez les femmes) stagne sur la période 2000-2005, de manière plus tangible chez les hommes. Au niveau mondial, les LNH représentent la dixième pathologie maligne et les taux d’incidence les plus élevés sont observés dans les régions du monde les plus développées (États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande et Europe). D’après les projections 2011, les décès dus aux LNH sont estimés en France à 3 675, avec une surmortalité masculine de 1,13. Ils représentent 2,4 et 2,7 % de l’ensemble des décès par cancers respectivement chez l’homme et chez la femme avec des taux de mortalité standardisés de 3,1 et de 1,7 pour 100 000 personnes-années.
L’étiologie de ces cancers reste largement méconnue. Néanmoins un certain nombre de facteurs de risque de développer un LNH ont été établis (certaines infections, affaiblissement du système immunitaire), mais ces facteurs ne seraient impliqués que dans une faible proportion de cas.
De très nombreuses enquêtes épidémiologiques ont étudié la relation entre une exposition professionnelle, mais aussi domestique, aux pesticides et le risque de développer un LNH. Une partie des études menées chez des agriculteurs, des applicateurs de pesticides, des travailleurs en industrie de synthèse des pesticides, des travailleurs sur des sites de production chimique et des vétérans militaires ayant servi au Vietnam ont fait l’objet de méta-analyses.
Sept méta-analyses partiellement redondantes, ont été publiées entre 1992 et 2009, incluant 6 à 47 études publiées entre 1980 et 2005. Cinq de ces méta-analyses portent sur une exposition dans le secteur professionnel agricole, une concerne l’exposition de travailleurs en industrie de production d’agents de pesticides et une intègre les études ciblant l’exposition professionnelle dans le secteur agricole et non-agricole.
Les sept méta-analyses ont rapporté une augmentation du risque de survenue de LNH allant de 3 % à 98 % chez les professionnels exposés aux pesticides comparés à la population générale. L’augmentation de risque est statistiquement significative dans cinq méta-analyses. Pour deux méta-analyses, l’une étant une mise à jour des résultats de l’autre, il n’y avait pas de significativité statistique. La plus forte augmentation significative du risque a été observée pour les travailleurs en industrie de production de pesticides avec un excès de risque de survenue de LNH de 98 %. Cependant, au sein de chaque méta-analyse, la forte hétérogénéité existant entre les enquêtes épidémiologiques requiert une grande prudence dans l’interprétation des résultats.
Les données les plus récentes issues de la plus importante cohorte prospective actuellement menée aux États-Unis, dans les États de l’Iowa et de la Caroline du Nord (Agricultural Health Study, constituée de plus de 50 000 exploitants agricoles et près de 5 000 applicateurs professionnels de pesticides) ont montré que ni l’incidence des LNH ni la mortalité observées chez les exploitants agricoles applicateurs de pesticides ou chez les applicateurs professionnels, et chez leurs conjoints, exposés aux pesticides n’est statistiquement différente de celle de la population générale. Sachant qu’un déficit de risque était observé dans l’Agricultural Health Study pour l’ensemble des cancers, des ratios d’incidence et de mortalité standardisés relatifs ont été calculés afin de tenir compte de ce facteur (en divisant la valeur observée pour une localisation donnée par celle observée pour l’ensemble des cancers moins celle de cette localisation). En procédant de la sorte, un excès de risque significatif de survenue de LNH de même qu’une augmentation statistiquement significative des décès dus à ces lymphomes ont été observés. Les résultats d’incidence suggèrent que le risque serait limité aux lymphomes impliquant les cellules B. La cohorte française Agrican est encore trop récente pour permettre de disposer de données suffisantes pour chaque type de cancer lympho-hématopoïétique.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et LNH

Exposition
Populations concernées par
un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Agriculteurs, applicateurs, ouvriers en industrie de production
++

++ d’après les résultats de 7 méta-analyses et d’une cohorte prospective (AHS)

Des associations entre LNH et familles ou substances actives de pesticides ont également été recherchées. La majorité des résultats par substances actives sont issues de la cohorte américaine citée ci-dessus. L’analyse effectuée à partir de l’Agricultural Health Study comporte un certain nombre de limites :
• les 50 pesticides sélectionnés sur la base des plus vendus sont essentiellement des insecticides (n=21) ou des herbicides (n=18) reflétant les spécificités agricoles des deux États inclus dévolus largement aux grandes cultures et aux élevages ;
• les personnes exposées aux pesticides sont essentiellement des hommes agriculteurs blancs dont les tâches majeures associées à l’exposition sont les traitements sans prise en compte des contacts indirects avec les substances (notamment contacts lors de tâches de ré-entrée dans les cultures très fréquentes en maraîchage, arboriculture et viticulture) ;
• l’identification des pesticides utilisés se fait uniquement sur le déclaratif des personnes interrogées à qui sont proposées les noms des matières actives avec des exemples indicatifs de noms de spécialités commerciales.

Organochlorés

Parmi le grand nombre d’organochlorés étudiés, une augmentation significative du risque de LNH a été rapportée après exposition au lindane dans l’étude de cohorte prospective AHS portant sur les applicateurs ainsi que dans plusieurs études cas-témoins poolées et non poolées menées chez les agriculteurs. Les autres organochlorés identifiés comme pouvant être associés au développement de LNH parmi les agriculteurs, sont le DDT, l’aldrine, le chlordane et le HCH7 . Plusieurs auteurs de ces études considèrent la preuve discutable en raison de la diminution de l’effet observé après ajustement soit pour l’utilisation d’autres pesticides, soit selon le type d’entretien (avec le patient atteint de LNH ou avec des proches) pour la mesure de l’exposition. Les cohortes de travailleurs dans l’industrie des organochlorés n’ont pas rapporté de données spécifiques concernant les LNH.
De nombreuses études réalisées en population générale ont estimé le risque de LNH en fonction des taux plasmatiques ou sériques, de la concentration dans les graisses d’organochlorés ou de leurs métabolites, ou encore de la concentration retrouvée dans les poussières (« carpet dust »). Dans la plupart des cas, des résultats contradictoires ont été observés pour un produit donné selon l’échantillon testé (plasma ou sérum, graisse, poussières) ou, pour un même type d’échantillon. Les résultats les plus convergents sont l’absence d’association entre LNH et exposition au DDT et l’existence d’une association possible avec l’oxychlordane (métabolite du chlordane).
Certains groupes de population pourraient présenter un risque exacerbé de développer un LNH suite à une exposition aux organochlorés. Ainsi, les individus ayant des antécédents familiaux de cancers lymphohématopoïétiques ont un risque accru de LNH par rapport aux individus sans antécédents. De même, les asthmatiques exposés plus spécifiquement au chlordane, au lindane et au DDT ont un risque plus élevé que les non-asthmatiques. Des risques accrus de LNH ont été également observés dans les deux études menées chez des agriculteurs porteurs d’une translocation chromosomique t(14 ;18). Une augmentation significative de LNH associée à l’exposition de ces individus aux organochlorés en général, à la dieldrine, au lindane et au toxaphène en particulier par rapport à des individus témoins (agriculteurs non exposés) a été observée dans au moins une de ces deux études.

Organophosphorés

D’après les données de la cohorte AHS, sur les 8 organophosphorés étudiés chez les applicateurs (chlorpyriphos, coumaphos, diazinon, dichlorvos, fonofos, malathion, phorate et terbufos), des cas de LNH ont été rapportés pour 3 organophosphorés (chlorpyrifos, malathion, terbufos) avec une augmentation statistiquement significative de risque uniquement pour le terbufos. Toutefois, l’absence de relation dose-effet significative et d’évidence expérimentale quant à la cancérogénicité potentielle du terbufos complique l’interprétation de cette augmentation. Plusieurs études cas-témoins, en particulier américaines et canadiennes (certaines combinant les données de trois études), ont rapporté des risques significativement augmentés pour les organophosphorés. Dans l’une d’elles, un risque particulièrement élevé a été observé chez les femmes ayant manipulé personnellement des organophosphorés, mais ce résultat repose sur un faible nombre de cas (6 cas). Dans les études stipulant les substances actives impliquées, des risques augmentés de LNH ont été rapportés pour tous les agents étudiés (chlorpyrifos, coumaphos, diazinon, dichlorvos, diméthoate, famfur, fonofos, malathion, phorate) à l’exclusion du terbufos. Le seuil de significativité statistique n’a toutefois été atteint que pour le diazinon et pour le malathion utilisés avant 1965. L’utilisation conjointe de malathion et de carbaryl (un insecticide carbamate) a montré un effet synergique. Par ailleurs, un risque significativement accru a été observé chez les individus porteurs d’une translocation chromosomique t(14 ;18) exposés aux organophosphorés et chez les asthmatiques exposés au fonofos. Cependant, d’autres études cas-témoins ne montrent pas d’augmentation de risque (voire un déficit de risque) dans les populations allergiques ou asthmatiques exposées à certains organophosphorés.

Triazines

Chez les travailleurs en production industrielle, l’actualisation de données issues des cohortes aux États-Unis a montré une augmentation significative du risque de LNH associée à une exposition aux triazines. Cependant, le très faible nombre de cas ne permet pas d’observer une augmentation avec la durée de l’exposition. Quelques études cas-témoins poolées rapportent une augmentation significative du risque chez les agriculteurs exposés aux triazines et à l’atrazine en particulier. L’exposition à la cyanazine augmenterait le risque chez des asthmatiques et l’exposition aux triazines et à l’atrazine chez les individus porteurs d’une translocation chromosomique t(14 ;18).

Carbamates/thiocarbamates/dithiocarbamates

Aucune donnée sur des LNH résultant d’expositions de travailleurs dans des industries de production de carbamates n’a été publiée dans la littérature scientifique. Les professionnels dans le secteur agricole ont en revanche fait l’objet de plusieurs études portant sur les carbamates étudiés en tant que famille chimique ou par substances actives spécifiques. Les données portant sur les carbamates pris dans leur ensemble ou sur les thiocarbamates et dithiocarbamates émanent toutes d’études cas-témoins. Dans la grande majorité des cas, des associations non significatives ont été observées entre l’exposition à ces agents et la survenue de LNH. Un résultat statistiquement significatif a été observé suite au regroupement de trois de ces études cas-témoins.
L’étude de cohorte américaine (AHS) a présenté des résultats pour 4 substances actives : butylate, carbaryl, carbofuran et éthyl-dipropylthiocarbamate (EPTC). L’augmentation de risque de LNH la plus consistante a été observée chez les applicateurs pour l’herbicide butylate et, dans une moindre mesure pour les insecticides carbofuran et carbaryl. Une certaine cohérence existe entre ces résultats et ceux des études cas-témoins dans la mesure où un risque accru de LNH a été observé pour les trois matières actives précitées mais l’association la plus probante a été observée pour le carbaryl plutôt que pour le butylate. À l’exception du mancozèbe et du zinèbe (des fongicides dithiocarbamates), l’exposition à toutes les autres substances actives étudiées (EPTC, manèbe, diallate, méthomyl, thiram et ziram) a accru le risque de LNH mais sans atteindre le seuil de significativité statistique. Vu les nombres relativement faibles de cas rapportés dans ces études, il n’est pas exclu que ce manque de significativité statistique soit essentiellement dû à un manque de puissance statistique. Les analyses ciblant des populations potentiellement plus sensibles (porteurs de translocation t(14 ;18), asthmatiques) ont, elles aussi, montré une augmentation non significative du risque de LNH mais les données disponibles sont très limitées. Très peu d’auteurs ont rapporté des informations sur les types de LNH pour lesquels un risque est accru. Des expositions au carbaryl et au carbofuran ont été associées à des risques accrus de développement de LNH respectivement à petits lymphocytes et de forme diffuse, mais ces résultats doivent être confirmés.

Phénoxyherbicides non contaminés

Les préparations commerciales de phénoxyherbicides peuvent être contaminées par des dibenzo-dioxines polychlorinées (PCDDs) et par des dibenzo-furanes polychlorés (PCDFs), formés durant le processus de fabrication. Les phénoxyherbicides les moins potentiellement contaminés sont l’acide 4-chloro-2-méthyl phénoxyacétique (MCPA) et l’acide 2,4-dichlorophénoxy acétique (2,4-D).
Aucune donnée issue des études de cohorte ne montre un risque significatif en relation avec l’exposition au MCPA et le 2,4-D. Il en est de même pour la plupart des études cas-témoins. En 2005, une étude cas-témoins, nichée dans une cohorte d’agriculteurs de Californie a montré une augmentation statistiquement significative du risque de LNH aussi bien pour les hommes exposés au 2,4-D que pour les femmes, tous types de LNH confondus et plus particulièrement pour les formes extra nodulaires. D’une manière générale, les études les plus récentes (après 2005) rapportent des augmentations non significatives de risque de LNH après exposition au 2,4-D sauf une étude canadienne qui rapporte un risque augmenté significativement pour une exposition combinée : le 2,4-D et l’insecticide organophosphoré malathion.
Après exposition au MCPA, des valeurs de risque significativement augmentées ont été observées dans toutes les études suédoises. Les autres études cas-témoins européennes et les études canadiennes ont montré des augmentations de risque de LNH non significatives. Toutes les études portant sur le mecoprop (MCPP) sont des études canadiennes qui montrent un accroissement significatif du risque de LNH. Pour les quatre phénoxyherbicides (2,4-D, dicamba, MCPA, MCPP) étudiés au sein de populations à risques potentiellement accrus, des valeurs de risque légèrement supérieures ont été observées chez ceux qui présentaient des caractéristiques immunologiques particulières (sans significativité statistique).

Chloroacétamides

Le nombre d’études (cohortes ou cas-témoins) concernant une exposition professionnelle aux chloroacétamides, une famille à laquelle appartiennent l’alachlore et le métolachlore, est trop faible pour conclure quant au risque de LNH. La plupart de ces études montrent un risque augmenté mais sans jamais atteindre le seuil de significativité statistique.

Hydrocarbures halogénés - Dibromochloropropane

Trop peu de données sont disponibles pour permettre de conclure quant au risque de LNH suite à une exposition professionnelle aux hydrocarbures halogénés.

Aminophosphonates glycine - Glyphosate

L’absence d’augmentation de risque de LNH observée dans l’étude de cohorte AHS ne semble pas en accord avec les résultats des études cas-témoins. En effet, des augmentations significatives de risque de LNH ont été observées dans les études cas-témoins poolées suggérant la possibilité d’une association entre l’exposition au glyphosate et les LNH. Cependant, une analyse plus détaillée montre qu’aucune de ces études cas-témoins poolées ne tient compte de la durée ou de la fréquence d’utilisation du glyphosate et que les risques diminuent dans les analyses de régression hiérarchiques ou multivariées. Une étude rapporte que les types de lymphomes davantage impliqués seraient les lymphomes de type leucémie lymphoïde chronique/lymphome à petites cellules et LNH non spécifié.

Pyréthrinoïdes

Très peu d’études épidémiologiques ont porté sur cette famille de pesticides et aucune ne laisse suspecter l’existence possible d’une relation avec le développement de LNH même si un risque augmenté (mais sans atteindre le seuil de significativité statistique) a été observé dans toutes les études cas-témoins. En revanche, une exposition aux pyréthrinoïdes augmenterait le risque chez les individus porteurs d’une translocation chromosomique t(14;18).

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque -significatifs de LNH

Familles
Substances actives
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Organochlorés
Sans distinction
Agriculteurs 
±
Lindane (γ HCH)
Applicateurs ; Agriculteurs
Éleveur (HCH)
Exposition professionnelle
++
+
±
DDT
Agriculteurs
Exposition professionnelle
Personnes exposées
++
+
±
Chlordane
Éleveurs
±
Aldrine
Exposition professionnelle
±
DDT + Malathion
Exposition professionnelle
±
Organophosphorés
Sans distinction
Agriculteurs
Personnes exposées
Exposition professionnelle
++
+
±
Terbufos
Applicateurs
+
Diazinon
Agriculteurs
+
Malathion
Agriculteurs
Personnes exposées
Exposition professionnelle
++
±
±
Coumaphos
Agriculteurs
±
Chlorpyrifos
Agriculteurs
±
Fonofos
Agriculteurs
±
Carbamates /dithiocarbamates
Sans distinction carbamates
Agriculteurs
Exposition professionnelle
+
±
Carbaryl
Agriculteurs
Exposition professionnelle
±
±
Carbofuran
Agriculteurs
±
Carbaryl + malathion
Exposition professionnelle
±
Butylate
Applicateurs
Agriculteurs
+
±
Triazines
Sans distinction
Agriculteurs
Ouvriers en industrie de production
±
+
Atrazine
Agriculteurs
±
Phénoxyherbicides non contaminés
2,4-D
Agriculteurs
Exposition professionnelle
+
±
2,4-D + malathion
Exposition professionnelle
±
MCPA
Exposition professionnelle
±
Mecoprop
Exposition professionnelle
±
Mecoprop + malathion
Exposition professionnelle
±
Aminophosphonates glycine
Glyphosate
Agriculteurs
Exposition professionnelle
±
+
Glyphosate + malathion
Exposition professionnelle
±

++ d’après les résultats de plusieurs études de cohortes ou d’au moins une étude de cohorte et deux cas-témoins ou de plus de deux études cas-témoins
+ d’après les résultats d’une cohorte ou d’une étude cas-témoins nichée ou de deux études cas-témoins
± d’après les résultats d’une étude cas-témoins

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque significatifs de LNH dans des groupes de population particulière

Familles
Substances actives
Groupes de population particulière concernée par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Organochlorés
Sans distinction
Agriculteurs t(14 ;18), personnes avec antécédents familiaux de cancers hématopoïétiques
±
Lindane
Agriculteurs asthmatiques
Agriculteurs t(14 ;18)
±
+
DDT
Exposés asthmatiques, exposés allergiques
±
Chlordane
Agriculteurs asthmatiques
±
Dieldrine
Agriculteurs t(14 ;18)
±
Toxaphène
Agriculteurs t(14 ;18)
±
Organophosphorés
  
Sans distinction
Agriculteurs t(14 ;18)
±
Carbamates/thiocarbamates /dithiocarbamates
Sans distinction carbamates
Agriculteurs t(14 ;18)
±
Triazines
Sans distinction
Agriculteurs t(14 ;18)
±
Atrazine
Agriculteurs t(14 ;18)
±
Cyanazine
Agriculteurs asthmatiques
±
Pyréthrinoïdes
  
Pyréthrinoïdes (sans distinction)
Agriculteurs t(14 ;18)
±

+ d’après les résultats de deux études cas-témoins
± d’après les résultats d’une étude cas-témoins

Exposition aux pesticides et leucémies

Les leucémies sont une prolifération néoplasique de cellules médullaires précurseurs des leucocytes, bloquées à différents stades de différenciation ; il en résulte un envahissement progressif de la moelle, du sang, voire de certains organes. Cet envahissement est à l’origine du tableau clinique d’insuffisance médullaire. On peut distinguer les leucémies selon leur évolution (aiguë ou chronique) et l’origine lymphoïde ou myéloïde des cellules néoplasiques.
En France, avec 3 777 cas estimés en 2011, les leucémies aiguës se situent au 20e rang des cancers et représentent 1 % de l’ensemble des cancers incidents. Les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale pour 100 000 personnes-années sont de 4,9 chez l’homme et de 4,1 chez la femme avec un sex-ratio de 1,2. En 2011, les leucémies aiguës sont au 12e rang en ce qui concerne la mortalité par cancer soit 2,2 % de l’ensemble des décès par cancer, avec des taux de mortalité standardisés de 2,9 et 1,9 pour 100 000 personnes-années respectivement chez l’homme et la femme.
Avec 3 798 nouveaux cas estimés en 2011, la leucémie lymphoïde chronique (LLC) se situe au 19e rang des cancers. Les taux d’incidence standardisés pour 100 000 personnes-années sont de 3,6 chez l’homme et 2,1 chez la femme. La leucémie lymphoïde chronique n’existe pas avant l’âge de 25 ans. L’incidence augmente régulièrement avec l’âge chez l’homme et chez la femme. En 2011, les leucémies chroniques se situent au 17e rang des décès par cancer, et représentent 0,7 % de l’ensemble des décès par cancer. Les taux de mortalité standardisés sont de 0,8 et de 0,3 respectivement, chez l’homme et chez la femme pour 100 000 personnes-années.
Les données épidémiologiques concernant le lien entre pesticides et leucémies sont très nombreuses et ne cessent de s’accumuler. Entre 1992 et 2009, sept méta-analyses ont été publiées, incluant entre 5 à 30 enquêtes épidémiologiques publiées entre 1979 et 2005. Selon les activités professionnelles considérées, trois méta-analyses portent sur une exposition dans le secteur professionnel agricole, deux concernent l’exposition dans le secteur industriel de production de pesticides et deux se rapportent à l’exposition professionnelle dans le secteur agricole et non-agricole.
Les sept méta-analyses ont rapporté une augmentation du risque de survenue de leucémies allant de 7 % à 43 % chez les profes-sionnels exposés aux pesticides comparé à la population générale. Cette augmentation de risque était statistiquement significative dans trois méta-analyses. Pour deux autres, les résultats étaient à la limite du seuil de significativité statistique et pour les deux dernières, l’augmentation du risque était non significative. La plus forte augmentation significative du risque a été observée pour les travailleurs en industrie de production de pesticides avec un excès de risque de survenue de leucémies de 43 %.
Les résultats de ces différentes méta-analyses ne sont pas convergents que l’on considère le type de leucémie étudié, le groupe d’exposition (agriculteur, travailleurs en industrie) ou le type d’étude épidémiologique incluse (cas-témoins, cohortes). Par exemple, sur les 4 méta-analyses ayant combiné les études de cohortes, deux ont montré une augmentation statistiquement significative du risque alors que les deux autres non. Par ailleurs, la forte hétérogénéité existant entre les enquêtes épidémiologiques requiert une grande prudence dans l’interprétation des résultats.
Au sein de la cohorte prospective AHS, l’incidence des leucémies et la mortalité observées chez les exploitants agricoles applicateurs de pesticides, les applicateurs professionnels, et chez leurs conjoints, exposés aux pesticides dans leur ensemble, ne sont pas statistiquement différentes de celles de la population générale. Cependant, quand ces valeurs sont exprimées en incidence et mortalité relative, une augmentation statistiquement significative du risque est observée pour la mortalité.
Les études de cohortes autres que celles de l’AHS sur le lien entre une exposition aux pesticides tous types confondus et les leucémies sont nombreuses en Europe, Amérique du Nord, Amérique centrale et Australie. La plus importante étude européenne fournit des données de suivi de 15 millions d’individus de cinq pays nordiques : Suède, Norvège, Islande, Danemark et Finlande. Cette étude n’a pas montré d’augmentation d’incidence de leucémies chez les agriculteurs (hommes ou femmes) ni chez les jardiniers. En France, un risque significativement augmenté de décès par suite de leucémies a été observé chez des agriculteurs et ouvriers agricoles et une augmentation non significative a été observée chez des travailleurs dans la lutte contre les nuisibles en milieu urbain. La grande majorité des études européennes, soit neuf études, émanent d’Italie. Aucune augmentation de risque de leucémies chez les travailleurs agricoles ou utilisateurs de pesticides possédant une licence pour l’achat et l’utilisation de pesticides toxiques n’est apparue dans les trois études d’Italie du Nord à l’exception d’une légère augmentation non significative observée chez les femmes et plus spécifiquement pour la forme myéloïde de leucémies.
Il est très difficile de conclure à partir des études de cohortes disponibles (AHS et autres) quant à l’existence d’une association entre l’exposition aux pesticides, tous types confondus, et la survenue de leucémies. Les raisons principales sont le peu de cohérence existant entre les résultats de ces études et leur manque de puissance. Les tendances qui semblent néanmoins ressortir sont une augmentation de risque surtout observée dans les études de mortalité qui sont nettement plus nombreuses que les études d’incidence. Il n’est pas exclu que le risque puisse davantage concerner les leucémies de type myéloïde mais les différences avec le type lymphoïde semblent peu marquées. Dans la majorité des études faisant la distinction entre les valeurs de risque selon le sexe, un risque plus élevé a été rapporté chez les femmes exposées par rapport au risque observé chez les hommes.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et leucémies

Exposition
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides
(sans distinction)
Agriculteurs, applicateurs, ouvriers
en industrie de production
+

+ d’après les résultats de 7 méta-analyses et d’une cohorte prospective (AHS)

Une approche par famille chimique permet de faire ressortir les principales tendances et de pouvoir identifier les substances actives potentiellement concernées.

Organochlorés

Un nombre important d’études s’est intéressé au lien entre exposition aux organochlorés et les leucémies. Dans la cohorte prospective AHS, la simple utilisation d’organochlorés (« ever exposed ») chez les applicateurs était associée à une augmentation du risque de leucémies à la limite du seuil de significativité statistique. Ce risque n’augmente cependant pas avec une augmentation de l’exposition et quand les individus faiblement exposés sont pris comme référence, l’association disparaît. L’approche par pesticide spécifique a montré des associations statistiquement significatives pour le lindane et l’heptachlore avec un doublement du risque de leucémies. Une augmentation statistiquement significative de l’incidence des leucémies a été observée chez les applicateurs pour la catégorie d’exposition la plus élevée au chlordane et à l’heptachlore. Des risques relatifs supérieurs à 1,5 ont été observés pour le chlordane, la dieldrine et le toxaphène, sans atteindre un niveau de significativité statistique.
Une étude cas-témoins nichée dans une cohorte d’agriculteurs de Californie (United Farm Workers of America) a montré une augmentation significative du risque de leucémies (tous types confondus) suite à une exposition au toxaphène, le risque étant plus marqué pour la forme granulocytaire par rapport à la forme lymphoïde. Cette étude a également rapporté des valeurs nettement supérieures pour les femmes, sans toutefois atteindre le seuil de significativité statistique.
Les résultats de la plupart des autres études de cohortes disponibles suggèrent un lien entre l’exposition aux organochlorés et le risque de leucémies. Toutefois, peu d’entre elles apportent des informations sur un agent spécifique et les observations sont fondées sur un très faible nombre de cas. Les agents les plus fréquemment cités comme responsables potentiels d’une augmentation de risque de leucémies sont le DDT, le lindane, l’heptachlore, le chlordane, la dieldrine et le toxaphène, sans pour autant que des effets significatifs aient été observés pour le DDT et la dieldrine.

Organophosphorés

Plusieurs organophosphorés ont fait l’objet d’investigations au sein de la cohorte AHS et d’autres cohortes ou encore chez des groupes particulièrement exposés. Les résultats de la plupart des études suggèrent un lien entre l’exposition aux organophosphorés et le risque de leucémies. Toutefois, peu d’entre elles apportent des informations sur un agent spécifique et les observations sont fondées sur un très faible nombre de cas. Les substances actives identifiées dans la cohorte AHS comme potentiellement impliquées dans la survenue de cette pathologie avec un excès de risque significatif sont le chlorpyrifos, le fonofos, le diazinon et le terbufos. L’augmentation de risque est non significative avec le malathion dans la cohorte AHS et significative dans une étude cas-témoins nichée chez les agricultrices. La grande majorité des autres études de cohortes d’individus professionnellement exposés à des pesticides incluant des organophosphorés ont montré une augmentation non significative du risque de leucémies. Signalons qu’à plusieurs reprises des risques augmentés ont été rapportés pour l’exposition des femmes par rapport aux risques observés chez les hommes.

Triazines

Les investigations au sein de la cohorte AHS, d’autres cohortes ou d’études cas-témoins nichées n’ont pas permis de mettre en évidence une relation significative entre une exposition à l’atrazine ou aux herbicides de la famille des triazines en général et les leucémies même si des augmentations de risque non significatives ont parfois été observées avec l’atrazine, la simazine et la métribuzine.

Carbamates - thiocarbamates - dithiocarbamates

Dans la cohorte AHS, l’exposition à 4 carbamates a été étudiée (deux herbicides, le butylate et l’éthyl-dipropylthiocarbamate ou EPTC, et deux insecticides, le carbaryl et le carbofuran). Les résultats portant sur les applicateurs exposés à l’EPTC montrent une augmentation statistiquement significative du risque de leucémies pour la catégorie d’exposition la plus longue (avec un test de tendance également statistiquement significatif par rapport au groupe non-exposé). L’exposition au butylate a montré un risque accru de leucémies chez les applicateurs dans les groupes d’exposition les plus élevés mais sans jamais atteindre le seuil de significativité statistique et sans que les tests de tendance exposition-réponse soient significatifs, quels que soient le paramètre d’exposition utilisé (tenant compte ou non de l’intensité de l’exposition) ou le groupe de référence (non-exposés, faiblement exposés).
Une étude cas-témoins nichée dans une cohorte d’agriculteurs de Californie a montré une augmentation statistiquement significative du risque de leucémies (tous types confondus et pour la forme granulocytaire) suite à une exposition au mancozèbe (fongicide dithiocarbamate). Les valeurs de risque de leucémies étaient nettement supérieures (et significatives) pour les femmes par rapport aux hommes.

Chloroacétamides

Dans l’Iowa, la dernière réactualisation des données de mortalité et d’incidence de travailleurs exposés à l’alachlore dans une industrie de production a montré une augmentation de risque de leucémies tant en termes de mortalité que d’incidence et quelle que soit l’exposition (toutes les expositions ou seulement les fortes expositions) sans toutefois que ces augmentations ne soient statistiquement significatives. En revanche, un risque significativement accru d’incidence de leucémies de type myéloïde chronique a été rapporté.
Dans la cohorte AHS, le risque de survenue de leucémie est augmenté de façon manifeste dans la catégorie d’exposition à l’alachlore la plus élevée sans toutefois atteindre le seuil de significativité. Une tendance exposition-réponse a également été mise en évidence. Bien que l’interprétation de ces résultats soit limitée par le faible nombre de cas, ils suggèrent néanmoins une association possible entre l’exposition à l’alachlore et les leucémies.

Hydrocarbures halogénés

Trop peu de données sont disponibles pour conclure quant au risque de leucémies suite à une exposition professionnelle aux hydrocarbures halogénés. Toutefois, aucune donnée issue des études de cohortes disponibles ne met clairement en évidence une éventuelle augmentation de risque de leucémies.

Phénoxyherbicides

Les données épidémiologiques disponibles sur les deux phénoxyherbicides (MCPA et 2,4-D) pour lesquels une contamination aux PCDDs/PCDFs est peu probable, sont peu nombreuses et, pour un même agent, montrent peu de cohérence entre les résultats. Aucun effet significatif pertinent n’a été rapporté et si, dans certains groupes d’exposition, des tendances à l’augmentation de risque sont observées, elles ne présentent pas de gradient exposition-réponses et elles sont inversées dans d’autres groupes. Les données disponibles sont insuffisantes pour conclure quant aux risques de leucémies que présentent ces agents.

Autres substances actives de pesticides

Des augmentations de risque ont parfois été observées sans atteindre le seuil de significativité statistique pour le glyphosate (Roundup), la trifluraline, l’imazéthapyr et la perméthrine.

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risques significatifs de leucémies

Familles
Substances actives
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Organochlorés
  
Organochlorés (sans distinction)
Applicateurs
+
Lindane
Applicateurs
+
Heptachlore
Applicateurs
+
Chlordane + heptachore
Applicateurs
+
Toxaphène
Agriculteurs
+
Organosphorés
  
Chlorpyrifos
Applicateurs
+
Diazinon
Applicateurs
+
Fonofos
Applicateurs
+
Malathion
Agricultrices
+
Terbufos
Applicateurs
+
Carbamates/thiocarbamates/dithiocarbamates
  
EPTC
Applicateurs
+
Mancozèbe
Agriculteurs
+
Chloroacétamides
  
Alachlore
Ouvriers en industrie de production
+

+ d’après les résultats d’une cohorte ou d’une étude cas-témoins nichée
NB : Les résultats sont issus des études de cohortes et des études cas-témoins nichées. Les études cas-témoins n’ont pas été analysées par famille et par substance active.

Exposition aux pesticides et maladie de Hodgkin

La maladie de Hodgkin, prolifération lymphoïde, est considérée comme appartenant à la grande catégorie des lymphomes depuis la nouvelle classification des maladies hématologiques. Elle représente environ 30 % de tous les lymphomes. C’est une hémopathie maligne caractérisée par la présence d’un petit nombre de cellules tumorales issues des lymphocytes B (cellules de Reed-Sternberg) au sein d’une réaction tissulaire abondante (lymphocytes T, histiocytes, polynucléaires éosinophiles….) pouvant s’accompagner de fibrose. La distribution est bimodale en fonction de l’âge avec un premier pic entre 15 et 35 ans, et un second pour les sujets de plus de 50 ans.
Avec 1 839 cas estimés en 2011, dont 50 % chez l’homme, le lymphome de Hodgkin se situe au 24e rang des cancers et représente 0,5 % de l’ensemble des cancers incidents. Il se situe par sa fréquence au 19e rang chez l’homme et au 21e rang chez la femme. Les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale pour 100 000 personnes-années sont de 2,6 chez l’homme et de 3,1 chez la femme. Le sex-ratio est de 0,84.
Ce cancer se situe au 21e rang des décès par cancer et représente 0,2 % de l’ensemble des décès par cancer. Les taux de mortalité standardisés pour 100 000 personnes-années sont respectivement de 0,4 et 0,2 chez l’homme et chez la femme.
Les données épidémiologiques concernant le lien entre pesticides et maladie de Hodgkin sont très peu nombreuses par rapport à celles disponibles pour d’autres pathologies lymphohématopoïétiques comme les leucémies ou les lymphomes non-hodgkiniens.
Entre 1992 et 2009, 4 méta-analyses ont été publiées, incluant entre 12 à 30 enquêtes épidémiologiques publiées entre 1980 et 2003. Une méta-analyse concerne spécifiquement la maladie de Hodgkin et les 3 autres traitent de l’ensemble des cancers. En se référant aux types d’activités professionnelles considérés, 3 méta-analyses portent sur une exposition dans le secteur professionnel agricole et une concerne l’exposition de travailleurs en industrie de production de pesticides. Les résultats des méta-analyses soulignent tous un excès de risque de survenue de maladie de Hodgkin allant de 9 % à 25 % chez les professionnels exposés aux pesticides comparés à la population générale, cette augmentation de risque n’atteint toutefois le seuil de significativité statistique que dans 2 méta-analyses sur les 4. Ces méta-analyses ne sont pas totalement indépendantes (réactualisation) et un bon nombre d’études épidémiologiques se retrouvent dans plusieurs méta-analyses. L’augmentation significative du risque la plus élevée est de 53 %, elle a été observée par la combinaison des études cas-témoins chez les agriculteurs. Par ailleurs, d’après ces méta-analyses, les risques observés dans les études combinées en provenance d’Europe sont très similaires à ceux observés dans des études regroupées en provenance des États-Unis, avec des augmentations significatives ou à la limite du seuil de significativité statistique, de l’ordre de 26 et 23 % respectivement. La combinaison des études portant sur des femmes n’a pas montré d’augmentation significative de risque.
Au sein de la cohorte AHS, l’incidence de la maladie de Hodgkin observée chez les exploitants agricoles applicateurs de pesticides, chez les applicateurs professionnels, et chez leurs conjoints, exposés aux pesticides dans leur ensemble n’est pas augmentée, ou l’est légèrement mais sans être statistiquement différente de celle de la population générale. Quand les valeurs sont exprimées en incidence et mortalité relatives, cette augmentation du risque reste non significative dans les deux cas.
Sur les neuf études de cohortes (autres que l’AHS), l’étude européenne qui fournit des données de suivi de 15 millions d’individus provenant de 5 pays nordiques (Suède, Norvège, Islande, Danemark et Finlande) a montré une très légère augmentation d’incidence de maladie de Hodgkin chez les agriculteurs de sexe masculin mais une augmentation plus forte et statistiquement significative chez les agricultrices. Aucune des autres études européennes (Italie, Grande-Bretagne et Irlande) n’a présenté d’augmentation significative de risque de maladie de Hodgkin chez les utilisateurs de pesticides et travailleurs dans le secteur agricole. Une des deux études nord-américaines a mentionné une diminution (non significative) de risque de maladie de Hodgkin chez des agriculteurs canadiens alors que l’autre indique un risque accru de façon non significative de mortalité au sein d’une cohorte d’applicateurs de pesticides aériens.
Les données épidémiologiques disponibles ciblant des substances actives sont rares. Elles portent sur des nombres de cas extrêmement faibles et sont insuffisantes pour conclure quant aux risques de maladie de Hodgkin que pourraient présenter certaines des substances actives. Toutefois, seules les études de cohortes et les études cas-témoins nichées ont été analysées par famille et par substance active mais pas les études cas-témoins.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et maladie
de Hodgkin

Exposition
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Secteur professionnel agricole
±

± d’après les résultats de 4 méta-analyses et d’une cohorte prospective (AHS)

Exposition aux pesticides et myélome multiple

Le myélome multiple ou maladie de Kahler est une infiltration plasmocytaire maligne de la moelle osseuse. Cette prolifération maligne s’accompagne, en général, de la sécrétion d’une immunoglobuline monoclonale complète ou seulement d’une chaîne légère, et de manifestations osseuses cliniques ou radiologiques. Le myélome multiple est la conséquence de plusieurs événements oncogéniques concernant la lignée lymphocytaire B. Les myélomes à IgA, IgD et à chaînes légères sont de plus mauvais pronostic que les myélomes IgG.
Chez l’homme et chez la femme, l’incidence du myélome multiple et des maladies immunoprolifératives est en augmentation. En France, le taux d’incidence standardisé sur la population mondiale pour 100 000 personnes-années a augmenté de 2,2 % par an chez l’homme et de 1,8 % chez la femme entre 1980 et 2005, l’augmentation étant respectivement de 1,5 et 1,1 % entre 2000 et 2005.
En France, avec 5 930 nouveaux cas estimés en 2011, dont 54 % survenant chez l’homme, le myélome multiple des os et les maladies immunoprolifératives se situent au 15e rang des cancers et représentent 1,6 % de l’ensemble des cancers incidents. Les taux d’incidence standardisés pour 100 000 personnes-années sont de 5,3 chez l’homme et 3,5 chez la femme. Le myélome est très rarement observé avant 40 ans et son incidence augmente avec l’âge chez l’homme et chez la femme. Le myélome multiple se situe au 14e rang des décès par cancer, et représente 2,1 % de l’ensemble des décès par cancer. Les taux de mortalité standardisés pour 100 000 personnes-années sont respectivement de 2,3 et de 1,4 chez l’homme et chez la femme.
Les données épidémiologiques concernant le lien entre pesticides et myélomes multiples sont nettement moins nombreuses que celles concernant les lymphomes non-hodgkiniens ou les leucémies.
Entre 1992 et 2009, six méta-analyses incluant entre 2 et 32 études publiées entre 1970 et 2007 ont été publiées. Deux méta-analyses portent spécifiquement sur les myélomes multiples, une sur les cancers hématopoïétiques et trois traitent de l’ensemble des cancers. Selon l’activité professionnelle, 4 méta-analyses considèrent l’exposition en secteur agricole, une concerne l’exposition en milieu industriel de production de pesticides et une se rapporte à l’exposition professionnelle dans le secteur agricole et non-agricole. Ces méta-analyses ne sont pas totalement indépendantes, un bon nombre d’études épidémiologiques se retrouvent dans plusieurs méta-analyses, et certaines sont des réactualisations.
Toutes ces méta-analyses montrent une augmentation de risque de survenue de myélomes multiples allant de 9 % à 39 % chez les professionnels exposés aux pesticides comparés à la population générale. Cette augmentation de risque atteint le seuil de significativité statistique dans 3 méta-analyses sur les 4 portant sur des agriculteurs. L’augmentation est à la limite de la significativité statistique pour la quatrième méta-analyse chez les agriculteurs ainsi que pour celle reprenant les études menées dans le secteur agricole et non-agricole. L’augmentation n’est pas significative dans la méta-analyse concernant l’exposition de travailleurs en industrie. Les plus fortes augmentations significatives de risque ont été observées dans la méta-analyse portant sur les agriculteurs ayant travaillé au moins 10 ans dans une ferme ainsi que pour ceux qui ont été exposés au DDT.
Dans la cohorte AHS, l’incidence est augmentée sans toutefois atteindre le seuil de significativité chez les applicateurs professionnels, exposés aux pesticides dans leur ensemble. Une stratification par État (Iowa et Caroline du Nord) a mis en évidence une augmentation significative du risque de myélomes multiples chez les applicateurs en Caroline du Nord avec une augmentation des ratios d’incidence (41 %) et de mortalité (89 %) standardisés alors que cette augmentation reste non significative pour l’État de l’Iowa. Pour les conjoints des applicateurs privés pris dans leur ensemble, une diminution (non significative) de risque a été rapportée lors de la dernière réévaluation des données de même que pour la sous-cohorte de Caroline du Nord. Les taux de mortalité dus aux myélomes multiples suivent la même tendance que les taux d’incidence.
Parmi les cohortes autres que l’AHS, l’étude nord européenne a montré une augmentation modeste mais significative et consistante de l’incidence de myélomes multiples chez les agriculteurs : pour les deux sexes et pour tous les Pays Nordiques excepté le Danemark. Une légère augmentation significative du risque de myélomes multiples a également été observée chez les hommes pratiquant le métier de jardinier. En France, un risque significativement augmenté de 59 % de décès par suite de myélomes multiples a été observé chez des agriculteurs et ouvriers agricoles. Chez les utilisatrices de pesticides à usage agricole en Grande-Bretagne, des risques significativement accrus de mortalité et d’incidence ont été rapportés mais avec des intervalles de confiance très larges. Cependant, des diminutions de risque (incidence ou mortalité) de myélomes multiples ont été observées dans d’autres études (Amérique du Nord et Centrale, Italie du Nord, Irlande, Costa-Rica, Australie).

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et myélome -multiple

Exposition
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Agriculteurs, applicateurs de pesticides
++

++ d’après les résultats de 6 méta-analyses et de deux cohortes prospectives (AHS et cohorte nord européenne)

Les cohortes de travailleurs exposés principalement à une classe de pesticides ou à un pesticide bien spécifique sont peu nombreuses. Elles portent généralement sur un nombre de cas très limité ce qui rend extrêmement difficile l’étude de l’existence éventuelle d’une relation entre ce type d’exposition et les myélomes multiples. Signalons toutefois que les résultats de l’AHS suggèrent que le risque de myélomes multiples pourrait être augmenté suite à une exposition à la perméthrine (seul agent pour lequel une augmentation significative de risque a été observée à la plus forte dose). Une tendance à l’augmentation de risque avec certaines intensités d’exposition au glyphosate est observée sans être toutefois significative. Toutefois, seules les études de cohortes et les études cas-témoins nichées ont été analysées par famille et par substance active mais pas les études cas-témoins. L’utilisation de biomarqueurs précliniques de myélomes multiples comme le MGUS (Monoclonal gammopathy of undetermined significance), pourrait constituer une approche intéressante pour évaluer des hypothèses sur l’étiologie des myélomes multiples étant donné que l’exposition aux pesticides semble induire plus de cas de MGUS que de myélomes multiples proprement dits.

Exposition aux pesticides et cancer de la prostate

Au niveau mondial, le cancer de la prostate est le 2e cancer le plus fréquent chez l’homme après celui du poumon. Cependant, son incidence varie selon les zones géographiques et les origines ethniques des populations. Les incidences les plus élevées sont dans les pays développés (Europe du Nord et de l’Ouest, Amérique du Nord) et dans les populations originaires de l’Afrique subsaharienne résidant dans des pays développés. À l’opposé, l’incidence est faible dans les pays de l’est et sud-est asiatique.
L’incidence du cancer de la prostate a augmenté significativement ces dernières décennies dans la plupart des pays du monde. Ceci s’explique en grande partie par le développement du diagnostic précoce combinant dosage du PSA (antigène spécifique prostatique) et biopsie prostatique. En France, le taux annuel moyen d’évolution de l’incidence, entre 1980 et 2005, a été de + 6,3 %. En revanche, la mortalité par cancer de la prostate s’est stabilisée voire ralentie dans la plupart des pays développés, conséquence du diagnostic précoce individuel de la maladie et de l’efficacité des traitements proposés.
En France, les projections pour l’année 2011 font état d’une incidence de 71 220 cas. Le taux d’incidence standardisé pour 100 000 hommes-années de 125,7 fait de la France un pays à incidence forte. Il est particulièrement élevé aux Antilles en lien avec les origines africaines de leur population. Le cancer de la prostate se situe au premier rang des cancers (tous sexes confondus) et représente 19,4 % de l’ensemble des cancers incidents. Le cancer de la prostate se situe au 4e rang des décès par cancer et représente 5,9 % de l’ensemble des décès. Le taux de mortalité standardisé sur la population mondiale est de 10,8 pour 100 000 personnes-années.
L’étiologie du cancer de la prostate reste encore mal comprise. La survenue de la maladie résulte d’interactions complexes entre des facteurs de susceptibilité génétique, hormonaux et environnementaux. Un âge avancé, des antécédents familiaux au premier degré de cancer de la prostate et des origines africaines subsahariennes, constituent à ce jour les seuls facteurs de risque établis. La part contributive de l’environnement chimique généré par l’activité humaine dans la survenue de ce cancer est une question d’actualité. Parmi les substances chimiques incriminées, les pesticides tiennent une place particulière du fait de leur emploi universel et de leur diversité d’utilisation dans un contexte professionnel ou domestique.
Des études menées dès la fin des années 1960 aux États-Unis ont montré des taux de décès par cancer de la prostate significativement plus élevés dans les zones rurales qu’en population générale. Trois méta-analyses couvrant les études épidémiologiques d’incidence ou de mortalité de cancer de la prostate disponibles entre 1949 et 1994 ont montré un excès de risque significatif de survenue de cancer de la prostate, estimé entre 7 et 12 % dans les populations rurales ou agricoles par rapport à la population générale. Cependant, le fait de résider dans des zones rurales n’est pas en soi synonyme d’utilisation de pesticides.
D’autres études se sont penchées sur les populations utilisant effectivement des pesticides, la plupart dans un contexte professionnel. Trois autres méta-analyses portant sur le risque de cancer de la prostate dans des populations effectivement exposées aux pesticides dans un contexte professionnel (des applicateurs de pesticides et des employés travaillant dans des usines de production de pesticides) ont montré des excès de risque significatif compris entre 12 et 28 %. Ce risque est plus important pour les applicateurs de pesticides et diffère selon les régions géographiques, le risque étant plus élevé en Amérique du Nord qu’en Europe.
La cohorte prospective Agricultural Health Study (AHS) aux États-Unis, menée auprès d’exploitants agricoles et d’applicateurs de pesticides, a confirmé le risque accru de survenue de cancer de la prostate chez les exploitants agricoles applicateurs de pesticides (de l’ordre de 19 %) ainsi que chez les applicateurs professionnels de pesticides (de l’ordre de 28 %).

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et cancer
de la prostate

Exposition
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Agriculteurs, applicateurs, ouvriers en industrie de production
++

++ d’après les résultats de 6 méta-analyses et une étude de cohorte (AHS) prospective

Parmi les matières actives associés à un risque accru significatif, figurent le butylate (herbicide de la famille des carbamates) ainsi que, le terbufos (insecticide organophosphoré), mais à la limite du seuil de significativité statistique. Pour certaines matières actives, des associations ont été retrouvées en présence d’antécédents familiaux de cancer de la prostate. Il s’agit du butylate et des insecticides carbofuran, coumaphos, fonofos, perméthrine et à la limite du seuil de significativité, le phorate. Ces observations suggèrent que des facteurs de susceptibilité génétique liés à la maladie où des facteurs environnementaux à risque partagés par les membres d’une même famille, pourraient moduler le risque de survenue de cancer de la prostate en présence d’une exposition à un pesticide. Des études récentes montrant des interactions entre des variants génétiques situés sur la région 8q24 (connue pour contenir de nombreux loci à risque pour le cancer de la prostate) et l’exposition à certains pesticides (coumaphos, fonofos et perméthrine) soutiennent cette hypothèse.
Des études de type cas-témoins ont été réalisées ces dernières années en utilisant des mesures biologiques des expositions. Elles concernent exclusivement des pesticides organochlorés réputés être persistants dans l’organisme. Ces études suggèrent des associations positives avec le chlordécone, la dieldrine, l’isomère β de l’hexachlorocyclohexane et le trans-nonachlore. Dans le cas du chlordécone, l’association retrouvée est modulée par certains polymorphismes du gène codant la chlordécone réductase, une enzyme qui métabolise cette molécule, ainsi que par la présence d’antécédents familiaux de cancer de la prostate.

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque
du cancer de la prostate

Familles
Substances actives
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Organochlorés
Chlordécone
Population générale
++
Dieldrine
Population générale
±
β HCH
Population générale
±
Chlordane (trans nonachlore)
Population générale
±
Organosphorés
Coumaphos
Agriculteurs avec antécédents familiaux de cancer de la prostate
+
Fonofos
Agriculteurs avec antécédents familiaux de cancer de la prostate
+
Carbamates/thiocarbamates/dithiocarbamates
Butylate
Agriculteurs
+
Carbofuran
Agriculteurs avec antécédents familiaux de cancer de la prostate
+
Pyréthrinoïdes
Perméthrine
Agriculteurs avec antécédents familiaux de cancer de la prostate
+

++ d’après les résultats d’une étude cas-témoins avec une caractérisation par des marqueurs biologiques de l’exposition
+ d’après les résultats d’une étude cas-témoins nichée dans la cohorte AHS
± d’après les résultats d’études cas-témoins ou de cohortes

Exposition aux pesticides et cancer du testicule

Le cancer du testicule est un cancer rare, environ 1 à 2 % des cancers toutes localisations confondues, et qui affecte principalement les jeunes adultes entre 20 et 35 ans. L’incidence est plus élevée dans les pays développés, en particulier dans le Nord de l’Europe, que dans les pays en voie de développement. L’incidence varie selon l’origine ethnique des populations, elle est plus élevée parmi les populations caucasiennes que parmi celles originaires de l’Afrique subsaharienne.
En France, avec 2 324 nouveaux cas estimés en 2011, le cancer du testicule se situe au 23e rang des cancers et représentent 0,6 % de l’ensemble des cancers incidents. Le taux d’incidence standardisé est de 7,4 cas pour 100 000 hommes-années. Ce taux fait de la France un pays à incidence élevée. Contrairement au cancer de la prostate, le cancer du testicule est peu fréquent aux Antilles françaises.
Il se situe au 22e rang des décès par cancer et représente 0,1 % de l’ensemble des décès. Le taux de mortalité standardisé est de 0,2 pour 100 000 hommes-années.
Une augmentation significative de l’incidence du cancer du testicule a été constatée ces dernières décennies dans la plupart des pays du monde, en particulier dans les pays où l’incidence y est déjà élevée.
L’étiologie du cancer du testicule est inconnue. Le seul facteur de risque unanimement reconnu est l’absence de descente ou la mauvaise descente testiculaire dans les bourses au cours du développement embryonnaire (cryptorchidie). Celle-ci intervient généralement avant la naissance. L’augmentation de l’incidence n’est expliquée ni par l’amélioration des procédures de diagnostic, ni par le vieillissement des populations.
La prépondérance du cancer du testicule dans des milieux ruraux comparée à celle des milieux urbains a été signalée pour la première fois en 1969 sans être confirmée dans les années suivantes. En 1985, une revue de la littérature mentionnait que sur six études portant sur le risque de survenue de cancer du testicule chez des populations agricoles, trois d’entre elles montraient des associations positives et trois autres aucune association.
Deux méta-analyses publiées en 1992 et en 1998, se sont intéressées aux études portant sur le risque de cancer (mortalité ou incidence) chez des populations résidant dans des régions rurales à forte activité agricole comparée à la population générale. Concernant le cancer du testicule, aucune n’a montré d’excès de risque.
La cohorte prospective AHS aux États-Unis après un suivi moyen de 10,8 années, n’a pas montré d’excès de risque de survenue de cancer du testicule ni chez les exploitants agricoles applicateurs de pesticides ni chez les applicateurs professionnels par rapport à la population générale.
Plusieurs autres études de cohorte se sont intéressées au risque de survenue ou de décès par cancer du testicule parmi des populations agricoles ou applicateurs de pesticides dans divers pays du monde (Suède, États-Unis, Finlande, Costa-Rica, Royaume-Uni, Danemark). Ces études n’ont pas globalement rapporté d’association significative. Trois études (États-Unis, Royaume-Uni, Finlande) ont présenté des excès de risque significatifs de survenue de cancer de testicule chez les applicateurs ou les sujets les plus exposés. L’étude finlandaise a montré une relation dose-effet significative avec l’emploi d’herbicides, fongicides et insecticides.
Quelques études de type cas-témoins, dont une réalisée ces dernières années en France, n’ont pas permis de mettre en évidence d’association significative entre les activités agricoles ou de jardinage, et le risque de cancer du testicule.
Le risque de survenue de cancer du testicule chez les enfants d’agriculteurs ou d’applicateurs de pesticides a fait l’objet de deux études. L’une réalisée en Norvège chez les agriculteurs (sans information sur l’emploi de pesticides) a montré un excès de risque significatif alors que celle réalisée en Suède chez les applicateurs de pesticides n’a pas montré d’augmentation du risque.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et cancer
du testicule

Exposition
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides
(sans distinction)
Populations agricoles
±

± d’après les résultats de deux méta-analyses et de plusieurs études de cohortes (AHS et autres) et cas-témoins

Des études de cohortes centrées sur des travailleurs de l’industrie chimique ou bien exposés professionnellement à certaines matières actives (alachlore, DBCP, bromure de méthyle, herbicides de type phénoxy ou chlorophénols) se sont avérées globalement négatives à l’exception des hommes exposés au bromure de méthyle chez lesquels un excès de risque significatif de décès par cancer du testicule a été observé.
Finalement, des études s’appuyant sur la mesure biologique d’imprégnation à certains pesticides persistants (exclusivement organochlorés) dans le sang des cas et témoins ou dans le sang maternel de cas et de témoins tendent à montrer des associations positives significatives entre le risque de survenue de cancer du testicule et l’exposition à des chlordanes et au DDE. Une association positive a également été retrouvée avec l’hexachlorobenzène, mais à partir d’une étude portant sur un très faible effectif. Il faut souligner que l’exposition pendant la période prénatale, postnatale précoce, pré ou pubertaire, périodes sensibles pour le développement et la maturation du testicule, est rarement prise en compte dans les études.

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque
du cancer du testicule

Famille
Substances actives
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption
d’un lien
Organochlorés
Chlordane
Population générale
+
DDE
Population générale
+
Hydrocarbure aliphatique bromé
Bromure de méthyle
Ouvriers en industrie de produits chimiques
+

+ d’après les résultats des études cas-témoins et d’une étude de mortalité

Exposition aux pesticides et tumeurs cérébrales

Les tumeurs du système nerveux central regroupent des entités diverses qui se développent à partir de cellules spécialisées du système nerveux central. On distingue principalement les tumeurs neuroépithéliales (représentées en majorité par les gliomes), les tumeurs des méninges, les tumeurs des nerfs crâniens et les lymphomes primitifs du système nerveux central. Les tumeurs neuroépithéliales représentent près de la moitié des tumeurs du système nerveux central. Elles ont pour origine, soit les neurones, soit les cellules gliales entourant les neurones.
La diversité histologique des tumeurs cérébrales rend particulièrement complexe la comparaison des incidences estimées par les registres dans différentes régions, différents pays et sur des périodes de temps variables. L’incidence dans le monde des tumeurs cérébrales en 2008 est estimée globalement, à partir des registres généraux de cancer, à 3,5 pour 100 000 personnes-années.
Pour la France, les projections pour l’année 2011, font état de taux d’incidence (standardisés sur la population mondiale pour 100 000 personnes-années) des tumeurs du système nerveux central malignes de 6,2 chez l’homme (2 680 cas) et de 4,3 chez la femme (2 089 cas). Cette localisation se situe au 16e rang chez l’homme et la femme de l’ensemble des cancers incidents. Le registre spécialisé de Gironde qui recense l’ensemble des types histologiques, estime l’incidence à 18,8 pour 100 000 habitants sur la décennie 2000-2009, et met en évidence une tendance globale à l’augmentation de l’incidence des tumeurs cérébrales (incluant les tumeurs malignes et bénignes) sur la période 2000-2007 de 2,3 % par an.
Plusieurs hypothèses peuvent être énoncées concernant la progression de l’incidence : des modifications de l’enregistrement des tumeurs, des progrès dans les techniques diagnostiques et la prise en charge des patients, ou encore le rôle de facteurs étiologiques tels que les expositions environnementales.
En dehors des radiations ionisantes et de certains syndromes génétiques particuliers, les tumeurs cérébrales, quel qu’en soit le type histologique (gliomes, méningiomes, neurinomes, lymphomes,…) ne disposent à ce jour d’aucun facteur étiologique reconnu.
Le nombre d’études portant sur le lien entre tumeurs cérébrales et pesticides reste aujourd’hui encore relativement limité, environ une vingtaine si on ne prend pas en compte les cohortes historiques et les études cas-témoins professionnelles générales qui n’explorent que très imparfaitement l’exposition aux pesticides ou portent sur un nombre de cas très faible.
Le rôle de l’exposition aux pesticides dans la survenue de tumeurs cérébrales a été initialement suggéré à partir des années 1980 par les résultats de cohortes historiques principalement en Amérique du Nord et en Scandinavie, qui montraient de manière répétée des excès de risque de tumeurs cérébrales chez les agriculteurs. Cependant, dans ces études, la définition des tumeurs, généralement établie à partir des certificats de décès souffrait d’imprécisions, et les facteurs individuels ne pouvaient généralement pas être pris en compte.
Entre 1992 et 1998, trois méta-analyses ont été publiées. Deux synthétisent la littérature épidémiologique concernant les risques pour tous les cancers (mortalité et incidence) chez les agriculteurs et rapportent un excès de risque modéré de tumeurs cérébrales, significatif ou à la limite du seuil de significativité. La troisième couvrant la période 1981-1996, porte spécifiquement sur le risque de tumeurs cérébrales en milieu agricole et conclut à une élévation de risque de 30 % de ces tumeurs, statistiquement significative, retrouvée dans les analyses par type d’études (cohortes et cas-témoins) mais pas dans celles restreintes aux femmes agricultrices.
Compte-tenu de la faible incidence des tumeurs du système nerveux central, les études de cohorte existantes dont la cohorte AHS sont limitées en termes de puissance et n’ont pu mettre en évidence de manière claire un lien avec les tumeurs du système nerveux central. Toutefois, des tendances à l’augmentation de la mortalité par tumeurs cérébrales ont été relatées dans certaines cohortes historiques (applicateurs professionnels, gérants de terrains de golf…).
À partir des années 2000, les études cas-témoins ont inclus des séries de cas incidents, caractérisés sur le plan anatomo-pathologique, interrogés individuellement, avec reconstitution détaillée de l’historique des emplois et des expositions. Parmi la dizaine de publications, quelques unes ont mis en évidence des élévations significatives du risque de tumeur cérébrale. Elles ne sont néanmoins pas totalement comparables car elles se sont intéressées à des types histologiques variables (gliomes ou méningiomes), et se sont déroulées dans des contextes agricoles divers (viticulture, grandes cultures). Parmi elles, une étude cas-témoins menée en France en Gironde rapporte un triplement significatif du risque de gliomes parmi les personnes ayant été les plus exposées aux pesticides en viticulture au cours de leur vie professionnelle. En raison de l’hétérogénéité des études existantes, il n’existe pas à ce jour de méta-analyse récente des données publiées.
Quelques études ont exploré l’association entre l’exposition environnementale aux pesticides et la survenue de tumeur cérébrale. Il s’agissait principalement d’études écologiques, basées sur le lieu de résidence des sujets. L’exposition environnementale était alors définie comme le fait d’habiter sur une ferme ou à proximité, dans une zone à forte activité agricole ou à proximité d’une usine de production de pesticides. Certaines de ces études ont observé des associations positives. À noter qu’une étude écologique a également été menée concernant les expositions professionnelles aux pesticides en France fondée sur les données du recensement agricole et a mis en évidence une élévation du risque de 11 % statistiquement significative pour les expositions viticoles.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et tumeurs
cérébrales (gliomes, méningiomes)

Exposition
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Populations agricoles
±

± d’après les résultats de trois méta-analyses, d’études de cohortes (AHS et autres) et d’études transversales

Il n’est pas possible aujourd’hui de mettre en cause des matières actives précises, voire des groupes de pesticides. Toutefois, une élévation de risque significative d’incidence de tumeurs cérébrales est rapportée dans l’AHS chez les personnes ayant le niveau d’exposition le plus élevé de chlorpyrifos. Des données expérimentales chez l’animal, signalant des effets avec des dérivés nitrosés, n’ont pas été confirmées jusque-là par les études épidémiologiques existantes.

Exposition aux pesticides et mélanomes

Les mélanomes cutanés sont des cancers peu fréquents mais dont l’incidence augmente régulièrement au niveau mondial et plus particulièrement dans les pays à haut niveau de vie.
Avec 9 784 nouveaux cas estimés en France en 2011 dont 47 % survenant chez l’homme, le mélanome se situe au 9e rang de l’ensemble des cancers incidents et représente 2,7 % des nouveaux cas de cancers. Il se place au 8e rang des cancers masculins (environ 4 680 cas estimés, soit 2,3 % de l’incidence des cancers masculins) et au 6e rang des cancers féminins (environ 5 100 cas estimés, soit 3,2 % de l’incidence des cancers féminins). Les taux d’incidence standardisés pour 100 000 personnes-années sont de 9,7 et 10,1 respectivement chez l’homme et la femme. Chez l’homme comme chez la femme, l’incidence du mélanome est en forte augmentation en France depuis 1980 avec toutefois un ralentissement de cette évolution en 2000.
Le mélanome se situe au 16e rang des décès par cancer, et représente 1,1 % de l’ensemble des décès par cancer. Les taux de mortalité standardisés pour 100 000 personnes-années sont respectivement de 1,7 et de 1,0 chez l’homme et chez la femme.
Les expositions aux rayonnements UV naturels et artificiels sont des facteurs de risque majeurs établis de longue date. Les facteurs de sensibilité individuelle à ces rayonnements sont essentiellement liés au phénotype cutané (présence et localisation anatomique de naevi, couleur de la peau, des yeux…). Les emplois en extérieur sont généralement associés à un excès de risque de ce type de cancers. À ce titre, les excès de mélanomes cutanés observés en milieu agricole ont été associés essentiellement à l’exposition aux rayonnements UV. Cependant, les études métrologiques sur les pesticides menées par des hygiénistes en Europe et en Amérique du Nord (essentiellement à l’initiative d’industriels dans le cadre de la réglementation de mise sur le marché pour ces derniers) ont montré depuis plusieurs décennies, que la voie majeure d’exposition aux pesticides en milieu professionnel était la voie cutanée.
Une méta-analyse publiée en 1992 montrait un excès significatif de risque de 15 % chez les agriculteurs, celle publiée en 1998 ne montrait pas globalement d’excès de risque et même un léger déficit de 5 %. Cependant, le méta-risque, restreint aux analyses des études cas-témoins, était en excès significatif de 15 %. Les populations étudiées étaient très hétérogènes avec des informations très sommaires sur les expositions professionnelles et souvent (sauf pour les études cas-témoins) une absence de prise en compte des facteurs de risque établis de mélanomes cutanés. Cinq études de cohortes (sur 23 répertoriées) montraient des excès de risque de mortalité significatifs et 6 études de cohortes (sur 19) montraient des excès de risque significatifs d’incidence au sein des populations agricoles et également chez des personnes sélectionnées pour leur exposition professionnelle aux pesticides (agriculteurs, jardiniers, vétérinaires, vétérans du Vietnam…). Sur les 4 études cas-témoins, 2 montraient un excès de risque significatif.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et mélanome cutané

Exposition
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Populations agricoles
±

± d’après les résultats de deux méta-analyses et de plusieurs études de cohortes (AHS et autres) et d’études cas-témoins

Une seule étude, l’Agricultural Health Study documente le rôle de pesticides spécifiques (au niveau de la matière active) dans la survenue de mélanomes tout en prenant en compte les facteurs de risque majeurs connus de ces cancers. Dans cette étude, les mélanomes cutanés semblent associés de manière significative à l’utilisation des insecticides carbaryl, parathion et toxaphène ainsi que des fongicides dithiocarbamates (manèbe-mancozèbe).

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque
de mélanome cutané

Familles
Substances actives
Population concernée par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Organochlorés
  
Toxaphène
Agriculteurs
+
Organophosphorés
  
Parathion
Agriculteurs
+
Carbamate/dithiocarbamates
  
Carbaryl
Agriculteurs
+
Manèbe/Mancozèbe
Agriculteurs
+

+ d’après les résultats d’une étude de cohorte (AHS)

Exposition aux pesticides et maladie de Parkinson

La maladie de Parkinson est la cause la plus fréquente de syndrome parkinsonien et la maladie neurodégénérative la plus fréquente après la maladie d’Alzheimer. Elle est liée à la perte progressive des neurones dopaminergiques de la substance noire qui s’accompagne de la présence de corps de Lewy. Son diagnostic est principalement clinique et il existe un risque d’erreur diagnostique avec d’autres causes de syndrome parkinsonien. Exceptionnelle avant 50 ans, sa fréquence augmente avec l’âge avec une incidence généralement comprise entre 50 et 200 pour 100 000 personnes-années après 60 ans. La maladie de Parkinson est environ 1,5 fois plus fréquente chez les hommes que chez les femmes.
La maladie de Parkinson est considérée comme une maladie multifactorielle résultant dans la majorité des cas de l’effet de facteurs multiples, génétiques ou environnementaux. Les formes monogéniques ne concernent qu’une minorité de patients et ont souvent des caractéristiques particulières, notamment un âge de début précoce. En plus de ces formes monogéniques, plusieurs gènes de susceptibilité sont incriminés dans les formes sporadiques.
De nombreuses études épidémiologiques et toxicologiques apportent des arguments en faveur d’un rôle de l’environnement. L’hypothèse d’un lien entre la maladie de Parkinson et l’exposition aux pesticides a été émise au début des années 1980 suite à la survenue de plusieurs cas de syndrome parkinsonien après injection intraveineuse de 1-méthyle-4-phényl-1,2,3,6-tétrahydro pyridine (MPTP). Le MPTP est métabolisé en 1-méthyle-4-phenylpyridinium (MPP+), un inhibiteur de la chaîne respiratoire mitochondriale possédant des propriétés neurotoxiques sur les cellules dopaminergiques. Cette molécule a une structure chimique proche de celle du paraquat, herbicide non sélectif commercialisé depuis les années 1960 et qui a été très largement utilisé (interdit aujourd’hui). Suite à cette observation, de nombreuses études ont porté sur la relation entre la maladie de Parkinson, le métier d’agriculteur et l’exposition aux pesticides.
Une méta-analyse sur la relation entre la maladie de Parkinson et l’exposition aux pesticides publiée en 2012 a inclus 46 études (39 études cas-témoins, 4 études de cohorte, 3 études transversales) réalisées jusqu’en novembre 2010 ; 40 études portaient sur les pesticides sans distinction, tandis que 15 portaient sur les herbicides, 15 sur les insecticides et 9 sur les fongicides8 .
Cette méta-analyse montre que la plupart des études sur la relation entre exposition aux pesticides et maladie de Parkinson reposent sur une méthode sommaire d’évaluation de l’exposition (auto-déclarée, définition binaire de type oui/non) et n’ont pas souvent considéré les familles ou types de produits. Dans un peu plus de la moitié des études, les expositions professionnelles et non-professionnelles n’étaient pas distinguées, tandis que d’autres portaient exclusivement sur l’exposition professionnelle. Seules quelques études ont utilisé des méthodes d’évaluation de l’exposition plus sophistiquées comme des matrices emploi-exposition ou l’expertise individuelle des questionnaires d’exposition.
D’après cette méta-analyse, le risque de maladie de Parkinson était 1,62 (IC 95 % [1,40-1,88]) fois plus élevé chez les personnes exposées aux pesticides au cours de leur vie ce qui correspond à un excès de risque significatif de 62 %. Le risque était de 1,67 (IC 95 % [1,43-1,96]) pour les études cas-témoins (n=33), il était un peu plus faible pour les études de cohortes (n=4 ; OR=1,39 ; IC 95 % [0,92-2,10]), mais statistiquement non différent de celui des études cas-témoin. Il existait toutefois une hétérogénéité importante entre les études. Le seul facteur qui expliquait une partie de cette hétérogénéité était la méthode d’évaluation de l’exposition. Le risque était de 1,50 (IC 95 % [1,26-1,78]) pour les études avec une définition binaire (oui/non) de l’exposition auto-déclarée tandis qu’il était de 1,71 (IC 95 %[1,30-2,25]) pour les études sur l’exposition fréquente aux pesticides (auto-déclarée) et de 2,50 (IC 95 % [1,54-4,05]) pour trois études qui avaient défini l’exposition à partir du codage des métiers et dont les résultats ne dépendaient pas des déclarations des participants.
Ces résultats sont en faveur d’une association entre l’exposition aux pesticides et la maladie de Parkinson. Les différences des résultats en fonction des méthodes d’évaluation de l’exposition suggèrent que les méthodes les moins précises pourraient conduire à une sous-estimation du risque et qu’il s’agit de l’un des aspects qui pourrait être amélioré dans des études futures. Certaines des études avec une évaluation plus détaillée de l’exposition aux pesticides ont pu montrer une relation dose-effet en fonction de l’intensité de l’exposition.
D’après la méta-analyse, l’association est plus particulièrement présente pour les herbicides (OR=1,40 ; IC 95 % [1,08-1,81]) et les insecticides (OR=1,50 ; IC 95 % [1,07-2,11]). Parmi les herbicides, certaines études ont trouvé une association avec le paraquat ou le 2,4-D, mais ces résultats n’ont pas été confirmés par d’autres études. Parmi les insecticides, plusieurs études retrouvent des arguments en faveur d’une association avec les insecticides organochlorés.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et la maladie
de Parkinson

Exposition
Populations concernées par un excès
de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Professionnelles et non professionnelles
++
Herbicides
Professionnelles et non professionnelles
++
Insecticides
Professionnelles et non professionnelles
++

++ d’après les résultats de la méta-analyse la plus récente

Des analyses récentes réalisées dans le cadre de la cohorte prospective de l’Agricultural Health Study ont pris en considération l’exposition aux pesticides en les regroupant en fonction des mécanismes toxicologiques impliqués dans la maladie de Parkinson. Un risque deux fois plus élevé de maladie de Parkinson est observé chez les personnes exposées à un pesticide induisant un stress oxydant et un risque 1,7 fois plus élevé chez celles ayant utilisé un pesticide inhibant le complexe I mitochondrial. Dans chaque groupe, une association avec un pesticide spécifique a été observée, le paraquat (OR=2,5 ; IC 95 % [1,4-4,7]) et la roténone (OR=2,5 ; IC 95 % [1,3-4,7]) respectivement. Quant aux fongicides, bien que la méta-analyse ne retrouve pas d’association (OR=0,99), peu d’études ont porté sur cette famille de produits et des études complémentaires sont nécessaires.
D’après une étude cas-témoins nichée dans une cohorte finlandaise avec un suivi de plus 30 ans, l’augmentation de la concentration plasmatique de la dieldrine était associée à une augmentation du risque de développer la maladie de Parkinson, le résultat n’étant significatif que chez les non fumeurs (OR=1,95 ; IC 95 % [1,26-3,02]).
De nombreuses questions demeurent quant à deux autres aspects importants de l’exposition. D’une part, bien qu’un petit nombre d’études aient montré une relation dose-effet, principalement en fonction du nombre d’années d’exposition ou du nombre cumulé d’applications, des données quantitatives plus détaillées sont nécessaires pour mieux caractériser cette relation. D’autre part, il semble que les mécanismes physiopathologiques impliqués dans la maladie de Parkinson débutent plusieurs années avant l’apparition des signes moteurs et il existe de nombreuses inconnues sur les fenêtres d’exposition pertinentes pour la maladie de Parkinson.

Familles et substances actives impliquées dans les excès de risque
de maladie de Parkinson

Familles
Substances actives
Populations concernées par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Organochlorés
  
Insecticides
Professionnelles ou non
++
Dieldrine
Population générale (non fumeur)
±
Autres
  
Paraquat
Agriculteurs
+
Roténone
Agriculteurs
+

++ d’après les résultats de plusieurs études de cohortes
+ d’après les résultats d’une cohorte ou deux études cas-témoins
± d’après les résultats d’une étude cas-témoins

Plus récemment, quelques études ont exploré l’hypothèse d’interactions gènes-pesticides. Certaines d’entre elles ont rapporté des résultats préliminaires qui restent à répliquer à plus grande échelle sur l’implication éventuelle de certains polymorphismes (ABCB1, GSTP, CYP2D6, PON1).
Peu d’études ont porté sur le rôle de l’exposition non-professionnelle aux pesticides mais des résultats obtenus en Californie en combinant les lieux de résidence avec un registre d’utilisation de pesticides grâce à des systèmes d’informations géographiques sont en faveur d’une augmentation du risque de maladie de Parkinson chez les personnes vivant ou travaillant à proximité de champs traités par pesticides, le plus souvent par voie aérienne.
Aucune étude n’a étudié la relation entre l’exposition alimentaire aux résidus de pesticides et la maladie de Parkinson. De même, à notre connaissance, aucune étude n’a évalué le lien entre des expositions aux pesticides in utero ou pendant l’enfance et le risque ultérieur de maladie de Parkinson.

Exposition aux pesticides et sclérose latérale amyotrophique

La sclérose latérale amyotrophique (SLA) est la plus fréquente des maladies du motoneurone. Il s’agit d’une affection neurodégénérative progressive responsable d’une faiblesse musculaire associée à une rigidité s’étendant progressivement et responsable du décès en médiane 19 mois après le diagnostic en raison de difficultés respiratoires et de troubles de la déglutition. Elle est secondaire à la dégénérescence des neurones moteurs de la moelle épinière (corne antérieure), du tronc cérébral et du cortex cérébral. Il s’agit d’une maladie rare, environ 1,5 à 2,0 fois plus fréquente chez les hommes que chez les femmes, dont l’incidence, comprise habituellement entre 1,5 et 2,5 pour 100 000 personnes-années, augmente avec l’âge jusqu’à 80 ans environ puis diminue. Des études récentes suggèrent que la fréquence (mortalité, incidence) de la SLA a augmenté au cours des dernières décennies mais les raisons qui expliqueraient cette évolution restent mal connues.
Plusieurs facteurs, génétiques et environnementaux, interviennent vraisemblablement dans la majorité des cas de SLA. Parmi les facteurs de risque environnementaux, des études évoquent le rôle du tabac, du plomb, de l’exercice physique et des traumatismes répétés ou sévères, mais ces associations restent encore débattues et font l’objet de recherches complémentaires.
Deux méta-analyses récentes, ayant utilisé des méthodes différentes, sont disponibles et retrouvent une association entre l’exposition aux pesticides et la SLA ; l’une d’entre elles estimait un excès de risque significatif de 80 % (homme et femmes confondus) tandis que l’autre rapportait un excès de risque de 88 % (significatif) chez les hommes et de 31 % (non significatif) chez les femmes. Toutefois, les résultats individuels des études restent souvent peu concordants et le petit nombre d’études disponibles ne permet pas d’explorer correctement les sources d’hétérogénéité ou un biais de publication.
Sur les dix études cas-témoins répertoriées, une seule, en Californie, met en évidence une association significative chez les hommes après expertise de l’exposition par des hygiénistes industriels avec un doublement du risque chez les personnes exposées. Cette association est caractérisée par une relation dose-effet. L’association était du même ordre de grandeur pour les insecticides, les herbicides et pour les pesticides utilisés dans le cadre d’activités de loisir.
Compte tenu du caractère rare de la SLA, seules trois études de cohorte ont pu étudier cette pathologie. L’une d’entre elles, de nature rétrospective et conduite parmi des travailleurs d’une usine produisant l’herbicide 2,4-D, a retrouvé une association significative à partir de trois cas de SLA. Les deux autres études n’ont pas montré une association significative entre la SLA et l’exposition aux pesticides dans l’ensemble, mais retrouvent néanmoins une élévation du risque, quoique non significative, pour des expositions prolongées ou certaines catégories ou familles de pesticides. À partir des données de la cohorte AHS, aucun résultat significatif n’a été obtenu pour les insecticides (organochlorés, organophosphorés, carbamates), herbicides, fongicides ou fumigants mais le nombre de patients exposés à chacune de ces catégories de produits était faible.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et sclérose latérale amyotrophique (SLA)

Exposition
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Agriculteurs
±

± d’après les résultats de deux méta-analyses récentes

Exposition aux pesticides et maladie d’Alzheimer

La maladie d’Alzheimer est une affection neurologique caractérisée par une atrophie cérébrale accompagnée de plaques séniles (dépôts extracellulaires de peptide β-amyloïde) et de dégénérescence neurofibrillaire (accumulation de protéine Tau hyperphosphorylée).
La maladie d’Alzheimer est la cause la plus fréquente de démence chez le sujet âgé, et touche jusqu’à 40 % des sujets de 85 ans et plus. En dehors de l’âge et du sexe, le seul facteur de risque reconnu de la maladie est le génotype epsilon 4 de l’apolipoprotéine E (APOE4). La proportion de cas familiaux est faible (de l’ordre de 10 %), ce qui suggère la possible contribution de facteurs environnementaux parmi lesquels les solvants, les champs électromagnétiques, le plomb, l’aluminium et les pesticides. Seule une dizaine d’études a aujourd’hui exploré l’hypothèse d’un lien entre pesticides et maladie d’Alzheimer.
La moitié des études réalisées à ce jour reposaient sur un schéma cas-témoins. Compte-tenu des troubles de mémoire présentés par les sujets au moment de l’entretien, elles s’appuyaient sur des mesures indirectes de l’exposition : professions agricoles mentionnées sur les certificats de décès, données écologiques concernant l’usage de ces substances (quantités épandues dans la zone de résidence), interrogatoire des proches, ou bien avis d’experts ou encore matrice emploi-expositions. Dans ces circonstances, les paramètres d’exposition étaient le plus souvent sommaires ou imprécis. De plus le diagnostic de la maladie ne reposait pas nécessairement sur des critères internationaux validés. Parmi les cinq études, une seule étude canadienne trouve une élévation significative du risque de maladie d’Alzheimer de l’ordre du doublement pour les expositions aux pesticides (OR=2,17 ; IC 95% [1,25-3,70]).
Plus récemment, à compter des années 2000, trois cohortes prospectives, canadienne, américaine et française, ont apporté de nouvelles données. Elles disposaient de diagnostics cliniques de la maladie reposant sur des critères validés. Le nombre de cas incidents identifiés au cours du suivi de ces cohortes (5 à 7 ans selon les études) variait de quelques dizaines à plusieurs centaines. Les informations concernant l’exposition avaient été recueillies auprès des sujets avant le début des troubles de mémoire et comportaient, dans deux cohortes, un calendrier professionnel détaillé. Dans ces trois études, des élévations significatives de risque de maladie d’Alzheimer étaient mises en évidence chez les personnes exposées aux pesticides, atteignant dans l’étude canadienne un quadruplement du risque pour les utilisateurs de défoliants et les fumigants, et dans les deux autres un doublement de risque en rapport avec l’utilisation des pesticides. L’excès de risque est de 40 % à 50 % (significatif ou à la limite du seuil de significativité) pour les pesticides en général, les organophosphorés ou les organochlorés dans l’étude américaine.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et la maladie d’Alzheimer

Exposition
Populations concernées par un
excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)
Agriculteurs
+

+ d’après les résultats de trois cohortes prospectives

Exposition aux pesticides et troubles cognitifs

Au cours du traitement de l’information, le cerveau met en œuvre des processus divers et complexes impliquant notamment la mémoire, l’attention, le jugement, la compréhension et le raisonnement, afin de produire des réponses adaptées. Un certain nombre d’agents environnementaux sont suspectés de perturber le bon fonctionnement du système nerveux central, probablement en interagissant avec les neuromédiateurs. Concernant les pesticides, leur impact potentiel sur le fonctionnement cérébral a été évoqué en raison de l’identification clinique d’altérations chroniques des fonctions cognitives dans les suites d’intoxications aiguës par des organophosphorés. À ce jour, près d’une quarantaine d’études épidémiologiques ont recherché des effets sur les fonctions neurologiques centrales des sujets professionnellement exposés aux pesticides.
Les premières études d’observation, menées dans les années 1990, visaient à étudier la fréquence de manifestations neurologiques chroniques à distance d’intoxications aiguës. Ces études transversales ont mis en évidence de manière convergente un abaissement des performances aux tests chez les sujets ayant été intoxiqués par des organophosphorés concernant diverses fonctions cognitives, notamment l’attention visuelle, la mémoire et l’abstraction. Cependant, le délai entre l’intoxication et l’examen cognitif était très variable (de quelques mois à plusieurs années voire décennies), de même que la nature des organophosphorés impliqués dans l’intoxication, et le mode d’intoxication.
Par la suite, une quinzaine d’études, également transversales, visaient non plus à déceler les effets retardés d’expositions massives sur les fonctions cognitives, mais à rechercher l’effet d’expositions chroniques, essentiellement professionnelles. La plupart de ces études se sont focalisées sur les insecticides inhibiteurs de l’acétylcholinestérase tels que les organophosphorés. Seules cinq études ont également étudié d’autres insecticides tels que les organochlorés et les pyréthrinoïdes. Ces études se sont déroulées dans des contextes très divers, mais généralement caractérisés par l’importance de la lutte contre les insectes : culture du coton, vergers, élevage de moutons (désinsectisation par des organophosphorés), désinsectisation dans le cadre de la lutte contre la malaria ou utilisation de termiticides. La plupart de ces études ont conclu à des altérations des performances aux tests, impliquant en particulier l’attention, chez des sujets exposés professionnellement de manière chronique aux pesticides.
Peu d’études ont pris en considération la dimension longitudinale de l’impact des pesticides sur les fonctions cognitives et cherché à caractériser les performances chez un même sujet à plusieurs temps de son parcours professionnel (avant/après une journée de traitement, avant/après une saison, après plusieurs années d’exposition). Ces études, lorsqu’elles étaient de taille limitée, ou réalisées sur une période courte, ne concluaient généralement pas à une altération des performances cognitives.
Quatre cohortes prospectives incluant plusieurs centaines de personnes, et réalisant un suivi de plusieurs années ont été mises en place dans divers contextes agricoles. Elles ont permis d’étudier de manière longitudinale des effets à plus long terme, notamment en Gironde auprès d’ouvriers viticoles. Trois d’entre elles (Pays-Bas, France, Nicaragua) ont mis en évidence des dégradations des performances cognitives au cours du temps chez les personnes exposées aux pesticides. Un excès de risque significatif a été rapporté dans la cohorte des Pays-Bas. Mais, les résultats obtenus aux États-Unis dans l’Agricultural Health Study étaient peu concordants (altérations pour certains tests mais améliorations pour d’autres, différence d’effets selon les organophosphorés étudiés et selon les régions).

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et troubles cognitifs

Exposition
Populations concernées par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)a
Agriculteurs, agriculteurs ayant des antécédents d’intoxications aigues
+

+ d’après les résultats d’une méta-analyse récente regroupant la majorité des études de cohortes
a Principalement insecticides organophosphorés

Quatre revues synthétisant les résultats de la quarantaine d’études concernant les effets des pesticides sur les performances cognitives, concluaient globalement à un effet délétère des expositions aux pesticides sur le fonctionnement cognitif, de manière plus claire en présence d’intoxication aiguë. Les altérations observées concernaient un éventail large de fonctions neurologiques centrales.
Très récemment, une première méta-analyse rassemblant la majorité des études de cohortes (applicateurs et agriculteurs) confirme une augmentation significative de certains déficits cognitifs (attention, capacités visuo-motrices, abstraction verbale, perception) chez les agriculteurs après une exposition chronique aux pesticides.
Très peu d’études se sont intéressées à des pesticides autres que les organophosphorés et/ou les carbamates, mais elles ont également montré des associations positives. La réalisation de ces études implique de faire passer des tests neurocomportementaux aux sujets, et se déroulent lors d’entrevues en face à face. Ceci représente une limite concernant le nombre de personnes interrogées (rarement plus de quelques dizaines), mais permet une meilleure détermination des expositions, réalisée soit par questionnaire en face à face, soit par la mesure dans le sang de l’activité enzymatique de l’acétylcholinestérase. Néanmoins, le niveau d’activité de ce biomarqueur n’est qu’exceptionnellement corrélé aux effets de santé observés, en raison notamment de la demi-vie brève des insecticides. Certaines études ayant quantifié les expositions ont montré qu’une durée d’exposition d’au moins 10 années semblait nécessaire pour voir apparaître les déficits. D’autres démontrent que les expositions les plus élevées s’accompagnent d’une détérioration plus nette des performances.
La mise en évidence de ces baisses de performance peut laisser craindre des détériorations s’aggravant au cours du temps, susceptibles de prédire ou d’accompagner des pathologies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer.

Exposition aux pesticides et troubles anxio-dépressifs

L’évaluation des troubles anxio-dépressifs au sein des populations soulève de nombreuses difficultés, la première d’entre elles étant de définir de manière claire et consensuelle des entités pathologiques, identifiables et dénombrables avec des outils épidémiologiques tels que des échelles d’évaluation et des questionnaires. Ainsi, les données d’incidence et de prévalence restent aujourd’hui largement débattues. En France, selon les études, la prévalence des épisodes dépressifs majeurs est évaluée entre 6 et 12 % et celle des symptômes dépressifs à 19 %.
Plusieurs travaux menés dans différents pays ont mis en évidence des taux de dépression et de suicide plus élevés en population agricole que dans la population générale. Ce constat s’appuie notamment sur des travaux en sociologie de la santé. Les particularités du mode de vie agricole ont suscité diverses études, dans l’objectif de décrire les conséquences sanitaires d’un habitat rural très isolé, d’un réseau social restreint, et d’un accès aux structures de soins plus difficile. De plus, les conditions de travail en milieu agricole, caractérisées par différents facteurs de stress (pression temporelle liée à des journées de travail souvent longues, aléas saisonniers et météorologiques et difficultés économiques liées aux incertitudes de la consommation) jouent probablement un rôle important dans cette situation. Cependant, ces études n’apprécient généralement pas le rôle spécifique de l’usage des pesticides dans la survenue des troubles. Plusieurs de ces études suggèrent par ailleurs que la mortalité par suicide serait favorisée par le recours à des moyens plus fréquemment fatals (armes à feu, pendaisons, intoxications par des produits chimiques) auxquels les agriculteurs auraient un accès facilité.
L’hypothèse du rôle des pesticides dans l’apparition de symptômes dépressifs et d’anxiété est sous-tendue par leur possible interférence avec les nombreux neurotransmetteurs, tels que la sérotonine, qui jouent un rôle majeur dans les processus mentaux et comportementaux. Dès la fin des années 1970, plusieurs observations de toxicologie clinique ont mis en évidence des syndromes dépressifs, troubles du sommeil, manifestations d’anxiété ou d’irritabilité chez des personnes ayant subi une intoxication aiguë par un pesticide, principalement de la famille des organophosphorés. Ces observations cliniques ont été suivies de quelques études épidémiologiques transversales comparant des paramètres psychiatriques dans des groupes de sujets ayant ou non subi une intoxication aiguë de manière plus ou moins ancienne. L’étude la plus importante, menée dans le Colorado auprès de plus de 800 personnes, mettait en évidence un doublement (à la limite du seuil de significativité) du risque de dépression en lien avec l’exposition aux pesticides, même lorsque d’autres facteurs de risque étaient pris en compte, telles que les difficultés financières.
Depuis la fin des années 1990, la possibilité de troubles anxio-dépressifs liés à des expositions prolongées, en dehors d’épisode d’intoxication aiguë, a été explorée dans une quinzaine d’études transversales ou cas-témoins, menées dans divers contextes agricoles, notamment ceux où l’emploi d’insecticides était particulièrement fréquent tels que l’élevage ovin, la culture du coton, celle du tabac, l’horticulture ou le maraîchage, la viticulture… Deux études menées au Royaume-Uni chez les éleveurs de moutons (bains d’insecticides organophosphorés pour le traitement externe des moutons) rapportent un risque significatif de dépression ou d’anxiété après exposition chronique aux insecticides.
Dans un contexte de grandes cultures, une étude cas-témoins nichée dans la cohorte de l’Agricultural Health Study a mis en évidence une élévation significative (de 7 à 11 %) du risque de dépression chez les exploitants agricoles applicateurs de pesticides et chez leurs conjointes, principalement s’ils signalaient un épisode d’intoxication aiguë ou d’exposition majeure, en particulier aux insecticides organophosphorés. Ce résultat est conforté par une autre vaste étude menée dans le Colorado où le risque de dépression apparaissait multiplié par 6 chez les exploitants agricoles applicateurs et leurs conjointes signalant des troubles somatiques en relation avec l’utilisation de pesticides.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et troubles
anxio-dépressifs

Exposition
Populations concernées
par un excès de risque significatif
Présomption d’un lien
Pesticides (sans distinction)a
Agriculteurs, agriculteurs ayant des antécédents d’intoxications aiguës, applicateurs
±

± d’après les résultats d’une étude cas-témoins nichée dans AHS et d’autres études transversales
a Principalement des insecticides organophosphorés

Les études portant sur le lien entre troubles anxio-dépressifs et expositions aux pesticides sont confrontées à la difficulté de disposer d’outils de mesure des troubles permettant de définir des effets à l’échelle de populations suffisamment larges, et à celle de reconstituer les expositions aiguës aussi bien que chroniques. Néanmoins, malgré ces limites, l’ensemble des résultats converge vers une plus grande fréquence de troubles anxieux et dépressifs chez les personnes exposées, aussi bien dans les suites d’expositions massives au décours d’intoxications aiguës que pour des expositions plus modérées mais prolongées.
L’étude du lien entre pesticides et suicide est encore plus complexe. Plusieurs études suggèrent un lien possible entre les expositions aux pesticides et les tentatives de suicide, sans qu’il soit réellement possible à partir des données existantes de distinguer le rôle spécifique des pesticides de celui d’autres facteurs présents en milieu agricole, ni de déterminer avec certitude le sens de la relation : les populations exposées aux pesticides sont-elles plus vulnérables vis-à-vis du risque de suicide ou leur vulnérabilité s’associe-t-elle à une plus grande probabilité d’exposition ?
L’éventualité d’effets psychiatriques liés aux expositions aux pesticides soulève des questions de santé publique importantes. Elle pourrait, dans une certaine mesure, contribuer à expliquer les excès de suicide en milieu agricole observés dans de nombreux pays. Elle interroge également sur le risque possible d’accidents pouvant découler de troubles de l’attention secondaires à des perturbations de l’humeur. Elle met également en garde sur l’accessibilité par ces populations, mais également pour la population générale, de substances permettant un acte suicidaire.

Exposition aux pesticides, grossesse et développement de l’enfant

Les périodes du développement embryonnaire, fœtal et de la petite enfance sont particulièrement sensibles aux pollutions environnementales. Les expositions à des toxiques chimiques au cours de ces périodes de vulnérabilité accrue peuvent être responsables de pathologies et de handicaps chez le nouveau-né, chez l’enfant ou durant la vie entière. Les effets sanitaires pouvant résulter de ces expositions sont des événements survenant pendant la grossesse (avortements spontanés, malformations congénitales, diminution du poids de naissance ou de la durée de gestation), des altérations fonctionnelles apparaissant après la naissance et affectant entre autres le système reproducteur, le métabolisme et la croissance, le développement psychomoteur et intellectuel et le comportement de l’enfant, ou encore le développement de cancers chez l’enfant.
Les conséquences d’une exposition précoce doivent être évaluées séparément pour les pesticides utilisés récemment dont l’une des caractéristiques est une faible persistance dans l’environnement (pesticides non persistants) et pour les pesticides persistants, en particulier organochlorés pour lesquels la voie d’exposition est maintenant principalement alimentaire car la plupart sont interdits d’usage en France y compris pour l’usage professionnel.
En milieu professionnel, de nombreuses études ont été conduites sur les conséquences d’une exposition aux pesticides non persistants pendant la grossesse, principalement chez des femmes travaillant en milieu agricole ou à l’entretien des jardins, en milieu horticole, dans des serres ou comme vétérinaires. Ces études ont mis en évidence un accroissement du risque de morts fœtales et de malformations congénitales. Deux méta-analyses récentes, l’une sur les fentes orales, l’autre sur les hypospadias montrent des excès de risque significatifs de 37 % et 36 % respectivement. En revanche, il n’a pas été mis en évidence globalement d’atteintes de la croissance fœtale (poids de naissance ou durée de la grossesse) sauf en présence d’une susceptibilité génétique particulière chez la mère (polymorphisme de PON1). Une altération de la motricité fine et de l’acuité visuelle chez les enfants de mères travaillant en horticulture a été mise en évidence dans deux études récentes conduites en Équateur. Aucune étude n’a été menée sur les atteintes de la croissance de l’enfant.
En population générale, l’exposition à des pesticides non persistants résultant de la proximité du lieu de résidence à des zones agricoles ou d’un usage domestique de pesticides a été associée à une augmentation du risque de malformations congénitales, en particulier, des malformations cardiaques, des malformations de la paroi abdominale et des membres ou des anomalies du tube neural. Une étude signale un excès de risque significatif d’hypospadias. Aucune étude n’a été répertoriée sur les conséquences de l’exposition au domicile aux pesticides non persistants sur la croissance de l’enfant. Dans les études, les utilisations à domicile sont souvent mal caractérisées, ce qui rend difficile d’évaluer la plausibilité biologique de ces associations.
Plusieurs études ont permis d’impliquer certaines familles ou substances actives de pesticides.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et développement
de l’enfant

Exposition/populations
Effets
Présomption d’un lien
Exposition professionnelle aux pesticides (sans distinction) pendant la grossesse
Malformations congénitales
Morts fœtales
Neurodéveloppement
++
+
±
Exposition aux pesticides au domicile (proximité, usages domestiques)
Malformations congénitales
+

++ d’après les résultats d’une méta-analyse
+ d’après les résultats de plusieurs cohortes et cas-témoins
± d’après les résultats de deux études transversales

Organochlorés

De nombreuses études ont porté sur les conséquences de l’exposition in utero aux pesticides persistants principalement organochlorés comme le DDT ou son métabolite le p,p’-DDE, le lindane, l’hexachlorobenzène (HCB), l’α-, β- ou γ-hexacyclohexane (HCH). La très longue demi-vie biologique de ces pesticides a permis dans la plupart des études d’utiliser la concentration de ces molécules ou de leurs métabolites dans le sang maternel ou le sang de cordon comme marqueur de l’exposition prénatale. Malgré plusieurs études récentes sur le sujet, il n’a pas été mis en évidence de façon convaincante de lien entre l’exposition in utero à ces pesticides et une augmentation du risque de malformations génitales chez le garçon. De même à l’heure actuelle, il n’y a pas d’évidence d’un impact sur la croissance fœtale et les résultats sont discordants sur le neurodéveloppement de l’enfant. Récemment, une étude française a montré que l’exposition prénatale au chlordécone était associée à un plus faible score sur des tests neurologiques à l’âge de 7 mois, visant à évaluer la vitesse d’acquisition visuelle et la motricité fine. Enfin, il existe de fortes présomptions selon lesquelles l’exposition in utero au p,p’-DDE ou HCB (les 2 composés étudiés principalement), aurait un impact sur la croissance et le développement de l’obésité chez l’enfant.

Organophosphorés

Dans la plupart des études analysées, l’exposition a été évaluée par la mesure de traces de métabolites dans les urines maternelles. Plusieurs études de cohortes prospectives mères-enfants rapportent une diminution de la croissance fœtale, associée à une exposition prénatale aux insecticides organophosphorés en interaction avec PON1. Les effets les plus étudiés et pour lesquels les résultats sont les plus concordants sont les atteintes du neurodéveloppement de l’enfant en lien avec l’exposition domestique à des pesticides organophosphorés de la mère pendant la grossesse. C’est ainsi que des déficits de développement cognitif ont été observés chez les enfants de 2-3 ans, associés à des altérations de la motricité fine et de l’acuité visuelle, à une réduction de la mémoire à court terme ainsi qu’à des difficultés attentionnelles, des troubles du comportement, principalement de type hyperactivité, et à la présence de comportements évocateurs de troubles autistiques. Les études ayant évalué le développement des enfants jusqu’à l’âge de 7 ans montrent une diminution du QI global et de la mémoire de travail. L’existence d’une susceptibilité génétique (PON1) de la mère ou de l’enfant semble moduler la force de ces associations. Il est à noter cependant que la plupart des études ont été conduites aux États-Unis dans des minorités ethniques ou des populations à faibles revenus soumises à d’autres expositions environnementales et d’autres vulnérabilités qui peuvent interférer avec les associations observées. Les substances actives identifiées sont principalement le chlorpyrifos puis le malathion et le méthyl parathion.

Triazines

Deux études de cohortes, dont une française, confirment une augmentation significative du risque de retard de croissance intra-utérin en lien avec une exposition résidentielle maternelle à l’atrazine utilisant (pour l’étude française) une mesure de biomarqueurs urinaires d’exposition à l’atrazine. Plusieurs études ont utilisé les concentrations de triazines dans les eaux de distribution ou la distance aux zones de culture comme marqueurs de l’exposition possible dans les populations locales. Deux études écologiques suggèrent un excès de risque de toutes malformations ou de malformations de la paroi abdominale. Deux autres (transversale et cas-témoins) sont compatibles avec une légère augmentation du risque en particulier pour les malformations des membres ou de la paroi abdominale mais aucune association n’a été retrouvée avec le risque de malformations du tube neural.

Carbamates

Une étude de cohorte conduite aux Philippines met en évidence une association entre l’exposition prénatale au propoxur mesuré dans le méconium et de moins bonnes performances motrices à l’âge de 2 ans. Par ailleurs, une étude transversale a rapporté un lien entre exposition prénatale au propoxur et une diminution de la taille à la naissance.

Phénoxyherbicides

Dans une étude de cohorte rétrospective au Canada en milieu agricole, une augmentation significative du risque de morts fœtales est rapportée après une exposition préconceptionnelle aux phénoxyherbicides (de même qu’au glyphosate). Une étude transversale au Minnesota montre une augmentation de risque de diverses malformations qui semble associée à une exposition résidentielle aux fortes doses de phénoxyherbicides en relation avec les types de cultures dans les zones agricoles.

Familles et substances actives impliquées de manière significative dans les effets sur la grossesse et le développement de l’enfant

Exposition
Effets
Présomption
d’un lien
Organochlorés
p,p’-DDE
Croissance pondérale
Neurodéveloppement
++
±
HCB
Croissance pondérale
+
Chordécone
Neurodéveloppement
+
Organophosphorés
  
Sans distinction
Neurodéveloppement
Croissance fœtale
++
+
Interaction avec PON1
Chlorpyrifos
Malathion
Méthyl-parathion
Neurodéveloppement
+
Interaction avec PON1
Triazines
  
Sans distinction
Morts fœtales
Malformations congénitales
±
±
Atrazine
Croissance fœtale
+
Carbamates/thiocarbamates
  
Sans distinction
Morts fœtales
±
Propoxur
Neurodéveloppement
Croissance fœtale
+
+
Phénoxyherbicides
  
Sans distinction
Morts fœtales
Malformations
±
±
Aminophosphonates glycine
  
Glyphosate
Morts fœtales
±

++ d’après les résultats de plusieurs études de cohortes
+ d’après les résultats d’une cohorte ou de deux études cas-témoins
± d’après les résultats d’une cohorte rétrospective

Les données analysées montrent de nombreuses évidences épidémiologiques d’un impact possible de l’exposition prénatale aux pesticides sur le développement de l’enfant à court et à moyen terme. D’autres conséquences (allergies, maturation sexuelle, diabète…) devraient être évaluées grâce à des cohortes mères-enfant (avec inclusion pendant la grossesse).

Exposition aux pesticides et cancers de l’enfant

L’incidence des cancers de l’enfant en France métropolitaine selon les registres pédiatriques nationaux était estimée à 157 cas par million chez les enfants de moins de 15 ans entre 2000 et 2004, soit environ 1 500 enfants de moins de 15 ans chaque année, avec un sex-ratio homme/femme de 1,2. Ils constituent la deuxième cause de mortalité chez les enfants de plus de 1 an, et environ 1 enfant sur 500 est atteint de cancer avant l’âge de 15 ans dans les pays industrialisés. Les cancers les plus fréquents chez l’enfant sont les leucémies (29 %, en particulier les leucémies aiguës lymphoïdes les plus fréquentes et les leucémies aiguës myéloïdes), les tumeurs du système nerveux central (23 %), les lymphomes (12 %) et les neuroblastomes (8 %). Près de 50 % des cancers de l’enfant surviennent avant l’âge de 5 ans, avec l’incidence la plus élevée au cours de la première année de vie.
Peu de facteurs de risque ont été identifiés. Les facteurs génétiques connus concernent un petit nombre de cas. Certains cancers sont héréditaires (comme le syndrome de Li-Fraumeni) ou favorisés par des affections héréditaires (comme la neurofibromatose de von Recklinghausen) et par la trisomie 21. Plusieurs facteurs de risque de développer un cancer dans l’enfance ont été établis : exposition aux radiations ionisantes à forte dose pour la leucémie et le cancer de la thyroïde, infections virales (Epstein-Barr, herpès HHV-8) à l’origine de cancers de l’enfant comme les lymphomes ou les maladies de Kaposi.
Les données épidémiologiques concernant le lien entre pesticides et cancers de l’enfant sont nombreuses et ont été rassemblées récemment dans plusieurs méta-analyses, partiellement redondantes car incluant plusieurs études communes. Ces méta-analyses sont principalement consacrées au risque de leucémie en relation avec les expositions professionnelles des parents (2 méta-analyses) ou avec les expositions résidentielles (3 méta-analyses).
Concernant les expositions professionnelles des parents, les conclusions des deux méta-analyses (respectivement 31 et 25 études) sont très proches. Elles ne montrent pas de lien avec l’exposition professionnelle du père aux pesticides, mais rapportent un degré d’hétérogénéité important. En revanche, lors d’une exposition professionnelle maternelle aux pesticides en période prénatale, le risque de leucémie est significativement augmenté de 60 % pour l’une et de plus de 100 % pour l’autre, plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’insecticides et d’herbicides avec une très faible hétérogénéité entre les études. Le risque concerne plus spécifiquement les leucémies aiguës myéloïdes.
Une des trois méta-analyses (17 études) sur les relations entre l’exposition résidentielle aux pesticides et le risque de leucémie de l’enfant montre une augmentation significative de 54 % du risque de leucémie suite à une exposition aux pesticides pendant la grossesse, en particulier aux insecticides et herbicides. Un accroissement significatif du risque de leucémie chez l’enfant de 38 % est également associé à l’exposition pendant l’enfance aux pesticides en général et il est plus important (61 %) lors d’une exposition aux insecticides. Il faut noter un niveau d’hétérogénéité élevé lors de l’analyse des expositions pendant la grossesse, qui est réduit lorsque le type de pesticides ou le type de leucémie est pris en compte (risque plus élevé pour les leucémies aiguës lymphoïdes), alors que les études portant sur les risques liés aux expositions pendant l’enfance montrent une bonne homogénéité.
La seconde méta-analyse (13 études) conclut également à un excès de risque significatif en cas d’exposition résidentielle pendant la grossesse (plus du double) ou pendant l’enfance (65 %) en particulier lors d’une exposition à l’intérieur du domicile, à des insecticides, et avec des niveaux d’hétérogénéité tout à fait acceptables.
La troisième méta-analyse rassemblant 6 études s’intéresse spécifiquement au risque de leucémie aiguë lymphoïde de l’enfant et montre un accroissement significatif de l’ordre de 37 % du risque en cas de traitement du domicile par des professionnels pendant la grossesse, avec une hétérogénéité modérée entre les études.
Le rôle de l’exposition professionnelle du père ou de la mère à des pesticides sur le risque de tumeurs cérébrales de l’enfant a été évalué dans une méta-analyse récente (19 études). Elle conclut à une augmentation significative du risque en lien avec une exposition professionnelle de la mère, mais également du père, comparable dans les études cas-témoins (30 %) et dans les études de cohorte (53 %), principalement au cours de la période prénatale, et en lien avec les tumeurs astrogliales, et avec une bonne homogénéité entre les études.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et cancer de l’enfant

Exposition
Effets
Présomption d’un lien
Exposition professionnelle aux pesticides (sans distinction) pendant la grossesse
Leucémie
Tumeurs cérébrales
++
++
Exposition résidentielle aux pesticides (sans distinction) pendant la grossesse ou chez l’enfant
Leucémie
++

++ d’après les résultats d’une méta-analyse récente

Exposition aux pesticides, fertilité et fécondabilité

Chez l’homme, la fertilité peut être estimée par l’examen quantitatif et qualitatif du sperme ainsi que par l’évaluation du bilan sanguin des hormones de la reproduction. Chez la femme, la fertilité est estimée par le rythme ovulatoire et par l’évaluation du bilan sanguin des hormones de la reproduction. Les procédures chez l’homme, fondées principalement sur l’examen du sperme, rendent compte directement du bon ou mauvais fonctionnement de la spermatogenèse. En revanche, l’étude du rythme ovarien chez la femme n’est qu’un indicateur imprécis de la réserve ovarienne. De ce fait, l’étude du bilan hormonal et la réalisation d’examens complémentaires, tels que l’échographie ovarienne, sont nécessaires pour estimer la fertilité.
Le processus qui aboutit à une conception est la résultante de la fertilité de chacun des partenaires. La fertilité du couple, dénommée fécondabilité, peut être estimée également de manière indirecte en mesurant le délai nécessaire à concevoir (DNC), c’est-à-dire le temps qui sépare l’arrêt d’une contraception d’une conception lorsque celle-ci est désirée.
On estime que dans les pays industrialisés un couple sur 7 consultera au cours de sa vie reproductive pour infécondité. Mais l’évolution de cet indicateur au cours du temps ne constitue pas un indicateur approprié de la prévalence et de l’évolution séculaire de l’infertilité. L’augmentation de l’offre de soins, couplée au développement de la procréation médicalement assistée, a favorisé le développement des consultations pour infécondité du couple.
De nombreux travaux ont suggéré l’existence d’un déclin séculaire de la qualité du sperme chez l’homme au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Des hypothèses biologiques ont été avancées en lien avec la dispersion de substances chimiques dans l’environnement susceptibles de porter atteinte à la fonction de reproduction. Parmi elles, figurent des reprotoxiques mais aussi ce qui est convenu d’appeler des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire des substances présentant des propriétés hormonales (xénohormones) ou capables d’interférer avec la synthèse, le métabolisme, le transport et l’action des hormones. Les pesticides, possédant ce type de propriétés, largement utilisés tant dans un contexte professionnel que domestique, ont retenu fortement l’attention comme hypothèse explicative, au moins partielle, du déclin séculaire de la qualité séminale.
Les résultats des nombreuses études, conduites sur les liens entre fécondité masculine et l’exposition aux pesticides sans distinction précise sur les matières actives ou familles chimiques, sont assez contradictoires. En France, une étude transversale (publiée en 2009) a été réalisée parmi des hommes consultant pour infécondité du couple, couplée à une estimation de l’exposition professionnelle à des pesticides par questionnaire. L’exposition à des pesticides a été retrouvée associée à un risque augmenté, à la limite du seuil de significativité statistique, de présenter des paramètres séminaux en dessous des normes de référence de l’OMS.
Les études portant sur l’impact des pesticides sur la fertilité féminine sont au contraire peu nombreuses. Plusieurs raisons peuvent être avancées. Dans le secteur professionnel, les tâches exposant aux pesticides, en particulier l’épandage, sont principalement dévolues aux hommes. Par ailleurs, la fertilité féminine sous l’angle biologique est plus difficile à évaluer que la fertilité masculine. Aux États-Unis, des femmes infertiles ont été comparées à des femmes fertiles provenant du même centre médical. Le fait de préparer et d’appliquer des pesticides au cours des deux années précédant la recherche d’une conception a été identifié comme un facteur de risque significatif d’infertilité. Plusieurs études en Europe se sont intéressées à la fécondabilité de femmes travaillant dans des serres, principalement dédiées à la floriculture. Au Danemark, une fécondabilité diminuée, à la limite du seuil de significativité statistique, a été retrouvée chez celles qui appliquaient des pesticides. Un résultat similaire fut observé aux Pays-Bas, mais cette fois-ci lorsque l’analyse portait sur les primipares.
Certaines études ont été réalisées parmi des populations exposées professionnellement à une famille chimique représentant la principale catégorie d’exposition en termes de fréquences et d’intensité. Cependant, le classement par familles chimiques ne préjuge pas forcément d’un mécanisme d’action ou de propriétés toxicologiques communes des matières actives qui la composent.

Présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et impact sur la fertilité, et la fécondabilité

Exposition
Effets
Présomption d’un lien
Exposition professionnelle aux pesticides (sans distinction)
Paramètres séminaux inférieurs aux normes OMS, infertilité, faible fécondabilité
+

+ d’après de nombreuses études transversales

Organochlorés

Parmi les organochlorés, c’est principalement le DDT et son métabolite persistant le DDE qui ont été étudiés. Les études transversales réalisées parmi des populations exposées professionnellement au DDT ou résidantes dans des zones où l’usage de ce dernier fut important (Mexique, Afrique du Sud) tendent à montrer des associations entre l’exposition et la dégradation de divers paramètres spermatiques. En revanche, les études menées en population générale aboutissent à des résultats contradictoires. Seules celles réalisées parmi les populations Inuits, forts consommateurs de denrées animales contaminées (situés au sommet de la chaîne trophique) par le DDE, montrent assez fréquemment des associations avec des atteintes spermatiques et un délai nécessaire à concevoir allongé. En Californie, une étude transversale réalisée parmi des agricultrices n’a pas montré d’association entre le délai nécessaire à concevoir et la concentration circulante en DDE ou en DDT. Une étude chinoise réalisée parmi des femmes récemment mariées, travaillant dans l’industrie textile et sans enfant, a montré une association significative entre des concentrations croissantes circulantes en DDT et le risque d’avoir un cycle menstruel court (<21 jours).
Aux États-Unis, l’exposition des ouvriers d’une usine de production du chlordécone a entraîné des effets sur certains paramètres de la qualité séminale (mobilité spermatique en particulier) sans entraîner de conséquences sur la fécondité. Les effets se sont avérés être réversibles au cours du temps suite à l’arrêt de l’exposition. Une étude récente réalisée aux Antilles parmi des ouvriers agricoles ayant employé le chlordécone dans les cultures bananières n’a pas montré d’associations entre les concentrations plasmatiques en chlordécone des ouvriers agricoles et leur fertilité estimée par l’examen des paramètres spermatiques et les concentrations circulantes en hormones de la reproduction. Cette absence d’association est expliquée par le fait que les concentrations sanguines en chlordécone étaient largement inférieures à la concentration seuil nécessaire à l’apparition de troubles testiculaires.

Organophosphorés

Concernant les organophosphorés, l’étude cas-témoin menée parmi des ouvriers en usine de production et les études transversales sur des agriculteurs exposés professionnellement, principalement en Amérique Centrale et du Sud, convergent en montrant des atteintes des caractéristiques spermatiques. En Malaisie, des agriculteurs exposés simultanément au malathion et au paraquat comparés à des agriculteurs non utilisateurs de ces produits, présentaient de manière significative un volume séminal réduit ainsi qu’une plus faible concentration et mobilité des spermatozoïdes. Ces observations sont cohérentes avec des données expérimentales chez le rongeur. Une étude réalisée parmi des ouvriers agricoles de la banane en Guadeloupe, spécifiquement exposés à certains organophosphorés, n’a pas montré d’association. Les rares études menées en population générale ne sont pas suffisamment informatives.

Pyréthrinoïdes

Les effets spermatiques et testiculaires du fenvalérate ont été montrés chez des ouvriers travaillant dans des usines de production de cet insecticide lors de plusieurs investigations en Chine. Les études toxicologiques réalisées chez les rongeurs soutiennent la toxicité testiculaire du fenvalérate.
Les études transversales s’adressant aux pyréthrinoïdes, réalisées exclusivement en population consultant pour infécondité, tendent à montrer des associations avec des atteintes spermatiques, mais leur nombre réduit ainsi que l’approche méthodologique (études de corrélations) limitent leurs portées.

Hydrocarbures aliphatiques bromés

L’emploi du dibromochloropropane (DBCP) dans diverses régions du globe, en particulier en zones tropicale et sous-tropicale, a entraîné des dizaines de milliers de cas d’infertilité permanente ou temporaire chez des travailleurs agricoles en particulier en cultures bananières et d’ananas et chez les employés d’usine de production. C’est aussi le cas du dibromure d’éthylène, un fumigant halogéné utilisé dans diverses cultures sous-tropicales et tropicales en remplacement du DBCP. Ces observations sont conformes aux données expérimentales disponibles chez l’animal. La toxicité du DBCP est en grande partie expliquée par ses effets sur les spermatogonies, cellules souches testiculaires, entraînant des conséquences irréversibles sur la spermatogenèse.

Carbamates

Le carbaryl a été largement employé comme insecticide dans de nombreuses activités agricoles (principalement cultures fruitières et céréalières) et non agricoles (entretien des parcs, jardins et pelouses). Des études réalisées parmi des ouvriers travaillant dans une usine de production de carbaryl aux États-Unis et en Chine ont montré que les sujets exposés, présentaient une proportion plus élevée d’anomalies des spermatozoïdes. Une étude réalisée en population générale parmi des hommes consultants pour infécondité du couple aux États-Unis (potentiellement exposés à de nombreux pesticides) a rapporté des associations significatives entre les concentrations croissantes de métabolites urinaires du carbaryl (carbaryl-naphtol) et des atteintes des spermatozoïdes et des altérations des taux de testostérone. La toxicité spermatique du carbaryl a été également constatée chez le rongeur suite à des expositions par voie orale.

Familles et substances actives impliquées de manière significative dans les atteintes spermatiques et la fertilité

Exposition
Effets
Présomption d’un lien
Organochlorés
p,p’-DDE
Atteintes spermatiques/DNC allongé
+
Chlordécone
Atteintes spermatiques
+
Organophosphorés
Sans distinction
Atteintes spermatiques
+
Malathion + Paraquat
Atteintes spermatiques
+
Pyréthrinoïdes
Sans distinction
Atteintes spermatiques
+
Fenvalérate
Atteintes spermatiques
+
Hydrocarbures aliphatiques bromés
Dibromure d’éthylène
Atteintes spermatiques
+
Dibromochloropropane (DBCP)
Atteintes spermatiques/ infertilité
+++ (lien de causalité établi)
Carbamates
  
Carbaryl
Atteintes spermatiques
+

+ d’après les résultats d’études transversales

Métabolisme, élimination et mécanismes généraux d’action des pesticides

Pour comprendre le mécanisme d’action des pesticides, il est nécessaire de tenir compte des voies métaboliques et de détoxication, qui paradoxalement peuvent parfois conduire à des métabolites plus toxiques que la molécule mère. La toxicité d’un pesticide dépend donc de son mode d’absorption, de ses propriétés chimiques (ex : hydrophobicité), de son métabolisme et de l’élimination des métabolites.
Comme tous les xénobiotiques, les pesticides peuvent être absorbés par voie cutanée, orale ou pulmonaire et distribués dans les tissus de l’organisme de manière active ou passive. L’absorption dépend de la barrière à franchir (peau, poumon, paroi intestinale…), des propriétés physicochimiques des molécules. Les petites molécules peuvent franchir une ou plusieurs barrières de manière passive. Les substances lipophiles (hydrophobes) semblent capables de traverser plus facilement les membranes cellulaires dont les constituants sont principalement des phospholipides alors que les substances ionisées (hydrophiles) seront arrêtées sauf au niveau des pores ou des transporteurs membranaires pour les plus petites molécules. La membrane des cellules constitue ainsi une barrière efficace protégeant les cellules contre des xénobiotiques hydrosolubles.
Après pénétration dans une cellule, le xénobiotique est rapidement pris en charge par des transporteurs membranaires ou pompes d’efflux qui vont l’exporter à l’extérieur de la cellule. Il peut également être transformé par les enzymes du métabolisme des xénobiotiques au cours de plusieurs réactions afin de faciliter son excrétion.
Processus de détoxication et de biotransformation des xénobiotiques
Les enzymes du métabolisme des xénobiotiques représentent un système complexe essentiel à la protection de l’organisme. La première étape (phase I) ou phase de fonctionnalisation met souvent en jeu des cytochromes P450 (CYPs). Elle consiste en une activation métabolique qui conduit à la formation d’intermédiaires électrophiles hautement réactifs qui seront alors soumis aux enzymes de la phase II (enzymes de conjugaison ou transférases comme la glutathion-S- ou glucuro- transférase), capables de greffer des résidus hydrophiles (comme le glutathion). Les métabolites ainsi transformés sont excrétés de la cellule par des transporteurs membranaires d’efflux dits de phase III.
L’expression des enzymes du métabolisme des xénobiotiques peut dans certains cas être augmentée lors d’expositions répétées à ces xénobiotiques. Ce système « inductible » dépend généralement de la liaison des xénobiotiques à des récepteurs nucléaires.
La fixation des xénobiotiques sur différents récepteurs nucléaires ou cytoplasmiques (PXR, Pregnane X Receptor ; CAR, Constitutive Androstane Receptor ; AhR, Aryl hydrocarbon Receptor) déclenche la transduction d’un signal permettant l’induction des enzymes du métabolisme et des transporteurs nécessaires à leur élimination. Cette signalisation met également en jeu tous les processus nécessaires à l’adaptation d’une cellule face au stress. Dans ce sens, les récepteurs aux xénobiotiques sont considérés comme des xénosenseurs car ils permettent de coordonner une réponse cellulaire adaptée. Parmi les xénosenseurs, le PXR et dans une moindre mesure le CAR sont capables de lier de nombreux pesticides.
Différents types de récepteurs des xénobiotiques
Les mécanismes de toxicité des pesticides sont multiples et certains de ces mécanismes sont liés aux processus de détoxication lui-même avec la génération de métabolites très toxiques, la formation de métabolites intermédiaires réactifs pouvant réagir avec des macromolécules cellulaires (acides nucléiques, protéines, lipides membranaires).
L’activité de certains cytochromes P450 (par exemple des cytochromes CYP1A1 et CYP2E1) peut conduire à la production de dérivés réactifs de l’oxygène (DRO). Selon leur niveau de production, ces dérivés réactifs de l’oxygène peuvent exercer un effet toxique pour la cellule en favorisant la formation d’adduits à des macromolécules : par exemple, former des adduits sur l’ADN, ce qui rend compte de leur toxicité, et plus précisément de leur génotoxicité. Ils peuvent également intervenir dans l’activation de certaines voies de transduction du signal. Il est à noter l’existence de polymorphismes génétiques pour plusieurs CYP (en particulier les isoformes 2C9, 2C19 et 2D6), conduisant à des niveaux d’expression ou d’activité enzymatiques très différents selon les individus. Ces polymorphismes se traduisent par des différences interindividuelles de susceptibilité à l’action de molécules toxiques.
D’autres mécanismes de toxicité peuvent résulter de l’induction d’autres groupes de gènes que ceux du métabolisme (inflammation, migration…) et également de l’activation de voies de signalisation multiples impliquées dans la prolifération et la différenciation cellulaire, le développement des organismes et l’homéostasie. Le dysfonctionnement de ces réseaux de gènes pourrait conduire à diverses pathologies (cancers hormono-dépendants, diabète, obésité, stérilité…).
Certains pesticides peuvent se fixer sur les récepteurs aux œstrogènes (ER), le récepteur aux androgènes (AR), le récepteur aux rétinoïdes (RAR), les récepteurs activés par les proliférateurs de peroxysomes (PPAR) et le récepteur aux hormones thyroïdiennes (TR). Il s’agit là d’une activation illégitime de ces récepteurs conduisant à une perturbation endocrinienne ou métabolique (par agonisme ou antagonisme).
Plusieurs pesticides ou leurs métabolites sont ainsi considérés comme des perturbateurs endocriniens. À titre d’exemple, on trouve des herbicides (alachlore, atrazine…), des fongicides (bénomyl, vinclozoline…) et des insecticides (DDT, métoxychlore, chlordécone, dieldrine, endosulfan, chlordane, toxaphène…). Certains sont capables d’activer les deux types de récepteurs aux œstrogènes (ER alpha et ER bêta). L’endosulfan, l’alachlore et la chlordécone sont des ligands compétitifs du récepteur de la progestérone. Des fongicides (vinclozoline), des herbicides (linuron…) et des insecticides (p’p’DDE métabolite du DDT, pyré-thrinoïdes comme la perméthrine…) sont également caractérisés comme des antagonistes des androgènes. Certains pesticides comme l’atrazine sont capables d’interagir avec des enzymes impliquées dans le métabolisme hormonal (comme l’aromatase) et de modifier ainsi les concentrations locales ou systémiques de certaines hormones, notamment les hormones sexuelles.
Enfin, il est important de prendre en considération dans les mécanismes de toxicité, la nature et les fonctions de chaque tissu. Le tissu adipeux joue potentiellement un double rôle dans la toxicité de polluants organiques persistants (dont certains pesticides organochlorés) en stockant (et ainsi protégeant les autres tissus) mais aussi en les libérant à bas bruit en dehors des périodes d’exposition. Les implications de cette fonction ne sont sans doute pas suffisamment appréciées. De même, le franchissement de la barrière hémato-encéphalique par les pesticides et leurs effets sur le développement et le fonctionnement du système nerveux ne sont que très partiellement connus.

Mécanismes d’action des pesticides en cancérogenèse

L’objectif est de tenter de mettre en relation les mécanismes d’action cellulaire ou moléculaires de pesticides avec certains de leurs effets cancérogènes suspectés, notamment à partir des études épidémiologiques évoquées précédemment. La démarche, sans prétendre à l’exhaustivité, concerne quelques molécules appartenant à diverses familles chimiques pouvant être impliquées dans les processus de cancérogenèse.
Un certain nombre de substances ont d’ores et déjà fait l’objet d’une classification en termes de cancérogénicité par diverses agences (Circ, US-EPA, UE). À ce jour, un seul pesticide l’arsenic, a été classé comme cancérogène avéré (groupe 1 du Circ, et US-EPA). Les insecticides non arsenicaux (utilisation professionnelle) et deux pesticides sont des cancérogènes probables (groupe 2A du Circ). Il s’agit d’un fumigant, le dibromoéthane et d’un fongicide, le captafol. Le manèbe est également un cancérogène probable pour l’US-EPA (groupe B2 de l’US-EPA). Dix-huit substances actives sont des cancérogènes possibles (groupe 2B du Circ) dont deux fumigants, deux biocides, un acaricide, neuf insecticides, deux fongicides et trois herbicides. Les chlorophénols (19 composés) utilisés dans la préservation du bois sont aussi classés dans le groupe 2B. Une quarantaine de substances sont considérées comme inclassables quant à leur cancérogénicité pour l’homme (groupe 3 du Circ). Des divergences existent dans les classifications. Ainsi, parmi les substances considérées comme inclassables par le Circ (groupe 3), certaines comme la dieldrine sont considérées comme cancérogènes probables (groupe B2)9 par l’US-EPA.
Les mécanismes d’action des pesticides en cancérogenèse peuvent être multiples et concerner une altération du matériel génétique, un déséquilibre des processus de survie et de mort cellulaire, la liaison à des récepteurs nucléaires ou hormonaux, la bioactivation métabolique et la génération de stress oxydant.

Organochlorés

Les pesticides organochlorés sont des polluants organiques persistants (POPs), lipophiles et bioaccumulables le long de la chaîne trophique. Malgré l’interdiction de la plupart d’entre eux depuis longtemps dans un grand nombre de pays, leurs résidus ou leurs produits de dégradation persistent dans les organismes et dans les écosystèmes. Certains pourraient être impliqués dans la survenue de cancers.
Bien que considérée comme non génotoxique, la dieldrine produit des lésions de l’ADN dans des cellules embryonnaires humaines in vitro et dans des cellules de la moelle osseuse de souris in vivo. Elle semble agir comme promoteur de tumeur hépatique chez les souris mais pas chez les rats. Cette différence pourrait être attribuée aux systèmes anti-oxydants moins performants chez la souris qui protègent moins leurs hépatocytes des dérivés réactifs de l’oxygène, car la toxicité de la dieldrine pourrait être liée au stress oxydant qu’elle génère.
Pour le lindane, le foie est considéré comme l’organe le plus sensible. Les propriétés pro-oxydantes du lindane, par induction de cytochromes P450, pourraient inhiber la mort cellulaire par apoptose, favorisant la nécrose et un état inflammatoire prédisposant au développement d’hépatocarcinomes.
L’endosulfan (non classé à ce jour) est suspecté de présenter des propriétés génotoxiques. La plupart des études évoquent comme pour le lindane, un stress oxydant à l’origine de la cytotoxicité hépatique.
Le chlordane est considéré d’après les études in vivo comme agent promoteur tumoral au niveau hépatique. Le développement des lésions cancéreuses et pré-cancéreuses par le chlordane pourrait résulter d’une activation de récepteurs nucléaires (PXR et CAR), responsable, au moins en partie, de l’inhibition de l’apoptose et d’un état de prolifération cellulaire au niveau hépatique.
Le chlordécone non génotoxique est surtout associé au risque de cancer de la prostate d’après l’étude épidémiologique menée auprès des populations antillaises. Les propriétés œstrogéniques (agonistes vis-à-vis de l’ERα et antagonistes vis-à-vis de l’ERβ) de la molécule pourraient expliquer cette association, bien que les mécanismes précis sont encore mal élucidés. Par ailleurs, cette molécule inhibe certaines protéines impliquées dans l’adhérence cellulaire, telle que la β caténine. Ceci pourrait favoriser la progression et l’invasion tumorale. Cet effet n’a cependant pas été signalé lors des études in vivo.

Organophosphorés

Pourtant considéré comme non génotoxique et non cancérogène par le Circ (en 1987), le malathion présente une certaine génotoxicité in vitro (cellules de mammifères) et in vivo chez la souris ainsi qu’un potentiel hépatotoxique. D’après le Circ, le parathion est également non génotoxique et non cancérogène. Cependant, comme pour le malathion, des études récentes évoquent l’apparition d’un stress oxydant et des effets génotoxiques associés à son exposition. De même, le méthyl-parathion (classé non génotoxique et non cancérogène) présente des propriétés mutagènes chez la levure et une certaine génotoxicité dans divers modèles cellulaires. Des travaux récents lui attribuent un caractère génotoxique et pro-néoplasique.

Autres pesticides

L’atrazine (de la famille des triazines), considérée comme une molécule non génotoxique possède des propriétés de perturbateur endocrinien, qui pourraient être responsables des tumeurs précoces observées chez le rat.
Le captane, considéré par l’US-EPA comme cancérogène potentiel à doses élevées et chroniques (classé dans le groupe 3 par le Circ), induit une cytotoxicité et une hyperplasie cellulaire régénérative.

Familles et substances actives impliquées en cancérogenèse : hypothèses mécanistiques

Familles
Substances actives
Classée (Circ)
Propriétés
génotoxiques
Stress
oxydant
Propriétés
anti-apoptotiques
Organochlorés
    
Lindane
2B
Oui
Oui
Oui
Dieldrine
3 (mais B2 US-EPA)
Oui
Oui
Ouia
Endosulfan
NE
Oui
Oui
Ouia
Chlordane
2B
Non
Oui
?
Chlordécone
2B
Non
Oui
?
Toxaphène
2B
Oui
Oui
Oui
DDT
2B
Oui
Oui
Oui
Organophosphorés
    
Chlorpyrifos
NE
Oui
Oui
Oui
Malathion
3
Oui?
Oui
 
Triazines
    
Atrazine
3
 
Oui
 
Pyréthrinoïdes
    
Perméthrine
3
Oui
Oui
?
Chloroacétamide
    
Alachlore
NE
Oui
Oui
Oui
Autres
    
Captane
3
 
Oui
 
Glyphosate
NE
Oui a
Oui
 

NE : non évalué par le Circ
a Propriété qui dépend du type cellulaire

Synthèse des mécanismes moléculaires

Les pesticides sont utilisés pour perturber la physiologie des organismes jugés parasites en agriculture et perturbent donc légitimement de nombreux processus cellulaires dont certains impliqués en cancérogenèse chez l’Homme. Celle-ci se décompose en trois phases : initiation, promotion et progression.
Au cours de l’initiation, le matériel génétique cellulaire est endommagé par l’action de génotoxiques (qui ciblent l’ADN) provoquant des mutations d’oncogènes ou de gènes suppresseurs de tumeurs. Plusieurs pesticides présentent des propriétés génotoxiques qui sont associées à plusieurs mécanismes :
• le pesticide peut être en lui-même un génotoxique ;
• le pesticide active des récepteurs de xénobiotiques et ainsi le métabolisme des xénobiotiques (induction de l’expression des cytochromes P450 (CYPs), des glucuro- et glutathion-S-transférases) qui peut conduire à la production de métabolites de pesticides génotoxiques ou conduire à la production de dérivés réactifs de l’oxygène ou DRO (principalement par certains CYPs), par définition génotoxiques. De nombreux composés organochlorés, pyréthrinoïdes ou organophosphorés, activent en particulier le récepteur nucléaire PXR, induisant les CYP3A4 et 2B6.
Au cours de la promotion tumorale, la cellule acquiert de nouvelles propriétés qui facilitent son expansion clonale. Certains pesticides favorisent des voies de signalisation impliquées dans la prolifération cellulaire (ex : MAP kinases qui peuvent être activées par certains dérivés réactifs de l’oxygène) ou dans l’inhibition de l’apoptose (mort cellulaire) comme le lindane ou la dieldrine par inhibition de certaines caspases et/ou l’induction des protéines de la famille Bcl-2. De plus, certains récepteurs nucléaires impliqués dans la prolifération de cellules hormono-sensibles (sein, ovaire, prostate) sont ciblés par différents pesticides. Le pouvoir antagoniste, notamment des organochlorés vis-à-vis du récepteur aux androgènes a été largement mis en évidence, la plupart agissant également sur les récepteurs aux œstrogènes (ERα/b), avec des actions contraires selon les isoformes α et b. D’autres organochlorés activent les récepteurs aux rétinoïdes RARb/g (mais non RARα et RXR), tous induisent logiquement leur gène cible, le CYP26A1. Cette observation est pertinente puisque les RARs interviennent dans nombre de fonctions vitales (morphogenèse, métabolisme des rétinoïdes…).
Le rôle de l’environnement tumoral est à présent reconnu comme un facteur important de tumorigénèse. Cet environnement est constitué de cellules immunitaires et de tissu de soutien. Quelques données sur les effets immunitaires des pesticides sont disponibles (voir ci-dessous) qui pourraient être pertinentes pour expliquer des effets tumorigènes, mais peu de données existent sur le reste de l’environnement tumoral.
Il apparaît ainsi que de nombreux pesticides provoquent des perturbations cellulaires et moléculaires majeures qui varient cependant selon les tissus (foie, épiderme…), les individus et les espèces. Ces mécanismes, par exemple le stress oxydant, sont relativement génériques et expliquent pourquoi plusieurs familles chimiques différentes conduisent à des effets pathologiques similaires.

Mécanismes d’action des pesticides et pathologies hématopoïétiques

L’hématopoïèse est un ensemble de processus qui concourent à la production journalière de millions de cellules sanguines aussi différentes dans leur morphologie que dans leurs fonctions. Des travaux épidémiologiques suggèrent des liens entre certaines pathologies hématopoïétiques, en particulier des cancers, et l’exposition aux pesticides. Afin d’apporter des arguments scientifiques sur la plausibilité d’une telle relation, des études in vivo ou in vitro se sont intéressées aux différents niveaux d’impact des pesticides pouvant entraîner une perturbation de l’hématopoïèse (voies de signalisation, cytokines, facteurs de croissance) ou des dommages à l’ADN conduisant à des réarrangements et/ou des aberrations chromosomiques, des mutations, des translocations ou des fusions de gènes. Un stress oxydant pourrait également être à l’origine des perturbations de certaines voies de signalisation ou des dommages à l’ADN, toute perturbation de l’équilibre oxydo-réducteur pouvant altérer les capacités d’auto-renouvellement, de différenciation et de prolifération des cellules hématopoïétiques à l’origine de pathologies hématopoïétiques.

Organochlorés

In vivo, l’exposition au lindane entraîne une perturbation de l’immunité. Dans certains modèles cellulaires, le lindane est un agent pro-apoptotique via la perturbation du statut oxydoréducteur intracellulaire ou/et l’activation de voies de signalisation qui contrôlent la croissance et la différenciation. Certains effets observés en particulier chez l’Homme comme la perturbation du système immunitaire sont en faveur de la plausibilité d’une relation entre l’exposition à ce composé et l’apparition de pathologies hématopoïétiques.
L’heptachlore perturbe l’immunité. Son effet génotoxique n’est pas prouvé dans tous les modèles cellulaires. Il peut moduler certaines voies de signalisation impliquées dans la régulation de la prolifération et de la survie cellulaire. Cependant, il n’existe pas d’étude concernant son impact sur l’hématopoïèse. Il est difficile en se basant sur les études actuelles, d’émettre une hypothèse quant à son implication dans le développement des leucémies ou dans l’initiation ou la promotion du processus de cancérogenèse.
Le chlordane non génotoxique, présente des propriétés d’immunosuppresseur et diminue la capacité des cellules NK à lyser les cellules tumorales in vitro. Tout comme le lindane ou le DDT, il est associé à l’aplasie de la moelle osseuse ce qui renforce la conviction d’un lien entre l’exposition à ce composé et l’apparition de certaines pathologies hématopoïétiques.
Les propriétés génotoxiques et mutagènes du toxaphène sont controversées. Ce composé semble affecter le système immunitaire en activant les neutrophiles entraînant la production d’un stress oxydant. Il n’existe pas de données sur son impact sur les voies de signalisation liées à la croissance et à la survie cellulaire. Son effet immunosuppresseur pourrait être à l’origine des évènements qui conduisent au développement des lymphomes.
La dieldrine est un composé pro-oxydant et pro-inflammatoire qui peut affecter le système immunitaire. Elle perturbe les voies de signalisation (de type AKT/ERK2) impliquées dans la prolifération et la survie cellulaire. Ces propriétés peuvent être à l’origine de certains évènements conduisant aux cancers hématopoïétiques bien qu’il n’existe aucune étude concernant l’impact de ce composé sur l’hématopoïèse.
Le DDT et son métabolite le DDE, sont génotoxiques. L’effet génotoxique est retrouvé dans plusieurs modèles cellulaires et en particulier dans les lymphocytes humains. Le DDE peut également avoir un effet génotoxique de manière indirecte en provoquant un stress oxydant. Le DDT, xéno-œstrogène, perturbe différentes voies de signalisation et augmente l’expression de l’aromatase. Comme d’autres organochlorés, le DDT, en modifiant les taux de cytokines (IL-2, IL-4), altère in vitro la capacité des cellules NK humaines à lyser les cellules tumorales. Il n’existe pas suffisamment d’études sur l’impact de ce composé sur l’hématopoïèse pour confirmer son rôle dans l’étiologie de pathologies hématopoïétiques.

Organophosphorés

Les organophosphorés dont le chlorpyrifos sont des composés que l’on peut considérer comme génotoxiques et pro-oxydants. Les effets sont liés à l’activation de certaines voies de signalisation impliquées dans la régulation de la prolifération et de la survie cellulaire. Les propriétés immunotoxiques pourraient être à l’origine des pathologies hématopoïétiques observées chez les professionnels exposés à ce composé.

Triazines

L’atrazine induit un stress oxydant associé à une augmentation de dérivés réactifs de l’oxygène (DRO), une peroxydation lipidique ainsi qu’une perturbation de certaines enzymes des voies de régulation de la survie et de la prolifération cellulaire. L’exposition à l’atrazine entraîne également des modifications du système immunitaire ainsi qu’une toxicité au niveau de la moelle osseuse associée à une moindre différenciation myéloïde. Ces perturbations pourraient participer aux étapes conduisant au développement des lymphomes. Par conséquent, les études mécanistiques concernant l’atrazine apportent des arguments en faveur d’une plausibilité de la relation entre l’exposition à l’atrazine et l’apparition de certains troubles hématopoïétiques.

Aminophosphonates glycine - Glyphosate

Le glyphosate présente une activité pro-oxydante et dans certains modèles une activité génotoxique. Ainsi, dans des modèles murins, il induit des cassures chromosomiques et des micronoyaux dans la moelle osseuse ainsi qu’une certaine cytotoxicité. Le métabolite du glyphosate, l’acide aminoéthylphosphonique aurait un potentiel génotoxique dans les lymphocytes de souris exposées in vivo. Cependant, la génotoxicité n’est pas retrouvée dans tous les systèmes cellulaires et dans ces cas, l’activité pro-oxydante n’est pas forcément corrélée avec une atteinte à l’ADN.

Pyréthrinoïdes

Beaucoup d’études ciblent la perméthrine. Ce pesticide est un perturbateur endocrinien qui, à forte dose, induit un stress oxydant, des dommages à l’ADN ainsi qu’une génotoxicité au niveau de la moelle osseuse et une perturbation du système immunitaire. La perméthrine affecte certaines voies de signalisation (STAT6, Erb2, MAP kinase) impliquées dans la régulation de la prolifération cellulaire. Les propriétés de la perméthrine sont autant d’arguments en faveur de la plausibilité d’une relation entre l’exposition chronique à ce composé et l’apparition de pathologies hématopoïétiques.

Chloroacétamides

L’alachlore pourrait être impliqué dans la dérégulation de l’hématopoïèse. La perturbation de certaines voies de signalisation et, notamment de la voie « Wnt/β caténine » et des voies anti-apoptotiques apportent des arguments en faveur de cet effet. Cependant, aucune étude n’a été réalisée sur la myélopoïèse. La modification de la réponse immunitaire après exposition à ce composé, conforte son rôle dans la régulation des étapes à l’origine de certaines pathologies hématopoïétiques. Ces hypothèses mécanistiques restent à confirmer.

Familles et substances actives impliquées dans les pathologies hématopoïétiques : hypothèses mécanistiques

Familles
Substances actives
Perturbation
des voies de signalisation
Myélo-
perturbateur
Perturbation
de l’immunité
Organochlorés
   
Lindane
Oui
Oui (in vitro)
Oui
Dieldrine
Oui
?
Oui
Chlordane
 
Oui
Oui
Toxaphène
  
Oui
DDT
Oui
 
Oui
Organophosphorés
   
Chlorpyrifos
Oui
 
Oui
Triazines
   
Atrazine
Oui
Oui
Oui
Pyréthrinoïdes
   
Perméthrine
Oui
Oui
Oui
Chloroacétamides
   
Alachlore
Oui
?
Oui
Aminophosphonates glycine
   
Glyphosate
?
?
?

Synthèse des mécanismes moléculaires

Plusieurs types de mécanismes peuvent être évoqués pour expliquer le lien entre pesticides et apparition de pathologies hématopoïétiques. Ainsi, de nombreux pesticides induisent une augmentation de la production de dérivés réactifs de l’oxygène à l’origine de dommages à l’ADN (hydrocarbures halogénés, DDT, lindane, pyréthrinoïdes, dieldrine, organophosphorés, alachlore). Cependant, il apparaît clairement que la dérégulation du statut oxydant ne puisse pas justifier la spécificité de leur impact sur des pathologies précises ou sur des voies de signalisation particulières. En effet, certains composés exercent aussi des effets spécifiques sur des voies de signalisation qui pourrait être à l’origine des perturbations :
• de l’immunité via des modifications de la production de cytokines (dieldrine, DDT, toxaphène, triazine,) ou via un effet cytotoxique direct sur les cellules immunitaires (DDT, lindane, pyréthrinoïde, alachlore, triazine) ;
• ou de l’hématopoïèse normale (lindane, triazine, phénoxyherbicides).
Certaines études seraient nécessaires pour compléter la compréhension du mécanisme d’action des pesticides et rechercher leur lien de causalité avec les pathologies hématopoïétiques. Afin d’améliorer les connaissances sur le rôle des pesticides dans l’étiologie de pathologies hématopoïétiques, des études concernant les effets des phénoxyherbicides, des hydrocarbures halogénés, de l’alachlore, du toxaphène, du DDT, du lindane, de la dieldrine et des organophosphorés sur l’hématopoïèse centrale et périphérique devront être entreprises. Les pathologies hématopoïétiques dont l’incidence est souvent corrélée avec l’utilisation professionnelle de pesticides ne sont sans doute pas liées à l’action d’une seule molécule mais à l’interaction de plusieurs composants en mélange, dont il serait important d’étudier l’impact sur l’hématopoïèse. Enfin, il est important d’explorer les effets des pesticides à des doses faibles voire très faibles dans des modèles expérimentaux in vitro ou in vivo pour se rapprocher des niveaux d’exposition compatibles avec ceux observés dans la population générale et/ou exposés professionnellement.

Mécanismes d’action des pesticides et maladie de Parkinson

La maladie de Parkinson résulte de la dégénérescence progressive de neurones dopaminergiques de la substance noire. Plusieurs mécanismes sont suspectés de jouer un rôle dans la neurodégénérescence (principalement par apoptose) :
• un dysfonctionnement mitochondrial, notamment de la chaîne respiratoire, susceptible de produire des dérivés réactifs de l’oxygène et d’activer la voie apoptotique intrinsèque associée à une libération de cytochrome C par la mitochondrie ;
• la formation d’agrégats cytoplasmiques protéiques (les plus caractéristiques étant les corps de Lewy) ;
• l’excitotoxicité glutamatergique caractérisée par un influx élevé d’ions calcium à l’origine de la mort cellulaire.
Ces mécanismes peuvent être grandement influencés par des composantes génétiques dont le rôle est de mieux en mieux caractérisé (au travers des études sur l’alpha-synucléine, la kinase LRRK2, la parkine, PINK1, DJ-1) mais aussi environnementales comme l’exposition à certains pesticides.
Historiquement, un premier lien a été établi avec les pesticides suite à une exposition accidentelle à la 1-méthyl-4-phényl-1,2,3,6-tetrahydropyridine (MPTP). De jeunes toxicomanes californiens synthétisèrent et consommèrent involontairement cette neurotoxine avec pour conséquence, la survenue précoce d’un syndrome parkinsonien amélioré par le traitement par la levodopa. La MPTP étant un analogue structural du paraquat, des études ont été entreprises par la suite sur les effets cellulaires de ce pesticide dans la survenue de la maladie de Parkinson. Ceci explique le nombre important d’expériences visant à caractériser le mode d’action de cette molécule en particulier dans la maladie de Parkinson.

Paraquat

L’impact du paraquat (hydrophile) sur le système nerveux central suppose le franchissement de la barrière hémato-encéphalique. Certains travaux suggèrent un système de transport actif dépendant du sodium. Les niveaux d’expression ou d’activité de transporteurs du paraquat pourraient être modulés par une co-exposition avec du manèbe qui augmente la concentration du paraquat dans plusieurs régions du cerveau. Chez la souris, l’ajout de manèbe augmente l’effet du paraquat. La neurotoxicité du paraquat concerne les neurones dopaminergiques par la production de dérivés réactifs de l’oxygène. La mitochondrie semble jouer un rôle majeur dans la progression de la pathologie tant du point de vue de la production de ces dérivés réactifs de l’oxygène que de l’activation de l’apoptose, son dysfonctionnement potentiel expliquant par ailleurs d’autres phénomènes observés avec le paraquat (déplétion en ATP, inhibition du protéasome, agrégation protéique). Mis à part les neurones qui constituent la cible directe, la glie est évoquée comme jouant également un rôle activateur. L’ensemble de ces éléments suggère une plausibilité biologique avec la maladie de Parkinson même si les mécanismes expliquant le ciblage de neurones dopaminergiques restent insuffisamment explorés.

Roténone

La roténone est un composé naturel. Son mécanisme d’action, assez bien caractérisé, a permis de mieux comprendre certains aspects mécanistiques associés à la neurodégénérescence des neurones dopaminergiques. Il s’agit d’une substance hydrophobe qui diffuse facilement à travers les membranes cellulaires. In vitro, on observe une neurodégénérescence sélective des cellules dopaminergiques dans des co-cultures de neurones et de cellules gliales. De faibles concentrations de roténone augmentent l’expression de l’alpha-synucléine (qui est retrouvée dans les corps de Lewy), et provoquent un stress oxydant à l’origine d’une baisse de la concentration de glutathion et d’une activation de certaines voies apoptotiques. La présence des cellules gliales augmente considérablement cette sensibilité. L’ensemble des éléments suggère une plausibilité biologique avec la maladie de Parkinson.

Autres pesticides

Il est difficile d’identifier un mécanisme d’action commun à tous les dithiocarbamates. Ceux-ci comme le manèbe pourraient conduire à la mort des neurones dopaminergiques via plusieurs mécanismes (stress oxydant, formation d’agrégats cytoplasmiques). Associés en mélange, ils pourraient accentuer la toxicité d’autres pesticides. Les mécanismes évoqués pour le manèbe en particulier semblent cohérents avec un effet sur le développement de la maladie de Parkinson.
Les organochlorés hydrophobes passent facilement la barrière hémato-encéphalique. La dieldrine est sélectivement neurotoxique vis-à-vis des neurones dopaminergiques de la substance noire. Le mécanisme d’action pourrait être une augmentation des niveaux de dopamine dans le cytoplasme et un effet pro-oxydant endommageant les terminaisons. L’heptachlore et la dieldrine perturbent également l’homéostasie de la dopamine. Par ailleurs, des modifications épigénétiques (hypométhylation de l’ADN) ont été corrélées à l’exposition à certains organochlorés et pourraient, en cas d’atteinte neuronale, conduire à des perturbations de l’expression de gènes.
Bien que certains mécanismes puissent évoquer un impact des organophosphorés sur le système dopaminergique, leur implication dans le développement d’une maladie de Parkinson reste à démontrer. Des variations de leur métabolisme (notamment de la paraoxonase 1 ou PON1) pourraient jouer un rôle critique dans leur mode d’action dans cette pathologie précise.
Quelques travaux expérimentaux semblent en faveur du rôle de pyréthrinoïdes comme la perméthrine dans le développement d’une maladie de Parkinson en montrant une augmentation de la recapture de la dopamine à faibles doses.

Familles et substances actives impliquées dans la maladie de Parkinson : hypothèses mécanistiques

Familles
Substances actives
Stress oxydant
Activation métabolisme dopamine
Formation
d’agrégats
cytoplasmiques
Mort
cellulaire/
apoptose
Organochlorés
    
Sans distinction
Oui
Oui
Oui
Oui
Organophosphorés
    
Sans distinction
Oui
Oui
 
Oui
Dithiocarbamates
    
Manèbe
Oui
 
Oui
Oui
Pyréthrinoïdes
    
Sans distinction
Oui
  
Oui
Autres
    
Paraquat
Oui
Oui
Oui
Oui
Roténone
Oui
Oui
Oui
Oui
Manèbe + paraquat
Oui
Oui
Oui
Oui
Le mécanisme d’action des chlorophénoxyherbicides demeure inexpliqué. Des anomalies de développement du système dopaminergique et du comportement associé ont été signalées après exposition chez des femelles (rat) gestantes. Il serait intéressant d’examiner les modifications au niveau des membranes mitochondriales de cellules dopaminergiques exposées au 2,4-D pour en définir leur contribution en termes de toxicité.
Il est difficile d’établir un lien entre des mécanismes d’action de pesticides et les autres maladies neurodégénératives comme la sclérose latérale amyotrophique ou la maladie d’Alzheimer.

Mécanismes d’action des pesticides et troubles du neurodéveloppement

Des travaux épidémiologiques ont suggéré le rôle de pesticides organophosphorés dans des retards de croissance intra-utérins et des défauts de développement en particulier de neurodéveloppement après exposition prénatale ou néonatale. Les pesticides organophosphorés sont des insecticides qui ciblent l’acétylcholine estérase (AChE), une enzyme qui hydrolyse et inactive l’acétylcholine. Elle est exprimée dans le système nerveux central et périphérique. Les organophosphorés forment une liaison covalente avec le site actif de l’enzyme et sont considérés comme des inhibiteurs irréversibles de l’acétylcholine estérase. La conséquence directe d’une exposition aux organophosphorés est l’augmentation des concentrations d’acétylcholine dans la fente synaptique et la stimulation trop importante des récepteurs muscariniques et nicotiniques. Le métabolisme des organophosphorés et le ciblage de l’AChE sont fortement dépendants de l’expression et de la variabilité de la paraoxonase 1 (PON1) dont il existe de nombreux polymorphismes.
Une intoxication aiguë aux organophosphorés conduit à un syndrome cholinergique avec, en fonction du degré d’empoisonnement, maux de tête, vomissements, confusion, ataxie, coma et blocage respiratoire. Ces manifestations cliniques n’apparaissent qu’après dépassement d’un seuil d’inhibition de l’acétylcholine estérase de 70 %. En cas d’intoxication chronique à bas bruit (sous ce seuil d’inhibition), d’autres cibles que l’acétylcholine estérase pourraient être impliquées et expliquer les pathologies observées à plus long terme (dont certains effets retardés).
L’utilisation de modèles murins a permis de montrer que l’exposition prénatale ou néonatale à un organophosphoré, le chlorpyrifos, s’accompagne de modifications des performances locomotrices ou cognitives (hyperactivité motrice, apprentissage, mémoire). À des concentrations comparables à celles mesurées dans le méconium (premières selles de l’enfant), le chlorpyrifos induit des anomalies mitotiques, des signaux apoptotiques dans le tube neural d’embryons de rat en culture. Ces données s’ajoutent à celles montrant qu’une exposition maternelle chez le rat provoque des déficits du nombre de cellules cérébrales, des projections neurales et de la communication synaptique. La période de sensibilité concerne également le développement post-embryonnaire de la gliogenèse et de la synaptogenèse. Par ailleurs, pendant la période de différenciation sexuelle du cerveau, le chlorpyrifos perturbe l’expression des récepteurs sérotoninergiques et la connexion des neurones correspondants avec leurs cibles ce qui est à l’origine de symptômes évoquant un déficit en sérotonine.
Sur le plan mécanistique, les anomalies provoquées par le chlorpyrifos au cours de la période prénatale sont parfois observées, comme indiqué ci-dessus, à des doses inférieures à celles nécessaires pour inactiver l’acétylcholine estérase. Plusieurs études suggèrent donc un mécanisme d’action indépendant de cette enzyme. Certains effets du chlorpyrifos apparaissent à des stades embryonnaires pour lesquels l’acétylcholine estérase n’est pas encore exprimée ou dans des zones du cerveau exprimant très peu d’acétylcholine estérase. L’un de ces effets les plus fréquemment décrits est une induction de l’apoptose neuronale. Par ailleurs, l’impact des organophosphorés sur le développement de troubles de l’appétit ou de l’humeur à l’adolescence ou l’âge adulte après une exposition pendant la vie fœtale est suggéré. Le mécanisme d’action serait une perturbation du système sérotoninergique, indépendante de l’acétylcholine estérase.
Ainsi, l’implication des organophosphorés dans des dégénérescences neuronales et anomalies du développement, semble plausible. L’effet des métabolites « oxon » est également suggéré tout comme le rôle des polymorphismes de la paraoxonase 1 (PON1), confirmé dans des modèles transgéniques.
L’impact des carbamates (inhibiteurs réversibles de l’acétylcholine estérase) et des dithiocarbamates sur le système nerveux central paraît plausible par une augmentation du stress oxydant pour les premiers ou la perturbation du transport vésiculaire du glutamate pour les seconds.
Les chlorophénoxyherbicides (2,4-D) sont susceptibles d’agir au niveau des systèmes de transport membranaires, de l’homéostasie des neurotransmetteurs, de la neuritogenèse. Ils entraînent une apoptose des cellules granulaires de cervelet et une inhibition de la fonction thyroïdienne.
Par ailleurs, l’impact des pyréthrinoïdes (perméthrine) sur le système nerveux central et en particulier en période de développement, est également suggéré.
En ce qui concerne les organochlorés, leur effet sur le système sérotoninergique est très dépendant du type de molécule. Après exposition in utero et pendant la lactation à l’endosulfan, une augmentation de sérotonine est observée chez des rats mâles. La perturbation du système sérotoninergique pourrait également être impliquée dans l’effet de la roténone sur le système nerveux central.

Familles et substances actives impliquées dans les troubles du développement : hypothèses mécanistiques

Familles
Substances actives
Stress oxydant
Apoptose neuronale
Perturbation
neurotransmetteurs/ SNC
Organochlorés
   
Sans distinction
  
Oui
Endosulfan
  
Oui
Organophosphorés
   
Chlorpyrifos
 
Oui
Oui
Carbamates/dithiocarbamates
   
Sans distinction
Oui
 
Oui
Pyréthrinoïdes
   
Sans distinction
  
Oui
Phénoxyherbicides
   
2,4-D
 
Oui
Oui

Mécanismes d’action des pesticides et pathologies métaboliques

L’incidence des pathologies métaboliques est en augmentation depuis plusieurs années notamment dans les pays industrialisés. Des études épidémiologiques ont suggéré le rôle potentiel des pesticides dans le développement de certains symptômes (obésité, dysfonctionnement thyroïdien…) associés à ces pathologies (syndrome métabolique, diabète de type 2…). Ces études rappellent certaines observations effectuées sur d’autres contaminants environnementaux dont les dioxines et plus récemment le bisphénol A (BPA) ce qui pose la question des mécanismes sous-jacents.
Les pesticides organochlorés (dont le chlordane et le DDT, dichlorodiphényltrichloroéthane) ne sont plus utilisés depuis longtemps dans de nombreux pays mais leurs métabolites comme l’oxychlordane ou le DDE, persistent dans l’environnement et s’accumulent dans la chaîne alimentaire. À titre d’exemple, le DDE s’accumule fortement dans le tissu adipeux. Plusieurs pesticides organochlorés (OC) sont suspectés d’influencer le poids des enfants à la naissance, de favoriser la mise en place d’une obésité, d’un syndrome métabolique voire d’un diabète (type 2) chez l’Homme. Ces effets sont également retrouvés chez le singe. On peut souligner le peu de données chez le rongeur.
Ainsi, des auteurs en 2010 montrent, chez des rats Sprague-Dawley, qu’un régime riche en lipides (supplémentation en huile de saumon contenant plusieurs polluants organiques persistants dont des pesticides organochlorés) conduit à une prise de poids plus élevée, une augmentation de certains dépôts graisseux au niveau viscéral et à une modification importante de certains paramètres lipidiques sanguins, par rapport à un régime similaire contenant sensiblement moins de polluants organiques. Ces modifications s’accompagnent à terme d’une hyper-insulinémie, d’une résistance à l’insuline périphérique et d’une stéatose hépatique. Notons que cette étude a exploré un mélange de composés organiques et n’autorise pas, seule, à attribuer les effets aux pesticides.
In vitro, les pesticides organochlorés à fortes doses semblent perturber la différenciation adipocytaire. Cependant, les observations recueillies avec un pesticide organochloré ne peuvent être généralisées à l’ensemble des membres de cette famille chimique, elles dépendent également de la lignée cellulaire utilisée. Ainsi, de fortes doses de DDT favorisent la différenciation d’une lignée de pré-adipocytes (3T3-L1) et inhibent partiellement celle d’une autre lignée (3T3-F442A). Ce paradoxe pourrait s’expliquer par des processus différents de différenciation entre ces deux lignées (inducteurs différents, sécrétion de leptine, niveau variable de facteurs C/EBPalpha). Des études associant à la fois des modèles animaux et cellulaires semblent donc nécessaires pour mieux comprendre les effets des pesticides organochlorés sur la différenciation adipocytaire.
Au niveau moléculaire, de nombreux pesticides organochlorés sont des ligands de plusieurs récepteurs nucléaires (récepteurs aux œstrogènes et androgènes, et PXR) qu’ils sont susceptibles d’activer ou d’inhiber. Il est donc possible de spéculer sur des effets des pesticides organochlorés similaires à ceux observés avec le bisphénol A (BPA), capable de se fixer aux récepteurs nucléaires. Les effets de pesticides organochlorés sur le pancréas (hyper-insulinémie, augmentation de la production d’insuline) ressemblent à ceux identifiés pour le BPA. Les effets sur le foie (notamment la stéatose) pourraient résulter de la conjonction de l’hyper-insulinémie et de l’activation de la voie du PXR pouvant bloquer certaines voies métaboliques dont la ß-oxydation des acides gras. Le PXR activé pourrait aussi par activation de l’expression du cytochrome CYP3A4 favoriser la dégradation des œstrogènes endogènes avec pour conséquence une perturbation de la différenciation adipocytaire, signalée ci-dessus, qui, conjuguée à l’accumulation des pesticides organochlorés dans la gouttelette lipidique (conduisant ainsi à des concentrations locales plus élevées) et à la modification des niveaux d’adipokines, conduirait à terme à une résistance périphérique à l’action de l’insuline.
Malgré le peu de résultats expérimentaux disponibles, une attention particulière doit être portée à tout pesticide susceptible d’activer les voies œstrogéniques au niveau pancréatique, et du PXR au niveau hépatique. Les régulations par des voies non génomiques (œstrogéniques) pourraient également jouer un rôle essentiel notamment dans la sécrétion de glucagon et d’insuline au niveau pancréatique.

Mécanismes d’action des mélanges de pesticides

Les procédés d’homologation en vue de la mise sur le marché des pesticides ainsi que les différentes études relatives à leur mécanisme d’action sont souvent réalisés sur des substances actives prises individuellement. Il était généralement admis que le mélange de plusieurs produits aux doses correspondant à leur NOAEL (No observable Adverse Effect level), et agissant via des mécanismes d’action différents, ne pouvait pas avoir d’effet.
Différentes études expérimentales relatives aux perturbateurs endocriniens et à la fonction de reproduction, montrent néanmoins que des substances actives en mélanges peuvent exercer des effets à des doses inférieures à leur NOAEL, que leur mécanisme d’action soit similaire ou différent, et qu’elles peuvent exercer des effets cumulatifs et/ou dépendants de la dose lorsqu’elles ont pour cible un même tissu. La littérature scientifique, élargie à d’autres fonctions biologiques que la reproduction, présente, en l’état actuel, des résultats assez hétérogènes sur l’effet des mélanges.
L’influence réciproque des substances composant un mélange peut s’exercer à différentes phases de toxico-cinétique, pendant l’absorption, la distribution, le métabolisme ou encore l’excrétion. Elle peut consister à modifier l’activité biologique de l’une ou l’autre des substances actives. Au sein d’un mélange, les effets des substances peuvent devenir additifs, infra-additifs ou supra-additifs. De plus, la présence d’une substance sans effet peut néanmoins potentialiser l’effet d’une ou plusieurs substances dans un mélange.

Différents types d’effets des mélanges

Type d’effet
Définition
Effet additif
La toxicité du mélange est égale à celle résultant de la somme des doses ou des réponses des composants du mélange
Effet supra-additif synergique
La toxicité du mélange, où tous les composants sont actifs, est plus élevée que celle résultant de la somme des doses ou des réponses des composants du mélange
Effet supra-additif potentialisateur
La toxicité du mélange est augmentée par la présence d’un composant qui lui-même n’est pas actif
Effet infra-additif ou antagoniste
La toxicité du mélange est inférieure à celle résultant de la somme des doses ou des réponses des composantes du mélange
Les effets peuvent varier selon la fonction étudiée ou le paramètre biologique testé. Des exemples d’effets de mélanges de substances actives de pesticides ont été rapportés dans des études expérimentales in vivo sur diverses fonctions (reproduction, activité motrice, hématopoïèse, production de cytokine…).

Quelques exemples d’effets des mélanges mis en évidence
par des études in vivo

Mélange
Effet du mélange
Paraquat + manèbe
Effet synergique sur la dégénérescence neuronale chez la souris jeune
Effet potentialisateur sur l’activité motrice chez la souris adulte
Pas d’effet additif sur la dégénérescence neuronale chez le jeune rat
Dicofol + dieldrine + dichlorvos + endosulfan + perméthrine
Effet potentialisateur sur la motilité des spermatozoïdes chez le rat
Pas d’effets sur les autres paramètres de la reproduction (spermatogénèse, taux journalier de production de sperme)
Propanil + 2,4-D
Effet synergique sur l’hématopoïèse centrale chez la souris
Vinclozoline + iprodione
Effet antagoniste sur le taux de testostérone sérique chez
le rat
Effet potentialisateur sur le retard de puberté (séparation du prépuce) chez le rat
Dieldrine + atrazine
Effet synergique sur la production de cytokines (IL-6, IL-12), perturbation de l’activité NFkB chez la souris
Il est important de noter que les études relatives à l’impact des mélanges ne reflètent pas l’exposition professionnelle qui emprunte essentiellement la voie cutanée. En effet dans les études réalisées in vivo, l’exposition se fait par gavage, quelques fois par injection intra-péritonéale ou sous-cutanée. Les doses administrées correspondent le plus souvent à de faibles concentrations afin de mimer l’exposition du consommateur via l’alimentation.
La plupart des études in vitro sur les mélanges montrent un effet supérieur du mélange à celui des substances actives prises isolément, avec un effet important de la dose testée. Dans ces études, il ne faut pas négliger le phénomène de saturation d’un mécanisme et il est donc nécessaire de tester plusieurs doses pour chaque composé.
La complexité de l’effet des mélanges est liée aux différents niveaux d’interaction cellulaire et moléculaire des substances actives ou de leurs métabolites. Les substances actives présentes peuvent affecter l’expression ou l’activité des transporteurs, première barrière de l’organisme vis-à-vis des xénobiotiques. Les molécules peuvent moduler l’activité ou l’expression de certains cytochromes P450 impliqués dans la détoxication de nombreux composés exogènes. L’impact de substances actives de pesticides sur ces deux systèmes cellulaires peut modifier leur propre biodisponibilité ou celle d’autres molécules de pesticides ou médicaments. De plus, la plupart des molécules possèdent des propriétés pro-oxydantes et certaines agissent sur l’activité de voies de signalisation impliquées dans la régulation de la croissance et de la survie cellulaire. On comprend alors aisément qu’un mélange de pesticides en interagissant à différents niveaux cellulaires et moléculaires puisse conduire à des effets non prédictibles par rapport à l’effet d’une seule substance active. Cette complexité justifie d’utiliser des modèles expérimentaux mimant l’exposition à faibles doses des populations et en parallèle d’explorer des modèles théoriques intégrant les nouvelles connaissances sur les mécanismes d’action des molécules par différentes approches (statistiques, simulations…).

Nouveaux enjeux pour l’évaluation des risques sanitaires

L’apport des études mécanistiques cellulaires et moléculaires, qu’elles soient menées in vivo ou in vitro, apparaît essentiel dans l’estimation des risques sanitaires potentiels des xénobiotiques environnementaux tels que les pesticides. Les mécanismes d’action au niveau cellulaire et moléculaire conditionnent la réaction au stress environnemental et déterminent la réponse adaptative de la cellule, et donc de l’organisme. La « décision » que prendra la cellule face à une agression chimique dépendra d’une quantité importante de paramètres allant de sa capacité à apprécier le danger (découlant de la variabilité inter-individuelle et/ou du polymorphisme génétique), des signaux mis en jeu, ou des facteurs de prédispositions présents dans l’organisme. La connaissance des paramètres génétiques, épigénétiques ou de signalisation apparaît primordiale dans l’évaluation des risques sanitaires. Dans ce cadre, la connaissance des processus moléculaires engagés est essentielle et permet de mettre en évidence de nouveaux biomarqueurs prédictifs.
Pourtant, bien qu’indispensable, l’identification des mécanismes d’actions et biomarqueurs in vitro ne suffit pas à prévoir la survenue de pathologies pesticides-dépendantes. Il est nécessaire de les confronter aux propriétés de réactivité chimique, de métabolisme, ainsi qu’aux données toxicologiques animales et épidémiologiques. Le développement d’outils de gestion/traitement de données et de modélisation mathématique est primordial au succès de cette approche, où les modèles d’exposition, de relations dose-réponse, toxicocinétiques, et de biologie systémique intégrant le polymorphisme de réponse aux toxiques tiennent une place prépondérante. Seule une telle approche intégrative de la réponse physiologique peut in fine conduire à l’objectif d’une toxicologie prédictive, c’est-à-dire capable d’anticiper les propriétés toxicologiques des pesticides à partir d’expériences in vitro et in silico, ainsi que des données in vivo et épidémiologiques disponibles, en réduisant le recours systématique à l’animal.
L’analyse des mécanismes d’action confirme que les risques sanitaires liés à l’exposition à ces molécules de pesticides doivent être reconsidérés avec attention. Elle souligne qu’en plus des études toxicologiques réglementaires, aboutissant à la mise sur le marché des pesticides, un certain nombre de leurs effets biologiques chez l’Homme devraient être pris en considération, surtout pour des molécules auxquelles l’Homme est exposé à faibles doses sur de longues durées et sous forme de mélanges. Le regroupement des données épidémiologiques et de toxicologie réglementaire et fondamentale permet néanmoins d’apporter des arguments sur la plausibilité d’une relation entre l’exposition aux pesticides et la survenue de certaines pathologies.

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