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Med Sci (Paris). 2002 March; 18(3): 259–262.
Published online 2002 March 15. doi: 10.1051/medsci/2002183259.

L’infection par le virus de l’hépatite C : un enjeu majeur de santé publique, un sujet scientifique passionnant et une illustration de la nécessité de coordonner les politiques scientifiques

Christian Bréchot

Directeur général de l’Inserm, 101, rue de Tolbiac, 75013 Paris, France
 

Le virus de l’hépatite C (VHC) est maintenant clairement reconnu comme un agent pathogène majeur : environ 170 à 200 millions d’individus sont chroniquement infectés dans le monde, cette infection étant caractérisée par le risque énorme d’évolution vers la chronicité (80 %, chiffre à comparer par exemple avec le risque de 5 % d’évolution vers la chronicité des infections par le virus de l’hépatite B [VHB] chez l’adulte). L’infection chronique à VHC peut être associée à des lésions d’hépatite chronique sévère et environ 20 à 30 % des patients chroniquement infectés par le VHC développeront une cirrhose, le cancer primitif du foie représentant alors fréquemment la complication ultime de cette infection (environ 30 % après 10 ans d’évolution). De fait, les cirrhoses dues au VHC constituent actuellement l’indication de loin la plus fréquente de transplantation hépatique. Outre son intérêt scientifique propre, l’infection à VHC illustre bien la complexité des problématiques en virologie humaine et la nécessité, pour appréhender leur importance, de les intégrer dans un contexte vaste et pluridisciplinaire ; ce point est bien souligné par les différents articles qui composent ce numéro de médecine/sciences.

L’épidémiologie reste un domaine de recherche d’actualité pour le VHC

Bien que de très nombreuses études aient été consacrées à ce thème, les chiffres cités en introduction restent difficiles à interpréter, au moins dans certaines zones géographiques et dans certaines catégories de patients ; le lien entre VHC, cirrhose et cancer du foie est parfaitement établi mais le pourcentage de sujets chroniquement infectés qui développeront ces complications reste discuté et est en fait influencé de façon majeure par des facteurs associés, en premier lieu l’alcool. De plus, une forte proportion de patients, bien que chroniquement infectés, présente des lésions hépatiques très minimes, faisant discuter un « portage sain » du virus ; de même, certaines études de suivi de patients infectés ne mettent en fait pas en évidence d’accroissement de mortalité due au VHC !

La prévalence de l’infection à VHC varie considérablement suivant les zones géographiques et les modes de transmission restent mal connus dans certaines d’entre elles : la prévalence est de 1,1 % en France (soit environ 500 000 à 600 000 personnes chroniquement infectées) mais de 3 à 4 % de la population générale en Europe du Sud et peut atteindre des chiffres de 10 % dans certaines régions d’Afrique (Égypte et Gabon). Les modes de transmission ont été bien analysés en Europe, en Amérique, en Asie et en Australie, démontrant de façon indiscutable le rôle majeur de la transmission par le sang à l’occasion des transfusions sanguines avant la mise place du dépistage des donneurs (1990 en France) et au cours de l’injection intraveineuse de drogues, la toxicomanie étant le facteur de risque majeur actuel en France. Restent au moins trois questions : quel est le taux de nouvelles infections par le VHC ? Malgré l’efficacité des mesures prises pour permettre une quasi-disparition des transmissions transfusionnelles (environ 1/850 000 en France, comparé à 1/100 000 pour le VHB et 1/2 000 000 pour le VIH), des chiffres d’environ 6 à 9 000 par an peuvent être encore avancés, essentiellement d’après des études de modélisation et ce point, essentiel pour déterminer par exemple les modalités de dépistage à mettre en place et l’impact d’une vaccination sur l’évolution de l’infection, reste à préciser ; une difficulté majeure pour correctement évaluer ce chiffre est la très forte proportion (environ 80 %) d’infections à VHC qui ne provoqueront aucun symptôme et ne seront donc identifiées que par le dépistage fondé sur la recherche des anticorps anti-VHC, dépistage actuellement ciblé sur des personnes ayant des facteurs de risque connus ; quelle est l’importance réelle des contaminations iatrogènes dans l’infection à VHC, et quelle est la proportion des infections de cause non identifiée (infections souvent décrites, de façon impropre, comme « sporadiques ») dues à de telles contaminations ? la majorité de ces infections (dont la part a maintenant considérablement diminué en France par rapport à celle liée à la toxicomanie) est en effet probablement due à des contaminations par des actes mineurs banalisés (injections, tatouages, etc.). En Europe du Sud, cependant, l’impact de ces infections de cause non expliquée reste souvent très fort ; quels sont les facteurs de risque dans les pays en développement et quelle est en particulier l’impact de la transmission par voie sexuelle (très faible, mais non nulle dans des pays comme la France) dans ces pays ? Quelles stratégies de prévention doit-on mettre en place?

L’infection par le VHC représente l’un des exemples de vrais progrès en thérapeutique anti-virale

La combinaison de l’interféron (renforcé par des nouvelles formes d’administration avec l’interféron pégylé) avec la ribavirine permet d’obtenir une réponse complète (définie par une multiplication virale non détectable, la normalisation des tests hépatiques et la régression des lésions histologiques) dans 30 à 50 % des cas ; ces chiffres, fortement dépendants de données virologiques (le taux de réponse est significativement plus faible pour les infections par les génotypes 1 et 4, comparé au taux pour les génotypes 2 et 3, et avec une charge virale élevée), peuvent dans des cas favorables atteindre 80 % ! (génotype 2 avec charge virale faible). Des études récentes suggèrent même que, au moins dans certains cas, le dogme de l’« irréversibilité » de la cirrhose puisse être remis en cause, des régressions spectaculaires de lésions de cirrhose ayant été décrites après réponse complète et durable au traitement.

Ces progrès majeurs soulèvent actuellement plusieurs questions : l’interféron et la ribavirine sont un exemple de succès thérapeutique obtenu sans se fonder sur la connaissance scientifique concernant ce virus ; les progrès récents, concernant en particulier la structure des domaines protéase et hélicase de la protéine non structurale (NS3) et de la polymérase (NS5) virales conduisent à définir une nouvelle génération de thérapeutiques inhibant de façon spécifique l’activité de ces protéines virales ; ces efforts sont maintenant concrétisés par la mise en place de premiers essais de phase I. La modulation de la réponse immunitaire par différentes approches, incluant des cytokines (comme l’IL-10) ou des immunostimulants (comme le murabutide) est également évaluée ; l’utilisation d’immunoglobulines spécifiques des protéines VHC pourrait être intéressante pour moduler la sévérité des lésions hépatiques et prévenir la réinfection du foie greffé après transplantation hépatique. L’immunothérapie active pourrait se révéler un autre composant essentiel du traitement de l’hépatite C. Des données obtenues dans différents modèles d’infections virales suggèrent en effet que la vaccination pourrait apporter un bénéfice réel en thérapeutique antivirale ; ce point a été en particulier analysé récemment chez l’animal et chez l’homme pour le VHB. L’enjeu des prochaines années sera de déterminer la place de ces thérapeutiques « rationnelles » dans le traitement de l’hépatite C et d’évaluer si l’interféron, avec ses effets secondaires souvent extrêmement difficiles à tolérer pour le patient, restera nécessaire ; il sera également de déterminer la place de ces thérapies dans la prévention de la réinfection, malheureusement extrêmement fréquente, par le VHC du foie greffé après transplantation hépatique chez un patient avec une cirrhose due au VHC.

Des modèles expérimentaux doivent être développés

Les années à venir devraient permettre l’acquisition de données de fond sur les modes de réplication et d’expression du génome viral, ainsi que sur la pathogénie de l’infection VHC car des modèles expérimentaux d’étude commencent à émerger.

Il est important de rappeler que le clonage du génome du VHC en 1988 a constitué une étape décisive en virologie, établissant le succès d’une virologie « moléculaire » qui a permis l’identification d’un virus que personne n’avait jamais « visualisé » en l’absence de tout système de culture et du fait d’une virémie faible. Ce succès a permis pendant environ dix ans de décrypter la séquence du génome ARN à polarité positive de ce virus qui est maintenant classé comme un membre des Flaviviridae, d’en démontrer la grande variabilité génétique et de définir les différents niveaux de cette diversité avec une classification en génotypes, sous-types, isolats et quasiespèces. Ces outils ont, dans un second temps, permis d’illustrer l’importance essentielle de la confrontation des données virologiques à une recherche clinique de qualité, conduisant à démontrer l’association de certains génotypes à des facteurs de risque particuliers (génotype 1 et transfusion sanguine, génotype 3 et toxicomanie) et l’impact majeur du génotype et de la charge virale sur la réponse thérapeutique alors que l’importance de la charge virale dans le sang ne semble pas associée à la sévérité des lésions histologiques. La transplantation hépatique a joué un rôle important dans ces études, représentant un « modèle » d’étude dans lequel la réinfection de novo du foie greffé permet d’évaluer de façon précise la cinétique de développement des lésions hépatiques et les facteurs influençant cette évolution. Les études réalisées dans ce modèle sont en particulier celles qui suggèrent le mieux que l’infection par le génotype 1 puisse être associée à des lésions hépatiques plus sévères que celles dues à l’infection par les génotypes 2 et 3 ; ce point est cependant fortement contesté car non démontré par les études réalisées chez des patients en dehors du contexte d’une immunodépression, études d’interprétation souvent compliquée par des variables essentielles comme la durée de l’infection, généralement plus longue pour le VHC de type 1 (associé à la transfusion et aux formes « sporadiques) que le type 3 (associé à la toxicomanie), la consommation d’alcool ou la co-infection par le VHB. Les deux dernières années ont vu l’émergence de modèles expérimentaux in vitro et in vivo d’étude de la réplication du génome VHC. Des réplicons ont été synthétisés qui permettent dans la lignée hépatocytaire bien différenciée Huh7, et seulement dans celle-ci, la réplication de l’ARN viral et l’expression de la polyprotéine ; cette approche offre pour la première fois la possibilité d’analyser la réplication du génome et les interactions « virus-cellule » dans le contexte de la polyprotéine virale et non de l’expression de protéines virales isolées. Il reste des limitations majeures : les études doivent être réalisées dans une lignée cellulaire transformée et non dans des hépatocytes normaux, elles sont fondées sur des séquences virales qui ont permis l’adaptation de ces réplicons à la différenciation cellulaire et ne représentent pas nécessairement la situation in vivo ; enfin, aucune production de particules virales n’a pu être observée. Parallèlement, des progrès significatifs ont été réalisés concernant la culture in vitro du virus et il est maintenant possible d’obtenir de façon reproductible une infection d’hépatocytes humains en culture primaire, la limitation du modèle étant la difficulté d’obtenir de façon fréquente de tels hépatocytes ; cette approche devrait être très utile pour la caractérisation du (des) récepteur (s) cellulaire (s) du VHC, enjeu majeur en thérapeutique : le rôle de la molécule CD81 est maintenant fortement discuté, celui du récepteur des LDL (low density lipoproteins) restant à établir définitivement. Des cellules biliaires en culture primaire isolées à partir de vésicules biliaires peuvent également être infectées ; le taux de réplication virale restant très faible, ce modèle est essentiellement intéressant, du fait de la facilité d’obtention du matériel, pour la détection d’anticorps neutralisants. La transmission expérimentale du VHC n’a jusqu’à présent été obtenue de façon reproductible et efficace que chez le chimpanzé, limitant de façon majeure la possibilité d’expérimentation in vivo. Des avancées intéressantes ont été cependant récemment obtenues dans des modèles in vivo de régénération hépatique chez la souris (par exemple la souris UPA, urokinase-like plasminogen activator), démontrant la possibilité de prolifération d’hépatocytes humains dans le foie de souris uPAxSCID (severe combined immunodeficient) ou uPAxRAG-2−/− et l’infection in vivo par le VHC de ces hépatocytes.

Les protéines du VHC interagissent avec les voies de signalisation cellulaire

L’étude de la pathogénie de l’infection à VHC a permis, grâce à l’association à la virologie moléculaire de la biologie cellulaire, de disséquer les nombreuses interactions entre les différentes protéines virales et les voies de signalisation cellulaires.

L’expression de la polyprotéine du VHC et de certains de ses produits de clivage (NS5A, capside - nos résultats récents) inhibe la signalisation induite par l’interféron , bien que les mécanismes impliqués (et en particulier les interactions avec la protéine kinase activée par l’ARN double brin : PKR) restent discutés, ces interactions pouvant modifier à la fois les propriétés antivirales et antiprolifératives de l’interféron. Le virus de l’hépatite C interagit également de façon spectaculaire avec le métabolisme lipidique hépatique : une fraction des particules virales sériques est associée à des lipoprotéines et cette association pourrait influencer la réponse immune au virus et l’infectiosité virale ; l’expression de la capside VHC inhibe la sécrétion des VLDL (very low density lipoproteins) et reproduit in vitro et in vivo la stéatose hépatique très fréquemment observée chez les patients infectés par le VHC, stéatose qui pourrait constituer un facteur de risque pour la fibrose hépatique ; des interactions entre la capside VHC et l’apolipoprotéine All pourraient enfin moduler une sécrétion de la capside dans le sérum des patients infectés et, par l’intermédiaire de cette sécrétion, la réponse immune au virus. La protéine d’enveloppe E2 interagit avec la tétraspanine CD81 et cette interaction pourrait moduler la prolifération lymphocytaire. Plusieurs autres exemples pourraient être cités, le point essentiel restant maintenant la nécessité d’étayer ces résultats par des expériences reproduisant de façon plus stricte la situation observée in vivo (niveau d’expression, expression des protéines testées dans un contexte de réplication virale en particulier).

L’incidence du cancer du foie est en augmentation importante

Une augmentation très importante de l’incidence du cancer primitif du foie est déjà observée actuellement et des données de modélisations prédisent une poursuite de cette augmentation dans les vingt années à venir. Du fait des difficultés majeures du dépistage précoce et du traitement de ce cancer, la compréhension des mécanismes en cause et la définition de nouvelles cibles thérapeutiques sont essentielles ; la cirrhose, associée au cancer dans environ 90 % des foies tumoraux joue, comme dans d’autres formes de cancer du foie associés au VHB ou à l’alcool, un rôle majeur ; la compréhension des mécanismes de la fibrogenèse hépatique est donc un point essentiel des études à venir, disséquant les facteurs réglant, dans la cellule et la matrice extracellulaire, l’équilibre entre des facteurs « pro- » et « antifibrosants ». Des données moléculaires récentes montrent cependant des profils d’altérations chromosomiques distincts dans les tumeurs associées au VHB ou au VHC ; les profils d’expression génique, analysés par des premières études de transcriptome, semblent également différents ; ces observations suggèrent l’existence de mécanismes propres à la carcinogenèse hépatique due au VHB et au VHC ; des protéines du VHC, comme la capside et les protéines non structurales NS3 et NS5, pourraient directement moduler la prolifération et la viabilité hépatocytaires mais l’identification précise des « cibles »reste à réaliser.

Le développement d’un vaccin préventif et, possiblement, thérapeutique, contre le VHC est un enjeu majeur

Les progrès obtenus dans le domaine de l’immunopathologie permettent de mieux cerner les bases de ce vaccin. L’infection chronique à VHC est associée à une réponse immune cellulaire anormale, caractérisée en particulier par une sécrétion diminuée d’interféron γ par les lymphocytes CD8+ et une réduction de l’activité helper des cellules CD4+. Des données obtenues chez le chimpanzé montrent la possibilité d’obtenir, au moins dans certaines conditions expérimentales, une protection partielle après une infection VHC ; ces résultats sont encourageants mais la possibilité d’obtenir une protection réelle après immunisation avec des protéines d’enveloppe virale ou d’autres protéines VHC reste à démontrer. L’infection par le VHC des cellules mononucléées circulantes et de cellules dendritiques joue un rôle de « réservoir », favorisant la persistance du virus et, possiblement, la sélection de certaines quasi-espèces ; elle pourrait également modifier la qualité de la réponse immune au virus. Le suivi des cohortes de patients qui se mettent en place dans le cadre des essais thérapeutiques devrait avoir un impact important sur l’évolution des connaissances dans ce domaine de l’immunopathologie. L’importance des co-infections entre le VHC et d’autres infections virales, en premier lieu le VIH et le VHB, est maintenant reconnue ; la co-infection VHC-VIH, particulièrement fréquente en cas de toxicomanie par voie intraveineuse, aggrave fréquemment les lésions hépatiques dues au VHC ; l’analyse précise des influences réciproques de ces infections et la définition de traitements adaptés sont des enjeux majeurs dans le contexte des améliorations thérapeutiques de l’infection à VIH. La forte prévalence des co-infections VHC-VHB, incluant des infections à VHB qui ne sont pas identifiées sur la seule sérologie VHB mais par la recherche de l’ADN viral, est également reconnue ; ces co-infections peuvent conduire à une aggravation des lésions hépatiques et à une moins bonne réponse au traitement antiviral.

En conclusion

Le VHC illustre parfaitement la diversité des questions posées par l’identification, il y a « seulement » 14 ans d’un nouveau virus. Le problème de santé publique est évident et impose de nombreuses mesures (coûteuses !) concernant son dépistage, sa prévention, ainsi que sa prise en charge juridique (indemnisation ?). Les connaissances sur la pathogénie de l’infection VHC progressent de façon rapide et sont l’objet d’une compétition internationale exacerbée par les enjeux commerciaux ouverts par la diffusion mondiale de ce virus. La définition au niveau français d’une politique de recherche ciblée et coordonnée sur ce thème a été une revendication forte de la communauté scientifique ; les différentes « questions » scientifiques évoquées dans cet éditorial et les articles consacrés au VHC dans ce numéro de médecine/ sciences forment la base de l’action de l’Inserm dans ce domaine : l’Inserm assure un fort soutien, d’environ 5 millions d’€ au total par an, aux équipes travaillant sur ce thème, incluant 3 millions d’€ de salaires ; ce soutien sera renforcé dès cette année : le « réseau VHC » mis en place par le ministère de la Recherche au cours des années précédentes sera poursuivi par l’organisation par l’Inserm d’une action thématique concertée sur le VHC qui permettra de développer une recherche centrée en particulier sur la réplication du VHC, le développement d’un vaccin et, en coordination avec l’ARC, la carcinogenèse hépatique induite par le VHC. La coordination effective des actions de l’ANRS et de l’Inserm devrait permettre de mieux soutenir cette thématique, ces efforts ne pouvant cependant être efficaces que si cette communauté scientifique sait s’ouvrir sur l’ensemble de la recherche en France (incluant le milieu industriel) pour se renforcer et définir des voies de recherche originales et compétitives.