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Med Sci (Paris). 2002 March; 18(3): 315–324.
Published online 2002 March 15. doi: 10.1051/medsci/2002183315.

Épidémiologie de l’hépatite C

Françoise Roudot-Thoraval*

Service de Santé Publique, Hôpital Henri Mondor, 51, avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 94010 Créteil Cedex, France
 

Depuis l’introduction des tests de dépistage du virus de l’hépatite C (VHC), un grand nombre de données sur l’épidémiologie du VHC ont été acquises. Ainsi, on estime qu’environ 3 % de la population mondiale, soit 170 millions d’individus, sont infectés par le VHC [1]. En Europe, il existe un gradient nord-sud de la prévalence des anticorps anti-VHC allant de 0,5 % dans les pays du Nord, à près de 2 % dans les pays du pourtour méditerranéen. La France se situe à des taux intermédiaires. Outre l’estimation de la prévalence de l’infection, la surveillance de cette infection depuis 1990 a permis d’observer l’évolution des caractéristiques des nouveaux cas dia-gnostiqués et les modifications de l’épidémiologie liées notamment aux différentes mesures prises pour combattre l’infection. Cependant, si le pic de l’épidémie virale C est maintenant passé, il reste à faire face, à moyen terme, à ses complications : cirrhoses et cancers, dont l’incidence risque encore d’augmenter dans les 10 à 20 prochaines années. En nous limitant à la France, nous envisagerons successivement les données de prévalence de l’infection, les facteurs de risque d’infection par le VHC et leur rôle respectif dans le développement et la persistance de l’épidémie, et l’évolution des caractéristiques des patients diagnostiqués. Nous présenterons ensuite une estimation des cas incidents actuels en terme de fréquence et de modes de contamination. Nous envisagerons enfin les mesures qu’il est important de prendre sur le plan épidémiologique, notamment pour améliorer le dépistage de l’infection et développer les mesures de prévention.

La prévalence de l’infection virale C en France

Elle a été estimée à 1,1 % à partir de différentes sources de données obtenues en 1994 : échantillon d’assurés sociaux volontaires pour effectuer un examen de santé dans la région Centre, échantillon de femmes ayant terminé une grossesse dans les régions Île-de-France et Provence-Alpes-Côte-d’Azur, échantillon de sujets candidats à une transfusion autologue. Ainsi, il a été communément admis que 500 000 à 650 000 individus adultes résidant en France avaient des anticorps anti-VHC et que 80 % étaient virémiques [24]. Cependant, moins de 20 % des sujets connaissaient leur statut sérologique, les 80 % restants constituant le « réservoir » de sujets à dépister. Aucune étude nationale n’a été menée depuis 1994 et, compte tenu de l’aspect dynamique de l’infection, il n’est pas possible aujourd’hui d’estimer le nombre de malades infectés par le virus C (prévalence de l’infection), la proportion de malades connaissant leur statut sérologique et ceux restant à dépister, la proportion de malades réellement pris en charge pour leur infection. L’aspect dynamique de l’épidémie est lié à différents facteurs. D’un côté, il existe depuis une dizaine d’années une diminution du nombre de nouveaux cas d’infection (baisse de l’incidence), ainsi que la disparition d’un nombre non négligeable de malades, décédés avant le diagnostic d’infection à VHC, soit de leur infection, soit d’autres causes (taux de mortalité en France > 1 % audelà de 55 ans). D’un autre côté, un nombre croissant de malades est diagnostiqué, en raison du développement des stratégies de dépistage et de leur efficacité.

Les facteurs de risque de l’infection par le VHC

Il est bien établi que la transmission du VHC est essentiellement parentérale, résultant de la mise en contact direct du sang d’un sujet indemne avec le sang d’un sujet infecté.

La transfusion de produits sanguins
Elle a été la première cause reconnue et a joué un rôle majeur dans la diffusion de l’infection jusqu’en 1990 [5, 6]. Les dix dernières années ont été marquées par une diminution progressive du risque d’hépatite post-transfusionnelle en rapport avec différents facteurs : (1) l’introduction d’étapes d’inactivation virale dans la préparation des fractions coagulantes (1987) [7], puis des poches de plasma frais congelé (1992) ; (2) un ensemble de mesures prises pour l’éviction des dons du sang à risque (Figure 1) : élimination des unités de sang ayant une valeur d’alanine aminotransférase (ALAT) supérieure à deux fois la normale et contenant des anticorps anti-HBc (1988), élimination des unités de sang contenant des anticorps anti-VHC par les tests de première génération (mars 1990) puis de deuxième génération (mars 1991), éviction des donneurs dont la valeur d’ALAT est strictement supérieure à la normale (1992), utilisation des tests anti-VHC de troisième génération (1993) et sélection clinique stricte des donneurs, allant jusqu’à éliminer du don du sang tout sujet ayant des antécédents transfusionnels ou ayant eu une endoscopie dans les six mois précédant le don du sang (1997). Toutes ces mesures ont permis de considérablement réduire le risque. Pour les produits labiles, le risque résiduel actuel est lié à la transfusion d’un sang qui aurait été prélevé pendant la période de silence sérologique précédant la séroconversion. Ce risque résiduel de transmission du VHC était estimé en France à la fin de 1999 à 1 pour 515 000 dons (IC95 % = 1/200 000 à 1/1 600 000) [8], correspondant à la survenue d’environ 5 hépatites post-transfusionnelles par an. La mise en place, au 1er juillet 2001, du dépistage génomique viral systématique pour tout don du sang, s’il n’est pas coût-efficace [9], devrait encore réduire le risque résiduel de transmission par transfusion du VHC.
La toxicomanie intraveineuse
Ce mode de contamination s’est développé à la fin des années 1960 dans une population jeune à prédominance masculine [10]. La pratique de partage des seringues était le plus souvent la règle avant l’épidémie de VIH (virus de l’immunodéficience humaine), expliquant la forte séroprévalence du VHC chez les anciens usagers de drogue, estimée entre 50 % et 80 % [11]. Ces derniers ont d’ailleurs souvent été dépistés fortuitement lors d’un don du sang. Malgré la prise de conscience du risque viral lié à l’épidémie VIH et l’autorisation de vente libre des seringues en pharmacie dès 1987, le risque de contamination par toxicomanie n’a pas diminué aussi vite que le risque d’infection par le VIH. Sa persistance pourrait être liée au partage de seringues lors des premières injections ou à l’occasion d’une incarcération [12], ou plus tard au partage du petit matériel nécessaire aux injections (filtre, cuillère). La contagiosité du VHC, plus forte que celle du VIH, et sa résistance en dehors du milieu biologique peut expliquer cette importante contamination résiduelle. La mise à disposition récente de nouveaux kits Stéribox® comportant également un petit matériel de préparation stérile pourrait permettre une diminution de la transmission entre usagers de drogue. Une étude anglaise récente [13] montre que la séroprévalence du VHC a fortement diminué depuis la mise en place de programmes de réduction des risques, se situant globalement à 30 % avec, chez les usagers britanniques récents (moins de 3 ans), une prévalence du VHC de moins de 10 %.

Les résultats ne sont pas aussi encourageants en France : différentes enquêtes montraient en 1998 une prévalence qui variait de 40 % à 60 % selon les régions [14]. Par ailleurs, des estimations récentes qui chiffrent à 150 000 les usagers de drogues susceptibles, à un moment, d’utiliser la voie intraveineuse, établissent que chaque jour, 12 jeunes français utilisent pour la première fois la voie injectable et 10 sujets se contaminent ainsi par le VHC. Cela correspondrait à une incidence annuelle d’environ 3 600 nouveaux cas en rapport avec la toxicomanie [15]. La diffusion du VHC semble également possible chez les toxicomanes n’utilisant pas la voie intraveineuse, mais la voie intranasale. Le partage de la paille utilisée pour « sniffer », associé à l’existence de lésions de la muqueuse nasale, pourrait expliquer ce mode de contamination [16].

La contamination nosocomiale
Le rôle joué par la contamination nosocomiale est difficile à évaluer. Concernant la transfusion de sang ou d’autres produits sanguins, un tel antécédent peut être méconnu des malades, qu’il s’agisse de transfusions per-opératoires ou de perfusions de plasma lors de procédures de réanimation. En dehors des cas post-transfusionnels, la contamination nosocomiale relève essentiellement de l’utilisation de matériel mal désinfecté. Le risque de transmission de malade à malade, par l’intermédiaire d’objets souillés, a été bien démontré dans les centres d’hémodialyse chez des malades non transfusés [17, 18]. Il a été évoqué [19] puis démontré récemment [20] pour les endoscopies digestives avec biopsie ; enfin, il a été démontré à l’occasion de l’utilisation inadéquate d’autopiqueurs pour dosage de la glycémie [21]. Le mode de contamination nosocomiale a pu être très fréquent dans les années 1950 à 1970, à une époque où les injections ou les actes chirurgicaux se faisaient avec du matériel non jetable et seulement stérilisé par chauffage et où les vaccinations pouvaient être faites « à la chaîne ». Une possible contamination après exposition nosocomiale est habituellement notée chez environ 20 % des malades pris en charge en milieu spécialisé [10]. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les malades ayant eu un risque d’infection nosocomiale, ou ayant un mode de contamination inconnu, ont des caractéristiques démographiques, cliniques et virologiques similaires à celles des malades contaminés à la même époque par transfusion [22]. Des études castémoins effectuées dans plusieurs régions de France dans la population générale montre le rôle possible des contaminations nosocomiales en rapportant une fréquence plus grande d’an técédents de certains actes médicaux ou chirurgicaux chez les sujets positifs pour le VHC que chez les témoins négatifs [23, 24], tels que : endoscopies digestives, chirurgie urologique, fausses couches et interruption volontaire de grossesse, etc. De façon plus précise, une étude italienne [25] montre le rôle possible des injections effectuées avant 1975, c’est-à-dire avant la diffusion en Italie des seringues à usage unique. En France, l’abandon des seringues en verre s’est fait pour les hôpitaux au début des années 1970, bien qu’elles soient restées utilisées encore plus de 10 ans pour les prélèvements artériels. Aujourd’hui, un meilleur respect des règles universelles d’hygiène et des recommandations de désinfection du matériel médical non jetable et le développement du matériel à usage unique devraient permettre à terme une quasi-disparition de ce type de risque nosocomial. A côté de la transmission de malade à malade, d’exceptionnels cas de transmission de médecin à malade ont été rapportés, à l’occasion d’interventions chirurgicales sanglantes [26].
Les autres modes de transmission
L’exposition professionnelle L’exposition professionnelle, liée à une blessure accidentelle avec du matériel souillé, apparaît comme un mode de transmission mineur du VHC. Estimé habituellement entre 3 % et 5 %, le risque de contamination après accident exposant au sang pourrait atteindre 10 % quand le sujet source de l’infection a une virémie très élevée [27]. Cependant, la prévalence des anticorps anti-VHC chez les professionnels de santé n’est pas différente de celle de la population générale [28]. La diminution des hépatites C d’origine professionnelle passe par trois facteurs : (1) une diminution du risque, notamment par éviction des gestes à risque (proscription des manœuvres de recapuchonnage, utilisation de conteneurs pour aiguilles usagées et de matériel sécuritaire à usage unique) ; (2) respect des recommandations lors d’un accident avec exposition au sang (nettoyage de la blessure, déclaration, surveillance) ; (3) traitement précoce des hépatites aiguës virales C limitant le risque de passage à la chronicité [29]. En fait, le respect des recommandations apparaît un élément primordial puisque le suivi des accidents exposant au sang d’un « patient source » VHC positif effectué depuis plusieurs années dans les hôpitaux de l’Assistance Publique de Paris et les hospices civils de Marseille montre un taux de séroconversion de 0 % [30].
La transmission familiale La transmission familiale du VHC correspond en fait à trois différents modes mineurs de contamination. (1) La transmission entre partenaires sexuels a été initialement évoquée devant la constatation d’une séroprévalence plus élevée chez les partenaires de sujets séropositifs que dans la population de donneurs de sang. Ces études de séroprévalence transversale permettent difficilement d’affirmer que la transmission du VHC est réellement sexuelle, par l’intermédiaire des sécrétions biologiques. En effet, si l’ARN du VHC a été mis en évidence dans le sang menstruel des femmes infectées, il n’a pas été trouvé dans les sécrétions vaginales et sa présence dans le sperme est inconstante ; quand elle est retrouvée, c’est à des concentrations 10 à 100 fois plus faibles que dans le plasma. La séropositivité des partenaires pourrait être le fait d’un facteur de risque commun au couple ou du partage d’objets de toilette contaminés. (2) La transmission entre sujets vivant sous le même toit pourrait être également lié au partage d’objets de toilette responsables de petites plaies et être favorisée par une promiscuité forte et des conditions d’hygiène défectueuses. (3) La transmission mère-enfant a été bien démontrée. Sur l’ensemble des séries européennes publiées, le risque de transmission est faible ; il a été estimé à 5 % en l’absence de co-infection par le VIH, mais pourrait atteindre 10 % si l’on ne prend en compte que les mères virémiques. Ce risque est beaucoup plus élevé (20 % à 30 %) quand les mères sont co-infectées par le VIH. La transmission du VHC dans ce cas est indépendante de celle du VIH. La contamination du nouveau-né semble notamment liée à l’importance de la charge virale chez la mère et survenir le plus souvent au moment de la naissance. Elle pourrait être favorisée par l’utilisation de forceps au cours des accouchements longs et difficiles [31] mais pourrait diminuer au contraire en cas de césarienne programmée [32], les études étant encore insuffisantes pour recommander la pratique systématique d’une césarienne. L’allaitement n’apparaît pas comme un risque supplémentaire de transmission du VHC et n’est donc pas contre-indiqué.
Les co-infections par le VHC et le VIH
De par leur voie de transmission commune, la co-infection par le VHC et le VIH est fréquente ; une infection par le VHC touche ainsi 10 % à 30 % des sujets infectés par le VIH. Si l’infection virale C ne semble pas avoir d’influence sur la progression de l’infection VIH, à l’inverse, l’infection VIH a un effet néfaste sur l’infection VHC. Une augmentation de la réplication du VHC et donc de la charge virale C est habituelle, pouvant rendre compte d’une plus fréquente transmission mère enfant ou sexuelle du VHC. Par ailleurs, on observe une sévérité accrue des lésions hépatiques avec une évolution plus fréquente et plus rapide vers la cirrhose que chez les malades non co-infectés par le VIH. Les thérapies anti-VIH (anti-protéases) peuvent également être responsables d’une hépatotoxicité parfois sévère, sans avoir d’efficacité sur le VHC. Enfin, le traitement anti-VHC est souvent moins efficace chez ces malades [33].
Des modes de transmission encore non identifiés
Dans environ 20 % des cas, le mécanisme de transmission du VHC demeure inconnu. Plusieurs hypothèses peuvent être émises : (1) un facteur de risque dissimulé par le malade (toxicomanie) ; (2) un facteur de risque méconnu ou oublié (transfusion) ; (3) une transmission percutanée méconnue, qu’il s’agisse de soins médicaux ou dentaires anciens, de pratiques telles que les vaccinations de masse ou les scarifications rituelles dans les pays à forte prévalence du VHC, ou autres modes anecdotiques (barbier, rixe)  ; (4) un mode de transmission non encore identifié, que la multiplicité des études épidémiologiques rend de plus en plus improbable. Ces modes de transmission inconnus posent problème pour le dépistage de l’infection virale C.
Modes résiduels de transmission du VHC
Finalement, quels sont actuellement les modes de transmission du VHC ? On l’a vu, les hépatites post-transfusionnelles sont devenues exceptionnelles ; depuis longtemps, en dehors de fautes de désinfection, le développement du matériel à usage unique et une meilleure connaissance des modalités de stérilisation du matériel médicochirurgical ont contribué à fortement réduire le risque nosocomial. La transmission mère-enfant, pour laquelle il n’existe pas de prévention, ne représente que quelques centaines de nouveaux cas par an, et ne conduit à une infection chronique chez l’enfant que dans 60 % des cas environ [34]. A l’inverse, comme il a été vu plus haut, la contamination en rapport avec l’utilisation intraveineuse de drogues n’a probablement pas diminué en valeur absolue. L’étude des donneurs de sang récemment infectés (séroconversion entre deux dons) et interrogés sur la période 1997-1999 relève les facteurs de risque potentiels suivants : usage de drogue par voie intraveineuse : 21 % ; endoscopie : 10 % ; petite chirurgie sans transfusion : 24 % ; exposition professionnelle : 3 % ; partenaire VHC positif : 16 % ; pas de facteur identifié : 26 % [8]. Ces facteurs de risque potentiels mériteraient d’être authentifiés par l’étude d’un groupe témoin de donneurs de sang appariés et non infectés par le VHC.
Relation entre la source présumée d’infection et le génotype du VHC
Il est bien établi que les six principaux génotypes du VHC ont une répartition géographique qui leur sont propres. Ainsi, en Europe de l’Ouest, et notamment en France, le génotype le plus prévalent est le génotype 1 (1b et 1a), suivi du génotype 3 et du génotype 2. Cependant, il a également été montré une forte relation entre le mode présumé de contamination et les génotypes [22, 35] : le génotype 3 et, dans une moindre mesure, le génotype 1a sont plus fréquents chez les sujets contaminés par toxicomanie, tandis que le génotype 1b, et, dans une moindre mesure, le génotype 2 sont rencontrés chez les malades transfusés (Figure 2). L’étude des génotypes nous permet également de suivre l’épidémie virale C et la répartition des modes de contamination au cours du temps. On observe ainsi, chez les malades contaminés plus récemment, une diminution des génotypes 1b et 2, au profit des génotypes 3 et 1a et, plus récemment, du génotype 4 lié à l’immigration africaine et la diffusion dans des groupes de toxicomanes (Figure 3) ([35] et données complémentaires non publiées de l’étude du Groupe d’Études Moléculaires des Hépatites-GEMHEP). L’étude des génotypes constitue ainsi un moyen de surveillance des populations. L’étude plus précise des souches virales et de leur lien phylogénique permet d’établir des preuves moléculaires de transmission, notamment nosocomiale [20].
Évolution de l’épidémiologie des infections liées au VHC

Dans les premières années qui suivirent la mise à disposition des tests de dépistage des anticorps anti-VHC, le diagnostic d’hépatite C a été porté prioritairement chez des malades symptomatiques ou ayant des transaminases élevées et moins souvent à l’occasion d’un don du sang. A partir de 1996, les incitations au dépistage émanant de la Direction Générale de la Santé ont conduit à une modification de la connaissance de l’épidémiologie des infections à VHC. Dans les différentes régions de France où des données sont disponibles, le diagnostic d’infection à VHC se fait de plus en plus fréquemment en médecine de ville, par un dépistage orienté sur l’existence de facteurs de risque. Les résultats des enquêtes de dépistage montrent que la prévalence des anticorps anti-VHC dans les populations testées en raison de l’existence de facteurs de risque varie de 3 % à 7 % selon les régions, supérieure à la prévalence de 1 % de la population générale (Tableau I). Le dépistage concerne aujourd’hui des sujets plus souvent asymptomatiques, chez lesquels les fréquences relatives des différents facteurs de risque de contamination sont probablement plus représentatives de la réalité. On observe en effet une diminution des hépatites post-transfusionnelles nouvellement prises en charge (actuellement 25 % à 30 % de l’ensemble des cas), et une augmentation des hépatites secondaires à la toxicomanie qui représentent maintenant le mode principal de contamination (35 % à 45 %), surtout chez les hommes (Figure 4). Il est également important de noter que les lésions hépatiques au moment de la prise en charge apparaissent moins sévères, comme en témoigne la diminution de la fréquence des cirrhoses qui est d’environ 10 % aujourd’hui parmi les malades ayant eu une biopsie contre 20 % au début des années 1990 [10]. La fréquence moindre des cirrhoses ne semble pas liée à un diagnostic plus précoce, celui-ci se faisant toujours en moyenne 10 ans ou plus après l’exposition au VHC. Le nombre de nouveaux malades diagnostiqués (ou pris en charge en milieu hospitalier) semble en augmentation. Les résultats de l’enquête nationale « une semaine donnée » [36] permettent d’estimer les nouveaux cas diagnostiqués à environ 15 000 à 18 000 par an. Ces résultats sont concordants avec les extrapolations que l’on peut faire à partir des données des registres d’hépatite C (Bourgogne, Franche-Comté), montrant qu’il existe environ 25 à 30 nouveaux cas diagnostiqués par an pour 100 000 habitants [37].

L’incidence de l’infection par le VHC actuellement en France

L’incidence réelle de l’infection par le VHC est bien différente de celle des nouveaux cas diagnostiqués. Elle correspond aux nouvelles contaminations, authentifiées par la mise en évidence d’une séroconversion. Les modes possibles de contamination sont, comme nous l’avons vu plus haut, principalement la toxicomanie et rarement les accidents professionnels avec exposition au sang. Un risque nosocomial ne peut être éliminé, mais sa mesure est impossible. L’incidence actuelle de l’infection est difficile à connaître avec précision. Une approche de cette incidence a été en partie faite à partir des séroconversions observées chez des donneurs de sang réguliers ; son estimation à partir des données de 1994 à 1996 serait au minimum de 1 000 nouveaux cas pour 3 ans dans la population des 20-64 ans [38]. Plus intéressante est l’estimation faite dans la population de toxicomanes. Comme il a été dit plus haut, il pourrait survenir en France 10 nouvelles séroconversions par jour chez des toxicomanes [15]. Ainsi, l’incidence de l’hépatite C en France pourrait être actuellement d’environ 5 000 cas par an, dont plus de 70% chez des toxicomanes. Ces hypothèses sont toutefois difficiles à vérifier en l’absence de données - même fragmentaires - disponibles.

Comment améliorer le dépistage ? Quelles mesures de prévention prendre ?
Comment améliorer le dépistage ?
Le dépistage de l’hépatite C reste aujourd’hui tout à fait justifié : l’infection a une prévalence élevée et une morbidité potentielle avérée ; son dépistage repose sur un test fiable et acceptable ; son évolution vers une forme grave peut être prévenue par des mesures diététiques (arrêt de la consommation d’alcool) et par l’institution d’un traitement anti-viral dont l’efficacité pourrait atteindre 50 % dans ses modalités les plus récentes. Depuis la conférence de consensus française de 1997, le dépistage recommandé est un dépistage ciblé, sur facteurs de risque majeurs [39]. Cependant, malgré la mise en place de réseaux hépatite C et la diffusion large de l’information sur la maladie, une certaine proportion d’individus, estimée à 30 % ou 40 % des sujets porteurs d’anticorps anti-VHC, est encore ignorante de son statut sérologique. Pour lutter contre ce déficit de diagnostic, un plan national de lutte contre l’hépatite C a été lancé courant 2001. Parallèlement, des recommandations actualisées de dépistage ont été émises par un comité d’experts réunis par l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation des Soins (ANAES). Il a rappelé le bien-fondé d’un dépistage ciblé sur les sujets exposés à des actes médicaux ou ayant des comportements à risque de contamination élevé et, dans une moindre mesure, sur des sujets ayant un facteur d’exposition avec un risque non quantifié ou faible [40]. Ce dépistage reposera non seulement sur les médecins généralistes mais aussi sur certains spécialistes : gynécologues, anesthésistes, pédiatres. L’action de ces professionnels devra être renforcée par des campagnes grand public invitant les sujets à risque identifié à se faire dépister.
Mesures de prévention
Elles doivent correspondre aux hypothèses raisonnables qui sont faites sur les cas incidents actuels. Il est très probable que l’usage intraveineux de drogues représente aujourd’hui la cause la plus fréquente des nouveaux cas de séroconversion. Les actions prioritaires doivent donc être dirigées vers cette pratique. C’est dans les premières années de l’usage de drogues par voie veineuse que le risque de contamination par le VHC est le plus important [11, 15]. C’est également pendant cette période qu’il y a encore peu de recours aux soins et donc d’accession à l’information, à la prévention et au dépistage. L’information sur les risques doit donc se faire en amont et notamment dans les pharmacies, lieux de passage obligatoires pour acheter seringues ou Stéribox®, ainsi que dans les lieux fréquentés par les usagers actuels ou potentiels. L’incarcération ou la détention préventive sont également des risques potentiels pour le toxicomane, qu’il est important de prendre en compte dans la politique de réduction des risques dans les établissements pénitentiaires (un jour donné 10 000 sujets présents dans les maisons d’arrêt en France sont toxicomanes [15]). Ces périodes de détention pourraient être utilisés pour des actions de dépistage, d’information, mais également de prise en charge médicale et psychologique [12].

Parmi les autres modes de contamination existant aujourd’hui, on ne peut éliminer le risque nosocomial. Comme il a été dit, il est extrêmement difficile d’appréhender et de mesurer ce risque aujourd’hui. Une attitude pragmatique visant à limiter ce risque apparaît plus appropriée : (1) favoriser le développement de l’utilisation de matériel à usage unique quand il existe (pinces à biopsie) ; (2) poursuivre les recherches et l’évaluation de nouvelles modalités de désinfection du matériel médical, mieux adaptées aux contraintes de l’organisation des soins ; (3) améliorer l’information sur les risques nosocomiaux et la nécessité du respect des précautions universelles pour améliorer l’éducation non seulement des personnels de santé, mais également du public devant subir des gestes à risque, pour le sensibiliser à l’utilisation de matériel à usage unique ou personnel (acupunture, soins dentaires, piercing, coiffeurs, etc).

Conclusions

Si l’on peut raisonnablement penser que le pic de l’épidémie à VHC est passé, nous avons encore à dépister et à prendre en charge un très grand nombre de malades infectés avant 1990. La poursuite des enquêtes menées au sein des réseaux permettra de mieux prévoir les besoins pour les prochaines années en termes de traitements anti-viraux, de prise en charge des complications des cirrhoses (incluant les cancers) et de transplantation hépatique. Par ailleurs, des efforts de prévention doivent être faits en direction des populations les plus à risque de nouvelles infections, notamment les usagers de drogues.

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