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Med Sci (Paris). 2002 May; 18(5): 517–518.
Published online 2002 May 15. doi: 10.1051/medsci/2002185517.

Adieu Betty

Axel Kahn*

Institut Cochin, IFR 116, 22, rue Méchain, 75014 Paris, France
 

C’est au début de l’année 1992 que, confronté aux succès de notre revue médecine/sciences, la nécessité m’apparut d’être secondé par un adjoint. Je m’en ouvris à Hubert Curien, Ministre de la Recherche, qui demanda à l’Inserm s’il était possible de détacher un de ses agents dans cette fonction. Philippe Lazar, Directeur Général de l’Inserm, me proposa de faire un appel d’offres aux chercheurs de l’organisme, notamment dans les colonnes d’Inserm actualités. Hubert Curien et Philippe Lazar confirmaient ainsi leur soutien indéfectible à médecine/sciences qu’ils avaient l’un et l’autre contribué à porter sur les fonds baptismaux. De plus, le Directeur de l’Inserm expliquait souvent l’importance pour des chercheurs de considérer les deux aspects de leurs activités, l’analyse primaire des phénomènes biologiques en rapport avec la santé humaine, mais aussi la synthèse, la mise en perspective et la diffusion des informations. Il était souhaitable, pensait Philippe Lazar, que des chercheurs s’étant épanouis dans le premier type d’activités puissent ensuite profiter de leur expérience pour se consacrer au second. Près d’une dizaine de collègues répondirent à l’appel d’offres. Je les reçus tous longuement et c’est à Elisabeth Bursaux que je proposais finalement de travailler avec moi. Les lecteurs de m/s virent son nom apparaître dans l’ours de la revue à l’été 1993. Le choix d’Elisabeth Bursaux devait se révéler l’un des meilleurs que j’ai jamais fait : Elisabeth Bursaux apporta beaucoup à médecine/sciences, ce qu’elle savait, ce qu’elle savait faire, ce qu’elle voulait et ce qu’elle était.

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Elisabeth Bursaux, Directeur de recherche, était médecin et docteur ès-sciences. C’est au terme de ses thèses et d’un séjour post-doctoral aux États-Unis qu’elle rejoint l’Inserm en 1971. Biochimiste et physiologiste, elle travaille jusqu’en 1993 dans l’unité de Claude Poyart, s’intéressant, en particulier, aux échangeurs ioniques de la membrane cellulaire, notamment le canal anionique de la membrane du globule rouge (voir encadré). Son œuvre scientifique était conséquente, la poursuite de sa carrière de recherche assurée, sa position au sein de l’organisme bien établie. Elle avait été promue au grade de Directeur de recherche en 1990. Cependant, Elisabeth m’expliqua qu’à l’approche de la cinquantaine, le moment était bien choisi pour elle de tenter une reconversion dans la continuité, c’est-à-dire de passer de la recherche primaire à la synthèse et à la diffusion des connaissances. De plus, Elisabeth possédait au plus haut point deux autres qualités la prédisposant à cette nouvelle activité. Femme de culture, grande lectrice, elle avait un réel amour du mot, de la phrase, de l’écrit. Femme de cœur et d’engagement, militante syndicale, elle appréciait le contact, l’échange. A ce titre, elle accordait tout son prix aux efforts destinés à augmenter l’intelligibilité des messages, témoignage du souci que l’on a de tous ceux auxquels ils sont destinés. En bref, Elisabeth Bursaux avait a priori toutes les qualités nécessaires pour s’engager dans l’aventure médecine/sciences. A posteriori, ce qu’elle nous apporta dépassa toutes mes espérances. Elisabeth s’occupa bientôt de la partie magazine de notre revue, qu’elle enrichit de ses propres contributions, toujours remarquablement informées et lumineuses. Forte de sa connaissance de la communauté scientifique, de sa culture et des ressources de sa propre personnalité, elle sut développer et animer le large réseau international des amis de médecine/sciences, scientifiques de talent et collaborateurs occasionnels. C’est avec une exceptionnelle lucidité qu’elle put mettre l’accent sur des thématiques émergentes éloignées de son propre investissement scientifique, contribuant ainsi à asseoir l’équilibre des sujets abordés, entre médecine et sciences, de la biologie plus ou moins fondamentale à ses implications physiopathologiques et à ses applications cliniques et thérapeutiques, en n’omettant pas, chaque fois que nécessaire, de faire un détour par l’épidémiologie, l’économie de la santé et ses aspects sociaux et moraux.

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Le style donne de l’éclat au texte et dit beaucoup des personnes. Celui d’Elisabeth Bursaux était vif, précis, tout entier mobilisé au service du message qu’il mettait en valeur. Ainsi était la femme, rude et chaleureuse, franche et généreuse, rebelle à toute démarche courtisane, mais ayant à offrir des trésors de dévouement et d’amitié à qui elle estimait et savait le mériter.

En 1999, c’est dans une nouvelle aventure que se lança Elisabeth, rejoignant le service « Médecine » du journal Le Monde. Tous ceux qui ont lu ses dossiers du samedi y ont retrouvé ses qualités rédactionnelles et d’exposition telles qu’elles s’étaient révélées aux lecteurs de médecine/sciences, la tâche étant encore compliquée ici par la nécessité d’une vulgarisation pour un plus large public. Je sais qu’Elisabeth était profondément heureuse de ses nouvelles fonctions, mais aussi de sa vie de famille, de ses enfants Sarah, Marion et Armel ; de ses petits-enfants, Laure et Pierre… C’est alors que survint l’annonce de sa maladie. Elle y fit face avec clairvoyance, courage et détermination à demeurer, tant que cela fut possible, ouverte au monde, aux siens, à tout ce à quoi elle s’était intéressée, à tous ses amis. Pour les collègues et partenaires de son activité syndicale, elle était Betty, jeune militante ardente et engagée. Ces qualités là, nous avons tous pu en bénéficier par la suite, et en fûmes certainement enrichis. Pour tout ce que tu as fait, pour ce que tu fus, au nom de tous tes amis, de tous tes lecteurs, merci, Betty