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Med Sci (Paris). 2002 May; 18(5): 523.
Published online 2002 May 15. doi: 10.1051/medsci/2002185523.

Stress

Robert Barouki*

Inserm U.490, Toxicologie moléculaire, Faculté de médecine, 45, rue des Saints-Pères, 75270 Paris Cedex 06, France
 

Les mots ont parfois le même sort que les hommes. Malgré des origines un peu douteuses, une signification vague et inconstante, ils finissent parfois par acquérir leurs lettres de noblesse forts de scores flatteurs en bibliométrie et en sitométrie en ligne (nombre de sites internet consacrés). Stress a ainsi débarqué dans la langue française au milieu du XXe siècle après un début de carrière anglosaxon. Les frontières ne sont pas étanches et les douaniers de l’orthodoxie ont leurs faiblesses. Les dictionnaires anglais tracent son apparition au XIVe siècle et l’associent au mot distress ou destresse, lui-même provenant du vieux français et auparavant du latin familier. Il n’y a donc pas lieu de s’offusquer de cet anglicisme que la langue française ne fait que récupérer, légèrement retouché, après quelques siècles. Alors que ce terme était d’abord utilisé de manière très précise par les physiciens puis les physiologistes, sa signification s’est élargie lorsque biologistes et psychologues s’en sont emparés. Il envahit avec ces derniers le langage du grand public et acquiert une véritable valeur marchande. Il suffit de naviguer nonchalamment sur la toile pour se voir proposer toutes sortes de formules pour gérer son stress, dominer son stress ou, à défaut, mieux vivre son stress.

Le stress, pour les physiciens, est un stress mécanique proche de la notion de tension. Il correspond à une force de résistance lorsqu’un corps, en particulier un métal, est soumis à une déformation ou à une charge. Il y a déjà là une notion de contrainte et d’adaptation. Cette notion est présente aussi dans la définition du stress que le physiologiste Hans Selye a proposé, à savoir la réponse d’un organisme vivant à une agression ou à une modification du milieu extérieur ou intérieur. Cette réponse emprunte des relais nerveux et endocriniens, en particulier le système hypothalamo-hypophysaire et se traduit par une élévation de l’adrénaline et du cortisol qui, par leurs effets respiratoires, vasculaires, métaboliques et psychiques, mettent l’organisme en alerte et le préparent à une situation exceptionnelle. De manière caricaturale, l’animal devra choisir entre fuite ou combat. Dans cette acception, le stress définit d’abord la réponse et non l’agression initiale et constitue une réaction adaptative. De plus, cette réponse est peu spécifique de l’agression et recouvre l’ensemble des processus communs mis en jeu dans un organisme en état d’alerte.

Biologistes et psychologues se sont ensuite emparés de ce mot pour en faire un usage sensiblement différent. Les premiers ont ainsi associé au stress toutes sortes d’agressions que la cellule peut subir : stress thermique, oxydant, chimique ou mécanique. Ces agressions peuvent aussi être intérieures à la cellule comme au cours du stress du réticulum endoplasmique. Progressivement, le mot stress s’est identifié à l’agression plutôt qu’à la réponse ; ne diton pas réponse au stress ? Aussi, les limites à partir desquelles on peut parler de stress sont devenues plus floues. Ainsi, le stress par cisaillement (shear stress) est une situation physiologique nécessaire à la différenciation de la cellule endothéliale. Ou encore, la limite entre homéostasie redox et stress oxydant n’est pas simple à définir. Enfin, les stress biologiques sont surtout caractérisés par leur spécificité selon l’agression plutôt que par une réaction générale de défense (qui existe néanmoins).

C’est la notion de stress utilisée par les psychologues et les médecins qui a conquis le langage du grand public. Stress de la vie moderne, stress du travail (même avec l’ARTT ?), etc. Il gagne dans cette acception une dimension temporelle puisqu’il est surtout associé à la persistance d’agressions quotidiennes. Il retrouve en revanche un caractère peu spécifique, puisque, malgré la variété des agressions, leurs conséquences gardent de nombreux points communs : insomnie, agitation, perte de libido… Si l’on veut voir les choses du bon côté, on peut aussi parler de réactivité, d’alerte. Il est probable qu’à long terme, la répétition de ce type de réponse ait des conséquences pathologiques non négligeables même si leur importance reste controversée. On voit combien la notion de stress s’est modifiée et s’est adaptée aux différentes disciplines. Il s’agit, à l’origine, d’une réponse adaptative positive à une perturbation interne ou externe. La connotation péjorative du terme s’est développée, d’une part lorsque celui-ci a été identifié à l’agression et, d’autre part, du fait que toute réponse adaptative, même si elle est utile, a un coût, et ce coût peut devenir trop lourd lorsque les agressions se répètent et se perpétuent. En somme trop de bonnes choses finit par nuire. Stressant, non ?