L’objectif du traitement de l’hypertension artérielle est de diminuer la mortalité et la morbidité dues à cette maladie, parmi les plus fréquentes dans les pays industrialisés. Il est maintenant bien admis que l’efficacité d’un hypotenseur ne se mesure pas uniquement par sa capacité de baisser la pression artérielle, mais aussi par son impact sur la morbidité et la mortalité cardiovasculaires. La confirmation de l’efficacité d’une nouvelle classe d’anti-hypertenseurs requiert des études prospectives randomisées, comparant le nouvel anti-hypertenseur non pas à un placebo (comparaison actuellement non justifiable sur le plan éthique), mais plutôt au traitement « classique ».
Les études récentes sur le système rénineangiotensine ont indiqué que l’angiotensine II était non seulement un vasoconstricteur puissant, mais avait aussi des effets tissulaires importants sur les organes cibles touchés par l’hypertension artérielle. Il y avait donc de nombreuses raisons de penser que l’inhibition de la production ou de l’action de l’angiotensine II aurait des effets bénéfiques, cardiaques et vasculaires, qui s’ajouteraient aux bénéfices de son effet hypotenseur [1]. Cela restait toutefois à démontrer. Récemment encore, le dernier rapport du Joint National Committee (JNC-VI) [2] rappelait que, dans le traitement de l’hypertension artérielle, les diurétiques thiazidiques et les β-bloquants (dont l’aténolol) avaient démontré leur supériorité sur le placebo et qu’il n’existait aucune preuve d’une efficacité supérieure de ces nouvelles classes d’hypotenseurs.
L’étude LIFE (losartan intervention for end point reduction in hypertension) qui a été présentée tout récemment à la 51e session de l’American College of Cardiology à Atlanta (USA), et qui vient d’être publiée dans le Lancet [3, 4], va probablement conduire à modifier les recommandations du traitement de l’hypertension artérielle. Cette étude randomisée en doubleaveugle portait sur 9 193 patients, âgés de 55 à 80 ans, atteints d’une hypertension artérielle confirmée ainsi que d’une hypertrophie ventriculaire gauche identifiée sur l’ECG. Ces malades ont été randomisés en un groupe « aténolol » et un groupe « losartan », ce dernier étant un inhibiteur des récepteurs de l’angiotensine. Si une réduction de la pression artérielle n’était pas atteinte, la dose initiale était doublée, puis les patients pouvaient recevoir en association de l’hydrochlorothiazide et, si nécessaire, un troisième anti-hypertenseur. Les patients provenaient de 945 centres en Europe et aux États-Unis et ont été suivis sur une période moyenne de 4,8 ans.
L’efficacité des deux stratégies a été comparable en terme de baisse de la pression artérielle. En termes de complications, 508 événements cardiovasculaires défavorables sont survenus dans le groupe losartan et 588 dans le groupe aténolol (risque relatif : 0,87 ; p = 0,021). Parmi ces accidents, c’est la diminution du risque d’accident vasculaire cérébral dans le groupe traité par le losartan qui a été la plus marquée (risque relatif : 0,75 ; p = 0,001). Le risque de décès par maladie cardiovasculaire ou par infarctus du myocarde n’était pas statistiquement différent.
Les résultats sont encore plus spectaculaires chez les sujets diabétiques. L’analyse du sous-groupe des 1 195 hypertendus diabétiques [4] montre un avantage encore plus significatif du losartan avec une diminution du risque d’événements cardiovasculaires défavorables de 24,5 % (p = 0,031), de décès de cause vasculaire de 37 % (p = 0,028) et de mortalité globale de 39 % (p = 0,002).
Les espoirs suscités par les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA) se confirment. Cette nouvelle classe d’hypotenseurs suscite beaucoup d’intérêt depuis la mise au point du losar-tan, premier ARA disponible. Ces agents bloquent les effets de l’angiotensine II quelle que soit sa voie de synthèse, en neutralisant sélectivement le récepteur AT-1 responsable de la majorité des effets de l’angiotensine II et en épargnant le récepteur AT-2, qui relaie des actions généralement favorables. Il faut aussi souligner leur remarquable innocuité et l’excellente observance notée chez les sujets hypertendus traités avec cette nouvelle classe d’hypotenseurs. L’étude LIFE vient, pour la première fois, démontrer qu’un ARA - le losartan - est susceptible de réduire la morbidité et la mortalité. L’analyse des résultats suggère également que les effets bénéfiques passent par des mécanismes d’action qui s’ajoutent à la baisse tensionnelle.
Chez les diabétiques, les résultats obtenus sont encore plus intéressants. Les études RENAAL [5], IDNT [6] et IRMA-2 [7] démontraient récemment que les ARA ralentissent la progression de la néphropathie diabétique. Par ailleurs, l’étude micro-HOPE avait montré que les inhibiteurs d’enzyme de conversion diminuent les complications vasculaires chez les diabétiques [8]. D’où une hésitation sur un plan pratique : était-il préférable de traiter les diabétiques de type 2 hypertendus avec un ARA (pour son effet « néphroprotecteur ») ou un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (pour son effet « vasculoprotecteur ») ?
L’étude LIFE répond maintenant à cette question et nous confirme que les ARA ont également des effets bénéfiques en ce qui concerne les complications vasculaires. En conclusion, Les auteurs de l’étude LIFE soulignent que ces résultats devraient être pris en considération dès maintenant et conduire à une modification des recommandations de prise en charge de l’hypertension artérielle, en particulier chez les sujets présentant une hypertrophie ventriculaire gauche et chez les diabétiques.