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Med Sci (Paris). 2002 June; 18(6-7): 664.
Published online 2002 June 15. doi: 10.1051/medsci/20021867664.

Le curli du coli : une variété physiologique d’amylose

Gilles Grateau

Service de médecine interne, Hôtel Dieu, 1, place du Parvis Notre-Dame, 75181 Paris Cedex 04, France. Service de génétique et physiopathologie des maladies inflammatoires héréditaires, Institut Cochin, 27 rue du Faubourg Saint-Jacques, 75104 Paris, France
 

L’amylose est définie par l’agrégation dans une conformation β-plissée de protéines diverses, appartenant ainsi au vaste groupe des maladies causées par un mauvais repliement des protéines. Le terme d’amylose désigne dans la langue française aussi bien la lésion histologique avec ses caractéristiques qui en permettent le diagnostic de routine (amyloid en anglais), que la maladie associée (amyloidosis en anglais). Mais il n’est question ici que de pathologie et, chez l’homme comme chez de nombreuses espèces animales, l’amylose est un phénomène qui n’est pas compris comme utile. On considère habituellement que ces dépôts sont soit responsables de lésions organiques, soit ne sont que d’innocents amas, produits secondaires au sein d’un processus lésionnel complexe.

C’est pourquoi la description, par Chapman et al., d’une variété physiologique d’amylose par Escherichia coli est particulièrement étonnante [1]. Ces auteurs ont simplement regardé d’un œil neuf une des nombreuses protéines produites par le colibacille, dont sa surface est revêtue, et qui lui servent à s’accrocher aux protéines de l’hôte comme aux surfaces inertes. Ces protéines, connues sous le nom de curli, sont des agrégats dont l’aspect en microscopie électronique est celui de fibrilles de 4 à 7 nm de large. Cet agrégat a été purifié. Le produit primaire, S6 curli, a toutes les caractéristiques des protéines amyloïdes, aspect fibrillaire en microscopie électronique, richesse en feuillets β en dichroïsme circulaire, fluorescence en thioflavine T, variation spectrale en présence de rouge Congo. Une purification plus poussée aboutit à la protéine CsgA ou curline, composant majeur du curli. Cette protéine CsgA pure, produite en grande quantité sous forme soluble, s’agrège lentement in vitro sous forme de fibrilles amyloïdes. Elle possède donc des propriétés « amylogènes » intrinsèques. Ces propriétés sont amplifiées par un système de régulation que décrypte Chapman et al. dans la suite de leur article.

À l’aide d’élégantes expériences de complémentation entre bactéries délétées, les auteurs ont commencé à décortiquer les différentes étapes de cette agrégation in vivo et défini les protéines et les opérons qui y sont impliqués. Il apparaît ainsi qu’une protéine CsgB est responsable de la nucléation de la protéine CsgA, alors que les protéines CsgE, CsgF et CsgG participent à l’assemblage des fibrilles CsgA. Tous ces facteurs augmentent l’efficacité de l’agrégation in vivo de CsgA à la surface du colibacille. Une étape cruciale de cette machinerie bactérienne reste à élucider : quels sont les facteurs qui empêchent l’agrégation de la curline dans la bactérie pour ne l’autoriser que là où elle est utile, à sa surface ?

Le cytoplasme du colibacille intéressait déjà les chercheurs de substance destinées à empêcher la formation des dépôts amyloïdes. Ainsi, Wigley et al. ont récemment mis au point un système de mesure de la solubilité des protéines in vivo, dans le cytoplasme du colibacille, fondé sur la complémentation structurale des deux fragments α et ω de la β-galactosidase [2]. Ce système permet de mesurer la solubilité de diverses protéines et potentiellement de cribler des molécules destinées à empêcher la formation d’agrégats intracellulaires. L’amylose n’est qu’une application de ce système qui vise aussi à améliorer la production de protéines recombinées dans le colibacille. Il est certain que la découverte des facteurs qui, dans le colibacille, empêchent la formation d’agrégats dans son propre cytoplasme ouvriront de nouvelles perspectives. Plus que jamais, l’imitation de la nature est bien l’une des pistes à suivre dans la mise au point de médicaments contre l’amylose [3].

References
1.
Chapman MR, Robinson LS, Pinkner JS, et al. Role of Escherichia coli curli operons in directing amyloid fiber formation. Science 2002; 295 : 851–5.
2.
Wigley WC, Stidham RD, Smith NM, Hunt JF, Thomas PJ. Protein solubility and folding monitored in vivo by structural complementation of a genetic marker protein. Nat Biotechnol 2001; 19 : 131–6.
3.
Lansbury PT Jr. Following nature’s anti-amyloid strategy. Nat Biotechnol 2001; 19 : 112–3.