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Med Sci (Paris). 2002 June; 18(6-7): 709–716.
Published online 2002 June 15. doi: 10.1051/medsci/20021867709.

Les formes tardivesde la maladie d’Alzheimer : de la génétique à la biologie

Marie-Christine Chartier-Harlin, Louisa Araria-Goumidi, and Jean-Charles Lambert

Inserm U.508,Institut Pasteur de Lille,1, rue du Professeur Calmette,59019 Lille Cedex, France
 

La maladie d’Alzheimer est une maladie multifactorielle dans laquelle la composante génétique est importante, bien que difficile à estimer. Ainsi, les études de populations de jumeaux indiquent que la fréquence de cette maladie est plus élevée chez les jumeaux monozygotes que chez les jumeaux dizygotes. Cependant, il arrive que seul un jumeau d’une paire monozygote soit malade, reflétant l’intervention de facteurs environnementaux [1].

Les familles dans lesquelles la maladie d’Alzheimer survient avant 65 ans et ségrège selon un mode autosomique dominant, ont permis d’identifier des mutations pathogènes au sein des gènes du précurseur du peptide amyloïde (APP) et des présénilines 1 et 2 (PS1 et PS2) (→). Ces mutations provoquent des modifications du métabolisme du précurseur du peptide amyloïde pouvant entraîner une augmentation de la quantité totale des différentes formes du peptide amyloïde (Aβ) et en particulier une production préférentielle de la forme Aβ42, reconnue comme responsable de la formation des dépôts amyloïdes. Cette position centrale du métabolisme du précurseur du peptide amyloïde a conduit à élaborer l’hypothèse de la cascade amyloïde, la formation des dépôts amyloïdes conduisant à la dégénérescence neuronale [2].

(→) m/s 1999, n°2, p. 246 et 1999, n°8-9, p. 1043

εn revanche, l’identification de facteurs génétiques intervenant dans les formes tardives de la maladie, familiales ou sporadiques (c’est-à-dire sans transmission mendélienne classique) est beaucoup plus complexe. En effet, de nombreux facteurs génétiques et environnementaux, agissant seuls ou en synergie, induisent probablement une susceptibilité individuelle au développement de ces formes de maladie d’Alzheimer. Le nombre de facteurs génétiques intervenant et la variance de leur impact rendent alors difficile leur identification et seules des études présentant une grande puissance d’analyse (analyse de populations importantes aux caractéristiques clairement définies) sont susceptibles de mettre en évidence ces gènes. De plus, une fois ces gènes identifiés, la réplication de ces associations ainsi que la caractérisation de leur mode d’action sur la maladie permettront de valider leur rôle comme déterminant génétique de la maladie d’Alzheimer. A ce jour, le seul facteur de susceptibilité reconnu dans les formes sporadiques et familiales est le gène codant pour l’apolipoprotéine E (APOE), protéine qui joue un rôle majeur dans le transport et la redistribution des lipides (→). Cependant, l’implication exacte de cette protéine dans le processus pathologique n’est pas clairement déterminée et de nombreuses hypothèses s’appuyant sur l’amyloïdogenèse (→→), les mécanismes d’inflammation ou le transport des lipides ont été proposées.

(→) m/s 1997, n°1, p. 108 et 1998, n°12, p. 1448

(→→) m/s 1998, n°1, p. 75

Impact génétique de l’apolipoprotéine ε sur la maladie d’Alzheimer

Le gène de l’apolipoprotéine E, localisé sur le chromosome 19, présente trois allèles majeurs dans la population générale appelés ε2, ε3 et ε4. L’allèle ε3 est caractérisé par une arginine au codon 112 et une cystéine au codon 158, l’allèle ε4 par une arginine au codon 158 et l’allèle ε2 par une cystéine au codon 112. Les isoformes correspondantes sont respectivement dénommées APOE2, APOE3 et APOE4. Même s’il semble que l’allèle ε4 soit l’allèle ancestral, c’est l’allèle ε3 qui est le plus fréquent dans les populations caucasiennes (de l’ordre de 80 %). Les allèles ε2 et ε4 sont plus rares, 8 % et 12 % respectivement.

Association de l’allèle ε4 avec la maladie d’Alzheimer
En effet, la première étude réalisée en 1993 montrait que la fréquence de l’allèle ε4 atteignait 40 % dans une population de patients atteints de formes familiales tardives de la maladie [3]. Depuis lors, cette association a été confirmée par de très nombreuses études, étendue aux formes sporadiques tardives ainsi qu’à certaines formes précoces et finalement complétée par la mise en évidence d’un effet protecteur de l’allèle ε2 [4, 5]. On estime que le gène de l’APOE pourrait être impliqué dans au moins 20 % des cas de maladie d’Alzheimer (Tableau I) [6, 7].
Facteurs modulant l’impact du gène de l’apolipoprotéine E
Les individus porteurs d’au moins un allèle ε4 ne développent pas systématiquement la maladie. D’autres facteurs environnementaux et/ou probablement génétiques doivent moduler de façon importante le risque associé à cet allèle. Même si peu de données sont disponibles sur ce sujet, trois de ces facteurs sont relativement bien établis : l’âge, le sexe et le groupe ethnique [5, 6].
L’âge L’impact de l’allèle ε4 ne semble apparent qu’entre 40 et 90 ans et diminuerait après 70 ans. Cet allèle n’aurait aucun impact sur le risque de développer l’affection pour des individus d’âge très avancé, même si la pénétrance du génotype ε4/ε4 semble complète à 90 ans.
Le sexe En admettant un mode de transmission autosomique dominant, Rao et al. ont suggéré que, dans des formes familiales tardives, la pénétrance des génotypes incluant l’allèle ε4 est complète chez les femmes et de l’ordre de 62 à 65 % chez les hommes [5]. Cette différence est aussi observée pour les formes sporadiques puisque le risque associé à l’allèle ε4 est supérieur (de l’ordre de 2 fois) pour les femmes par rapport aux hommes.
L’ethnie L’impact de l’allèle ε4 est le plus élevé chez les Japonais mais beaucoup plus faible pour d’autres ethnies, voire difficilement observable par exemple dans des populations afro-américaines (Tableau I). Ces variations sont probablement expliquées à la fois par un patrimoine génétique et des facteurs environnementaux différents, tous deux très mal documentés.
Spécificité de l’association de l’allèle ε 4 avec la maladie d’Alzheimer ?
Très rapidement après la découverte de l’association de l’allèle ε4 avec la maladie d’Alzheimer, la question s’est posée de savoir si cette association était spécifique de cette maladie ou pouvait être retrouvée dans d’autres types de démence. Les études d’association du gène de l’APOE avec d’autres maladies neurodégénératives ont alors conduit à suggérer que l’allèle ε4 est essentiellement associé à des affections présentant une amyloïdogenèse telles que les démences à corps de Lewy. À l’inverse, les maladies principalement caractérisées par une dégénérescence neurofibrillaire -par exemple la paralysie supranucléaire progressive ou les démences fronto-temporales [8] - ne sont pas associées à l’allèle ε4.
Apolipoprotéine E et amyloïdogenèse

Les données obtenues dans d’autres maladies neurodégénératives, associées au fait que la présence d’un allèle ε4 est corrélée à une augmentation de la quantité de dépôts amyloïdes dans le tissu cérébral de patients atteints de maladie d’Alzheimer [9], conduisent à penser que l’APOE est un déterminant essentiel de la formation des dépôts amyloïdes. De ce fait, l’APOE peut être intégré a posteriori dans la cascade amyloïde.

Co-facteur ou inhibiteur de l’amyloïdogenèse ?
En fait, il ne fait guère de doute que l’APOE puisse influencer la formation des dépôts amyloïdes. Les arguments les plus forts ont été récemment obtenus par l’utilisation de souris transgéniques pour le gène humain du précurseur du peptide amyloïde muté au codon 717 (mutation responsable de formes familiales précoces de la maladie d’Alzheimer). Ces souris ont alors pour particularité de développer de nombreuses plaques amyloïdes. La quantité de dépôts amyloïdes est directement corrélée au nombre de copies du gène de l’APOE murine [10]. Chez ces souris, âgées de 9 à 15 mois, l’APOE semble nécessaire pour convertir des dépôts diffus d’amyloïde (thioflavine-S négatif) en dépôts fibrillaires plus mûrs (thioflavine-S positif) et observer une sévère dégénérescence neuritique. Il faut noter qu’une expression spécifique de l’isoforme APOE4 conduit à davantage de dépôts fibrillaires (>10 fois) que l’expression de l’APOE3. Ces résultats suggèrent donc que l’APOE murine affecte le développement de la maladie d’Alzheimer en facilitant la conversion du peptide amyloïde en fibrille amyloïde plus toxique.

Les résultats obtenus dans ce modèle murin avec de l’APOE d’origine humaine sont plus complexes. En effet, la quantité de dépôts amyloïdes diminue avec un nombre croissant de copies du gène de l’APOE humaine chez les souris âgées de 9 mois. C’est seulement à 15 mois que les résultats observés deviennent similaires à ceux obtenus avec de l’APOE murine [11]. Si l’on fait abstraction des différences de séquences primaires entre les APOE humaine et murine, ces observations indiquent que l’APOE humaine interviendrait dans la dégradation du peptide amyloïde. Cette hypothèse est soutenue par le fait que des cellules microgliales immunoréactives pour l’APOE sont localisées au centre des plaques séniles [12]. Il a été proposé que le peptide amyloïde, après s’être complexé à des lipoprotéines contenant de l’APOE, serait éliminé par l’intermédiaire des récepteurs de l’APOE et en particulier de la protéine LRP (low density related protein) [13].

Récemment, de nouveaux résultats permettent de tenir compte de ces propriétés contradictoires de l’APOE humaine. En effet, le complexe soluble APOE-Aβ ne présente pas la même stabilité s’il est purifié à partir de tissu cérébral de malades ou de témoins : le complexe le plus stable est retrouvé chez les témoins. De plus, ce complexe soluble est présent en quantité plus importante dans le cerveau des témoins comparé à celui des malades. L’instabilité relative de la liaison de ces deux molécules, associée à une augmentation de la concentration en peptide Aβ, pourrait alors conduire à une accumulation de ce peptide, suffisante pour atteindre le point critique de nucléation, étape initiale de la formation des dépôts [14]. Une fois cette étape réalisée, le peptide Aβ polymérisé pourrait interagir avec le complexe APOE-Aβ et y être incorporé. La plupart de ces complexes participerait alors à la formation des fibrilles amyloïdes. Ainsi, la déficience du système de dégradation du peptide A permettrait d’amorcer la formation des dépôts, l’amyloïdogenèse étant ensuite facilitée par le complexe APOE-Aβ lui-même (Figure 1).

Expression et polymorphismes du promoteur de l’apolipoprotéine E
Les données obtenues à partir des souris transgéniques APP717 exprimant 0, 1 ou 2 copies du gène de l’APOE suggèrent qu’une variation de l’expression de l’APOE chez I’homme serait un déterminant de l’étiologie de la maladie d’Alzheimer. Cette observation est particulièrement intéressante puisque, chez l’homme, en ne tenant compte que de la seule combinaison des allèles ε2, ε3 et ε4 et d’autres marqueurs génétiques localisés sur le locus de l’APOE, on peut mieux définir des sous-populations à risque [14]. Par ailleurs, l’expression des allèles du gène APOE n’est pas similaire chez les patients et les témoins. Chez les malades de génotype ε3/ ε4, on note une augmentation relative de l’expression de l’allèle ε 4 par rapport à l’allèle 83, de l’ordre de 1,5 fois supérieure à ce qui est observé chez les témoins de même génotype [15]. Ces observations indiquent qu’outre les variations qualitatives du gène de l’APOE, des variations quantitatives de l’expression des allèles de l’APOE représenteraient aussi un déterminant. La découverte de nouveaux polymorphismes dans le promoteur du gène de l’APOE (-491 A>T, -427 C > T et -219 G>T), capables de moduler le risque de développer I’affection renforce cette hypothèse [16, 17]. Si la plupart des études s’accordent sur l’association de ces polymorphismes à la maladie d’Alzheimer, la controverse réside dans l’origine de cette association : provient-elle uniquement du déséquilibre de liaison de ces polymorphismes avec l’allèle ε 4, ou ceux-ci jouent-ils un rôle indépendamment de cet allèle ? Une méta-ana-lyse récente regroupant plus de 3 800 sujets suggère des effets propres de ces polymorphismes [18]. En outre, ces polymorphismes ont une traduction fonctionnelle et modulent l’expression de l’APOE comme le suggèrent à la fois des études in vivo et in vitro [1921].

Les mécanismes par lesquels ces polymorphismes entraînent la variation de l’expression de l’APOE ne sont pas élucidés. Récemment, nous avons observé que ces polymorphismes sont corrélés à la quantité de dépôts amyloïdes dans le cerveau de patients atteints de maladie d’Alzheimer, leurs effets étant indépendants du génotype ε2/ε3/ε4 [22]. De même, dans le tissu cérébral de témoins, le nombre de plaques séniles dans deux régions de l’hippocampe (CA1 et subiculum) augmente de façon significative pour les individus de génotype -219 TT, bien qu’il soit difficile de déterminer si cet effet est indépendant ou non de l’allèle ε4 [23]. Néanmoins, ces données confirment la validité de l’association entre expression de l’APOE et quantité de dépôts amyloïdes dans le tissu cérébral humain.

Autres hypothèses d’action de l’apolipoprotéine E

En dehors d’une action directe de l’APOE sur la formation des dépôts amyloïdes, de nombreuses autres hypothèses ont été formulées pour comprendre le rôle de l’APOE. Elles sont fondées sur le métabolisme des lipides, le développement d’une réponse inflammatoire ou encore une toxicité propre des produits du métabolisme de l’APOE.

Métabolisme des lipides, le chaînon manquant ?
L’APOE, une des protéines clés du métabolisme du cholestérol, pourrait intervenir dans le processus pathologique de la maladie d’Alzheimer en modifiant le métabolisme lipidique cérébral. Ainsi, une alimentation riche en cholestérol et en acides gras saturés augmenterait le risque de développer l’affection [24]. Puisque l’allèle ε4 de l’APOE est associé à une augmentation du cholestérol circulant, il était logique de penser que l’effet délétère de cet allèle résultait de cette action. Cependant, on ne sait rien du mécanisme qu’utiliserait le cholestérol pour influencer l’étiologie de la maladie. Deux hypothèses principales peuvent être avancées actuellement ; elles se fondent sur une modification du métabolisme du précurseur du peptide amyloïde et sur une anomalie de régénérescence neuronale associée une atteinte spécifique du système cholinergique.

La première hypothèse repose sur l’observation selon laquelle une augmentation du cholestérol provoque, aussi bien in vivo qu’in vitro , une diminution de la sécrétion des formes APP solubles et une augmentation de la production des peptides amyloïdes [25]. Une hypercholestérolémie est également capable d’induire l’augmentation du nombre de plaques amyloïdes dans le tissu cérébral de souris transgéniques, le cholestérol s’accumulant dans ces plaques [26]. À l’inverse, l’administration d’un hypocholestérolémiant induit une diminution du nombre des plaques amyloïdes [27].

La deuxième hypothèse repose sur le rôle majeur de l’APOE dans l’entretien du système nerveux central. Les capacités de croissance neuritique ne sont pas équivalentes pour toutes les isoformes de l’APOE. L’isoforme APOE3 stimule l’arborescence et la croissance neuritique plus efficacement que ne le fait l’isoforme APOE4, suggérant ainsi une moindre capacité de plasticité et de réparation neuronales chez les individus porteurs d’un allèle ε4 [28]. Ces différences pourraient être attribuées au rôle majeur de l’APOE dans la redistribution du cholestérol et des lipides. Peut-être la faible concentration en APOE du tissu cérébral des individus porteurs d’un allèle ε4 pourrait-elle compromettre le transport du cholestérol et des phospholipides, effet compromettant le fonctionnement du système cholinergique, très sensible à l’homéostasie lipidique [29]. En effet, une réduction importante de l’activité de la choline acétyltransférase serait observée dans l’hippocampe et le cortex temporal de patients atteints de maladie d’Alzheimer. Cette activité serait inversement proportionnelle au nombre de copies de l’allèle ε4 [29].

Réponse inflammatoire et stress oxydatif
Plusieurs observations suggèrent une interaction entre APOE et réaction inflammatoire via la microglie. Le niveau d’activation de la microglie semble directement corrélé à la présence d’un allèle ε4. Ainsi, le nombre de cellules microgliales activées et la surface qu’elles occupent augmentent-elles avec le nombre de copies de l’allèle ε4 [30]. Plusieurs enzymes impliquées dans les mécanismes de prise en charge des stress oxydatifs ont une activité plus importante chez les souris apoe−/− que chez les souris apoe+/+ [31] (→). Les données actuellement disponibles montrent que l’APOE peut agir aussi bien au niveau de la formation que de la prise en charge des radicaux libres neurotoxiques produits au cours de la réponse inflammatoire. Ainsi, l’APOE est capable de moduler la production de monoxyde d’azote. Cette modulation, après stimulation par certains produits du métabolisme de l’APP, dépendrait de l’isoforme, l’APOE4 ne présentant aucune action modulatrice contrairement à l’isoforme APOE3 [32].

(→) m/s 2000, n°3, p. 434

Outre le contrôle de la production de radicaux libres, l’APOE pourrait être aussi impliquée dans la prise en charge de ces radicaux libres. Il est en effet possible que l’APOE elle-même possède cette activité antioxydante, protégeant par exemple les neurones d’un stress oxydatif induit par le peptide Aβ. C’est l’isoforme APOE2 qui possède l’activité anti-oxydante la plus efficace ; l’APOE3 est moins efficace et l’APOE4 en est dépourvue [33].

Il est maintenant clairement établi que la présence de l’allèle ε4 est un facteur de risque majeur de la maladie d’Alzheimer. Cependant, les hypothèses formulées sur les mécanismes impliquant l’APOE dans l’étiologie de la maladie sont très nombreuses et complexes. Malgré de multiples études contradictoires, trois hypothèses majeures se dégagent : l’APOE pourrait intervenir sur le métabolisme du précurseur du peptide amyloïde, sur la formation des plaques amyloïdes, et dans la réponse inflammatoire, elle-même conséquence possible de la neurotoxicité du peptide amyloïde. Outre ces trois hypothèses mutuellement non exclusives, d’autres modes d’action de l’APOE ont été proposés tels qu’un effet sur l’hyperphosphorylation des protéines Tau, ou une neurotoxicité propre des métabolites de l’APOE. Cependant, ceux-ci sont moins bien documentés [34, 35].

Vers l’identification de nouveaux gènes de susceptibilité

Hormis ces études sur l’APOE, plusieurs groupes ont entrepris des criblages génomiques à la recherche d’autres gènes de susceptibilité associés aux formes tardives de la maladie d’Alzheimer. Les données de ces quatre dernières années tendent à démontrer l’existence de plusieurs régions d’intérêt, en particulier sur les chromosomes 12 et 10 (Figure 2).

Un cinquième locus identifié sur le chromosome 12
Ce locus couvre plus de 50 cM et peut être scindé en deux zones : une sur le bras court du chromosome et une près du centromère sur le bras long. Cette dernière est impliquée dans trois des quatre études de liaison effectuées dans des populations indépendantes [3640]. Trois gènes candidats dans ces deux régions ont été testés en études cas-témoins. Le produit de deux de ces gènes est impliqué dans la voie de dégradation du peptide Aβ par un mécanisme d’endocytose. Il s’agit de l’α2-macroglobuline, un inhibiteur de protéases, et du LRP, un récepteur de l’α2-macroglobuine. Le LRP est également un récepteur de l’APOE dans le système nerveux central et de certaines isoformes de I’APP. Le produit du troisième gène est le facteur de transcription LBP1/CP2/LSF, intervenant dans le contrôle de nombreux gènes comme ceux qui interviennent dans la réponse inflammatoire ou d’autres comme I’APOE, l’(α2-macroglobuline, GSK3 β (une kinase phoshorylant les protéines Tau) [41]. LBP1 peut aussi se lier à Fe65, un autre facteur de susceptibilité des formes tardives de la maladie [42]. Fe65 est un facteur de transcription qui peut réprimer l’activation produite par LBP1/CP2/LSF sur le gène de la thymidilate synthase, enzyme contrôlant le passage des cellules en apoptose. Fe65 permet également la translocation du fragment C-terminal du précurseur du peptide amyloïde vers le noyau, suggérant une participation de ce dernier à la régulation d’autres gènes [43].

L’impact du gène codant pour l’α2-macroglobuline a été retrouvé dans neuf études, mais réfuté dans une méta-analyse portant sur plus de 4 700 sujets [44]. Les résultats obtenus, en particulier sur le polymorphisme de l’exon 3 non codant du gène du LRP et sur celui de la région 3’ non traduite du gène LBP1/CP2/LSF, semblent plus prometteurs, car peu d’études ont infirmé leur implication. De plus, des liens biologiques ont pu être établis, montrant par exemple une expression différentielle de ces gènes en fonction du statut clinique du sujet [45]. Bien que l’on ne puisse exclure la possibilité du déséquilibre de liaison d’un autre gène dans cette région, les résultats des études de liaison suggèrent que plusieurs gènes sur ce chromosome 12 contribuent à la susceptibilité à la maladie. L’analyse détaillée des déséquilibres de liaison couvrant ces régions devrait permettre de mieux appréhender ces hypothèses.

Un sixième locus, localisé sur le chromosome 10
Comme pour le chromosome 12, la région suspectée sur le chromosome 10 est également très étendue. Deux études d’association et trois études de liaison, indépendantes, suggèrent la responsabilité de la région centromérique du chromosome 10 [4651]. Par ailleurs, cette localisation est confirmée par une approche de liaison génétique associant des données quantitatives sur des concentrations plasmatiques élevées d’Aβ42 ségrégeant avec la maladie dans cinq formes familiales tardives [48]. Une quatrième étude désigne une autre région, distante de 40 cM de la valeur maximale du pic de liaison décrit par Myers, Ertekin-Tanner et al. [48, 50]. Cette dernière région comprend le gène de l’insulin degrading enzyme (IDE) [48]. Ce gène code pour une enzyme sécrétée par les neurones et la microglie et capable de dégrader le peptide Aβ. La diminution d’activité enzymatique observée dans le tissu cérébral des patients pourrait entraîner une augmentation du peptide Aβ. L’analyse des polymorphismes identifiés dans ce gène est en cours, mais les premiers résultats obtenus réfutent son implication [52, 53].
Conclusions

Il a fallu huit ans pour localiser, puis identifier, les gènes de l’APP, PS1, PS2 et de l’APOE. Depuis ces découvertes, les recherches biomédicales se sont attelées à établir le rôle biologique de ces protéines afin de mieux appréhender les mécanismes qui mènent à la démence. Toutes agissent par des voies biochimiques communes dans lesquelles le peptide Aβ occupe une place centrale. Ces observations ont conduit au développement de modèles animaux et à la mise en place de nouvelles cibles thérapeutiques. Depuis quatre ans, plusieurs locus ont été retenus et certains gènes de susceptibilité sont incriminés. Même si la mise en évidence de ces gènes reste difficile - notamment en raison de la taille des régions mises en évidence par les analyses de criblage - les avancées technologiques, dont la connaissance de la séquence du génome humain, vont grandement nous aider à sélectionner des gènes candidats présents dans ces régions. Il est probable que les dix prochaines années verront l’émergence de nombreux autres gènes de susceptibilité. Face à l’hétérogénéité génétique de cette maladie, l’évolution de la pharmacogénétique constitue une stratégie thérapeutique (→) d’avenir qui devrait permettre de mieux prendre en charge la variabilité individuelle.

(→) m/s 2001, n°4, p. 523

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