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Med Sci (Paris). 2002 October; 18(10): 921–923.
Published online 2002 October 15. doi: 10.1051/medsci/20021810921.

Guggulu, une plante aux vertus hypolipémiantes pour nos sociétés rassasiées

Isabelle Dugail*

Inserm U.465, 15, rue de l’École de Médecine, 75270 Paris Cedex 06, France
Corresponding author.
 

La régulation de la concentration sanguine de cholestérol est un problème de plus en plus aigu dans nos sociétés pléthoriques, où l’hypercholestérolémie touche plus d’un individu sur 20. Au cours des dernières années, l’augmentation continue de la prévalence de l’obésité, à laquelle l’hypercholestérolémie est souvent associée, augure assez mal de l’amélioration de ce problème de santé publique. Compte tenu de cette situation, d’actives recherches sont en cours sur les mécanismes très complexes qui contrôlent l’homéostasie du cholestérol, et en particulier la concentration intracellulaire de cholestérol, élément vital pour le maintien de l’intégrité de la membrane plasmique et de ses capacités de signalisation.

À l’échelon de la cellule, le manque de cholestérol est détecté par un système qui n’est encore qu’incomplètement caractérisé. La mise en jeu de ce système conduit à l’activation des facteurs de transcription SREBP (sterol regulatory element binding protein) qui contrôlent, l’expression des enzymes responsables de la biosynthèse endogène du cholestérol et de son captage exogène, ce qui permet à la cellule un apport continu et adapté en cholestérol. À l’inverse, toute accumulation excessive, qui pourrait avoir des conséquences néfastes parce qu’elle engendre la formation de cristaux insolubles, doit être évitée. Comme la plupart des cellules sont incapables de dégrader le cholestérol, l’excès est soit stocké sous une forme plus inoffensive (la forme estérifiée), soit éliminé dans la circulation. Ce processus, connu comme l’étape initiale du transport inverse du cholestérol, s’effectue grâce à une protéine membranaire ABCA1 (ATPbinding cassette), elle-même sous le contrôle de la concentration intracellulaire de cholestérol, et capable de transférer le cholestérol membranaire sur des accepteurs extracellulaires spécifiques, généralement des lipoprotéines de type HDL (high density lipoproteins). Le flux de cholestérol créé par ce transport inverse (communément appelé le « bon cholestérol ») aboutit au foie où il sera finalement éliminé par la voie biliaire.

Ainsi, on comprend comment la concentration en cholestérol circulant résulte de plusieurs paramètres : des apports exogènes via l’alimentation, de la capacité des cellules périphériques d’utiliser le cholestérol circulant, et de son élimination par la voie biliaire. Au cours des dernières années, la compréhension des mécanismes moléculaires qui contrôlent l’étape d’élimination biliaire a beaucoup progressé. En particulier, la régulation de l’expression de l’enzyme-clé de ce processus, la cholestérol 7 α-hydroxylase (CYP7A1) a été élucidée (→). Le facteur de transcription LXR, de la famille des récepteurs nucléaires, stimule son expression en présence d’oxystérols, ses ligands activateurs, stimulant ainsi la production d’acides biliaires lorsque la disponibilité en cholestérol est élevée. Un autre membre de la famille des récepteurs nucléaires, autrefois orphelin, le facteur FXR (farnesoid X-activated receptor), joue aussi un rôle important dans la régulation de ce processus (Figure 1).

(→) m/s 1999, n°12, p. 1472

Rebaptisé BAR (bile acid receptor) depuis que l’on sait que les acides biliaires sont les ligands (et donc les activateurs) physiologiques de FXR, ce facteur est l’élément charnière du rétro-contrôle négatif de la production d’acides biliaires. En effet, lorsque le pool d’acides biliaires augmente, l’activation de FXR conduit à l’arrêt de la transcription de CYP7A1. Le mécanisme supposé de cette inhibition transcriptionnelle fait intervenir un coinhibiteur SHP (short heterodimer partner). Comme SHP est une cible transcriptionnelle directe de FXR, et que SHP empêche l’activité transcriptionelle du dimère LXR/RXR, on comprend comment les acides biliaires inhibent par rétrocontrôle l’élimination biliaire du cholestérol. Toutes ces molécules peuvent être autant de cibles thérapeutiques potentielles pour combattre l’hypercholestérolémie. L’exemple des statines, cette classe d’inhibiteurs compétitifs de l’HMGCoA réductase, l’enzyme-clé de la biosynthèse endogène du cholestérol, qui regroupe des agents hypocholestérolémiants largement utilisés en clinique est à cet égard démonstratif, et médecine/ sciences s’est récemment fait l’écho d’une autre nouvelle molécule hypolipémiante décrite dans la littérature (→). Cette fois, c’est la revue Science [1] qui nous révèle une molécule originale ayant pour cible le facteur de transcription FXR. Il s’agit de la gugglesterone (cis ou trans 4,17(20)-prégnadiène-3,16-dione), composé purifié à partir d’une résine (commiphora mukul) proche de la myrrhe, obtenue à partird’un arbuste, qui pousse dans les régions arides de l’Inde. La gugglesterone tire son nom étrange de la plante dont elle est extraite, guggulu en sanscrit. Cette résine, connue depuis plus de 600 ans avant JC, était utilisée comme « purifiante » par la médecine traditionnelle indienne. Des articles parus à la fin des années 1980 dans des journaux scientifiques indiens [2, 3] avaient remis ses vertus au goût du jour, et rapporté ses propriétés hypocholestérolémiantes. Un groupe de chercheurs américains a élucidé le mécanisme par lequel cette molécule exotique réduit le cholestérol en démontrant que la gugglesterone est un antagoniste du facteur de transcription FXR, probablement capable, en inhibant son activité transcriptionnelle, de bloquer le rétro- contrôle négatif exercé par les acides biliaires sur la voie d’élimination du cholestérol.

(→) m/s 2002, n°6-7, p. 659

Les auteurs démontrent dans des cellules transfectées, en utilisant des promoteurs artificiels inductibles par FXR, que cette molécule, qui, seule, n’a pas d’effet, inhibe l’activation transcriptionnelle de FRX par les acides biliaires. De même, dans des cellules intactes exprimant FXR, traitées par un acide biliaire (l’acide chénodéoxycholique), l’expression des gènes cibles de FXR, comme SHP, est inhibée par la gugglesterone. La notion selon laquelle la gugglesterone est un antagoniste de FXR repose sur plusieurs arguments expérimentaux : (1) dans des cellules transfectées avec des constructions ne comprenant pas la protéine FXR entière, mais seulement les domaines fonctionnels de FXR, le domaine de liaison du ligand suffit à lui seul pour l’action de la gugglesterone ; (2) la drogue empêche l’interaction directe entre FXR et son co-activateur SRC1, induite par le ligand, ce qui a été montré en utilisant la technique du FRET (fluorescence energy transfer) ; (3) finalement, le lien entre le mode d’action moléculaire et l’effet hypocholestérolémiant est établi dans des expériences in vivo où la gugglesterone, administrée à des souris soumises à un régime enrichi en cholestérol, normalise l’accumulation de cholestérol hépatique. Cependant, la gugglesterone perd cette activité lorsqu’elle est administrée à des souris dont les deux copies du gène FXR ont été invalidées, ce qui démontre que ce facteur de transcription doit être présent pour que la gugglesterone puisse agir. Cette étude est intéressante à plus d’un titre : d’un point de vue moléculaire, les antagonistes des facteurs de transcription de la famille des récepteurs nucléaires ne sont pas si nombreux dans l’arsenal pharmacologique, et il est en général plus facile d’activer que d’inhiber de tels facteurs. D’un point de vue clinique, cette étude démontre l’importance de la voie contrôlée par FRX dans la régulation globale de l’homéostasie du cholestérol, et fait de ce facteur une évidente cible thérapeutique. Du point de vue de sa structure chimique, la gugglesterone se compose d’un noyau stérol modifié, et s’apparente donc à la famille très vaste des stérols végétaux, regroupés sous le terme général de phytostérols. Certains de ces phytostérols ont la propriété de diminuer le taux de cholestérol circulant comme l’ont montré plusieurs études épidémiologiques, et sont même, depuis peu, utilisés comme additifs alimentaires dans des margarines. On peut donc se demander dans quelle mesure le mode d’action de la gugglesterone décrypté par les chercheurs signant l’article de Science, ne pourrait pas s’appliquer à cette gamme plus large de composés. Apparemment, les phytostérols seraient des analogues du cholestérol, qui ne seraient pas absorbés au niveau intestinal, mais le rôle de FXR dans cet aspect du métabolisme du cholestérol reste mal connu.

Enfin, il est toujours réconfortant d’apporter des explications modernes, par le biais de la science, à des pratiques millénaires qui trouvent leur origine dans la médecine traditionnelle. Il faut cependant se garder de confondre la guggle gum indienne, dont est extraite la gugglesterone hypocholestérolémiante, et la myrrhe offerte par les rois mages à l’enfant Jésus. Bien que très proches, les arbustes qui les produisent sont originaires de régions différentes, l’Éthiopie et l’Arabie pour la myrrhe (commiphora myrra), l’Inde pour la guggle gum (commiphora mukul). Il se peut bien que ce produit précieux, recherché dans l’Antiquité pour toutes sortes de vertus, ne revienne à la mode dans notre monde moderne à cause de ses propriétés hypo-cholestérolémiantes !

References
1.
Urizar NL, Liverman AB, Dodds DT, et al. A Natural product that lowers cholesterol as an antagonist ligand for the FXR. Science 2002; 296 : 1703–6.
2.
Nityanand S, Srivastava JS, Asthana OP. Clinical trials with gugulipid. A new hypolipidaemic agent. J Assoc Physicians India 1989; 37 : 323–8.
3.
Satyavati GV. Gum guggul (Commiphora mukul) : the success story of an ancient insight leading to a modern discovery. Indian J Med Res 1988; 87 : 327–35.