Ce numéro de médecine/sciences inaugure une série d’articles consacrés à la polarité cellulaire, de l’œuf à l’organisme, dont les divers aspects seront illustrés par cinq articles, publiés sur trois numéros. L’acquisition de la polarité est une énigme fascinante qui occupe une place centrale en biologie. Cette série, par les nombreux aspects qu’elle aborde, intéressera autant le néophyte que le chercheur spécialisé. Des étapes précoces du développement au fonctionnement des organes, les champs concernés par les questions de polarité sont multiples et variés.
La naissance de la polarité cellulaire, avant ou après la fécondation, est un exemple de ces questions de type « poule et œuf », fréquentes en biologie mais extraordinairement fécondes pour comprendre le vivant. Quelquefois, une inhomogénéité particulière apparaît dans la cellule, engendrant ainsi un pôle. Comment cette polarité cellulaire se forme-t-elle ? Quelles en sont les conséquences ?
Les cellules, chacun le sait mais peut être menacé de le perdre de vue lorsque celles-ci sont utilisées comme des systèmes d’expression de gènes, ont une architecture sophistiquée, qui diffère d’un type cellulaire à l’autre, donc qui dépend de la fonction de la cellule (ou peut-être est-ce l’inverse ?). Aucune des molécules et organites qui les constituent ne se distribue au hasard à l’intérieur des cellules. Quelles sont les lois qui régissent cet ordonnancement ? Au niveau moléculaire, une question passionnante concerne les déterminants de la polarité. Consistent-ils en signaux portés par les protéines qui les dirigent là où elles doivent aller, en suivant les routes du cytosquelette ? Les déterminants de la polarité cellulaire sont-ils dépendants de signaux venant de l’extérieur des cellules comme pour le guidage axonal ou le chimiotactisme bactérien ? Dans quelle mesure la polarisation d’une cellule ne dépend-elle que de son propre fonctionnement ? Dans quelle mesure est-elle conditionnée par son environnement ? L’étude de la polarité cellulaire permet ainsi de franchir la barrière cellulaire et d’aborder la construction des organismes pluricellulaires et des tissus. La formation de structures multicellulaires, qui se polarisent très tôt au cours du développement, et qui dépendent de la différenciation de cellules, accrochées les unes aux autres d’une manière ordonnée comme dans les épithéliums, illustre l’acquisition de la polarité d’une cellule dans son environnement pluricellulaire. La division cellulaire asymétrique, qui est le résultat de la division d’une cellule polarisée selon une orientation qui produit deux cellules filles aux contenus cytoplasmiques différents, est une étape vers la différenciation des lignages cellulaires. Le résultat final est un organisme avec son avant et son arrière, son dos et son ventre ; mais comment les axes de symétrie des organismes multicellulaires sont-ils engendrés à partir d’une unique cellule ?
Comme on vient de le voir, la polarité cellulaire est une préoccupation au sein de tant de disciplines de la biologie, de la microbiologie aux neurosciences, en passant évidemment par la biologie du développement, qu’elle est un véritable axe transversal de la biologie. La question sera illustrée ici par Christian Sardet et ses collaborateurs sur la polarité cellulaire de l’œuf à l’organisme, François Schweisguth et ses collaborateurs sur la polarité planaire, André Le Bivic et ses collaborateurs à travers l’exemple de Crumbs et des jonctions intracellulaires, et d’Édouard Bertrand et ses collaborateurs sur la localisation intracellulaire polarisée des ARN.
En ces temps où l’on se demande si comprendre la cellule est vraiment utile à quelque chose, je vous invite à un voyage passionnant dans la cellule et l’organisme, d’un pôle à l’autre…