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Med Sci (Paris). 2004 December; 20(12): 1109–1114.
Published online 2004 December 15. doi: 10.1051/medsci/200420121109.

La tolérance cérébrale : un choix prometteur vers de nouvelles thérapies contre les maladies neurologiques

Nicolas Blondeau* and Catherine Heurteaux

Institut de Pharmacologie moléculaire et cellulaire, Université de Nice Sophia-Antipolis, CNRS-IPMC, UMR 6097, 660, route des Lucioles, 06560 Valbonne, France
Corresponding author.
 

Les premières définitions du préconditionnement et de la tolérance ischémiques ont été établies au niveau cardiaque par C.E. Murry et al. en 1986 [ 1] (‹).

(‹) m/s 2004, n° 5, p. 521

Depuis, ce phénomène de protection endogène a été mis en évidence chez la plupart des mammifères, y compris chez l’homme où il est actuellement utilisé en chirurgie cardiaque. Parallèlement, la notion de tolérance à l’ischémie s’est étendue à d’autres organes, et en particulier au cerveau. Dès 1986, A. Schurr et al. ont montré in vitro qu’une courte période d’anoxie protège l’hippocampe d’une anoxie plus longue, normalement délétère pour les neurones. Ce processus d’adaptation des neurones présentait les caractéristiques qui servent aujourd’hui à définir le préconditionnement [ 2]. Mais il a fallu attendre 1990 pour que le terme de tolérance cérébrale ischémique soit utilisé, et cinq ans de plus pour que la tolérance épileptique soit définie par analogie avec la tolérance ischémique : c’est-à-dire qu’une crise épileptique modérée protège le cerveau d’une crise normalement délétère pour les neurones [ 3, 4].

Dans les premières expériences visant à établir un état de tolérance contre un stimulus pathogène, l’inducteur était de même type que le stimulus létal, d’où le terme de préconditionnement. Seule l’intensité des stimulus variait, le stimulus inducteur devant être infraliminaire au seuil du dommage irréversible et le second stimulus étant supposé létal pour les neurones. Les imprécisions dans la terminologie ont engendré des confusions entre la tolérance - qui correspond à la fenêtre de protection contre une maladie - et le préconditionnement, qui est l’inducteur de celle-ci. Cela a compliqué la compréhension du phénomène et masqué son important potentiel thérapeutique. L’avènement de nouvelles technologies et une meilleure approche des exemples historiques de la tolérance cérébrale ischémique et épileptique devraient faciliter les futures investigations.

La tolérance ischémique cérébrale

Le phénomène de tolérance ischémique est d’abord un concept expérimental, décrit principalement dans le cœur et le cerveau, mais aussi dans de nombreux autres organes. L’induction et le maintien de la tolérance impliquent des effecteurs moléculaires dont la plupart semblent communs aux différents préconditionnements. Cependant, les spécificités liées à la régulation de l’excitabilité neuronale font de la tolérance cérébrale un phénomène unique.

Les premières études in vivo ont montré qu’une ischémie cérébrale modérée déclenche un mécanisme de protection endogène : le préconditionnement cérébral de type ischémique réduit la neurodégénérescence normalement induite par une ischémie cérébrale sévère lorsque le cerveau n’est pas préconditionné [3] (Figures 1 et 2).

Les deux critères majeurs régissant cette tolérance sont l’intensité du premier stress ischémique et le délai séparant les deux agressions ischémiques. La protection est induite par une ischémie modérée, non létale pour les neurones, et apparaît uniquement si le délai entre les deux ischémies est de plusieurs dizaines heures [ 5]. La protection est transitoire et implique une fenêtre de protection de 24 à 96 heures après la première ischémie (Figure 1). La tolérance est établie par la quasi-totalité des agressions ischémiques, qu’elles soient focales (occlusion de l’artère cérébrale moyenne), globales (arrêt total du débit sanguin cérébral) ou croisées (pour revue, voir [ 6]). Des modèles de tolérance neuronale ischémique ont été développés in vitro [6]. Les conditions induisant l’ischémie sont reproduites en associant une hypoxie à un appauvrissement en glucose du milieu de culture. Ce modèle respecte le profil des dommages neuronaux observé in vivo et la tolérance ischémique observée semble régie par les mêmes critères.

La tolérance épileptique

Une des premières descriptions relatives à ce phénomène concerne deux modèles d’épilepsie chez l’animal : l’embrasement limbique par kindling dans le cortex pyriforme et l’injection d’un analogue du glutamate (le principal neuromédiateur excitateur), l’acide kaïnique. Son injection chez des rats, préalablement soumis à un embrasement limbique, n’induit pas les dommages neuronaux attendus avec ce type d’agression épileptique [ 7]. Depuis, la tolérance épileptique a été définie par analogie avec la tolérance ischémique [4] (Figures 1 et 2) et mise en évidence dans plusieurs modèles expérimentaux, avec différents types de crises épileptiques induites par différents neurotoxiques [4, 8]. Des études in vitro, notamment sur des cultures organotypiques d’hippocampe, ont confirmé que l’exposition préalable de neurones à une dose sublétale d’acide kaïnique les protège des dommages normalement induits par une dose toxique (voire létale) de cet agent [ 9].

La tolérance croisée et le préconditionnement pharmacologique

La définition des critères régissant la tolérance ischémique ou épileptique a ouvert de nouveaux champs d’investigation avec deux nouveaux aspects de la tolérance cérébrale : la tolérance croisée et le préconditionnement pharmacologique. La notion de tolérance croisée repose sur le fait que de nombreux stimulus supposés être nocifs, comme l’hyperthermie, la cortical spreading depression ou le stress oxydatif augmentent la résistance du cerveau à une agression cérébrale secondaire d’un type différent. Le premier stimulus, toujours sublétal, est perçu par les neurones comme un signal de stress.

Le préconditionnement pharmacologique implique que la molécule utilisée pour induire la résistance du cerveau stimule les mécanismes biologiques probablement mis en jeu lors de l’établissement de la tolérance cérébrale. Pour établir celle-ci, la réponse neuronale nécessite toujours un délai de mise en œuvre associé à la synthèse de nouvelles protéines protectrices ou la répression de protéines de type pro-apoptotique [ 10].

La démonstration in vivo de l’existence de la tolérance croisée (ischémie/épilepsie, épilepsie/ischémie) [8, 11] et l’établissement de modèles de préconditionnement pharmacologique [10, 12, 13] offrent de nouvelles opportunités, tant dans le domaine de la prévention - au niveau clinique - qu’en recherche fondamentale, dans l’étude des mécanismes communs aux différents préconditionnements.

Les mécanismes classiques de la tolérance cérébrale

L’efficacité d’un préconditionnement est associée à la notion de seuil « à franchir pour protéger » et « à ne pas dépasser pour éviter la nocivité ». Elle repose sur l’activation de nombreux de facteurs, d’où sa complexité (Figure 3 et 4).

Parmi les différents composants cellulaires, trois catégories très liées entre elles peuvent être distinguées : les « senseurs, ou initiateurs », qui capturent le signal de stress et activent une multitude de « voies de signalisation intracellulaire, transducteurs membranaires et intracellulaires » qui eux-mêmes convergent vers des « effecteurs » de la protection (pour revue, voir [ 14]). La plupart de ces facteurs sont communs à tous les modèles de préconditionnement in vivo et in vitro, et leur polyvalence est à l’origine de la protection croisée. Chacun d’entre eux représente une cible thérapeutique potentielle dont l’activation pourrait améliorer la prise en charge des patients victimes d’accidents ischémiques ou épileptiques.

La réponse au stress est dans une large mesure identique pour tous les types cellulaires. Les neurones possèdent cependant des voies de signalisation intracellulaire spécifiques. Une des distinctions les plus marquantes entre les neurones et les autres cellules existe au niveau des senseurs, ou initiateurs, et implique le glutamate et ses récepteurs.

Le glutamate et ses récepteurs

Pour l’ischémie et l’épilepsie, l’hyperexcitabilité et la mort neuronales sont associées à la libération excessive du neurotransmetteur excitateur, le glutamate. Le préconditionnement n’affecte pas la libération du glutamate au cours d’une ischémie sévère [ 15], mais prépare les neurones à résister à son action toxique (excitotoxicité) : il agit sur les récepteurs du glutamate. In vitro, un préconditionnement pharmacologique par l’activation des récepteurs NMDA (N-méthyl-D-aspartate) établit une tolérance neuronale identique à celle obtenue par le préconditionnement ischémique ou épileptique [ 16]. Le préconditionnement prévient l’altération induite par l’ischémie sévère de la sous-unité GluR2 des récepteurs AMPA (α-amino-3hydroxy-5-méthyl-4-isoxazolepropionate), partenaire de la résistance à l’excitotoxicité [ 17].

Les récepteurs de l’adénosine de type A1 et les canaux potassiques sensibles à l’ATP (KATP)

Ces protéines membranaires sont un des sujets les plus documentés de la tolérance cérébrale. Un préconditionnement pharmacologique par les activateurs des canaux KATP ou des récepteurs de type A1 reproduit une fenêtre de protection identique à celle observée dans la tolérance ischémique ou épileptique, et déclenche un signal de stress conduisant à la synthèse de nombreuses protéines, dont HSP70 (heat shock protein), décrite pour ses effets bénéfiques dans la majorité des modèles de préconditionnement [10]. L’inhibition des canaux KATP ou des récepteurs de type A1 abolit les effets bénéfiques induits par un préconditionnement ischémique ou épileptique [17], tandis que leur activation en phase aiguë protège les neurones d’une ischémie ou d’une crise épileptique [ 18]. Les récepteurs A1 de l’adénosine et les canaux KATP pourraient donc avoir à la fois un rôle de senseur et d’effecteur dans la tolérance cérébrale, et l’analyse de leur rôle dans la phase tardive du préconditionnement cérébral est aussi compliquée par l’existence potentielle de canaux KATP mitochondriaux [ 19].

Le facteur nucléaire kappaB (NF-kappaB)

Le rôle des facteurs de transcription comme NF-kappaB n’a été étudié que très récemment, lorsque le délai nécessaire à l’établissement de la tolérance cérébrale a clairement été associé à la synthèse de nouvelles protéines. Ils représentent un intérêt particulier puisqu’ils pourraient être un des points de convergence obligatoire à tous les préconditionnements. Le facteur NF-kappaB a retenu l’attention, car il est activé par de nombreux stimulus (anoxie, radicaux libres, ischémie…). On lui attribue de plus un double rôle : pro- et anti-apoptotique [ 20]. Cette dualité en accord avec le concept du préconditionnement a motivé son étude dans la tolérance cérébrale. Il apparaît aujourd’hui comme un des points de convergence clé des nombreuses voies de signalisation intracellulaire déclenchées aussi bien par les préconditionnements classiques (ischémique et épileptique) que par les préconditionnements pharmacologiques (activateurs de canaux KATP, récepteurs A1 ou prétraitement par les acides gras poly-insaturés). Dans tous ces modèles, l’établissement de la tolérance est aboli si l’activation du facteur NF-kappaB est inhibée [ 21].

Conclusions

Les quelques exemples évoqués montrent que de nombreux modèles de tolérance cérébrale ont été caractérisés, y compris chez l’homme [ 22, 23], suscitant un intérêt clinique grandissant. Les cinétiques d’action sont connues. Les études ont permis d’élargir la notion de tolérance à la capacité de résistance intrinsèque des neurones face à des agressions délétères et la notion de préconditionnement à une multitude de stress cellulaires. L’existence de mécanismes endogènes communs aux différents préconditionnements ne fait maintenant plus aucun doute. L’approche génomique, grâce aux nouvelles techniques d’analyse génomique et protéomique, apporte un outil supplémentaire à la caractérisation de la réponse aux différents préconditionnements. Les différentes approches devraient pouvoir aboutir à une nouvelle stratégie thérapeutique fondée sur le préconditionnement pharmacologique, par exemple dans le cas de la chirurgie cérébrale à haut risque de complications vasculaires ou épileptiques.

 
Acknowledgments

Nous tenons vivement à remercier les professeurs M. Lazdunski et M. Moskovitz de leur confiance et leurs encouragements, ainsi que le docteur C. Waeber pour sa lecture attentive du manuscrit, sans oublier le CNRS et la Fondation de la Recherche Médicale pour leur soutien financier.

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