Les jonctions neuromusculaires s’établissent à la suite d’interactions complexes entre les terminaisons axonales des motoneurones, les fibres musculaires et les cellules de Schwann. La genèse de la jonction neuromusculaire culmine avec la formation de deux domaines spécialisés du nerf et du muscle, la terminaison présynaptique impliquée dans la libération de l’acétylcholine (ACh), et l’appareil postsynaptique responsable de la reconnaissance de l’ACh et de la dépolarisation de la membrane. La membrane postsynaptique assure ces fonctions sur la base d’une accumulation de récepteurs de l’ACh. L’efficacité de la transmission synaptique est renforcée par la juxtaposition précise des sites de libération de l’ACh (les zones actives présynaptiques) et des récepteurs postsynaptiques qui assure leur activation rapide (de l’ordre de la microseconde). Une telle organisation suggère que des mécanismes complexes de signalisation entre le motoneurone et la fibre musculaire sont nécessaires à la coordination de la différenciation pré- et postsynaptique.
La formation de l’appareil postsynaptique requiert, outre le récepteur de l’ACh, au minimum trois composants : l’agrine, un héparane sulfate protéoglycane sécrété par le nerf, un récepteur tyrosine kinase spécifique du muscle (MuSK), la pièce centrale du complexe récepteur de l’agrine, et la rapsyne, une protéine extrinsèque nécessaire à l’agrégation du récepteur de l’ACh [ 1]. L’activation de MuSK (par phosphorylation de tyrosines) par l’agrine déclenche en aval une cascade d’événements aboutissant au recrutement du récepteur de l’ACh via la rapsyne. L’invalidation chez la souris des gènes codant pour chacun de ces trois composants entraîne des perturbations majeures de la synaptogenèse, notamment l’absence de différenciation postsynaptique [ 2]. La jonction neuromusculaire comprend aussi une spécialisation du cytosquelette et des noyaux sous-neuraux encore appelés noyaux fondamentaux. Certains gènes musculaires tels que les gènes codant pour les sous-unités du récepteur de l’ACh sont transcrits préférentiellement par ces noyaux sous-neuraux, entraînant une concentration locale des messagers correspondants [ 3]. Deux facteurs exprimés dans les motoneurones et libérés dans l’espace synaptique, la neuréguline (NRG)-1 et l’agrine sont susceptibles d’être impliqués dans ce processus. Dans les myotubes en culture, l’activation des récepteurs ErbB (RTK de la famille du récepteur de l’epidermal growth factor) par la NRG stimule la transcription des gènes des sous-unités α, δet ε du récepteur de l’Ach et celle d’autres gènes codant pour des protéines synaptiques (utrophine, rapsyne…) via les voies de la MAP-kinase (ERK), c-Jun kinase (JNK) et de la phosphatidyl inositol-3 kinase (PI3K). Ces voies phosphorylent en aval le facteur de transcription GA-binding protein (GABP) qui se fixe sur une séquence régulatrice spécifique des gènes synaptiques, la boîte N. Cependant, le rôle de la NRG neuronale dans l’activation des gènes codant pour le récepteur de l’ACh reste à démontrer in vivo. En revanche, l’activation MuSK in vivo est suffisante pour induire la formation d’un appareil postsynaptique ectopique incluant la transcription compartimentée des gènes codant pour les récepteurs de l’ACh en l’absence de terminaison nerveuse, donc de NRG neuronale [ 4].
La recherche des partenaires de MuSK impliqués dans l’agrégation des protéines synaptiques, ou dans la transcription de ces gènes, est une étape indispensable pour comprendre les mécanismes de la différenciation de la jonction neuromusculaire. Les recherches menées par différentes équipes ont conduit à la découverte de l’adaptateur moléculaire dishevelled (Dvl1) [ 5], d’une molécule de signalisation, la tyrosine kinase Abelson [ 6], et de la géranylgéranyltransférase I [ 7]. Ces différentes molécules jouent un rôle clé dans le recrutement du récepteur de l’ACh en participant à la réorganisation du réseau d’actine cortical via les petites GTPases de la famille Rho (Rac/Cdc 42) et la sérine/thréonine kinase PAK1. Ces GTPases, requises dans le mécanisme d’agrégation du récepteur de l’ACh [6], activent également la transcription synaptique en stimulant la voie JNK en aval du complexe Agrine/MuSK [ 9].
Au sein de notre équipe, nous avons recherché les différents composants du complexe MuSK par une approche protéomique fondée sur le pontage chimique de MuSK à ses partenaires dans son environnement membranaire (membrane postsynaptique purifiée à partir des organes électriques du poisson torpille). Les complexes de MuSK solubilisés ont ensuite été purifiés par immunoaffinité. Après séparation, les produits de pontage de MuSK ont été analysés par spectrométrie de masse MALDI-TOF. Parmi plusieurs partenaires potentiels de MuSK, nous avons identifié la protéine 14-3-3 γ [ 10]. Les protéines 14-3-3 constituent une famille émergente d’adaptateurs moléculaires impliqués dans de nombreux processus de signalisation cellulaire [ 11]. Elles fonctionnent en interagissant avec de nombreuses cibles moléculaires (plus de 100 sont aujourd’hui connues). La protéine 14-3-3 γ, seule isoforme exprimée dans le muscle, est co-localisée avec les récepteurs de l’ACh à la jonction neuromusculaire. En collaboration avec les équipes de Laurent Schaeffer (ENS, Lyon, France) et de Jean-Pierre Changeux (Institut Pasteur, Paris, France), nous avons montré que la surexpression de la 14-3-3 γ dans des myotubes en culture ou dans les fibres musculaires in vivo réprime spécifiquement l’expression de plusieurs gènes synaptiques [10]. De plus, après électroporation in vivo de 1a 14-3-3 γ dans les muscles de souris, la distribution des agrégats de récepteur de l’ACh dans la membrane postsynaptique est anormale. Parmi les cibles connues des protéines 14-3-3, se trouvent deux effecteurs de la voie NRG/ErbB, la PI3K et Raf-1, une kinase de la voie ERK. Nous avons mis en évidence le fait que la surexpression de la 14-3-3 γ inhibe la transcription des gènes rapporteurs synaptiques, induite par PI3K ou Raf-1 constitutivement actifs, dans les myotubes en culture [10]. L’ensemble de ces résultats indique que le complexe MuSK/14-3-3 γ régule l’expression des gènes synaptiques à la jonction neuromusculaire (Figure 1). Cette découverte renforce l’hypothèse selon laquelle MuSK est l’élément central dans la formation et le maintien de la synapse, responsable à la fois de la localisation des protéines de la membrane postsynaptique et de la régulation de l’expression des gènes synaptiques. Dans cette hypothèse, la 14-3-3 γ serait le lien entre MuSK et la cascade de signalisation NRG/ErbB, cela suggérant la possibilité d’un dialogue entre les voies activées par la NRG et l’agrine (Figure 2). Restent à découvrir les mécanismes de régulation de l’interaction MuSK/14-3-3 γ. Le domaine cytoplasmique de MuSK, comme beaucoup de ligands des protéines 14-3-3, possède deux séquences consensus de liaison (RSxSxP et Rx1-2Sx2-3S) qui contiennent des résidus sérine. La phosphorylation d’au moins un de ces résidus est nécessaire à la liaison de la 14-3-3 à ses ligands. On peut donc imaginer que des signaux différents de l’agrine contrôlent l’interaction MuSK-14-3-3 γ