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Med Sci (Paris). 2006 March; 22(3): 308–312.
Published online 2006 March 15. doi: 10.1051/medsci/2006223308.

ENPP1, premier exemple d’un déterminant génétique commun à l’obésité et au diabète de type 2

David Meyre* and Philippe Froguel*

Laboratoire de Physiologie et de Génomique des Maladies Métaboliques, Unité Mixte de Recherche CNRS 8090, Institut Pasteur de Lille, 1, rue du Professeur Calmette, 59000 Lille, France
Corresponding author.
 

La prévalence de l’obésité a augmenté de façon alarmante ces deux dernières décennies [ 1], et pourrait être la cause directe d’une diminution générale de 2 à 5 ans de la longévité dans les prochaines années [ 2]. L’obésité modérée de l’adulte, définie par un indice de masse corporelle (IMC) supérieur ou égal à 30 kg/m2, est passée en France de 8,2 % à 11,3 % entre 1997 et 2003, soit une augmentation de 37,8 % [2]. Dans le même temps, l’obésité massive (IMC ≥ 40 kg/m2) montrait une augmentation de 100 % (0,3 % à 0,6 %) [2]. Si on est loin encore des chiffres américains (30 % d’obèses avec près de 5 % d’obésité massive), la tendance est la même. Si des changements d’ordre environnemental (alimentation déséquilibrée, sédentarité) sont essentiellement en cause dans l’augmentation de la corpulence de la population générale, l’explosion des formes extrêmes d’obésité suggère l’existence d’une prédisposition génétique. Les études familiales confirment d’ailleurs que l’héritabilité (variance génétique rapportée à la variance phénotypique) de l’obésité se situe autour de 80 % [ 3].

Le risque de diabète de type 2 (DT2) croit avec le degré d’obésité. Ainsi, Mokdad et al., dans une étude portant sur 195 005 Américains, établit que le risque relatif de DT2 est de 3,44 chez les individus obèses modérés, et d’un facteur de 7,37 chez les individus obèses massifs [ 4]. L’apparition récente de cas de DT2 chez les adolescents et même chez certains enfants est directement corrélée avec l’explosion de la prévalence de l’obésité infantile [ 5]. Cependant, tous les obèses ne deviennent pas diabétiques. Comme le DT2 a lui-même une base génétique, l’existence de déterminants moléculaires communs entre obésité et DT2 a été postulée depuis longtemps mais jamais vraiment étayée. Ainsi les formes monogéniques de DT2 (diabète MODY) ne sont pas accompagnées d’obésité, et les formes mendéliennes d’obésité avec atteinte de la voie de la leptine-mélanocortine ne sont pas particulièrement diabétogènes. Cependant, les analyses génomes entiers de familles diabétiques ou obèses ont montré quatre régions du génome, situées sur les chromosomes 6, 8, 10 et 20, et présentant des liaisons génétiques redondantes simultanément avec l’obésité et le DT2, suggérant que dans ces régions pourraient se trouver des gènes candidats communs.

Le recrutement de 115 familles françaises avec obésité infantile a d’abord permis de publier la 1re étude génome entier pour des traits associés à l’obésité infantile, qui montrait une liaison génétique sur les chromosomes 2, 6, 15, 16, 17 et 19, le plus fort signal de liaison se situant dans la région 6q22.31-q23.2 [ 6]. Premier élément frappant, l’analyse des 62 familles participant à la liaison génétique au chromosome 6 a révélé des perturbations de l’homéostasie glucidique chez les enfants obèses et leurs parents comparativement aux autres familles. Les enfants présentaient des glycémies plus élevées durant le test d’hyperglycémie provoquée par voie orale, un indice insulinogénique plus faible, signe d’un trouble de la 1re phase sécrétoire de l’insuline, et 3 % des enfants des 62 familles (versus 0 %) étaient intolérants au glucose ou diabétiques. De plus, 14 % des parents des familles liées au chromosome 6 étaient diabétiques contre 3 % dans les autres familles. Ces données suggéraient que le(s) gène(s) de susceptibilité à l’obésité sur le chromosome 6 pouvaient également influer sur l’homéostasie du glucose. L’intervalle de confiance de la liaison génétique avec l’obésité infantile couvrait 41,4 Mb et incluait 166 gènes référencés. Cependant, la comparaison de cet intervalle avec ceux de sept autres études montrant chez l’adulte une liaison avec des traits associés à l’obésité [ 7] ou au DT2 [ 813] a permis d’identifier une région de 2,4 Mb commune à toutes ces études, localisée entre les deux marqueurs microsatellites D6S1656 et D6S270, incluant 22 gènes référencés (Figure 1).

ENPP1, un gène candidat de la diabésité sur le chromosome 6

Le meilleur gène candidat dans l’intervalle de 2,4 Mb était le gène de l’ectonucléotide pyrophosphatase phosphodiestérase 1 (ENPP1). En effet, un des rôles suggérés d’ENPP1 serait d’inhiber le récepteur de l’insuline par interaction directe, affectant du même coup la cascade de signalisation en aval du récepteur [ 14, 15]. En outre, un polymorphisme fonctionnel de l’exon 4 (K121Q), entraînant une inhibition plus marquée du récepteur de l’insuline [ 16], a été associé à l’insulinorésistance dans diverses ethnies [ 17, 18]. Argument supplémentaire en faveur d’un rôle potentiel d’ENPP1 dans la susceptibilité à l’obésité infantile, le marqueur D6S1656, situé dans l’intron 1 d’ENPP1, réplique une liaison génétique dans un 2e groupe indépendant de 68 familles avec obésité infantile. Ce marqueur montre également une association familiale avec l’obésité infantile dans les deux groupes de familles testés.

Les régions codantes et 1 300 paires de bases en amont du codon d’initiation ATG et en aval du codon stop TGA ont été d’abord séquencées chez des enfants obèses des familles liées au chromosome 6 et chez des adultes témoins. Quarante et un polymorphismes ont été identifiés, dont 22 fréquents. L’analyse du déséquilibre de liaison au locus ENPP1 a montré que le génotypage de 10 tagged polymorphismes était suffisant pour extraire l’essentiel de l’information génétique. En outre, 25 fragments de haute homologie (> 70%) entre l’homme, le rat et le poisson Fugu, situés dans les régions introniques et intergéniques d’ENPP1, ont permis d’identifier 11 polymorphismes supplémentaires qui pouvaient avoir un rôle fonctionnel.

Les variants d’ENPP1 sont associés avec l’obésité

Les polymorphismes d’ENPP1 ont ensuite été génotypés chez des enfants obèses, des adultes obèses morbides et des adultes non obèses et normo-tolérants au glucose. Les études cas-témoin ont établi que 6 polymorphismes d’ENPP1 (IVS2 delG + 8, K121Q, IVS8 T > G + 27, IVS20 delT - 11, A > G + 1044 TGA, T > G + 5954 TGA) étaient associés à l’obésité sévère, le résultat le plus significatif étant obtenu pour le K121Q (odd ratio = 1,37, p = 0,00008). Afin de confirmer que l’association avec l’obésité était bien spécifique de ENPP1, 55 polymorphismes dans une région de 580 kb incluant 4 gènes adjacents à ENPP1 ont été étudiés, montrant l’existence de 3 blocs de déséquilibre de liaison distincts (Figure 2). Huit polymorphismes ont été associés simultanément à l’obésité infantile et à l’obésité infantile liée au chromosome 6q, dont 7 étaient inclus dans un bloc limité à ENPP1 (Figure 3). Ces résultats confirment que l’association avec l’obésité est bien due aux polymorphismes d’ENPP1.

Seuls, les polymorphismes IVS20 delT - 11 et A > G + 1044 TGA avaient un effet indépendant du K121Q sur la susceptibilité à l’obésité. L’haplotype à risque maximal d’obésité sévère, Q121, IVS20 delT - 11 et G + 1044 TGA, est présent chez 8 % de la population générale. Il augmente de 70 % le risque de développer une obésité infantile, de 37 % le risque d’obésité modérée et de 50 % le risque d’obésité morbide chez l’adulte. Cet haplotype à risque contribue partiellement à la liaison génétique observée au chromosome 6q, ce qui suggère l’implication probable d’autres gènes d’obésité dans cette région (Figure 4).

L’haplotype à risque module la fonction et l’expression d’ENPP1

La mutation codante Q121 augmente l’activité inhibitrice du récepteur de l’insuline de la protéine ENPP1, sans moduler les niveaux d’ARNm ou de la protéine [16]. Comme les concentrations plasmatiques d’ENPP1 reflètent les niveaux tissulaires de ce peptide [ 19], ENPP1 a été dosée chez des enfants de poids variable. Les concentrations d’ENPP1 circulant étaient positivement corrélées à la corpulence et les enfants ayant une copie de l’haplotype à risque avaient des taux d’ENPP1 augmentés (Figure 5). Ainsi, les trois variants de ce gène, quand ils sont présents simultanément, modifieraient de manière complémentaire l’expression et la fonction de la protéine pour la rendre plus « insulinorésistante ».

ENPP1 est associé à une altération de l’homéostasie glucidique

Les enfants porteurs de l’haplotype à risque d’obésité ont une glycémie à jeun plus élevée, et un risque multiplié par 3,4 de développer une intolérance au glucose ou un DT2. Chez leurs parents porteurs du même haplotype, le risque de DT2 est globalement multiplié par 2,3. Cependant, en présence d’obésité, le risque est multiplié par 3,3, suggérant que ce gène favorise la survenue de diabète en présence d’un surpoids. Cette association avec le DT2 a ensuite été confirmée chez 2 500 sujets diabétiques et témoins d’origine européenne. ENNP1 est ubiquitaire, ce qui ne facilite pas la compréhension du phénotype de « diabésité » associé à ses variants géniques. Cependant, l’analyse par RT-PCR de l’expression des différentes isoformes de ce gène dans les principaux tissus humains a montré que le transcrit incluant 1 170 bases de la région en 3’UTR (et incluant le polymorphisme A > G + 1044 associé à l’obésité) était uniquement exprimé dans le foie, l’adipocyte et les îlots β-pancréatiques, trois tissus clés de l’homéostasie glucidique.

Vers la dissection génétique des obésités

L’identification d’ENPP1 comme gène de « diabésité » donne une première base moléculaire à l’hypothèse de l’hétérogénéité physiopathologique du trait complexe obésité. Tous les obèses ne sont pas très insulinorésistants et tous n’ont pas un syndrome métabolique sévère conduisant à un risque élevé de DT2 et de maladies cardio-vasculaires. La présence de variants d’ENPP1 favoriserait le développement dès l’enfance d’un état d’insulinorésistance chronique dont l’origine est évidemment multifactorielle. D’autres gènes sont probablement en cause qui pourraient intervenir dans les voies de signalisation de l’insuline, voire en amont dans les mécanismes de contrôle nerveux de la thermogenèse ou en aval au niveau mitochondrial. L’environnement joue un rôle crucial par l’alimentation riche en graisses à acides à longue chaîne de type oméga 6 ou en glucides à haut indice glycémique ou par la sédentarité qui exacerbe l’insulinorésistance. Cette obésité à fort impact délétère métabolique s’accompagne d’infarctus du myocarde précoces chez des diabétiques porteurs de la mutation Q121 d’ENPP1 [ 20].

Les résultats actuels, obtenus à partir de l’étude de plus de 6 000 personnes [ 21], montrent qu’au-delà des perturbations de la prise alimentaire et de la satiété [ 2225], il existe des obésités d’origine « métabolique ». Ces obésités devront être prévenues ou prises en charge de manière différente que celles liées à des troubles du comportement alimentaire. Ainsi, des régimes alimentaires moins insulinorésistants, une activité physique importante, voire des médicaments spécifiques pourraient être très efficaces pour lutter contre la pandémie de diabésité qui est en train de submerger le monde du XXIe siècle.

 
Footnotes

Article reçu le 2 octobre 2005, accepté le 22 octobre 2005.

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